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Rapport intérimaire - Rapport No. 128, 1972

Cas no 651 (Argentine) - Date de la plainte: 15-DÉC. -70 - Clos

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  1. 44. La plainte de la Fédération des syndicats unis des pétroles de l'Etat est contenue dans une communication reçue par le BIT le 15 décembre 1970, et complétée par deux autres communications en date des 18 janvier et 8 février 1971. Ces communications ont été transmises au gouvernement, qui a fait part de ses observations le 2 juin 1971.
  2. 45. L'Argentine a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, de même que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. A. Allégations des organisations plaignantes

A. A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 46. Les plaignants soutiennent que le gouvernement, par les lois nos 18800 et 18831 ainsi que par l'arrêté du secrétariat d'Etat au Travail no 674/70, a pris des mesures d'intervention à l'égard de la Fédération des syndicats unis des pétroles de l'Etat et de ses sections dans la capitale fédérale et à Ensenada. Ces mesures ont été adoptées respectivement en octobre et septembre 1970. Quelque temps après, en décembre 1970, le secrétariat d'Etat au Travail a également décidé la mise sous contrôle de la section de Plaza Huincul. Selon les lois précitées, les mesures d'intervention ont été motivées par l'existence de graves irrégularités d'ordre administratif dans les organisations en question et de violations réitérées des normes statutaires et législatives, notamment en ce qui concerne la gestion des fonds et la tenue de la comptabilité. Dans le cas de la section de Plaza Huincul, ces mesures ont été dictées par des « faits de nature extra-syndicale » sans que la décision ait précisé la nature de ces faits.
  2. 47. En ce qui concerne l'arrêté no 674/70 relatif à la section de la Fédération des syndicats unis des pétroles de l'Etat à Ensenada, les plaignants déclarent que, le 31 août 1970, un groupe de personnes a assailli le local syndical de cette section et en a chassé les dirigeants légitimes. La police aurait protégé les assaillants, et le secrétariat d'Etat au Travail, qui avait été prié de remettre le local aux dirigeants légitimes de l'organisation syndicale, a pris l'arrêté susmentionné, par lequel il a destitué lesdits dirigeants et désigné un contrôleur.
  3. 48. Les plaignants ajoutent que, préalablement à l'adoption des mesures d'intervention, le gouvernement avait décidé de faire procéder à la vérification des comptes de la fédération et de sa section dans la capitale fédérale. Les résultats de cette vérification, faite par des inspecteurs de divers organes de l'Etat, n'ont pas été communiqués aux dirigeants syndicaux qui n'ont pas non plus été invités à présenter leur défense, ce qui constitue une atteinte au droit de pouvoir se défendre.
  4. 49. Les plaignants exposent longuement les raisons politiques qui, selon eux, ont incité le gouvernement à prendre les mesures décrites plus haut, en se fondant sur la position de la fédération et de son secrétaire général, Adolfo Cavalli, à l'égard du gouvernement et de sa politique sociale et syndicale. Il s'agirait, en définitive, de représailles visant à « éliminer un syndicat, pilier de la lutte des revendications populaires ». A tout cela s'ajoute la persécution dont M. Cavalli a été personnellement l'objet, son nom ayant, sur l'ordre du gouvernement, été radié de la liste des travailleurs de l'entreprise pétrolière à laquelle il appartenait.
  5. 50. Les plaignants ont exposé ultérieurement les mesures adoptées par le contrôleur de la fédération et les autorités chargées des questions de travail après la mise sous contrôle des organisations en question. D'une part, du mois d'octobre au mois de décembre 1970, tous les fonds syndicaux ont été bloqués de sorte qu'aucun paiement n'a pu être effectué; cette mesure a porté atteinte à la bonne réputation de l'organisation syndicale, tout en entraînant pour elle des dépenses accrues en frais de justice, dans les instances en recouvrement intentées contre elle du fait qu'elle n'avait pu faire face à ses engagements. D'autre part, le contrôleur n'a pas agi conformément au mandat qui lui avait été confié au moment où fut décidée la mise sous contrôle de la fédération. En effet, aux termes de la loi pertinente, il aurait dû convoquer le comité directeur central de la fédération (conformément à l'article 42 des statuts de cette dernière) en vue de l'adoption des mesures nécessaires pour rétablir une situation normale. Il s'est abstenu de le faire parce que le secrétaire d'Etat au Travail le lui a interdit; de plus, le 14 octobre 1970, il a fait fermer le siège de la fédération. Des fonctionnaires militaires auraient également exercé des pressions sur des membres du comité directeur central pour les amener à désigner une personne déterminée comme secrétaire général, mais leur tentative est restée vaine. Par la suite, le 27 janvier 1971, le contrôleur a convoqué onze membres du comité directeur central et, invoquant une décision prise antérieurement par les dirigeants de la fédération, a désigné le secrétaire général auquel la charge de la fédération était confiée jusqu'au mois d'avril 1972. Selon les plaignants, la décision précitée n'est issue d'aucune réunion organique du comité directeur central; elle émane d'un groupe qui l'a prise à l'insu du corps tout entier, sous les pressions et les menaces constantes exercées par la fraction favorable au gouvernement et à cause des pressions exercées par le secrétariat d'Etat au Travail.
  6. 51. Enfin, les plaignants signalent que, en février 1971, trois des plus importantes sections de la fédération demeuraient sous le contrôle du gouvernement, à savoir celles de Ensenada, de la capitale fédérale et de Plaza Huincul.
  7. 52. Dans sa réponse, le gouvernement déclare que si la Fédération des syndicats unis des pétroles de l'Etat a été mise sous contrôle, c'est que les autorités syndicales ne s'étaient pas acquittées de leur mandat. La situation a amené le secrétariat d'Etat au Travail à se présenter en justice pour déterminer si les faits constituaient un délit au regard du Code pénal. C'est pour cela que les considérants des lois relatives à la mise sous contrôle de la fédération et de sa section dans la capitale fédérale ne mentionnent pas expressément la conduite du secrétariat national de la fédération, afin de ne pas influencer les tribunaux. En outre, la fédération n'a, en aucun moment, fait valoir son droit d'entamer une action en justice.
  8. 53. En ce qui concerne la section d'Ensenada, par suite de diverses irrégularités constatées dans sa gestion syndicale, et notamment de son refus de tenir des élections, les autorités compétentes ont désigné un délégué électoral chargé d'organiser les élections et de régulariser la situation de cette section. Quant à la section de Plaza Huincul, elle a été mise sous contrôle après qu'il eut été établi que ses dirigeants se livraient à des activités extra-syndicales de caractère politique.
  9. 54. Le gouvernement précise également que, conformément aux lois relatives à la mise sous contrôle de la fédération et conformément aux statuts de celle-ci, le contrôleur a joui des mêmes facultés que le secrétariat national, le comité directeur central et le congrès de cette fédération, en vertu de quoi il a décidé de remettre la direction de la fédération à ses syndicats constitutifs. Selon le gouvernement, des élections auront lieu entre juillet et septembre de l'année en cours pour régulariser complètement la situation de la fédération.
  10. 55. Pour ce qui est du prétendu blocage des fonds de la fédération, le gouvernement déclare que le contrôleur a procédé à une vérification de la comptabilité et communiqué tous les faits à l'instance judiciaire saisie de l'affaire, ce qui ne constitue en aucune façon le blocage des fonds allégué par les plaignants. Enfin, en ce qui concerne M. Adolfo Cavalli, qui était secrétaire général de la fédération au moment où celle-ci a été mise sous contrôle, le gouvernement signale que sa conduite fait l'objet d'une enquête dans l'instance pénale en cours. Alors que les plaignants prétendent qu'il aurait été victime de pratiques déloyales de la part de l'entreprise à laquelle il appartenait, le Conseil national des relations professionnelles n'a été saisi d'aucune plainte à ce sujet, contrairement à ce qui se passerait normalement en pareil cas.

B. B. Conclusions du comité

B. B. Conclusions du comité
  1. 56. Le comité constate qu'il s'agit de nouveau, en l'espèce, d'un cas de mise sous contrôle, par les autorités administratives, d'organisations syndicales dont les dirigeants ont été destitués et remplacés par un délégué du gouvernement. Le comité a déjà examiné plusieurs cas concernant l'Argentine, à propos de mesures analogues adoptées par les autorités. Le comité, estimant que de telles mesures sont contraires aux normes relatives à la liberté syndicale, a appelé l'attention du gouvernement sur l'importance de l'article 3 de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, qui dispose que les organisations de travailleurs ont le droit d'élire librement leurs représentants, d'organiser leur gestion et leur activité, et de formuler leur programme d'action, les autorités publiques devant s'abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l'exercice légal. La Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations, pour sa part, a aussi constatés qu'en diverses occasions le gouvernement a mis un terme aux fonctions des comités directeurs des syndicats et a désigné en leur lieu des contrôleurs pour assurer l'administration des organisations concernées. La commission a relevé, à cet égard, que de telles mesures ne sont pas conformes à l'article 3 de la convention et que toute destitution de dirigeants syndicaux au cas où la législation ou les statuts des organisations en cause ont été violés, de même que la désignation d'administrateurs provisoires devraient se faire par voie judiciaire.
  2. 57. Le comité tient à rappeler de nouveau que le droit que reconnaît l'article 3 de la convention no 87 en faveur des organisations syndicales et l'obligation qui en découle pour les autorités publiques de s'abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l'exercice légal ne signifient pas que les dirigeants syndicaux doivent échapper à tout contrôle en ce qui concerne la compatibilité de leurs actes avec la législation en vigueur (laquelle ne doit pas elle-même être contraire aux principes de la liberté syndicale) ou les statuts. Toutefois, il est essentiel, pour garantir l'impartialité et l'objectivité de la procédure, que ce contrôle soit exercé par l'autorité judiciaire compétente.
  3. 58. Pour ce qui concerne l'allégation suivant laquelle M. Adolfo Cavalli aurait été l'objet d'un acte de discrimination antisyndicale par la radiation de son nom de la liste du personnel de l'entreprise où il travaillait, le gouvernement n'a communiqué aucune information qui puisse éclairer cette question. Le comité a signalé dans des cas antérieurs, conformément à l'article 1 de la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, qu'un des principes fondamentaux de la liberté syndicale est celui de la protection adéquate des travailleurs contre tous actes de discrimination tendant à porter atteinte à la liberté syndicale en matière d'emploi - licenciement, transfert et autres actes préjudiciables -, et que cette protection est particulièrement souhaitable en ce qui concerne les délégués syndicaux, étant donné que, pour pouvoir remplir leurs fonctions syndicales en pleine indépendance, ceux-ci doivent avoir la garantie qu'ils ne subiront pas de préjudice en raison de leur mandat syndical. Le comité note que la législation en Argentine (loi no 14155 sur les associations professionnelles de travailleurs) contient diverses dispositions protégeant les dirigeants et les délégués syndicaux dans leur emploi, et que le Conseil national des relations professionnelles est l'organisme chargé d'examiner les plaintes concernant la violation de telles dispositions et de remédier aux actes de cette sorte dûment établis. A cet égard, le comité prend note de l'information du gouvernement selon lequel cet organisme n'a été saisi d'aucune plainte concernant M. Cavalli, contrairement à ce qui aurait dû se passer normalement en pareil cas.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 59. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration:
    • a) d'appeler tout particulièrement l'attention du gouvernement sur les considérations exposées aux paragraphes 56 et 57;
    • b) de demander instamment au gouvernement de prendre les dispositions qui pourraient être nécessaires à la lumière de ces considérations, afin que la législation et la pratique soient en harmonie avec l'article 3 de la convention no 87;
    • c) de prier le gouvernement de bien vouloir préciser si des élections ont eu lieu dans les sections de la Fédération des syndicats unis des pétroles de l'Etat qui ont été mises sous contrôle et si le contrôle exercé sur ces organisations a été levé;
    • d) de prendre note du présent rapport intérimaire, étant entendu que le comité présentera un nouveau rapport après qu'il aura reçu du gouvernement les informations demandées.
      • Genève, 11 novembre 1971.
      • Roberto AGO, président.
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