Afficher en : Anglais - Espagnol
- 125. La plainte de MM. Robert Cheikh Malainine et Sow Mama Demba, en leur qualité respectivement de secrétaire général et de secrétaire général adjoint de l'Union des travailleurs de Mauritanie, figure dans des communications des 22 octobre et 6 novembre 1981.
- 126. En l'absence des observations attendues du gouvernement, le comité a ajourné l'examen de ce cas, une première fois en février 1982. Parallèlement, compte tenu de la nature des allégations qui avaient trait notamment à des ingérences dans les activités syndicales, le BIT a adressé au gouvernement un télégramme, le 26 avril 1982, lui demandant d'envoyer ses observations le plus tôt possible.
- 127. A sa réunion de mai 1982, le comité, compte tenu qu'en dépit du temps écoulé il n'avait encore reçu aucune réponse du gouvernement sur ce cas, l'a prié de lui faire parvenir une réponse de toute urgence et lui a indiqué, conformément à la règle de procédure établie au paragraphe 17 de son 127e rapport approuvé par le Conseil d'administration, qu'il pourrait présenter un rapport sur le fond de l'affaire à sa prochaine réunion, même si les observations du gouvernement n'étaient pas reçues à cette date. Le BIT a envoyé au gouvernement un second télégramme le 24 août 1982 lui demandant à nouveau d'envoyer ses observations le plus tôt possible.
- 128. Le comité, n'ayant toujours pas reçu les informations et observations du gouvernement sur cette affaire, ne peut que déplorer que le gouvernement ne les ait pas encore envoyées et se trouve obligé, en raison du temps écoulé, d'examiner le cas sans pouvoir tenir compte de ces informations.
- 129. La Mauritanie a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948; en revanche, elle n'a pas ratifié la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations des plaignants
A. Allégations des plaignants
- 130. Dans cette affaire, M. Robert Cheikh Malainine et M. Sow Mama Demba, secrétaire général et secrétaire général adjoint de l'Union des travailleurs de Mauritanie, allèguent des ingérences qu'aurait commises le comité militaire de salut national dans les affaires syndicales.
- 131. Selon M. Cheikh Malainine, le gouvernement a programmé en son absence, alors qu'il se trouvait à Genève à la Conférence internationale du Travail, le 18 juin 1981 (par instruction no 3, dont il joint une copie), la tenue des congrès des syndicats professionnels sans consultation préalable des syndicats. Le gouvernement a également fixé la qualité des membres des syndicats pouvant participer aux congrès des syndicats, contrairement aux statuts et règlements intérieurs de la centrale et desdits syndicats.
- 132. Le plaignant poursuit en expliquant que les immixtions gouvernementales sont devenues plus graves encore quand le Comité militaire de supervision du Congrès de l'Union des travailleurs de Mauritanie (UTM) a décidé de la non-convocation aux travaux du congrès des membres élus du conseil central au mépris des statuts de l'organisation. Il a également décidé de la participation aux travaux du congrès des représentants du Syndicat national de la santé qui, selon le plaignant, n'est pas membre de l'organisation.
- 133. Le plaignant déclare que cette ingérence manifeste a eu pour conséquence le retrait du congrès des membres du Bureau national, de la majorité des secrétaires généraux et des délégués des syndicats professionnels, ainsi que de la majorité des délégués régionaux et départementaux de l'UTM. D'après les informations disponibles, ce congrès s'est effectivement tenu à partir du 20 octobre 1981.
- 134. Dans sa communication du 6 novembre 1981, le secrétaire administratif de l'UTM ajoute qu'à la suite de la convocation du secrétaire général de l'UTM, Robert Cheikh Malainine par le ministre de l'Intérieur et le directeur général de la sûreté, la police a investi le Centre d'éducation ouvrière les 14 et 15 octobre 1981 sous la conduite de l'officier de police Magatt Gaye; les portes du siège de l'UTM ont été défoncées et le lendemain, par contrainte par corps, le comptable de l'UTM a été amené à communiquer les écritures comptables du syndicat.
- 135. Depuis lors, selon cette communication, une vague de répression administrative s'est abattue sur les responsables de la centrale : le secrétaire général a été délogé, sa voiture retirée, le secrétaire de l'organisation, Isselnan o/Khairy, été relevé de ses fonctions et muté à l'intérieur du pays dans la 10e région, le secrétaire des relations extérieures, Sid'Ahed o/Ahed, a été muté à l'est du pays.
B. Conclusions du comité
B. Conclusions du comité
- 136. Le comité rappelle qu'à sa session de mai-juin 1982 le Conseil d'administration avait avisé le gouvernement de ce que le comité pourrait, à sa prochaine réunion, et conformément à sa procédure, présenter un rapport sur le fond du cas, même si les observations du gouvernement n'étaient pas encore parvenues. Le comité n'a toujours pas reçu lesdites observations.
- 137. Dans ces conditions, et avant d'examiner le cas quant au fond, le comité estime nécessaire de rappeler les considérations qu'il avait exposées dans son premier rapport et qu'il a eu plusieurs fois l'occasion de répéter: le but de l'ensemble de la procédure est d'assurer le respect des liberté syndicales en droit comme en fait, et le comité est convaincu que, si cette procédure protège les gouvernements contre les accusations déraisonnables, ceux-ci voudront bien reconnaître à leur tour l'importance qu'il y a à ce qu'ils présentent, en vue d'un examen objectif, des réponses détaillées sur le fond des faits allégués.
- 138. Le comité regrette vivement que le gouvernement n'ait pas envoyé de réponse et se trouve obligé, en raison du temps écoulé, d'examiner le cas sans pouvoir tenir compte des observations du gouvernement.
- 139. Le comité observe que cette affaire a trait à des ingérences dans les affaires syndicales qu'aurait commises le gouvernement de Mauritanie.
- 140. D'après la documentation communiquée par les plaignants, le comité constate que l'instruction no 3 a été adressée par le commandant Mohamed Sidina Ould Sidiya, secrétaire permanent de la commission culturelle et sociale du Comité militaire de salut national, au directeur général de la sûreté nationale, aux commandants des régions militaires, au directeur du génie militaire, au directeur de la marine nationale et aux gouverneurs de district. Cette instruction contient des directives relatives à la tenue des congrès de syndicats professionnels.
- 141. Le préambule de cette instruction a la teneur suivante : "Comme vous le savez, le Comité militaire de salut national a décidé, dans sa réunion du 1er juin 1981, la poursuite des travaux de réimplantation syndicale.
- Conformément à la procédure retenue, la fin des assemblées générales consécutives aux adhésions doit permettre les assises des congrès des syndicats professionnels.
- Comme pour les phases antérieures, ces congrès se dérouleront dans un climat serein, objectif et particulièrement marqué par la démocratie. Les choix et les votes sont entièrement libres et les travailleurs n'ont, en conséquence, de compte à rendre qu'à leur conscience.
- En plus du bureau sortant, seuls pourront participer à ces congrès les délégués porteurs de voix dûment mandatés par les assemblées générales.
- Conformément à l'article 50 du règlement intérieur de l'UTM, le bureau sortant devra proposer une commission de désignation devant proposer à son tour au congrès le nouveau bureau du syndicat.
- Dans le cas où cette proposition obtient la majorité, elle sera entérinée.
- Dans le cas contraire, les délégués au congrès feront des propositions au congrès et celles ayant obtenu la majorité des voix seront retenues."
- 142. Le texte se réfère ensuite aux attributions du congrès qui doivent consister à élaborer les statuts et les règlements intérieurs du syndicat professionnel concerné; ces statuts, rappelle l'instruction en cause, devront être conformes aux dispositions de la loi no 70/030 du 23 janvier 1970. Puis le texte mentionne à quelle date les congrès syndicaux doivent se tenir, soit entre le 20 juin et le 21 juillet 1981, et prévoit la nomination de sous-commissions de supervision, chargées de veiller scrupuleusement au bon déroulement des congrès. Ces sous-commissions doivent être composées du directeur général de la sûreté et des commandants des régions militaires, du gouverneur adjoint chargé des affaires sociales, du directeur régional de la sûreté, du commandant de la compagnie de gendarmerie, du sous-inspecteur de la garde nationale, de l'inspecteur régional du travail et du commissaire de police.
- 143. Au sujet de l'allégation des plaignants relative à la convocation de congrès syndicaux par le gouvernement militaire, le comité, bien qu'il ne dispose pas des explications du gouvernement sur les motifs qui l'auraient conduit à convoquer lesdits congrès syndicaux, rappelle l'importance qu'il attache au respect de l'article 3 de la convention no 87 ratifiée par la Mauritanie, qui prévoit que les organisations de travailleurs ont le droit d'élaborer leurs statuts, d'élire leurs représentants, d'organiser leur gestion et leurs activités et de formuler leur programme d'action sans ingérence des autorités publiques. Le comité rappelle également que la liberté de réunion syndicale constitue l'un des éléments fondamentaux des droits syndicaux et que la non-intervention de la part des gouvernements dans la tenue et le déroulement des réunions syndicales, à plus forte raison des congrès syndicaux, constitue un élément essentiel des droits syndicaux, les autorités publiques devant s'abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l'exercice légal.
- 144. Dans le cas d'espèce, le comité relève que la convocation desdits congrès a été opérée par les autorités militaires et que, aux termes de l'instruction militaire no 3, des sous-commissions de supervision ont été chargées de veiller scrupuleusement au bon déroulement des congrès, ces sous-commissions étant composées notamment d'autorités militaires et policières. Dans ces conditions, le comité signale à l'attention du gouvernement que l'intervention militaire et policière dans la convocation et le déroulement de congrès syndicaux est contraire aux principes de la liberté syndicale, et il invite le gouvernement à s'abstenir de telles interventions.
- 145. Au sujet de l'allégation des plaignants relative à l'occupation des locaux syndicaux, le comité, bien qu'il ne dispose pas des explications du gouvernement à cet égard, ne peut que signaler que la résolution concernant les droits syndicaux et leurs relations avec les libertés civiles, adoptée par la Conférence internationale du Travail à sa 54e session (1970), considère le droit à la protection des biens syndicaux comme l'une des libertés civiles essentielles à l'exercice normal des droits syndicaux. Tout en admettant que les syndicats, comme les autres associations ou particuliers, ne peuvent se prévaloir d'aucune immunité contre une perquisition de leurs locaux, le comité a toujours estimé qu'une telle intervention ne devrait se produire qu'à la suite de la délivrance d'un mandat par l'autorité judiciaire ordinaire, lorsque cette autorité est convaincue qu'il y a de solides raisons de supposer qu'or y trouvera les preuves nécessaires à la poursuite d'un délit et à la condition que la perquisition soit limitée aux objets qui ont motivé la délivrance d'un mandat.
- 146. Dans le cas d'espèce, bien que le gouvernement n'ait pas répondu, le comité observe que, selon les plaignants, l'occupation du Centre d'éducation ouvrière et du siège de l'UTM les 14 et 15 octobre 1981 avait pour objet notamment de contraindre le comptable de l'UTM à communiquer les écritures comptables.
- 147. Le comité rappelle que le contrôle exercé par les autorités publiques sur les finances syndicales ne devrait pas aller au-delà de l'obligation de soumettre des rapports périodiques et que les enquêtes devraient se limiter aux irrégularités présumées découlant de la présentation de rapports financiers annuels ou de plaintes émanant des membres des syndicats. Le comité prie donc le gouvernement d'assurer que les fonctionnaires chargés de tels contrôles ne les effectuent qu'en vertu d'un mandat judiciaire afin de fournir aux syndicats les garanties d'une procédure impartiale et objective.
- 148. Enfin, le comité relève que, d'après l'instruction militaire no 3, les textes des statuts syndicaux que les congrès convoqués par le gouvernement doivent élaborer doivent être conformes à la loi no 70/030 du 23 janvier 1970.
- 149. Le comité, quant à lui, ne peut sur ce point qu'insister sur les observations formulées par la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations depuis des années, où elle indique au gouvernement que les dispositions de la loi no 70/030 de 1970 sur l'exigence d'un seul syndicat par entreprise, métier ou profession ne sont pas conformes à l'article 2 de la convention qui garantit aux travailleurs le droit de constituer les syndicats de leur choix. Le comité rappelle d'ailleurs que le gouvernement a donné des assurances à propos d'amendements à la législation qui seraient en cours d'adoption afin de la mettre en conformité avec les dispositions de la convention, et veut croire que ces modifications seront promulguées dans un proche avenir.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 150. Dans ces conditions, le comité recommande au conseil d'administration d'approuver les conclusions suivantes :
- a) Le comité regrette vivement que, malgré plusieurs demandes qui lui ont été faites, le gouvernement n'ait pas envoyé ses observations. Le comité s'est donc vu obligé d'examiner le cas en l'absence de ces observations.
- b) Le comité rappelle à l'attention du gouvernement que la convocation et la supervision de congrès syndicaux par les autorités militaires et policières sont contraires aux principes de la liberté syndicale. Aussi invite-t-il le gouvernement à s'abstenir de toute intervention dans la convocation et le déroulement des congrès syndicaux.
- c) Le comité rappelle que la Conférence internationale du Travail, dans sa résolution de 1970 concernant les droits syndicaux et leur relation avec les libertés civiles, a considéré que le droit à la protection des biens syndicaux constitue l'une des libertés civiles essentielles à l'exercice normal des droits syndicaux.
- d) Le comité estime que le contrôle exercé par les autorités publiques sur les finances des syndicats devrait se limiter aux irrégularités présumées et aux plaintes et ne devrait être effectué qu'en vertu d'un mandat judiciaire et sous le contrôle de l'autorité judiciaire. En conséquence, le comité prie le gouvernement de s'assurer que les contrôles financiers exercés par les autorités publiques sur les finances syndicales soient effectués par des fonctionnaires en vertu d'un mandat judiciaire et sous le contrôle de l'autorité judiciaire afin de fournir aux syndicats les garanties d'une procédure impartiale et objective.
- e) Le comité veut croire que la loi no 70/030 instituant le monopole syndical à l'intérieur de l'entreprise et par métier et profession sera modifiée, comme le gouvernement lui-même en a donné l'assurance, pour permettre aux travailleurs de créer les syndicats de leur choix.
- f) Enfin, d'une manière générale, le comité croit utile d'appeler l'attention de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations sur la détérioration du climat syndical telle qu'elle résulte de l'ensemble de la plainte.