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Rapport intérimaire - Rapport No. 256, Juin 1988

Cas no 1423 (Côte d'Ivoire) - Date de la plainte: 20-AOÛT -87 - Clos

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  1. 383. La Fédération internationale syndicale de l'enseignement a présenté une plainte en violation des droits syndicaux contre le gouvernement de Côte d'Ivoire dans des communications datées des 20 août, 1er et 8 septembre 1987. Par la suite, cette fédération a soumis de nouvelles allégations et informations dans des communications datées des 28 septembre, 14 octobre 1987 et 19 et 21 janvier 1988.
  2. 384. En dépit des nombreuses demandes adressées au gouvernement pour qu'il envoie ses observations, aucune réponse n'a été reçue et le comité, à sa réunion de février 1988, lui a adressé un appel pressant afin qu'il transmette d'urgence ses commentaires à propos des allégations présentées dans le présent cas. (Voir 254e rapport, paragr. 13, approuvé par le Conseil d'administratio à sa 239e session, février-mars 1988.) A cette occasion, le comité a attiré l'attention du gouvernement sur le fait qu'il pourrait présenter un rapport sur le fond de l'affaire à sa prochaine réunion, même s'il n'avait pas encore reçu les observations du gouvernement. Le gouvernement n'a pas répondu à cet appel pressant.
  3. 385. La Côte d'Ivoire a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations de l'organisation plaignante

A. Allégations de l'organisation plaignante
  1. 386. Dans ses premières communications, la FISE déclare que le Syndicat national des enseignants du second degré de Côte d'Ivoire (SYNESCI), organisation qui lui est affiliée, aurait fait l'objet d'attaques brutales au cours de son 15e Congrès national ordinaire réuni à Abidjan en juillet 1987. En particulier, l'organisation plaignante énumère les actes d'ingérence suivants qui auraient été perpétrés à l'instigation des pouvoirs publics: après qu'un membre du bureau national légitime du syndicat eut été blessé par des nervis, les travaux du Congrès auraient été suspendus et certains éléments qui n'auraient jamais acquitté de cotisations syndicales auraient illégalement constitué un bureau; ce bureau illégalement constitué aurait prétendu représenter le SYNESCI. Il aurait occupé le siège du syndicat avec l'aide de la Police nationale. La police aurait pris possession du patrimoine du SYNESCI et de sa coopérative d'achat, et les comptes bancaires du syndicat auraient été bloqués sur ordre du ministre de l'Education nationale au profit du bureau illégal; des menaces de déplacement d'office et de radiation de la fonction publique auraient plané sur les dirigeants du SYNESCI.
  2. 387. L'organisation plaignante estime que les actes en question sont en contradiction avec les conventions nos 87, 98 et 151 ainsi qu'avec la recommandation UNESCO/OIT de 1966 concernant la condition du personnel enseignant. Elle déclare que les pouvoirs publics auraient suscité ces actes de violence pour tenter de liquider une organisation indépendante, autonome et démocratique, parce que ladite organisation contribuait à former une fédération d'organisations syndicales des différents niveaux d'enseignement et qu'elle avait conservé une certaine indépendance d'action vis-à-vis du parti politique unique.
  3. 388. Par télex du 8 septembre, l'organisation plaignante allègue aussi que le secrétaire général du SYNESCI, M. Laurent Akoun, a été arrêté le 3 septembre 1987. Dans un autre télex du 28 septembre, l'organisation plaignante annonce de nouvelles arrestations, celles de M. Bertin Ganin, secrétaire général adjoint du SYNESCI, du trésorier général, du trésorier général adjoint et de cinq autres membres du bureau national légitime du syndicat.
  4. 389. Par une communication du 14 octobre 1987, l'organisation plaignante fournit la liste de 55 militants du SYNESCI qui auraient été déplacés d'office lors de la rentrée scolaire, contrairement aux règles de fonctionnement des institutions scolaires.
  5. 390. Dans une lettre du 19 janvier 1988, l'organisation plaignante déclare que la direction syndicale illégale a reçu un soutien financier des autorités politiques pour organiser des réunions dans le pays sous la protection de la police. Elle ajoute que, le 14 septembre, le Président de la République aurait reçu ce bureau illégitime et que, d'après les informations parues dans la presse, celui-ci aurait déclaré qu'il accordait son soutien total audit bureau. Elle signale qu'une procédure judiciaire à l'encontre des dirigeants incarcérés du SYNESCI a été engagée pour "détournement de biens sociaux"; et qu'à la date à laquelle sa lettre est rédigée, aucun jugement n'a été prononcé sur le recours présenté au tribunal par le SYNESCI concernant l'illégalité du déroulement du 15e Congrès. Le 4 décembre, le procès du secrétaire général, du trésorier général et du trésorier général adjoint a eu lieu et, après dix heures de débats, les détenus ont été condamnés à des peines de quatre à six mois d'emprisonnement. En conclusion, l'organisation plaignante déclare que, bien que deux dames membres du SYNESCI aient été libérées, elles ont été par la suite licenciées de la fonction publique; trois autres détenus se trouvent à la prison civile de Yopougon, 13 sont au camp militaire de Séguéla, 18 ont vu leur salaire suspendu, et six sont sans poste.
  6. 391. Dans sa communication du 21 janvier 1988, l'organisation plaignante confirme, après avoir enquêté sur place, que les 24 enseignants membres du SYNESCI, qui ont fait l'objet des diverses mesures énumérées ci-dessus, ont respecté la loi et qu'ils ont participé à des activités légitimes au service de leurs collègues. L'organisation plaignante fournit une liste décrivant la situation des 24 enseignants, en date du 21 janvier 1988 (voir annexe).

B. Conclusions du comité

B. Conclusions du comité
  1. 392. Avant d'examiner ce cas quant au fond, le comité estime nécessaire de rappeler les considérations qu'il a exposées dans son premier rapport (paragr. 31) et qu'il a eu l'occasion de réitérer à maintes reprises, à savoir que le but de l'ensemble de la procédure instituée à l'OIT pour l'examen des allégations en violation de la liberté syndicale est d'assurer le respect des libertés syndicales en droit comme en fait. Si la procédure protège les gouvernements contre des accusations déraisonnables, elle exige qu'ils présentent, en vue d'un examen objectif, des réponses détaillées aux allégations formulées à leur encontre. Le comité tient à souligner que, dans tous les cas dont il a été saisi depuis sa création, il a toujours été d'avis que les réponses des gouvernements contre lesquels des plaintes étaient présentées ne devaient pas se limiter à des observations de caractère général.
  2. 393. En conséquence, le comité déplore que le gouvernement n'ait envoyé aucune réponse et il se voit obligé, en raison du temps écoulé depuis le dépôt de la plainte, d'examiner ce cas sans pouvoir tenir compte des observations d gouvernement.
  3. 394. Le comité note que, dans le présent cas, les allégations portent sur de nombreuses violations du droit syndical d'une organisation nationale d'enseignants, violations allant d'un soutien accordé par les pouvoirs public à un bureau exécutif illégitime jusqu'au maintien en détention ou à la suspension de responsables syndicaux. En outre, un enseignant syndiqué aurait été blessé au cours d'attaques violentes perpétrées par la police au cours du Congrès annuel d'un syndicat. Le comité exprime sa grave préoccupation face à cette situation et espère que le gouvernement, ayant pris note des considérations suivantes, s'efforcera de veiller à ce que le respect des droits syndicaux des enseignants soit garanti en Côte d'Ivoire.
  4. 395. Le comité note que la première série d'allégations concerne surtout le soutien accordé par les pouvoirs publics sous une forme à la fois matérielle (transfert des comptes bancaires et occupation du siège du SYNESCI) et psychologique (protection policière des réunions et visite au Président de la République) à une direction du même syndicat qui aurait été créé illégalement après que des actes de violence eussent entraîné la suspension des travaux du Congrès annuel du syndicat. Le comité relève qu'il a eu l'occasion dans le passé de se pencher sur des allégations semblables (voir, par exemple, 251e rapport, cas no 1271 (Honduras), paragr. 286) et qu'il a rappelé que la liberté syndicale implique le droit pour les organisations de travailleurs d'organiser leur gestion et leur activité sans aucune ingérence des autorités publiques. Dans le présent cas, le gouvernement s'est manifestement ingéré dans les affaires syndicales en favorisant une partie au détriment d'une autre.
  5. 396. Le comité observe que la direction initiale du SYNESCI a saisi les tribunaux de l'illégalité du déroulement des travaux du Congrès mais qu'en janvier 1988 les tribunaux n'avaient pas encore statué. Le comité veut croire que la cause du SYNESCI sera entendue par les tribunaux à une date prochaine.
  6. 397. En ce qui concerne l'arrestation, en septembre 1987, du secrétaire général, du secrétaire général adjoint, du trésorier général et du trésorier général adjoint, ainsi que de 14 autres responsables syndicaux (voir annexe), le comité note que Mme Walbridge et Mlle Diby ont été relâchées après avoir été détenues pendant deux mois sans avoir, semble-t-il, été inculpées, et que le secrétaire général, le trésorier général et le trésorier général adjoint ont été jugés et condamnés en décembre 1987 à des peines de six et de quatre mois d'emprisonnement pour détournement de biens sociaux. Tout en reconnaissant que l'article 8 de la convention no 87 fait obligation aux syndicalistes, à l'instar des autres personnes ou collectivités organisées de respecter la légalité, le comité voudrait toutefois demander au gouvernement de lui fournir le texte des jugements de condamnation, avec leurs attendus, afin d'être en mesure d'examiner cet aspect du cas de façon plus approfondie et en pleine connaissance des faits. Le comité a déclaré à maintes occasions (voir 214e rapport, cas no 1093 (Bolivie), paragr. 388) que les activités syndicales ne doivent pas en elles-mêmes servir de prétexte aux pouvoirs publics pour arrêter ou détenir arbitrairement des syndicalistes. En outre, le comité a insisté sur le fait que, lorsqu'il demande à un gouvernement des informations sur l'issue des procédures judiciaires, une telle demande d'information n'implique de sa part absolument aucun jugement quant à l'intégrité et à l'indépendance du pouvoir judiciaire; l'essence même de la procédure judiciaire est que ses résultats sont connus, et la conviction que l'on acquiert de son impartialité repose sur cette publicité. (Voir 74e rapport, cas no 298 (Royaume-Uni/Rhodésie du Sud), paragr. 51.)
  7. 398. Pour ce qui est des 13 autres dirigeants du SYNESCI qui, semble-t-il, ont été détenus sans inculpation ni jugement depuis le 31 octobre 1987 au camp militaire de Séguéla, à 500 km d'Abidjan, le comité exprime sa préoccupation face à cette infraction aux droits syndicaux. Il rappelle que l'arrestation de dirigeants syndicaux, sans qu'aucun délit spécifique soit retenu contre eux, entraîne des entraves à l'exercice des droits syndicaux. (Voir 233e rapport, cas no 1211 (Bahreïn), paragr. 589.)En outre, il fait observer que l'arrestation de dirigeants syndicaux dans l'exercice d'activités syndicales légitimes (même si c'est pour une courte période) constitue une violation des principes de la liberté syndicale. (Voir 236e rapport, cas no 1204 (Paraguay paragr. 441.) Le comité demande instamment au gouvernement de remettre en liberté ces dirigeants syndicaux ou, s'ils ont été déférés à un tribunal, de l'informer des chefs d'inculpation retenus contre eux et de leur situation actuelle.
  8. 399. En ce qui concerne les actes de discrimination antisyndicaux perpétrés par les pouvoirs publics au cours des six derniers mois (en particulier la suspension du traitement de dirigeants syndicalistes depuis novembre 1987 et le refus d'accorder des postes à six enseignants syndiqués (voir annexe) ains que la mutation de 55 militants syndicaux du SYNESCI), le comité rappelle l'importance de l'article 1 de la convention no 98, et le principe général selon lequel nul ne devrait faire l'objet de discrimination dans l'emploi en raison de son affiliation ou de ses activités syndicales légitimes. Le comité a déclaré à plusieurs reprises que la protection contre les actes de discrimination antisyndicale doit couvrir toutes mesures discriminatoires qui interviendraient en cours d'emploi et, en particulier, les transferts, les suspensions de salaires et autres actes préjudiciables. (Voir 211e rapp ort, cas no 1020 (Mali), paragr. 250.)En conséquence, le comité demande au gouvernement de prendre les mesures qui s'imposent pour reporter les transferts et les suspensions et de le tenir informé des faits nouveaux qui interviendront à cet égard.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 400. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité déplore que le gouvernement n'ait pas envoyé ses observations concernant le présent cas, bien qu'il ait été invité à le faire à plusieurs reprises. Le comité a en conséquence été obligé d'examiner ce cas en l'absence desdites observations.
    • b) Etant donné la gravité des nombreuses allégations formulées dans le présent cas, le comité veut espérer que le gouvernement s'efforcera de veiller à ce que le respect des droits syndicaux des enseignants soit garanti en Côte d'Ivoire.
    • c) Le comité demande que les tribunaux examinent, à brève échéance, le recours introduit par le Syndicat national des enseignants du second degré de Côte d'Ivoire (SYNESCI) qui a contesté la légalité de la direction syndicale qui prétend représenter les enseignants du secondaire et demande au gouvernement de le tenir informé de l'issue de ce procès.
    • d) Le comité demande au gouvernement de transmettre la copie du jugement de décembre 1987 par lequel trois dirigeants du SYNESCI ont été condamnés à des peines d'emprisonnement pour détournement de biens sociaux, avec ses attendus, et demande instamment au gouvernement de libérer les 13 dirigeants syndicaux qui ont, semble-t-il, été détenus sans inculpation ni jugement dans le camp militaire de Séguéla depuis le 31 octobre 1987, ou de l'informer des inculpations retenues contre eux et de lui faire connaître leur situation actuelle.
    • e) En ce qui concerne les actes de discrimination antisyndicale exercés par les autorités contre des militants du SYNESCI au cours des six derniers mois, le comité demande au gouvernement de le tenir informé de la situation actuelle des enseignants qui ont été suspendus de leurs fonctions ou qui ont été mutés, ou dont les salaires ont été suspendus en raison de leurs activités ou de leurs fonctions syndicales.

ANNEXE

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