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Rapport intérimaire - Rapport No. 217, Juin 1982

Cas no 1082 (Grèce) - Date de la plainte: 30-SEPT.-81 - Clos

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  1. 639. La plainte du comité d'usine des chantiers navals d'Ofskaramanga figure dans une communication du 30 septembre 1981. La réponse du gouvernement a été envoyée dans une lettre du 10 mars 1982.
  2. 640. La Grèce a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations du plaignant

A. Allégations du plaignant
  1. 641. La plainte du Comité d'usine des chantiers navals d'Ofskaramanga se réfère à des allégations selon lesquelles un employeur refuse d'accorder les droits syndicaux à l'intérieur de l'entreprise et au fait que cet employeur n'autorise qu'un syndicat d'entreprise servant les intérêts des employeurs.
  2. 642. En l'espèce, l'affaire a trait à ce qui se passerait dans la plus grande entreprise du genre existant dans le pays et appartenant à M. Stavros Niarchos qui est à la tête d'un des plus importants chantiers navals de Grèce.
  3. 643. De la documentation annexée à la plainte il ressort que le 16 mai 1981 le Comité d'usine des chantiers navals d'Ofskaramanga a convoqué une conférence de presse pour expliquer la situation. Le comité a alors déclaré que, dans cette entreprise de 5.800 travailleurs, créée en 1958 et qui constitue un véritable Etat de centaines d'hectares entouré d'un mur d'enceinte de quatre mètres de haut fermé par des verres cassés et des barbelés, pour être embauché, un ouvrier doit signer une déclaration de loyauté attestant qu'il n'appartiendra à aucun syndicat. Le candidat doit également fournir des informations sur ses adresses, antérieure et actuelle, et subir le contrôle de la police de sécurité qui le convoque dès qu'il a été embauché. Il doit aussi signer un engagement selon lequel il accepte le règlement - qualifié par l'organisation plaignante d'anachronique - des chantiers navals qui date de 1963.
  4. 644. Aux termes de ce règlement, les travailleurs doivent conserver un secret total sur les informations et les événements survenus dans le chantier, même pour ce qui les concerne personnellement (article 7 (5)); les travailleurs doivent obéissance aux chefs de brigade (article 15 (4)). En outre, le règlement dispose que, sur le lieu de travail, la lecture des journaux est interdite (sauf certains journaux d'extrême droite tels Elefthéros Cosmos et d'autres journaux non politiques) et que les travailleurs ne doivent pas parler de leur métier.
  5. 645. Selon la documentation transmise par l'organisation plaignante, le nouvel ouvrier en entrant dans l'entreprise perd sa personnalité, il est photographié, reçoit une nouvelle carte d'identité et devient un membre du syndicat de l'entreprise. Il est alors contraint de travailler dans des conditions extrêmement dures à l'extérieur dans les intempéries et à l'intérieur dans des enceintes sombres couvertes de mazout et de résidus. Certains travaillent dans des doubles fonds, y pénétrant par des trous d'hommes très étroits, et ils manquent de ventilation. Il faut souvent les en retirer alors qu'ils ont perdu connaissance. En 1973, il y a eu quatre morts dans une explosion de gaz dans une de ces enceintes insuffisamment nettoyée. Certaines équipes dites de "commando" travaillent dans les hauteurs sans aucune protection. En 1978, un ouvrier est mort en s'écrasant au sol de 10 mètres de haut et, en 1979, un peintre s'est tué lorsque la corde, qui maintenait son siège le long d'un bateau, a rompu. La documentation fait état de centaines d'accidents dus au manque de mesures de protection qui ont conduit à des amputations, à des brûlures et à des contusions. Dans de tels cas, déclare l'organisation plaignante, l'entreprise s'arrange pour démontrer qu'elle n'est jamais en tort. Elle exige constamment que les ouvriers travaillent à des cadences plus rapides, en heures supplémentaires, en travail de nuit et en équipe. Tous les corps de métier travaillent à la fois, de sorte que parfois ceux qui sont en dessous reçoivent du métal chaud. Les accidents menacent de tous côtés. Ceux qui revendiquent sont immédiatement licenciés, pour refus de travail, et ne sont pas indemnisés.
  6. 646. L'entreprise aurait recruté pour le maintien de l'ordre plus de 100 personnes armées de matraques qui se déplacent avec des radios dans des jeeps ou sur des motocyclettes. Ces personnes sillonnent l'intérieur et l'extérieur des chantiers navals, terrorisant, menaçant et battant les travailleurs.
  7. 647. Toujours selon l'organisation plaignante, dès 1963 l'entreprise a créé le syndicat Triena qui comprend l'ensemble de ceux qui sont chargés de terroriser les travailleurs. Le comité d'usine poursuit en expliquant qu'en 1975, au cours des élections qui ont eu lieu un dimanche, seulement certains travailleurs ont eu le droit de voter et ils ont été payés pour la journée avec un supplément de 75 pour cent. En 1978, d'autres élections ont eu lieu. La direction a alors présenté des candidats soigneusement choisis. Trois mille travailleurs contraints d'appartenir à ce syndicat ont été amenés pour voter.
  8. 648. Au dire de l'organisation plaignante, le refus d'appartenir au syndicat Triena peut conduire a être suspecté d'infraction à la loi no 64/1974 qui dispose que les personnes qui se refusent à soutenir le régime politique démocratique ne peuvent pas travailler dans les entreprises d'Etat ou les entreprises d'importance stratégique et qu'elles peuvent être licenciées par le Conseil de loyauté sans indemnité.
  9. 649. Cependant, l'organisation plaignante explique que par trois fois les travailleurs ont tenté de former un syndicat et qu'ils ont été massivement licenciés. En 1975, il y aurait eu 550 licenciements et certains travailleurs auraient été battus; en 1977, il y en aurait eu 65 et, en 1979, il y en aurait eu 150.
  10. 650. Le comité d'usine, auteur de la plainte, ajoute qu'il s'est créé en 1979 et qu'il opère de façon souterraine le 1er janvier 1980, explique-t-il, il a appelé les travailleurs à refuser les heures supplémentaires et il a obtenu leur participation totale sur cette revendication, ce qui a impressionné la direction. Celle-ci a alors déclenché une campagne de terreur et de licenciements. Cependant, les travailleurs ont tenu bon, même si 40 d'entre eux ont été licenciés pour avoir refusé les heures supplémentaires.
  11. 651. Le comité d'usine a également, par la suite, décidé de se joindre au mouvement de grève générale de 24 heures déclenchée le 10 novembre 1980 par la Confédération générale des travailleurs grecs (GCLG) pour lutter contre le chômage et la hausse des prix. Il en serait résulté des violences de la part des personnes qui maintiennent l'ordre par la terreur dans l'entreprise. Michalis Kafetzakis aurait été blessé à la tête. P. Levandiotis aurait été battu et conduit à l'hôpital avec une blessure à l'oeil et des contusions. En novembre 1980, 150 travailleurs auraient été licenciés et autant auraient été recrutés.
  12. 652. Les plaignants concluent en précisant que 242 travailleurs auraient été licenciés depuis mai 1980 et que 717 nouveaux travailleurs auraient été recrutés depuis octobre 1980, ce qui prouve, déclarent-ils, que l'employeur ignore les lois, qu'il licencie et qu'il embauche à volonté pour n'avoir que des travailleurs "sages".

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 653. Dans sa réponse du 10 mars 1982, le gouvernement rappelle: que la plainte en question se réfère à une période durant laquelle le gouvernement socialiste n'avait pas encore assumé le pouvoir et que, par suite du changement politique survenu dans le pays, tant la position adoptée par l'Etat que son intervention dans la protection des droits des travailleurs et la sauvegarde des libertés syndicales sont désormais fondées sur une base nouvelle dont l'élément caractéristique est l'intérêt vif manifesté par le gouvernement à l'égard des travailleurs.
  2. 654. Le ministre du Travail a demandé aux services compétents de son ministère d'examiner le cas dont il s'agit avec attention et le comité local de l'inspection du travail s'est efforcé, par des contacts fréquents et des inspections, d'assurer aux travailleurs un climat approprié afin qu'ils puissent seuls, d'une manière autonome et libre, choisir ceux des syndicats qui servent mieux leurs intérêts.
  3. 655. En ce qui concerne les cas de licenciements de travailleurs qui ont eu lieu dans le passé, l'inspection du travail compétente s'est chargée de l'examen de plusieurs cas et elle estime qu'un bon nombre d'entre eux recèlent des abus. Des actions ont donc été intentées en justice devant les tribunaux compétents et ceux-ci se prononceront sur la validité de ces licenciements, déclare le ministre du Travail.
  4. 656. En outre, un comité, composé de techniciens spécialistes, a été institué pour étudier les conditions de travail et de sécurité sur les lieux de travail des chantiers navals, et le ministre du Travail explique qu'une première enquête a été effectuée qui a permis de relever des cas de violation des mesures de sécurité. La procédure légale prévue dans ces cas a été mise en marche contre les responsables, et l'administration des chantiers navals a reçu des directives afin qu'elle se conforme aux dispositions légales existantes.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 657. Le comité est saisi dans la présente affaire d'une plainte qui se réfère aux persécutions alléguées engagées par un employeur contre les travailleurs des chantiers navals d'Ofskaramanga qui veulent créer un syndicat de leur choix en dehors du syndicat d'entreprise Triena qui existe déjà et qui, selon eux, sert les intérêts de l'employeur. Elle se réfère également aux très mauvaises conditions de travail et de sécurité alléguées qui prévalent sur les lieux de travail et à de nombreux licenciements antisyndicaux.
  2. 658. Bien que le nouveau gouvernement déclare que la plainte porte sur une période durant laquelle il n'avait pas encore assumé le pouvoir, il répond cependant sur le fond des questions en indiquant qu'il a chargé les services compétents d'effectuer des enquêtes et qu'il s'efforce de créer un climat approprié pour que les travailleurs puissent choisir leur syndicat.
  3. 659. Compte tenu de la gravité des allégations portées dans cette affaire, le comité ne peut que faire état de sa profonde préoccupation en ce qui concerne les difficultés rencontrées par les travailleurs des chantiers navals d'Ofskaramanga pour créer les syndicats de leur choix.
  4. 660. Tout en prenant note des assurances données par le gouvernement sur ce point, le comité tient à souligner d'une manière générale à cet égard que toutes les garanties nécessaires devraient être assurées pour que des actions ne soient pas prises pour empêcher les personnes désireuses de créer une organisation syndicale nouvelle et indépendante de l'organisation existante de la constituer. En effet, comme il l'a signalé à plusieurs reprises, le comité rappelle que toutes mesures prises à l'encontre des travailleurs pour avoir voulu constituer une autre organisation de travailleurs que l'organisation existante sont incompatibles avec le principe d'après lequel les travailleurs doivent avoir le droit de créer les organisations de leur choix ainsi que celui de s'affilier à ces organisations.
  5. 661. Le comité prie en conséquence le gouvernement d'indiquer si le comité d'usine des chantiers navals d'Ofskaramanga a pu être enregistré, s'il bénéficie de la personnalité juridique et si ses dirigeants jouissent des immunités accordées par la législation grecque aux dirigeants des organisations professionnelles, étant donné que l'organisation déclare agir de façon souterraine, ce qui laisse à penser qu'elle ne bénéficie pas de la protection de la loi.
  6. 662. En ce qui concerne les très mauvaises conditions de travail alléguées par le comité d'usine dans les chantiers navals en question, le comité - tout en observant que ces allégations ne portent pas sur des questions de liberté syndicale proprement dite - prend note de la déclaration du gouvernement selon laquelle un comité de techniciens spécialistes a été institué pour étudier les conditions de travail et de sécurité dans les chantiers navals, qu'une enquête a permis de relever des violations des mesures- de sécurité et que la procédure légale contre les responsables a été mise en marche.
  7. 663. Pour ce qui concerne les allégations de très nombreux licenciements abusifs, le comité note également la déclaration du gouvernement selon laquelle des recours en justice ont été introduits par un certain nombre des intéressés. Etant donné le nombre considérable de licenciements allégués pour participation à des conflits du travail, le comité prie le gouvernement de le tenir informé de l'issue des recours et veut croire que le gouvernement, afin de contribuer à parvenir à un meilleur développement des relations professionnelles dans les chantiers navals d'Ofskaramanga, pourra s'efforcer d'obtenir la réintégration dans l'emploi des travailleurs injustement licenciés pour des activités syndicales normales.
  8. 664. Enfin, le comité note que le gouvernement n'a pas fourni ses observations sur les allégations selon lesquelles l'ordre serait maintenu à l'intérieur et à l'extérieur des chantiers navals d'Ofskaramanga par une centaine de personnes armées de matraques et se déplaçant avec des radios dans des jeeps ou sur des motocyclettes, ni non plus sur l'allégation selon laquelle les travailleurs qui refusent d'appartenir au syndicat Triena peuvent être licenciés par le conseil de loyauté pour infraction à la loi no 64/1974. Le comité prie le gouvernement de bien vouloir transmettre ses observations sur ces aspects du cas.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 665. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration d'approuver le présent rapport intérimaire et en particulier les conclusions suivantes:
    • a) Pour ce qui est de l'allégation selon laquelle la direction des chantiers navals d'Ofskaramanga persécuterait les travailleurs qui veulent créer un syndicat de leur choix en dehors du syndicat d'entreprise Triena qui, selon eux, ne sert que les intérêts de l'employeur, le comité rappelle que toutes mesures prises à l'encontre des travailleurs pour avoir voulu constituer une autre organisation de travailleurs que celle qui existe sont incompatibles avec le principe d'après lequel les travailleurs doivent avoir le droit de créer les organisations de leur choix. Le comité, tout en prenant note des assurances données par le gouvernement en la matière, prie cependant le gouvernement de préciser si le comité d'usine plaignant bénéficie de la personnalité juridique et si ses dirigeants jouissent des immunités accordées par la législation grecque aux dirigeants des organisations professionnelles.
    • b) Au sujet des allégations de très nombreux licenciements abusifs, ayant noté que des recours en justice ont été introduits par un certain nombre des intéressés, le comité prie le gouvernement de le tenir informé de l'issue de ces recours et veut croire qu'il pourra s'efforcer d'obtenir la réintégration de ceux qui ont été injustement licenciés pour des activités syndicales normales.
    • c) Au sujet des allégations selon lesquelles l'ordre serait maintenu dans les chantiers navals d'Ofskaramanga par une centaine de personnes armées de matraques et que les travailleurs qui refusent d'appartenir au syndicat Triena peuvent être licenciés par le Conseil de loyauté pour infraction à la loi no 64/1974, le comité saurait gré au gouvernement de transmettre ses observations sur ces aspects du cas.
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