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- 187. La plainte figure dans une communication commune de la CISL et de la FITPASC datée du 2 septembre 1983. Le gouvernement a répondu par une communication du 8 décembre 1983.
- 188. L'Equateur a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations des plaignants
A. Allégations des plaignants
- 189. Les plaignants allèguent que le 17 juin 1983 M. Pedro Cuji et Mme Felipa Pucha, responsables syndicaux de la Communauté indigène Culluctuc (Province du Chimborazo), ont été assassinés et que José Chilliquinga, Maria Chilliquinga et Susana Yumbillo, membres de ladite communauté, ont été grièvement blessés.
- 190. Selon les plaignants, ces faits faisaient suite à un litige qui opposait depuis longtemps M. Salvador Santos Rovalino, propriétaire terrien, et l'organisation syndicale de la communauté indigène; le litige tenait à ce que les Indiens faisaient paître leur bétail sur des terres confinant à celles que M. Santos considère comme siennes.
- 191. Les plaignants expliquent que le 16 juin 1983 le directeur régional de l'Institut équatorien de la réforme agraire, le syndicat de la Communauté Culluctuc et M. Santos s'étaient réunis pour débattre du litige, mais sans pouvoir s'accorder, car M. Santos n'avait offert que 100 hectares de lande tandis que les paysans, invoquant un droit reconnu par acte authentique, réclamaient 600 hectares; la superficie totale du domaine serait de 1.800.000 hectares, en majeure partie non cultivés.
- 192. Les plaignants ajoutent que le 17 juin 1983 M. Santos aurait obtenu du commandant de la police du Chimborazo l'envoi d'un détachement de police - composé de Lizardo Pilco, Segundo Bolaffos et Pedro Azácubi, et commandé par l'officier de police T. Zambrano -, pour l'aider à expulser les communiera des terres qu'il tient pour siennes. Ayant trop bu en chemin, les policiers seraient arrivés ivres à la communauté, où, après avoir insulté et menacé les Indiens, ils les auraient battus et frappés à coups de crosse; certains des Indiens ayant voulu se défendre, la police aurait ouvert le feu, en tuant ou blessant plusieurs.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement
- 193. Le gouvernement déclare qu'il existe entre M. Salvador Santos, propriétaire du domaine Culluctuc, et les paysans membres de la Communauté Culluctuc San Jacinto de Yaguachi, un conflit qui est en voie de règlement légal devant l'Institut équatorien de la réforme agraire et de la colonisation (IERAC). Le gouvernement ajoute que le 17 juin 1983 les autorités ont appris qu'il y avait eu sur le domaine de Culluctuc, où se trouvaient présents les propriétaires du domaine, les paysans et des membres de la police nationale, un incident au cours duquel on a déploré la mort des paysans Felipa Pucha et Pedro Cuji.
- 194. Le ministre de l'Intérieur et de la Police chargea immédiatement le secrétaire d'Etat à l'Intérieur de faire mener une enquête approfondie. L'enquête a établi des circonstances qui pourraient laisser conclure que des membres de la police nationale, agissant en cette qualité dans l'exercice de leurs fonctions spécifiques, auraient pu avoir une certaine part à la mort des deux paysans; le ministre de l'Intérieur et de la Police a donc remis le dossier de cette affaire au Procureur général de la police nationale pour que celui-ci entame au besoin des procédures pénales.
- 195. Le gouvernement ajoute qu'à l'heure actuelle la procédure pénale est en cours devant la deuxième chambre pénale du Chimborazo. Le gouvernement a communiqué la documentation relative aux mesures prises par le ministre de l'Intérieur à propos du cas, ainsi que les rapports dressés à cet égard par les autorités compétentes, y compris un rapport du secrétaire d'Etat à l'Intérieur dont les passages les plus significatifs sont les suivants:
- "Entre M. Salvador Santos, propriétaire du domaine, et les paysans membres de la Commune Culluctuc San Jacinto de Yaguachi, existe un litige qui, selon les paysans et leur avocat, a pour origine le fait que le propriétaire leur avait interdit d'utiliser une partie de la lande pour y faire paître leurs bêtes, comme le droit leur en paraissait établi tant par possession effective que par acte authentique. Le docteur Jorge Pinto, directeur régional de l'IERAC, a reconnu l'existence de ce conflit et a rapporté que son administration avait reçu plusieurs plaintes tant du propriétaire que des paysans. Le conflit s'aggravant, le propriétaire a offert aux paysans 100 hectares ou des parcelles individuelles.
- Le jeudi 16 juin, veille des incidents, le IERAC a inspecté les terres offertes par le propriétaire; M. Santos n'assistait pas à l'inspection, mais ses fils étaient présents. Il se trouvait là quelques centaines de paysans, et selon le rapport il n'y a eu aucun incident.
- Au cours de la nuit du 16 au 17, déclare M. Luis Garcia, régisseur du domaine, quelque 150 paysans ont attaqué son domicile, voisin de la maison de maître, forçant la porte, le frappant et s'emparant d'une somme de 3.000 sucres et d'un fusil de chasse.
- La même nuit, M. Salvador Santos, selon sa propre déclaration, est allé porter plainte à la direction de la police à Riobamba (chef-lieu de la province) demandant l'intervention de la force publique; on lui répondit que la question serait réglée dans la matinée.
- En effet, le vendredi 17 à la première heure M. Santos porta formellement plainte pour attaque et violation de domicile sur le domaine. Le colonel de police José Ricardo Espinoza Oleas envoya le lieutenant Leoncio Ascázubi qui, avec le sergent José Bolaños et les agents Pedro Pilco et Hugo Vallejo partit vers 9 heures du matin pour le domaine de Culluctuc, en compagnie de M. Santos et de ses fils.
- Le lieutenant Ascázubi, le sergent José Bolaños et l'agent Pedro Pilco ont chacun décrit les faits en des termes peu différents, consignés dans le rapport de police rendu par le lieutenant Ascázubi. Selon ce rapport, ils se rendirent au domaine sans aucune difficulté, passèrent par la maison commune, sise à 500 mètres de la maison de maître, sans rien y remarquer de particulier, arrivèrent sur les lieux vers 10 h 15 et y trouvèrent quelques paysans qui faisaient paître des moutons. Entrés chez le régisseur, qu'ils trouvèrent alité, ils constatèrent que la porte d'entrée avait été détruite et que Luis Garcia avait été frappé, ces faits étant survenus pendant la nuit; il fallut environ un quart d'heure pour constater et consigner les faits. Quand ils voulurent quitter la maison pour rentrer (c'est-à-dire sans doute à Riobamba) ils observèrent la présence d'environ 600 paysans, et préférèrent gagner une des pièces de la maison de maître; selon les propres termes du rapport de police, les paysans "étaient pour la plupart en état d'ivresse prononcé et se montraient extrêmement menaçants, armés de gourdins, d'aiguillons, de fouets et de bêches; étant donné la situation nous avons essayé de les éloigner, mais ils en profitèrent pour nous attaquer et nous dépouiller de nos armes, emportant nos carabines, nos grenades lacrymogènes, nos casques et même nos chandails; nous nous aperçûmes qu'ils avaient aussi entraîné avec eux le gendarme Hugo Vallejo; quelques secondes plus tard on entendit plusieurs coups de feu, ce qui nous fit penser qu'ils avaient abattu Vallejo; en effet, les indigènes disposaient des armes qu'ils nous avaient prises dans la maison; nous ne pouvions même pas nous approcher des fenêtres à cause des pierres et des bâtons qu'ils nous lançaient en nous criant des injures". Il semble ressortir de cette version des policiers que les paysans avaient forcé l'entrée de la pièce, saisi toutes les armes et réussi à traîner au dehors le gendarme Vallejo, et que les autres étaient à l'intérieur quand ils entendirent les détonations qui leur firent penser qu'on avait tiré sur Vallejo (nous ajoutons ce commentaire, qui donne la synthèse des dépositions faites sur bande sonore, en raison de l'importance des faits et surtout pour établir la concordance avec les autres versions et documents).
- Le lieutenant Ascázubi, le sergent Bolaños et l'agent Pilco ajoutent qu'ils restèrent bloqués jusque vers 14 h 30, où le commandant Antonio Velástegui arriva à la rescousse avec un détachement. En sortant de la maison ils constatèrent que l'agent Vallejo, bien qu'ensanglanté et les vêtements déchirés, était encore en vie; d'autres policiers le portaient vers la voiture. De retour à Riobamba ils apprirent la mort de deux paysans. Dans son rapport de police le commandant Velástegui indique que sur sa demande les paysans ont rendu toutes les armes sauf un chargeur de carabine et un pistolet.
- Il existe plusieurs versions des faits. Les dirigeants de la FETEIC et Maître Guillermo Falconá, avocat des paysans, déclarent que peu avant 10 heures du matin M. Santos, propriétaire du domaine, passant en voiture avec ses fils et quatre policiers, s'est arrêté devant la maison commune, située à moins d'un kilomètre de la maison de maître, et qu'il a dit aux membres de la communauté qui se trouvaient là. "Aujourd'hui je viens avec la police et je lui ferai tuer ceux d'entre vous, et aussi les bêtes, que je trouverai sur la lande"; qu'il poursuivit alors son chemin jusqu'à la maison, où il descendit de voiture avec ses fils Alberto et Jaime et, accompagné de ses employés Manual Azacate et Luis Garcia et des quatre policiers, ils se mirent à invectiver et brutaliser les paysans qui passaient alors avec leurs bêtes sur le chemin qui mène aux friches du domaine, "blessant Maria Chilliquinga, José Chilliquinga et Susana Yumbillo et tuant à coups de feu Felipa Pucha et Pedro Cuji; il faut préciser que les agresseurs étaient armés tout comme les policiers, et en plein état d'ivresse". Telle est la version soutenue par les personnes indiquées en tête de paragraphe et donnée par José Chilliquinga, président de la Communauté San Jacinto de Culluctuc, dans la plainte qu'il a déposée auprès du commissaire Carlos Carpio, directeur de la police du Chimborazo.
- La version de M. Santos, propriétaire du domaine, est la suivante. en passant avec le lieutenant Ascázubi par la maison communale ils n'y observèrent rien de particulier, et après avoir gagné la maison de maître ils allèrent chez le régisseur Luis García, qu'ils trouvèrent alité; après une dizaine de minutes ils observèrent que les paysans s'attroupaient en grand nombre, mais sans pénétrer plus loin que la cour; lui-même et ses fils entrèrent dans la maison et entendirent plusieurs coups de feu, après quoi les policiers entrèrent en se traînant dans la pièce; il en manquait un (probablement Hugo Vallejo), que les paysans avaient entraîné de force; ils restèrent tous bloqués jusque vers 14 h 30, où arriva un renfort de police."
- 196. Le gouvernement conclut en rejetant les allégations des plaignants.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
- 197. Le comité note que, dans la présente plainte, les plaignants allèguent que le 17 juin 1983, soit un jour après l'échec d'une tentative de règlement du conflit qui opposait le propriétaire terrien Salvador Santos et les membres de la Communauté indigène Culluctuc sur l'étendue des droits de pacage de ces derniers, deux responsables syndicaux de la communauté (M. Pedro Cuji et Mme Felipa Pucha) auraient été assassinés et trois autres membres de la communauté (José Chilliquinga, Maria Chilliquinga et Susana Yumbillo) gravement blessés par des coups de feu tirés par la police, qui s'était rendue à la communauté en compagnie de M. Santos pour expulser les communiers de terres revendiquées par M. Santos; ces faits se seraient produits quand les Indiens réagirent aux insultes, menaces et voies de fait de policiers en état d'ivresse.
- 198. Le comité fait observer toutefois que, des informations communiquées par le gouvernement, il ressort que la police était présente au domaine Culluctuc le 17 juin 1983 non pour expulser les communiers, mais par suite de la plainte portée par M. Santos devant la police après que, la veille, 150 paysans eurent attaqué le logement du régisseur du domaine, forçant la porte, frappant le régisseur et lui soustrayant la somme de 3.000 sucres et un fusil de chasse.
- 199. Le comité relève aussi la contradiction qui existe entre la version des plaignants et celle des policiers venus au domaine le 17 juin 1983 en ce qui concerne les circonstances dans lesquelles se sont produites les morts d'hommes et les voies de fait alléguées. Selon la version des policiers, environ 600 paysans, pour la plupart armés et en état d'ivresse prononcé, les auraient attaqués et dépouillés de leurs armes et auraient entraîné de force l'un d'entre eux; on aurait ensuite entendu des coups de feu, et ce n'est qu'après plusieurs heures, une fois secourus, que les policiers auraient appris la mort de deux paysans; selon cette version, les policiers n'auraient donc ni attaqué les paysans ni ouvert le feu.
- 200. Le comité déplore profondément la mort de deux responsables syndicaux de la Communauté de Culluctuc (M. Pedro Cuji et Mme Felipa Pucha) et les blessures de trois paysans de cette communauté. Etant donné la contradiction qui existe entre la version des plaignants et les informations communiquées par le gouvernement, le comité exprime l'espoir que la procédure judiciaire en cours devant la deuxième Chambre pénale du Chimborazo permettra de déterminer les responsabilités et de punir les coupables. Le comité demande au gouvernement de l'informer des résultats des procédures pénales engagées sur les faits allégués.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 201. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration d'approuver le présent rapport et en particulier les conclusions suivantes:
- a) Le comité déplore profondément la mort de deux responsables syndicaux de la Communauté de Culluctuc (M. Pedro Cuji et Mme Felipa Pucha) et les blessures de trois paysans de la même communauté. Etant donné la contradiction qui existe entre la version des plaignants et les informations communiquées par le gouvernement, le comité exprime l'espoir que la procédure judiciaire en cours devant la deuxième Chambre pénale du Chimborazo permettra de déterminer les responsabilités et de punir les coupables.
- b) Le comité demande au gouvernement de l'informer des résultats des procédures pénales engagées sur les faits allégués.