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Rapport intérimaire - Rapport No. 101, 1968

Cas no 503 (Argentine) - Date de la plainte: 27-DÉC. -66 - Clos

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  1. 319. Le Comité a déjà examiné ce cas à sa session de mai 1967, à l'occasion de laquelle il a soumis au Conseil d'administration un rapport intérimaire, qui figure aux paragraphes 231 à 265 de son quatre-vingt-dix-huitième rapport, que le Conseil d'administration a approuvé à sa 169ème session (juillet 1967).
  2. 320. Postérieurement à l'approbation dudit rapport, le Comité a été saisi de nouvelles allégations ou d'informations complémentaires qui étaient contenues dans une nouvelle communication de la Confédération latino-américaine des syndicalistes chrétiens en date du 31 mai 1967, deux communications de la Confédération générale du travail (C.G.T.) de la République argentine datées des 29 juin et 31 juillet 1967, et une communication de la Fédération internationale des syndicats chrétiens du personnel des transports en date du 17 juillet 1967. Toutes ces communications ont été portées à la connaissance du gouvernement.
  3. 321. Pour sa part, celui-ci a fait parvenir des observations et des informations complémentaires par des communications des 30 mai, 30 août, 26 septembre, 2 et 24 octobre 1967 par l'intermédiaire de la mission permanente de la République argentine auprès des organisations internationales à Genève.
  4. 322. L'Argentine a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, de même que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations relatives à la détention du dirigeant syndical Eustaquio Tolosa

A. Allégations relatives à la détention du dirigeant syndical Eustaquio Tolosa
  1. 323. Les plaignants allèguent que M. Eustaquio Tolosa, secrétaire général du Syndicat unifié des travailleurs portuaires argentins, a été arrêté le 18 décembre 1966 lors d'une réunion de son syndicat et que, après avoir été libéré, il a de nouveau été arrêté le 5 janvier 1967.
  2. 324. Il ressort des observations du gouvernement (voir paragr. 246 à 248 du quatre-vingt-dix-huitième rapport) qu'à la suite de la grève déclenchée par les travailleurs portuaires, M. Tolosa, qui faisait l'objet de poursuites judiciaires en raison du rôle qu'il avait joué dans le plan dit « plan de lutte de la C.G.T de l'année 1964 », quitta le pays sans autorisation judiciaire pour s'établir à Montevideo, d'où il essaya d'obtenir un boycottage international des navires et des avions argentins. Toujours selon le gouvernement, M. Tolosa revint au pays et le juge chargé de l'affaire ordonna son arrestation. Il ressort de divers articles de journaux communiqués par le gouvernement qu'un autre procès criminel a été intenté postérieurement à M. Tolosa, inculpé dans le cas particulier d'avoir enfreint la loi no 14034, qui punit d'une peine de prison tout citoyen argentin qui, par un moyen quelconque, encourage l'adoption de mesures économiques ou politiques contre l'Etat.
  3. 325. Sur la recommandation du Comité, qui figure au paragraphe 265 (2) du quatre-vingt-dix-huitième rapport, le Conseil d'administration, d'une part, a pris note des informations fournies par le gouvernement, d'où il ressort que M. Tolosa a fait l'objet de mandats d'arrêt émanant de l'autorité judiciaire motivés par deux procès criminels, l'un ayant été intenté en 1964 et l'autre étant lié à une infraction à une loi pénale commise pendant le conflit portuaire de 1966, et, d'autre part, a demandé au gouvernement de bien vouloir lui fournir des informations sur le résultat des procès en question et, en particulier, le texte des jugements, lorsqu'ils auront été rendus, avec leurs attendus respectifs.
  4. 326. Par une lettre en date du 30 mai 1967 de la mission permanente de la République argentine auprès des organisations internationales à Genève, le gouvernement déclare que la détention de M. Tolosa échappe à la compétence du pouvoir exécutif étant donné que l'intéressé se trouve à la disposition exclusive du pouvoir judiciaire. Par une nouvelle communication, transmise au Directeur général le 24 octobre 1967, le gouvernement indique que la procédure engagée pour infraction à la loi no 14034 a été commencée le 20 décembre 1966 devant un juge fédéral. L'accusé a été remis en liberté, sans préjudice de la poursuite de l'affaire; cependant, le 30 du même mois, devant de nouvelles preuves, le juge a décidé que M. Tolosa devrait être placé en détention préventive en tant qu'auteur du délit prévu par l'article 1er de la loi. Le 6 janvier 1967, M. Tolosa s'est constitué prisonnier tout en faisant appel de la décision de le placer en détention préventive. La cour d'appel, par un vote unanime, a confirmé la décision de mise en détention préventive en raison de la preuve presque certaine de la culpabilité de l'intéressé. A partir de ce moment, déclare le gouvernement, il n'est plus possible de remettre la personne en liberté en vertu des lois de la procédure: a) parce que l'accusé a un casier judiciaire; b) en raison de la durée de la peine correspondant au délit dont il est question. En 1965, M. Tolosa a été condamné pour blessures par imprudence; de plus, un procès par contumace se déroule pour sa participation au « plan de lutte ».
  5. 327. L'article 1er de la loi no 14034, du 30 juillet 1951, prévoit, ainsi que l'indique le gouvernement, que « sera puni de cinq à vingt-cinq ans de prison et de l'interdiction absolue et à vie d'occuper une fonction officielle l'Argentin qui, de quelque manière que ce soit, suscite l'application de sanctions politiques ou économiques contre l'Etat argentin ».
  6. 328. Le gouvernement déclare qu'après diverses enquêtes ordonnées par le juge la défense a présenté comme preuves des copies certifiées conformes de procès-verbaux de réunions de la Fédération internationale des ouvriers du transport (F.I.O.T.) où M. Tolosa avait milité pour que soient adoptées des mesures contre les ports et les transports argentins. La défense a demandé l'acquittement définitif, qui a été refusé le 18 avril. Après que M. Tolosa eut été entendu une nouvelle fois le 7 juillet, la défense a demandé qu'il soit revenu sur la décision de placer- l'intéressé en détention préventive, demande qui a été rejetée par le juge le 10 juillet. A l'heure actuelle, avant de clore l'instruction, on attend la copie de procès-verbaux des réunions de la F.I.O.T, demandée à Londres par la voie diplomatique.
  7. 329. Le gouvernement conclut en indiquant une fois encore que M. Tolosa est soumis à une procédure judiciaire assortie de toutes les garanties de la défense prévues par la Constitution nationale, qui accorde une totale indépendance au pouvoir judiciaire, principe expressément consacré par l'Acte de la Révolution argentine. Le gouvernement poursuit en indiquant que le délit dont il est question est sanctionné par une loi bien antérieure à la procédure engagée, applicable de la même manière à tout Argentin qui commet les actes prévus dans ladite loi; la qualité de dirigeant syndical de l'accusé n'est donc pas pertinente et n'a joué aucun rôle dans l'accusation dont il est l'objet.
  8. 330. Tout en appréciant à sa juste valeur le principe de l'indépendance du pouvoir judiciaire invoqué par le gouvernement, le Comité estime nécessaire de rappeler l'importance que le Conseil d'administration a toujours attachée au principe selon lequel, chaque fois que des syndicalistes sont détenus, y compris lorsqu'ils sont accusés de délits politiques ou de droit commun que le gouvernement estime sans rapport avec leurs fonctions syndicales, les intéressés doivent être jugés équitablement et dans les plus brefs délais par une autorité judiciaire impartiale et indépendante.
  9. 331. D'autre part, le Comité a déjà signalé les raisons pour lesquelles il a toujours décidé de demander aux gouvernements intéressés, lorsqu'une affaire se trouvait en instance devant une autorité judiciaire, le texte des jugements rendus et de leurs considérants.
  10. 332. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration:
    • a) de prendre note des déclarations du gouvernement selon lesquelles se poursuivent les procédures engagées devant un juge des tribunaux ordinaires en ce qui concerne l'accusation portée contre M. Tolosa d'avoir enfreint l'article 1er de la loi no 14034;
    • b) de prendre note du fait que M. Tolosa se trouve en attendant en détention préventive par ordre du juge chargé de l'affaire, confirmé par la cour d'appel;
    • c) d'appeler l'attention du gouvernement sur l'importance qu'il convient d'attacher au principe d'un jugement prompt et équitable mentionné au paragraphe 330 ci-dessus et de prier le gouvernement de bien vouloir tenir le Conseil d'administration au courant de la situation de M. Tolosa et fournir le texte du jugement, lorsque celui-ci aura été rendu, ainsi que celui de ses considérants.
      • Allégations relatives au conflit portuaire de 1966
    • 333. A sa session de mai 1967, le Comité a examiné un certain nombre d'allégations formulées par la Confédération internationale des syndicats chrétiens (C.I.S.C.), l'Action syndicale argentine (A.S.A.), la Confédération latino-américaine des syndicalistes chrétiens (C.L.A.S.C.) et la Fédération internationale des ouvriers des transports (I.T.F.) selon lesquelles, étant donné que le gouvernement avait fixé par décret de nouvelles normes de travail pour les travailleurs portuaires et que les démarches entreprises par les syndicats intéressés en vue d'amener le gouvernement à modifier son attitude n'avaient pas abouti, une grève a été déclenchée le 19 octobre 1966. Selon les plaignants, le gouvernement aurait pris le même jour un décret plaçant le Syndicat unifié des travailleurs portuaires argentins (S.U.P.A.) sous le contrôle de l'Etat.
  11. 334. Selon les allégations de l'I.T.F, après que le gouvernement eut annoncé son intention de fixer de nouvelles normes relatives au travail dans les ports, les syndicats des travailleurs portuaires lui présentèrent un mémorandum dans lequel ils signalaient la nécessité d'établir une politique nationale en matière portuaire et exprimaient leur désir sincère de collaborer avec lui à cette fin. Le gouvernement aurait refusé cette offre de conciliation et de collaboration, ce qui aurait été à l'origine du déclenchement de la grève. Selon l'I.T.F, le gouvernement a maintenu son attitude intransigeante, bien que les syndicats aient proposé une solution qui comprenait, entre autres conditions, la cessation du contrôle du syndicat par l'Etat, l'ajournement de l'application des nouvelles lois pendant trente jours, la création d'une commission tripartite composée d'employeurs, de travailleurs et de représentants du gouvernement en vue d'étudier l'application de ces lois et l'arbitrage des questions qui ne pourraient être résolues.
  12. 335. L'I.T.F indique également que, le 31 octobre, elle a adressé une circulaire à ses organisations affiliées dans laquelle elle leur demandait de faire preuve, dans toute la mesure possible, de solidarité internationale à l'égard des travailleurs portuaires argentins, ainsi qu'un télégramme au Président Ongania « l'informant de la possibilité d'une action internationale et lui offrant l'aide de l'I.T.F à des fins de médiation et de négociations ». M. Medrano, directeur régional de l'I.T.F pour l'Amérique latine, a eu des entrevues avec diverses autorités argentines, notamment avec le secrétaire d'Etat au Travail, qui aurait déclaré que, si les travailleurs portuaires acceptaient à titre temporaire les nouvelles dispositions sur les conditions de travail, une commission tripartite serait instituée pour l'examen de cette question. Après avoir consulté les syndicats, M. Medrano a présenté au secrétaire d'Etat au Travail un projet de solution en l'informant de la nécessité de consulter le secrétaire d'Etat aux Transports préalablement à toute réponse du gouvernement. Finalement, le secrétaire d'Etat au Travail aurait accepté un texte dont la copie a été communiquée par les plaignants.
  13. 336. Les syndicats de contrôleurs et de contremaîtres auraient décidé à l'unanimité d'accepter la solution proposée et de reprendre le travail le 19 décembre, une réunion des délégués syndicaux du S.U.P.A étant convoquée pour le 18 décembre, date à laquelle on espérait que la grève prendrait fin. Toujours selon l'I.T.F, les syndicats décidèrent la reprise du travail le 26 décembre sur la base de l'accord auquel ils étaient parvenus avec les secrétaires d'Etat au Travail et aux Transports. Toutefois, lorsque les travailleurs se présentèrent au port, la police et l'armée leur en interdirent l'accès. Selon l'organisation plaignante, cela démontrait l'intention du gouvernement d'imposer unilatéralement ses conditions aux syndicats. Par la suite, le gouvernement aurait essayé d'imposer l'emploi de briseurs de grève. Selon les allégations, la répartition numérique des effectifs proposée par le capitaine du port (voir paragr. 241 du quatre-vingt-dix-huitième rapport), en vertu de laquelle les briseurs de grève constituaient la majorité, privait de leur emploi la majeure partie des travailleurs portuaires de Buenos Aires, et cela parce qu'ils avaient défendu leurs droits syndicaux légitimes.
  14. 337. Selon l'I.T.F, les faits relatés constituent des violations des conventions nos 87 et 98 de l'O.I.T, étant donné que le gouvernement a édicté des dispositions qui modifient les conditions de travail dans les ports sans avoir consulté au préalable les syndicats intéressés; a refusé d'examiner les propositions présentées par les syndicats de travailleurs portuaires, en particulier le mémorandum sur les problèmes de cette catégorie de travailleurs; a nommé un contrôleur à la tête du S.U.P.A.; a recruté des briseurs de grève; a recouru au lock-out contre les travailleurs portuaires, leur portant ainsi préjudice, pour avoir participé à une action de leur syndicat, et a violé l'accord conclu entre un représentant de l'organisation plaignante et les secrétaires d'Etat au Travail et aux Transports.
  15. 338. Dans sa réponse en date du 9 mai 1967, le gouvernement déclare qu'aux fins d'assurer le fonctionnement intégral des installations portuaires, la nationalisation du travail et l'élimination des causes qui entraînent un gaspillage des ressources humaines et matérielles, gaspillage qui occasionne un préjudice réel à toute la collectivité, le Président de la Nation, dans l'exercice des pouvoirs législatifs que lui confère le statut de la Révolution argentine, a sanctionné les lois no 16971 et 16972 ainsi que le décret no 2729 en vertu desquels le travail portuaire relève de nouveau de la législation générale sur la journée de travail, les congés et les jours fériés qui s'applique à tous les travailleurs du pays. On aurait modifié de la sorte un régime établi, lui aussi, unilatéralement par l'Etat en vertu du décret-loi no 6676/63 et du décret no 6284/60, régime qui déformait le principe de l'égalité. En dépit du régime d'exception qui lui était imposé, le travail portuaire était affecté continuellement par des conflits de caractère privé qui éclataient pour n'importe quel motif et qui provoquèrent un renchérissement excessif du travail, si bien que les ports argentins devinrent les plus chers du monde, spécialement celui de Buenos Aires qui fut qualifié de « port sale », ce qui entraîna une majoration des frets. La loi no 16972 et les dispositions complémentaires fixent les normes visant à ramener l'exécution du travail portuaire dans les limites établies par la législation générale.
  16. 339. Le gouvernement déclare qu'aucun accord international, aucun principe, aucune norme du droit social ni aucune convention collective préexistante passée avec les organisations syndicales n'a été violé. Il ajoute qu'après que les lois et le décret précités eurent été promulgués, le Syndicat unifié des travailleurs portuaires argentins déclencha une grève dans l'intention expresse de paralyser les activités portuaires; en outre, par l'intermédiaire de ses représentants, le syndicat demanda la collaboration de syndicats étrangers en vue de boycotter les navires et les avions argentins ainsi que le fret qu'ils transportaient. De l'avis du gouvernement, cette attitude a constitué une véritable révolte contre la loi et contre l'ordre juridique puisqu'on a tenté de porter atteinte aux intérêts vitaux de la nation en se dressant et en se rebellant ouvertement contre le pouvoir que l'Etat exerce pour sauvegarder ces intérêts.
  17. 340. Enfin, le gouvernement signale que la loi no 14455 reconnaît des droits aux associations professionnelles, notamment celui d'exercer leur activité sans que l'autorité chargée de son application intervienne dans leur direction et leur gestion. Toutefois, les droits ainsi reconnus par la loi s'appliquent à l'activité licite. Le gouvernement estime que les mêmes principes doivent régir l'application des conventions internationales, étant donné que la ratification de celles-ci ne saurait obliger l'Etat à affaiblir l'action qu'il a entreprise pour rétablir l'ordre public. La mesure d'intervention décrétée par le gouvernement a été examinée par les tribunaux nationaux du travail à la suite du recours formé par les intéressés, et la Cour nationale d'appel du travail, par un vote unanime de ses membres, a rendu un arrêt ordonnant « le maintien intégral de l'intervention prévue par le décret no 2868/66 ». Le gouvernement reproduit une partie des attendus de cet arrêt, dans lesquels la Cour nationale d'appel du travail relève que l'établissement de la nouvelle réglementation du travail dans les ports engage la politique économique du gouvernement et que les incidences qui en ont résulté sur les plans national et international influent directement sur une activité aussi essentielle pour l'Etat que l'est le commerce d'importation et d'exportation. De l'avis de la Cour nationale d'appel du travail, l'intervention décrétée était nécessaire pour assurer le développement des activités entravées par la grève et le boycottage international entrepris sous les auspices du syndicat, et elle a été adoptée par le gouvernement pour surmonter la grave crise suscitée dans le pays par les directives syndicales.
  18. 341. Au paragraphe 259 de son quatre-vingt-dix-huitième rapport, le Comité a rappelé que les allégations relatives au droit de grève n'échappent pas à sa compétence dans la mesure où elles ont trait à l'exercice des droits syndicaux et que, normalement, le droit de grève est reconnu aux travailleurs et à leurs organisations en tant que moyen de défense légitime de leurs intérêts professionnels. Il a rappelé en outre que, dans les cas où il existait des restrictions au droit de grève dans les services essentiels, il a souligné combien il est important que soient établies des garanties appropriées en vue de protéger les intérêts des travailleurs, étant donné que ceux-ci sont privés de ce fait de la possibilité de faire valoir leurs intérêts professionnels, et il a exprimé l'avis que les restrictions en question devraient s'accompagner de procédures de conciliation et d'arbitrage adéquates, impartiales et expéditives, à tous les stades desquelles les intéressés devraient avoir la possibilité de participer.
  19. 342. Le Comité a signalé que, dans le présent cas, les plaignants font valoir que la grève déclenchée par les travailleurs et qui conduisit à l'adoption, par le gouvernement, d'un décret instituant le contrôle du Syndicat unifié des travailleurs portuaires argentins avait éclaté parce que le gouvernement avait modifié par voie législative les conditions de travail desdits travailleurs. De son côté, le gouvernement fait observer que les conditions de travail ainsi remaniées avaient été elles-mêmes établies par voie de dispositions législatives et non par voie de conventions collectives, et qu'en outre leur modification, effectuée dans les limites fixées par la législation générale du travail était indispensable du point de vue des intérêts essentiels du pays. Selon le gouvernement, la mesure de contrôle adoptée à l'égard du S.U.P.A avait pour objet de protéger ces intérêts essentiels, qui se trouvaient menacés par la grève et par le boycottage international préconisé par le syndicat. Les tribunaux du pays ont estimé que l'intervention décrétée était valide et légale.
  20. 343. Le Comité a pris note des explications fournies par le gouvernement. Toutefois, au paragraphe 261 de son quatre-vingt-dix-huitième rapport, il relève que l'un des syndicats intéressés, le Syndicat unifié des travailleurs portuaires argentins, continue, semble-t-il, d'être soumis à un régime de contrôle gouvernemental et qu'il n'apparaît pas clairement si l'on envisage ou non la possibilité de procéder à un nouvel examen des questions en litige au moyen d'une procédure de conciliation ou d'arbitrage à toutes les étapes de laquelle le syndicat puisse participer, conformément aux principes énoncés au paragraphe 341 ci-dessus. En conséquence, le Comité a recommandé au Conseil d'administration, au paragraphe 265 (3) de son quatre-vingt-dix-huitième rapport, de demander au gouvernement de bien vouloir fournir des informations complémentaires sur toutes ces questions. D'autre part, le Comité a signalé qu'il n'avait pas encore reçu les observations du gouvernement au sujet des allégations relatives à son refus d'examiner les propositions qui auraient été soumises à l'origine par les travailleurs, à la violation d'un accord qui aurait été négocié avec le secrétaire d'Etat au Travail postérieurement au déclenchement de la grève et aux mesures de représailles (y compris le recrutement de briseurs de grève) qui auraient été prises contre les syndicats.
  21. 344. Dans ses observations annexées à sa communication du 26 septembre 1967, le gouvernement répond que, conformément aux « directives générales à suivre pour atteindre les objectifs fixés dans l'annexe no 3 de l'Acte de la révolution argentine », il se propose de « ... limiter au minimum le contrôle exercé par l'Etat sur les organisations syndicales ». En outre, « ... les organismes existants continueront à fonctionner et ne feront l'objet d'aucune intervention tant qu'ils conformeront leurs activités aux fins particulières pour lesquelles ils ont été créés et qu'ils observeront la législation pertinente».
  22. 345. En conséquence, déclare le gouvernement, étant donné qu'il observe strictement et correctement les principes susmentionnés, on ne saurait lui attribuer l'intention de maintenir indéfiniment le contrôle dont fait l'objet le S.U.P.A car, au contraire, il s'efforcera de faire en sorte que ledit syndicat puisse fonctionner normalement à bref délai en lui assurant une structure qui l'affranchisse de toute influence extérieure et résulte de la libre volonté de ses adhérents.
  23. 346. D'autre part, le gouvernement affirme qu'à aucun moment, les autorités ne se sont refusées à examiner les propositions qui leur ont été soumises au sujet des faits qui ont motivé la plainte. Il n'y a jamais eu de pourparlers de quelque nature que ce fût avec le secrétaire d'Etat au Travail, car il était question uniquement de lui soumettre une formule d'accord qui avait pour principal objectif l'arrêt de la grève, ce qui n'a pu être réalisé du fait de l'intervention intempestive de M. Tolosa lors de l'assemblée du syndicat.
  24. 347. Enfin, le gouvernement indique que, malgré cela, les mesures d'exception ont été levées peu après et que le travail est redevenu tout à fait normal dans le port de Buenos Aires, ce qui est toujours le cas à l'heure actuelle.
  25. 348. Compte tenu des déclarations du gouvernement qui sont mentionnées au paragraphe 344 ci-dessus, le Comité ne doute pas que, conformément aux dispositions de l'article 3 de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, que l'Argentine a ratifiée, dispositions selon lesquelles les organisations de travailleurs ont le droit d'élire librement leurs représentants, d'organiser leur gestion et leur activité et de formuler leur programme d'action, les autorités publiques devant s'abstenir de toute intervention, de nature à limiter ce droit ou à en entraver l'exercice légal, le gouvernement prendra aussi rapidement que possible les mesures nécessaires pour rétablir le S.U.P.A dans le plein exercice de ce droit.
  26. 349. D'autre part, le Comité prend note de la déclaration du gouvernement selon laquelle les mesures d'exception ont été levées et le travail est redevenu normal dans le port de Buenos Aires (où le conflit semble s'être circonscrit si l'on en juge par les déclarations du gouvernement et celles des plaignants). Cela dit, le Comité espère fermement que, lorsque la situation du syndicat aura été normalisée, conformément à ce qui est indiqué au paragraphe 348 ci-dessus, il sera tenu compte, au cas où le syndicat présenterait des revendications, des principes, énoncés au paragraphe 341 ci-dessus, relatifs aux garanties dont doivent bénéficier les travailleurs en ce qui concerne la défense de leurs intérêts. A cet égard, le Comité attache une importance particulière au fait que, lorsqu'il existe des restrictions au droit de grève dans les services essentiels, ces restrictions devraient s'accompagner de procédures de conciliation et d'arbitrage adéquates, impartiales et expéditives, à tous les stades desquelles les intéressés devraient avoir la possibilité de participer.
  27. 350. Enfin, le Comité constate que le gouvernement n'a pas fait parvenir ses observations sur l'allégation selon laquelle la majeure partie des travailleurs du port de Buenos Aires se sont trouvés sans emploi pour avoir agi en défense de leurs intérêts syndicaux.
  28. 351. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration:
    • a) de prendre note de la déclaration du gouvernement selon laquelle celui-ci n'a pas l'intention de maintenir indéfiniment le contrôle dont fait l'objet le Syndicat unifié des travailleurs portuaires argentins, mais qu'au contraire il s'efforcera de faire en sorte que ledit syndicat puisse fonctionner normalement à bref délai,
    • b) d'exprimer l'espoir que les mesures nécessaires à cet effet seront prises aussi rapidement que possible et de demander au gouvernement de bien vouloir le tenir au courant de l'évolution de la situation à cet égard;
    • c) d'attirer l'attention du gouvernement sur l'importance qu'il a toujours attachée au fait que, lorsqu'il existe des restrictions au droit de grève dans les services essentiels, ces restrictions devraient s'accompagner de procédures de conciliation et d'arbitrage adéquates, impartiales et expéditives, à tous les stades desquelles les intéressés devraient pouvoir participer;
    • d) de prendre note de la déclaration du gouvernement selon laquelle les mesures d'exception ont été levées et le travail est redevenu tout à fait normal dans le port de Buenos Aires;
    • e) de demander au gouvernement de bien vouloir répondre à l'allégation mentionnée au paragraphe 350 ci-dessus.
      • Allégations relatives aux mesures d'intervention et de suspension de la personnalité syndicale prises contre diverses organisations syndicales
    • 352. Outre l'intervention de l'Etat dans le S.U.P.A, les organisations plaignantes, dans diverses communications, dénoncent les mesures d'intervention, de suspension de la personnalité syndicale et de blocage des comptes bancaires que le gouvernement aurait prises en 1966 et en 1967 contre les organisations syndicales mentionnées plus loin.
  29. 353. Selon plusieurs de ces communications, la situation syndicale argentine serait grave en général. Dans sa communication du 31 mars 1967, la F.S.M attribue au gouvernement l'intention de soumettre les syndicats aux pouvoirs publics. La C.L.A.S.C, dans sa communication du 27 mars 1967, déclare que, dès la fin de l'année 1966, le gouvernement a violé tous les principes et a porté atteinte au droit des travailleurs de recourir à l'action syndicale; dans sa lettre du 13 avril 1967, la même organisation parle d'une « série impressionnante de violations des droits syndicaux les plus élémentaires »; elle déclare qu'« un gouvernement issu du pouvoir militaire » veut « domestiquer toutes les forces qui défendent les intérêts des travailleurs » et qu'il est « responsable des problèmes économiques et sociaux qui affectent les travailleurs argentins ». La C.I.S.C, dans sa lettre du 28 avril 1967, exprime l'espoir que l'O.I.T utilisera les moyens dont elle dispose pour obtenir du gouvernement qu'il « respecte les droits des travailleurs et des organisations qui les représentent et adopte une attitude plus raisonnable et plus conciliante ». La C.I.S.L, dans sa communication du 5 mai 1967, déclare que les mesures prises contre l'Union des ouvriers de la métallurgie furent des mesures de représailles et qu'elles eurent pour effet de restreindre les droits syndicaux d'un grand nombre de travailleurs. La Fédération internationale des syndicats chrétiens du personnel des transports, dans sa lettre du 17 juillet 1967, se réfère aux « nombreuses atteintes à la liberté syndicale qui sont le fait du gouvernement militaire ». Quant à la Confédération générale du travail de la République argentine, elle déclare, dans sa lettre du 31 juillet 1967, que « la situation syndicale ne s'est pas modifiée en Argentine, mais au contraire s'est aggravée ».
  30. 354. D'une façon plus concrète, il est allégué que, par l'arrêté no 119 du 2 mars 1967 du secrétaire d'Etat au Travail, la personnalité syndicale des associations professionnelles ci-après a été suspendue: Association des ouvriers du textile; Association des travailleurs de l'industrie sucrière de Tucumán (F.O.T.I.A.), Fédération argentine des travailleurs des industries chimiques et connexes; Syndicat de Buenos Aires de la Fédération des ouvriers et employés du téléphone (F.O.E.T.R.A.) et Union des ouvriers de la métallurgie (U.O.M.), de même qu'ont été suspendues toutes les autorisations de retenir à la source les cotisations et les contributions qui avaient été accordées auxdites organisations. Des mesures identiques auraient été appliquées à l'Union ferroviaire en vertu de l'arrêté no 104/67 du 22 février 1967. En conséquence, toutes ces organisations auraient été privées du droit de représenter légalement leurs affiliés, de les défendre et de formuler des réclamations en leur nom. D'autre part, un arrêté du secrétaire d'Etat à la Justice aurait privé l'Union ferroviaire, syndicat qui compte 186 000 affiliés, de la personnalité juridique, l'empêchant ainsi d'agir même en qualité d'association civile.
  31. 355. La Banque centrale aurait procédé au blocage des fonds syndicaux des organisations suivantes: Union des ouvriers de la métallurgie, Union ferroviaire, Union des ouvriers du textile, F.O.T.I.A, F.A.T.I.Q.A et Syndicat de Buenos Aires de la F.O.E.T.R.A. Selon la C.L.A.S.C, les fonds bloqués représenteraient plus de 10 millions de pesos argentins « appartenant aux 500 000 travailleurs affiliés à ces organisations ». Par une communication du 8 mai 1967, la Fédération internationale des ouvriers sur métaux a signalé que le gouvernement avait informé l'Union des ouvriers de la métallurgie que ses fonds avaient été débloqués.
  32. 356. La C.L.A.S.C déclare que les mesures précitées ont été adoptées à la suite de la grève générale du fer mars 1967, qui a été provoquée par les faits suivants: les mesures prises par le gouvernement à l'occasion du conflit portuaire de 1966; la promulgation de la loi no 16936 établissant l'arbitrage obligatoire; une situation sociale extrêmement tendue (crise générale résultant d'« une politique économique au bénéfice d'une minorité », hausse du coût de la vie, fermetures d'entreprises et licenciements massifs dans l'industrie sucrière et annonce d'une réorganisation des chemins de fer, avec le chômage qui en résulte) et l'« attitude intransigeante » du gouvernement, qui a refusé d'accepter toute possibilité de discussion avec les travailleurs au sujet de ces problèmes. La Fédération internationale des ouvriers sur métaux, dans sa communication du 12 avril 1967, et la C.I.S.L, dans sa communication du 5 mai 1967, déclarent également que les sanctions appliquées à l'Union des ouvriers de la métallurgie ont été prises en raison de sa participation à la grève générale du 1er mars déclenchée par la Confédération générale du travail (C.G.T.).
  33. 357. Selon la F.S.M, le gouvernement a placé sous le contrôle de l'Etat les syndicats de la presse, des travailleurs de l'industrie du tabac, des vendeurs de journaux, du personnel universitaire, des télégraphistes et des vignerons, organisations qui, à la date de la plainte (31 mars 1967), auraient été encore soumises au contrôle de fonctionnaires de l'Etat.
  34. 358. Dans sa communication du 29 juin 1967, la Confédération générale du travail (C.G.T.) signale que le gouvernement, par divers décrets, a placé sous le contrôle de l'Etat, et cela dès 1966, les organisations suivantes: le Syndicat de la presse de la capitale, le Syndicat des vendeurs de journaux, de revues, et des travailleurs assimilés; la Fédération des travailleurs de la presse; le Syndicat des ouvriers de l'industrie du tabac de la capitale fédérale et du Grand Buenos Aires; le Syndicat des ouvriers de l'industrie du poisson; l'Association du personnel de l'Université de Buenos Aires; la Fédération des ouvriers de l'industrie forestière de la province de Santiago. La C.G.T indique dans chaque cas le numéro et la date du décret. Elle signale que le Syndicat de la presse a obtenu que le juge de paix annule la mesure de contrôle dont elle faisait l'objet, mais que la deuxième chambre de la cour d'appel a ordonné que le contrôle reprenne ses fonctions.
  35. 359. En ce qui concerne le mécanisme de l'intervention de l'Etat dans les syndicats, la C.I.S.C, dans sa communication du 28 avril 1967, déclare qu'en vertu de la loi no 17238 et du décret no 2416, tous deux en date du 10 avril 1967, le gouvernement s'arroge le droit d'intervenir de façon abusive dans la gestion et le fonctionnement du mouvement syndical. Selon cette organisation plaignante, tous les pouvoirs des organes statutaires sont attribués et confiés, en vertu de ces dispositions législatives, à un officier de l'armée nommé par le pouvoir exécutif; selon la loi, ce contrôleur de l'Etat a « tous les pouvoirs et toutes les attributions que les statuts syndicaux accordent aux organes exécutifs et délibératifs ».
  36. 360. A sa session de mai 1967, le Comité a recommandé au Conseil d'administration de demander au gouvernement de bien vouloir présenter ses observations au sujet des allégations formulées jusqu'alors à cet égard (paragr. 265 (3) du quatre-vingt-dix-huitième rapport).
  37. 361. Dans les observations qui sont annexées à sa communication du 30 mai 1967, le gouvernement déclare que la Confédération latino-américaine des syndicalistes chrétiens ne limite pas son accusation à une relation objective des faits et qu'elle se permet en outre des affirmations inadmissibles, tant par leur forme que par leur contenu. Il fait savoir qu'il répondra aux plaintes de caractère syndical qui seront présentées au Comité pour autant qu'elles soient formulées dans des termes appropriés.
  38. 362. A cet égard, le Comité tient à faire remarquer que sa fonction consiste à examiner d'une façon impartiale et objective les allégations relatives à de prétendues violations de la liberté syndicale et qu'il a déjà eu l'occasion de signaler que le caractère des tâches qui lui sont confiées exige notamment que l'on évite l'usage d'un langage visant à envenimer une controverse plutôt qu'à l'élucider. Le Comité a fait remarquer également qu'en répondant à une demande d'observations sur une plainte donnée, le gouvernement ne reconnaît pas de ce fait l'exactitude ou la validité de la plainte, mais collabore simplement avec le Comité et le Conseil d'administration en rendant possible un examen impartial de la question. Dans le présent cas, le Comité constate que le gouvernement a répondu au fond de certaines allégations de la C.L.A.S.C en répondant aux autres plaintes.
  39. 363. Dans les observations susmentionnées, le gouvernement déclare que la suspension (et non le retrait) de la personnalité syndicale de plusieurs syndicats et le blocage des fonds syndicaux font partie de l'exercice légitime de l'autorité publique par le gouvernement, qui a pour tâche de maintenir l'ordre et la tranquillité dans le pays, en utilisant les mécanismes et les moyens que les lois mettent à la disposition du pouvoir.
  40. 364. Le gouvernement signale que, par un communiqué en date du 18 février 1967, le secrétariat d'Etat au Travail a averti publiquement les associations professionnelles de travailleurs que le fait de maintenir une attitude de nature à troubler l'ordre et la tranquillité publics et d'adopter des mesures n'ayant aucun rapport avec la défense des droits essentiellement syndicaux pourrait entraîner l'application des sanctions prévues par la loi. Malgré cela, les associations dont la personnalité a été suspendue par l'arrêté no 119/67 ont manifesté publiquement leur intention de ne pas tenir compte de l'avertissement en question, montrant ainsi ouvertement qu'elles se rebellaient contre l'autorité. Pour le reste, le gouvernement de la révolution argentine s'est limité à faire usage des facultés que la loi accorde à l'autorité compétente.
  41. 365. Dans les attendus de l'arrêté no 119 du 2 mars 1967 du secrétariat d'Etat au Travail, dont le texte a été communiqué par le gouvernement, il est déclaré, pour l'essentiel, que le plan d'action de la C.G.T compromet la sécurité nationale, étant donné qu'il a pour objet de troubler l'ordre et la paix sociale dans le pays; que les mesures d'action directe successives qui ont été mises à exécution par diverses organisations syndicales ont été décidées sans que les conditions requises par la loi aient été remplies, que les actes accomplis par quelques organisations sont particulièrement graves, ce qui montre indubitablement une intention de provoquer des troubles qui est incompatible avec l'exercice légitime des droits syndicaux et qu'il y a lieu d'appliquer les sanctions prévues à l'article 34 de la loi no 14455. L'article fer dudit arrêté suspend la personnalité syndicale de l'Association des ouvriers du textile, la F.O.T.I.A, de la F.A.T.I.Q.A, du Syndicat de Buenos Aires de la F.O.E.T.R.A et de l'U.O.M, alors que l'article 2 suspend les autorisations de retenir les cotisations et les contributions dont bénéficiaient lesdites organisations. (Le gouvernement a fait parvenir également le texte de l'arrêté du 26 avril 1967 qui abroge l'article 2 de l'arrêté no 119.)
  42. 366. Le gouvernement a communiqué également le texte de l'arrêté no 104 du 22 février 1967 en vertu duquel les mêmes sanctions ont été appliquées à l'Union ferroviaire. Dans les attendus dudit arrêté, dont la teneur est analogue à ceux de l'arrêté no 119, il est indiqué toutefois que, le 21 février, l'Union ferroviaire a fait savoir au secrétariat d'Etat au Travail qu'elle avait décidé d'effectuer trois arrêts de travail pour appuyer le plan d'action de la C.G.T. (un arrêt de trois heures le 24 février, un de vingt-quatre heures le 1er mars et un de quarante-huit heures les 21 et 22 mars). Dans sa communication du 2 octobre 1967, le gouvernement déclare que l'Union ferroviaire a été privée de la personnalité juridique par une décision judiciaire, mais que cette mesure a été annulée postérieurement après que les autorités de surveillance eurent fait en sorte que soient appliqués les lois et les règlements dont la non-observation par les autorités syndicales avait provoqué la décision judiciaire.
  43. 367. En ce qui concerne le blocage des fonds syndicaux, le gouvernement déclare qu'il a été la conséquence inévitable de la suspension de la personnalité syndicale et qu'il a été décidé, lorsque le gouvernement a disposé d'informations précises montrant que l'on prétendait manipuler ces fonds sans contrôle, en les transférant au compte personnel des dirigeants syndicaux et des membres de leur famille en vue d'éviter les vérifications prévues par la législation et de les utiliser pour soutenir un mouvement d'opposition que le gouvernement ne pouvait tolérer sans mettre en cause le principe de l'autorité.
  44. 368. Dans sa communication du 26 septembre 1967, le gouvernement fait savoir que « la mesure de contrôle dont faisaient l'objet les syndicats des industries chimiques » a été levée par l'arrêté ministériel no 280/67.
  45. 369. Dans sa communication du 2 octobre 1967, le gouvernement présente ses observations sur les mesures de contrôle mentionnées par la C.G.T. (voir paragr. 253 ci-dessus). Il déclare que le décret plaçant le Syndicat de la presse de la capitale sous le contrôle de l'Etat (décret no 321 du 22 juillet 1966) a été pris à la suite des manifestations violentes qui se sont produites au siège du syndicat pendant l'assemblée du 19 juillet 1966, et qu'il avait pour objet de maintenir l'ordre nécessaire au fonctionnement normal des organisations syndicales en vue de normaliser le fonctionnement du syndicat lorsque les conditions requises seraient remplies. Le Syndicat des vendeurs de journaux, de revues, et des travailleurs assimilés a été placé sous le contrôle de l'Etat (décret no 320 du 22 juillet 1966) parce qu'un groupe de ses affiliés a occupé par la force le siège du syndicat, a expulsé les membres du comité directeur et a pris illégalement la direction de l'organisation; le gouvernement a désigné un contrôleur afin de rétablir au plus tôt le fonctionnement normal du syndicat. La Fédération des travailleurs de la presse a été placée sous contrôle (décret no 548 du 22 août 1966) pour des raisons analogues à celles qui avaient motivé la mesure qui a été appliquée au Syndicat de la presse de la capitale et parce que la Fédération entravait le travail du contrôleur placé à la tête du syndicat précité; le contrôleur a reçu des instructions pour rétablir aussi rapidement que possible le fonctionnement normal de la Fédération. Le Syndicat des ouvriers de l'industrie du tabac de la capitale fédérale et du Grand Buenos Aires se trouvait sans direction du fait que la durée légale et statutaire des mandats avait été dépassée et que, malgré les injonctions réitérées des autorités administratives et judiciaires, la situation n'avait pas été normalisée; le gouvernement a estimé qu'il était nécessaire d'adopter des mesures permettant le fonctionnement normal du syndicat (décret no 594 du 22 août 1966). Le gouvernement signale que ledit syndicat a normalisé sa situation en procédant à l'élection de nouveaux dirigeants. Pour ce qui est du Syndicat des ouvriers de l'industrie du poisson, les plaintes pénales en usurpation de pouvoir ont été déposées à la suite de l'affrontement de factions rivales, et le gouvernement a décidé de placer le syndicat en question sous le contrôle de l'Etat pour défendre les intérêts de ses membres (décret no 719). Quant aux décrets de septembre 1966 relatifs à l'Association du personnel de l'Université de Buenos Aires et à la Fédération des travailleurs de l'industrie forestière de la province de Santiago, le gouvernement se réfère dans le premier cas aux attendus du décret pertinent en relevant en outre que l'un des dirigeants syndicaux a commis des délits par ses agissements préjudiciables à une faculté et, dans le second cas, il signale que la fédération en question n'a pas observé les lois et les règlements sur les associations professionnelles (refus d'adapter les statuts syndicaux à la loi no 14455 malgré les injonctions réitérées et inobservation de l'article II et des autres articles pertinents de ladite loi lors de l'élection des dirigeants syndicaux).
  46. 370. Le Comité constate que les organisations visées par l'article 1 de l'arrêté no 119 du secrétariat d'Etat au Travail semblent toujours privées de la personnalité syndicale, sauf peut-être la F.A.T.I.Q.A, à laquelle le Comité croit comprendre que le gouvernement se réfère lorsqu'il annonce la levée de la mesure de contrôle dont font l'objet « les syndicats des industries chimiques ». Il semble également que l'Union ferroviaire continue d'être privée de la personnalité syndicale et de faire l'objet d'une mesure de contrôle.
  47. 371. Pour ce qui est des mesures d'ordre financier, il ressort des informations fournies par le gouvernement que l'article 2 de l'arrêté no 119 a été abrogé (suspension des autorisations de retenir les cotisations et contributions). Il ne semble pas que la disposition équivalente prise à l'encontre de l'Union ferroviaire ait été abrogée. En ce qui concerne la levée des mesures de blocage des fonds syndicaux déposés dans les banques - mesures qui, selon le gouvernement, avaient pour objet d'éviter que ces fonds ne fussent transférés à des comptes personnels en vue d'être utilisés pour fomenter des troubles -, le Comité dispose uniquement de l'information fournie par la Fédération internationale des ouvriers sur métaux, selon laquelle l'Union des ouvriers de la métallurgie a été informée que son compte était débloqué et qu'elle pouvait disposer de ses fonds.
  48. 372. Lorsqu'il a examiné le cas no 308, relatif à l'Argentine, dans ses soixante-treizième et soixante-quatorzième rapports, le Comité a relevé que le paragraphe 2 de l'article 34 de la loi no 14455 confère au ministère du Travail et de la Sécurité sociale, en tant qu'autorité chargée de l'application de la loi, la faculté de suspendre ou d'annuler le statut légal d'une association professionnelle. A cette occasion, le Comité s'est référé aux conclusions auxquelles il avait abouti dans des cas antérieurs relatifs également à l'Argentine. Dans les cas en question, le Comité, après avoir relevé que, dans ce pays, « du point de vue strictement syndical, le rôle imparti aux syndicats qui ne jouissent pas de la personnalité syndicale est extrêmement limité » et que « la distinction opérée par la loi entre les organisations jouissant de la personnalité syndicale et les organisations ordinaires se traduit, pour celles-ci, par une impossibilité de défendre les intérêts professionnels », avait estimé que les organisations dépourvues de personnalité syndicale n'avaient pas le droit d'organiser librement leur gestion et leur activité et de formuler leur programme d'action.
  49. 373. Dans le cas no 308, le Comité a estimé s que la législation argentine permet l'adoption (par l'autorité chargée de l'application de la loi) de mesures ayant des effets immédiats semblables à la suspension ou à la dissolution d'une organisation de travailleurs par voie administrative, contrairement aux dispositions de l'article 4 de la convention no 87. Le Comité a été d'avis que, lorsqu'il s'agissait de questions de ce genre, il ne devait pas se borner à examiner l'aspect théorique de la mesure qui avait été prise, mais étudier le fond du problème et les effets de cette mesure sur les organisations visées. Quand bien même, théoriquement, ces dernières n'auraient pas été suspendues ou dissoutes, les résultats pratiques de la mesure adoptée pourraient être équivalents à ceux d'une suspension ou d'une dissolution effective. La convention no 87 - a ajouté le Comité - constitue une garantie des droits fondamentaux des organisations professionnelles et, dans ce sens, la portée de ses dispositions ne se limite pas aux questions théoriques, mais s'étend aux problèmes réels et aux situations concrètes.
  50. 374. Le Comité a rappelé également à cette occasion que, comme il l'avait déjà signalé antérieurement, dans le cas où des mesures de suspension sont prises par une autorité administrative, ces mesures risquent de paraître arbitraires, même si elles sont provisoires, limitées dans le temps et suivies d'une action judiciaire. Le Comité a estimé que, « pour que le principe énoncé à l'article 4 de la convention no 87 soit appliqué d'une manière appropriée, il ne suffit pas que la législation reconnaisse le droit de recourir contre les décisions de suspension ou de dissolution prises par une autorité administrative, mais qu'il est nécessaire que lesdites décisions ne commencent à porter effet que lorsqu'elles n'ont pas fait l'objet d'un recours dans les délais prévus par la loi ou qu'elles ont été confirmées par l'autorité judiciaire ». Au paragraphe 88 de son soixante-quatorzième rapport, le Comité a recommandé au Conseil d'administration d'attirer l'attention du gouvernement argentin sur les dispositions de l'article 4 de la convention n, 87 et de lui demander d'étudier la possibilité de modifier en conséquence les dispositions de la législation. Le soixante-quatorzième rapport du Comité a été approuvé par le Conseil d'administration à sa 159ème session (juin-juillet 1964).
  51. 375. Or le rapport correspondant à la période 1964-1966 que le gouvernement a présenté, conformément aux dispositions de l'article 22 de la Constitution de l'O.I.T, au sujet de l'application de la convention no 98 reproduit l'essentiel d'un jugement rendu le 28 juin 1966 par la cinquième chambre du Tribunal national du travail; selon ce jugement, « le recours en justice contre l'annulation de la personnalité syndicale a un effet suspensif » et « le syndicat dont la personnalité syndicale a été annulée conserve ladite personnalité tant que le recours en justice formé contre l'annulation en question n'a pas fait l'objet d'une décision ». Le Comité constate que cette jurisprudence a trait à l'annulation de la personnalité syndicale et non à sa suspension.
  52. 376. En conséquence, et tout en rappelant l'importance du principe énoncé à l'article 4 de la convention no 87, le Comité estime qu'il serait très utile de savoir si, conformément à l'interprétation des tribunaux, le recours contre les décisions administratives telles que les arrêtés nos 119 et 104, en vertu desquels la personnalité syndicale des organisations syndicales a été suspendue, a également un effet suspensif.
  53. 377. Quant aux décrets relatifs au contrôle de plusieurs syndicats et au blocage de leurs comptes bancaires, il convient de signaler que l'article 3 de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, dispose que les organisations de travailleurs ont le droit d'élire librement leurs représentants, d'organiser leur gestion et leur activité et de formuler leur programme d'action, et que les autorités publiques doivent s'abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l'exercice légal. Le Comité a déjà été appelé à examiner la question du contrôle des organisations syndicales par le gouvernement dans des cas antérieurs relatifs à l'Argentine. A ces occasions, le Conseil d'administration a décidé d'attirer l'attention du gouvernement sur l'importance qu'il attache au principe énoncé à l'article 3 de la convention no 87, que l'Argentine a ratifiée. Dans le cas no 385 relatif au Brésil, où il s'agissait d'une situation analogue, le Comité a recommandé au Conseil d'administration d'attirer l'attention du gouvernement sur le fait que la mise sous contrôle des organisations syndicales comporte un grand danger d'entraîner une limitation du droit des organisations de travailleurs d'élire librement leurs représentants et d'organiser leur gestion et leur activité.
  54. 378. Dans le présent cas, eu égard aux motifs sur lesquels les décrets établissant des mesures de contrôle et de blocage des comptes bancaires semblent être fondés, le Comité tient à rappeler que, dans des cas antérieurs, il a estimé que les principes énoncés à l'article 3 de la convention no 87 n'interdisent pas le contrôle de l'activité d'un syndicat lorsque cette activité viole des dispositions légales ou statutaires. Toutefois, le Comité a estimé également qu'il importe, au plus haut point, à l'effet de garantir l'impartialité et l'objectivité de la procédure, que ce contrôle soit exercé par l'autorité judiciaire compétente.
  55. 379. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration:
    • a) de prendre note que le gouvernement a abrogé l'article 2 de l'arrêté no 119/67, qui suspendait les autorisations de retenir les cotisations et les contributions des affiliés de cinq organisations syndicales, et que l'Union ferroviaire a recouvré sa personnalité juridique;
    • b) pour ce qui est des mesures de suspension de la personnalité syndicale, d'attirer une nouvelle fois l'attention du gouvernement, pour les motifs exposés aux paragraphes 372 à 374 ci-dessus, sur l'importance du principe énoncé à l'article 4 de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, qui a été ratifiée par l'Argentine, selon lequel les organisations de travailleurs ne sont pas sujettes à dissolution ou à suspension par voie administrative;
    • c) de demander au gouvernement de bien vouloir lui faire savoir si un recours formé en justice contre un arrêté suspendant la personnalité syndicale a un effet suspensif;
    • d) en ce qui concerne les décrets relatifs aux mesures de contrôle et de blocage des comptes bancaires visant plusieurs organisations syndicales, d'attirer de nouveau l'attention du gouvernement sur l'importance des dispositions de l'article 3 de la convention no 87 et du principe mentionné au paragraphe 378 ci-dessus;
    • e) d'exprimer l'espoir que les mesures dont il est question aux alinéas b) et d) du présent paragraphe qui seraient encore en vigueur seront levées prochainement et de prier le gouvernement de bien vouloir le tenir au courant de l'évolution de la situation à cet égard.
      • Allégations relatives à l'ingérence des autorités dans les activités de la C.G.T.
    • 380. La C.G.T allègue (communications du 29 juin et du 31 juillet 1967) que, par un arrêté de juillet 1966, le gouvernement a désigné des contrôleurs chargés de vérifier l'observation des dispositions statutaires, le nombre des affiliés et des cotisants, d'examiner la documentation destinée à un congrès de la C.G.T et de surveiller le déroulement dudit congrès. Elle déclare également que le gouvernement a créé des difficultés administratives en ce qui concerne la reconnaissance légale du renouvellement statutaire des organes dirigeants auquel il a été procédé lors d'une réunion du Comité central de la Confédération les 24 et 25 mai 1967, « difficultés qui ont consisté dans la pratique en un blocage virtuel des fonds syndicaux déposés dans les banques ». De son côté, le Conseil national de radiodiffusion et de télévision aurait donné des instructions pour que les stations de radio et de télévision interdisent la diffusion de nouvelles ou d'avis ayant trait directement ou indirectement au plan de la C.G.T du 3 février.
  56. 381. Le gouvernement répond, d'une part, que le secrétariat d'Etat au Travail, en tant qu'autorité chargée de l'application de la loi no 14455, doit procéder à un contrôle formel du déroulement des élections ayant pour objet le renouvellement des organes dirigeants des organisations syndicales. L'arrêté de juillet 1966 dispose expressément que le contrôle s'effectuera sans intervention dans la gestion et l'administration des organisations ni immixtion dans le déroulement des élections, et c'est ainsi que les choses se sont passées. Pour ce qui est de l'interdiction faite aux stations de radio de diffuser des informations relatives au plan d'action de la C.G.T, le gouvernement déclare que, comme il l'a déjà signalé précédemment, il a estimé que le plan de la C.G.T, qui s'inspirait de motifs étrangers à l'activité syndicale, était subversif et de nature à porter atteinte à la paix et à la tranquillité publiques. Pour ces raisons, il a estimé qu'il était indiqué de limiter les informations qui pouvaient inciter à troubler l'ordre public et à recourir à l'action directe.
  57. 382. Compte tenu de la déclaration du gouvernement selon laquelle l'arrêté relatif au contrôle de certaines élections de la C.G.T en 1966 excluait toute ingérence dans la gestion de l'organisation intéressée ou dans les élections proprement dites, et étant donné que l'allégation relative à ce point est formulée dans des termes très généraux, le Comité recommande au Conseil d'administration de décider que cet aspect du cas n'appelle pas de sa part un examen plus approfondi.
  58. 383. D'autre part, le Comité rappelle que, dans plusieurs cas antérieurs, il a soutenu le principe selon lequel le droit d'exprimer des opinions par la voie de la presse ou de toute autre manière est certainement l'un des éléments essentiels des droits syndicaux. Par conséquent, avant de poursuivre l'examen de cet aspect du cas, le Comité estime nécessaire de demander au gouvernement de bien vouloir fournir des informations plus précises au sujet des raisons pour lesquelles il a considéré que le plan d'action de la C.G.T était subversif et que la diffusion d'informations syndicales relatives au plan en question pouvait inciter à troubler l'ordre public. D'autre part, étant donné que le gouvernement n'a pas encore envoyé ses observations sur l'allégation relative aux difficultés administratives auxquelles s'est heurtée la reconnaissance des nouvelles autorités de la C.G.T en mai 1967, le Comité prie également le gouvernement de bien vouloir communiquer ses observations à cet égard.
    • Allégations relatives aux mesures prises contre des dirigeants et des membres des syndicats
  59. 384. Selon plusieurs plaintes, des sanctions auraient été appliquées à des dirigeants et à des membres de diverses organisations, à cause de leur activité syndicale, et notamment parce qu'ils auraient appuyé la grève déclenchée par la C.G.T. Vingt dirigeants de l'Union ferroviaire auraient été licenciés et cent seize mille cheminots auraient été rétrogradés ou suspendus. Il aurait été procédé au licenciement de cent vingt agents des Services électriques du Grand Buenos Aires (S.E.G.B.A.), de fonctionnaires du Service des eaux et de l'énergie et de vingt-quatre travailleurs de l'Entreprise nationale des télécommunications. Mille cinq cents affiliés de l'Association des travailleurs de l'Etat, employés dans les fabriques militaires, les aciéries Valentin Alsina, etc., auraient été licenciés. Il est allégué également que vingt travailleurs, parmi lesquels figurent les membres de la Commission ouvrière et les principaux dirigeants ouvriers de l'Aciérie de San Nicolás, ont été congédiés, de même que deux cents travailleurs d'une fabrique d'appareils électriques de Buenos Aires. Enfin, il aurait été procédé au licenciement de cent trente-cinq membres de la F.O.E.T.R.A, ainsi qu'à la rétrogradation ou à la suspension de plus de deux mille adhérents de cette organisation.
  60. 385. Dans ses observations complémentaires du 30 août 1967, le gouvernement déclare que les allégations selon lesquelles des cheminots auraient été licenciés pour le seul motif d'avoir participé à une grève de caractère professionnel sont inexactes. Il ajoute qu'il a déjà manifesté son intention bien arrêtée de respecter les droits syndicaux, mais qu'il n'est pas disposé à tolérer qu'il soit porté atteinte, de quelque manière que ce soit, à l'exercice de l'autorité publique par des attitudes ou des actes qui, débordant le cadre du syndicalisme, prennent la forme de revendications ayant un caractère politique ou ayant trait à l'orientation du gouvernement.
  61. 386. Etant donné le caractère général de la réponse du gouvernement qui est mentionnée au paragraphe précédent, le Comité, avant de poursuivre l'examen de cet aspect du cas, prie le gouvernement de bien vouloir fournir des observations plus précises en réponse aux diverses allégations concrètes dont il est question au paragraphe 384 ci-dessus.
    • Allégations relatives à la loi sur le service de défense civile
  62. 387. Plusieurs des organisations plaignantes, en particulier la F.S.M et la C.L.A.S.C, se réfèrent à l'adoption, par un décret du 4 mars 1967, de la loi sur le service de défense civile. Selon la C.L.A.S.C, ladite loi compromet l'exercice des droits syndicaux, étant donné qu'elle confère aux pouvoirs publics le droit de mobiliser tous les citoyens âgés de plus de quatorze ans en vue de sauvegarder la sécurité du pays ou de maintenir l'ordre public. De l'avis de la C.I.S.C, ce fait mérite d'être étudié à la lumière de la convention (no 29) sur le travail forcé, 1930.
  63. 388. Dans des observations qui sont annexées à sa communication du 30 mai 1967, le gouvernement déclare que la loi en question réglemente l'obligation, reconnue partout dans le monde, qu'a la population de contribuer à la défense du pays et qu'elle n'a pas pour objet d'empêcher la revendication des droits syndicaux.
  64. 389. Il ressort d u texte de la loi, qui a été communiquée parles organisations plaignantes, que ses dispositions sont applicables à tous les habitants du pays, sauf dans les cas où des exceptions sont prévues pour des raisons d'âge, d'immunité diplomatique, etc.
  65. 390. En conséquence, compte tenu de la déclaration du gouvernement et eu égard au fait que, dans le présent cas, les plaignants n'ont pas présenté des éléments de preuve montrant que la loi est ou a été appliquée au préjudice de la liberté syndicale, le Comité recommande au Conseil d'administration de décider que les allégations en la matière n'appellent pas de sa part un examen plus approfondi.
    • Allégations relatives à l'arbitrage obligatoire et aux négociations collectives
  66. 391. La C.L.A.S.C allègue que la loi no 16936/66 sur l'arbitrage obligatoire supprime le droit de grève, abroge les dispositions de la loi no 14250 sur les conventions collectives et viole les normes internationales en la matière. La C.L.A.S.C mentionne l'arbitrage auquel le syndicat des travailleurs de l'industrie sucrière aurait été obligé de se soumettre contre sa volonté et en vertu duquel, par une décision sans appel, les salaires auraient été augmentés de 13 pour cent alors que la hausse du coût de la vie était supérieure à 60 pour cent. La C.G.T fait également état de la promulgation de la loi précitée.
  67. 392. D'autre part, selon des informations émanant de la F.O.E.T.R.A, qui sont jointes à la communication de la C.L.A.S.C du 2 mai 1967, « les accords paritaires en vue de la conclusion de conventions collectives sont supprimés » en vertu de deux lois récentes (la loi no 17224 relative aux activités privées et la loi no 17131 relative au secteur public). Lors d'une réunion de la Commission paritaire convoquée par le ministère du Travail aux fins d'examiner les nouveaux barèmes de salaires des travailleurs du téléphone et des télécommunications, un représentant du gouvernement aurait déclaré que « la Commission paritaire était dissoute par ordre des instances supérieures » et qu'il fallait procéder conformément aux dispositions des deux lois susmentionnées. Selon ces informations, la loi no 17224 fixe le pourcentage des augmentations de salaire en prenant pour base les dates auxquelles les conventions respectives arrivent à expiration, alors que, parallèlement, la loi no 17131 dispose que les augmentations de traitement du personnel de l'administration publique et des organismes décentralisés seront fixées par une commission consultative de politique salariale, sans que les représentants syndicaux aient voix au chapitre.
  68. 393. Pour ce qui est de la loi no 16936 sur l'arbitrage obligatoire des conflits du travail (dont il fournit le texte), le gouvernement, dans sa communication du 2 octobre 1967, déclare qu'elle est fondée sur la nécessité de chercher des formules permettant de résoudre d'une manière appropriée les conflits du travail qui risquent de porter atteinte à des intérêts essentiels du pays en retardant l'oeuvre de reconstruction entreprise par la Révolution argentine. Le gouvernement nie que la loi no 17224 constitue une violation de la liberté syndicale et indique qu'elle a pour objet d'intégrer la reconstruction économique du pays dans un processus harmonieux en assurant aux travailleurs un salaire réel grâce à des augmentations échelonnées en fonction des dates auxquelles les conventions arrivent à expiration.
  69. 394. Le Comité constate qu'aux termes de l'article 1er de la loi no 16936, l'autorité nationale chargée de son application a le droit de se saisir des conflits collectifs du travail portant sur des questions de droit ou d'intérêts et de statuer sur ces conflits:
    • a) lorsqu'ils se produisent dans des endroits qui relèvent de la juridiction nationale;
    • b) lorsque, par leur caractère politique, ils débordent le cadre juridictionnel d'une province;
    • c) lorsque, par leur nature, ils compromettent l'activité économique, la productivité, ainsi que le développement et le progrès du pays ou la sécurité et le bien-être de la collectivité.
  70. 395. Conformément à l'article 2 de la loi, la même autorité peut soumettre lesdits conflits à un arbitrage obligatoire, par une décision sans appel, qui implique l'injonction de mettre fin dans les vingt-quatre heures à toutes les mesures d'action directe qui auraient été prises. La procédure d'arbitrage entamée, les fonctions d'arbitre seront assumées par le ministre du Travail et de la Sécurité sociale ou par une personne désignée par lui, qui devra être un fonctionnaire habilité à cet effet ou une personne versée dans l'économie ou le droit du travail (art. 3). La sentence arbitrale sera rendue dans un délai de dix jours ouvrables (art. 5); elle pourra faire l'objet d'un recours dans un délai de trois jours « uniquement s'il s'agit d'un recours en nullité fondé sur le fait qu'elle a réglé des questions qui n'étaient pas prévues par la loi ou qu'elle n'a pas été rendue dans le délai prescrit » (art. 6). Lorsqu'il s'agit d'un conflit collectif d'intérêts, la sentence arbitrale aura les effets d'une convention collective et la durée pendant laquelle elle sera en vigueur sera au minimum d'un an (art. 7). En cas de conflit de droit, les parties pourront, après exécution de la sentence, former un recours en justice en vue d'obtenir sa révision (art. 8). L'article 9 fixe les peines dont seront passibles l'employeur ou le travailleur qui n'auront pas obtempéré à l'injonction de mettre fin aux mesures d'action directe ou n'auront pas observé la sentence arbitrale: l'employeur pourra être frappé d'une amende et le travailleur pourra faire l'objet d'un congédiement justifié, sans préjudice des mesures qui, conformément à la loi, pourront être prises en ce qui concerne la personnalité juridique ou syndicale des associations professionnelles intéressées.
  71. 396. La suppression de mécanismes paritaires déterminés dont il est fait état dans les allégations ainsi que les pouvoirs attribués au ministre par la loi no 16936 semblent poser des questions qui doivent être examinées à la lumière de certains principes généralement reconnus en matière de liberté syndicale et, dans tous les cas, en fonction du principe énoncé à l'article 4 de la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, que l'Argentine a ratifiée. Ledit article dispose ce qui suit: « Des mesures appropriées aux conditions nationales doivent, si nécessaire, être prises pour encourager et promouvoir le développement et l'utilisation les plus larges de procédures de négociation volontaire de conventions collectives entre les employeurs et les organisations d'employeurs, d'une part, et les organisations de travailleurs, d'autre part, en vue de régler par ce moyen les conditions d'emploi. » Cela dit, le Comité constate que, selon l'article Il de la loi no 16936, les dispositions de celle-ci seront en vigueur jusqu'au 31 décembre 1967
  72. 397. Compte tenu de ce fait et étant donné que les observations présentées par le gouvernement, qui sont formulées dans des termes généraux, concernent une partie seulement des allégations mentionnées au paragraphe 392 ci-dessus, le Comité estime qu'il y a lieu d'ajourner l'examen desdites allégations à sa prochaine session.
  73. 398. A cette fin, le Comité prie le gouvernement de bien vouloir l'informer des cas concrets dans lesquels la loi no 16936 aurait été appliquée pendant la période où elle aura été en vigueur et de lui faire parvenir le texte des lois CI, 17224 et 17131.
    • Autres allégations
  74. 399. Dans sa communication du 29 juin, la C.G.T énumère une série de faits qui, conjointement avec les autres allégations qui ont été examinées aux paragraphes précédents, constituent le fondement de sa plainte. La C.G.T mentionne les dispositions gouvernementales relatives aux mesures d'intervention concernant le Conseil fédéral de la sécurité sociale, le Conseil national du salaire minimum, etc., ainsi qu'à la création d'une commission chargée de contrôler les oeuvres sociales des syndicats. Elle signale, en outre, que, le 8 février 1967, le ministère public a demandé que les dirigeants syndicaux qui avaient voté pour le plan d'action de la C.G.T le 3 février soient poursuivis en justice, mais elle ajoute que, le 5 avril suivant, le juge a décidé de surseoir aux poursuites. La C.G.T attribue aux « débordements policiers » la mort de Mme Molina, épouse d'un dirigeant syndical de Tucumán, et mentionne le décès d'un ouvrier, M. Pampillón, durant une manifestation estudiantine.
  75. 400. La C.G.T signale également la mise en vigueur, le 2 mars 1967, du décret no 969/66 portant réglementation de la loi sur les associations professionnelles.
  76. 401. Dans sa communication du 2 octobre 1967, le gouvernement répond à chacun de ces points en déclarant, pour l'essentiel, que les mesures d'intervention relatives à des organismes de caractère public, tels que le Conseil fédéral de la sécurité sociale, qui n'est pas une organisation syndicale, n'ont aucun rapport avec de prétendues violations de la liberté syndicale. La mesure d'intervention concernant le Conseil national du salaire minimum a été prise en vue de mettre la politique sociale en harmonie avec la planification économique; quant à la Commission de contrôle des oeuvres sociales des syndicats, elle a pour objet de coordonner et d'harmoniser la prestation des services d'assistance. Le décès de Mme Molina est une affaire intéressant la police, dont la justice a été saisie, et il en est de même du décès de l'étudiant Pampillón, qui est survenu au cours d'une manifestation de protestation organisée par les étudiants.
  77. 402. D'autre part, le gouvernement déclare que la mise en vigueur du décret no 969/66 est un acte de gouvernement ayant uniquement pour objet de permettre aux travailleurs d'élire les dirigeants syndicaux au scrutin direct et secret.
  78. 403. Compte tenu des réponses fournies par le gouvernement au sujet des allégations mentionnées aux paragraphes 399 et 400 ci-dessus, allégations qui sont formulées dans des termes très généraux par les plaignants, le Comité recommande au Conseil d'administration de décider que lesdites allégations n'appellent pas de sa part un examen plus approfondi.

B. B. Conclusions du comité

B. B. Conclusions du comité
  • Demande relative à la constitution d'une commission d'enquête
    1. 404 Dans sa communication du 2 mai 1967, la C.L.A. S.C. demande que l'O.I.T constitue une commission d'enquête « chargée de se rendre en Argentine pour étudier sur les lieux la gravité de la répression systématique qui a été déclenchée contre le mouvement syndical de ce pays ».
    2. 405 Compte tenu des observations et des informations que le gouvernement a fournies au sujet des diverses allégations, ainsi que des conclusions et des recommandations que le Comité soumet à cet égard au Conseil d'administration, notamment de celles qui ont trait aux demandes visant à obtenir du gouvernement certaines informations complémentaires, le Comité estime que, au stade actuel de l'examen du cas, il serait prématuré d'examiner la demande de la C.L.A.S.C dont il est question au paragraphe précédent.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 406. Dans ces conditions, en ce qui concerne le cas dans son ensemble, le Comité recommande au Conseil d'administration:
    • a) pour les motifs qui sont exposés respectivement aux paragraphes 382, 390 et 403 ci-dessus, de décider que les allégations relatives à l'ingérence du gouvernement dans le congrès de la C.G.T de 1966, à la loi sur le service de défense civile, ainsi qu'à divers points mentionnés dans des termes généraux dans la plainte de la C.G.T, n'appellent pas de sa part un examen plus approfondi;
    • b) en ce qui concerne la détention du dirigeant syndical Eustaquio Tolosa:
    • i) de prendre note des déclarations du gouvernement selon lesquelles se poursuivent les procédures engagées devant un juge des tribunaux ordinaires en ce qui concerne l'accusation portée contre M. Tolosa d'avoir enfreint l'article 1er de la loi no 14034;
    • ii) de prendre note du fait que M. Tolosa se trouve, en attendant, en détention préventive par ordre du juge chargé de l'affaire, confirmé par la cour d'appel;
    • iii) d'appeler l'attention du gouvernement sur l'importance qu'il convient d'attacher au principe d'un jugement prompt et équitable mentionné au paragraphe 330 ci-dessus et de prier le gouvernement de bien vouloir tenir le Conseil d'administration au courant de la situation de M. Tolosa et fournir le texte du jugement, lorsque celui-ci aura été rendu, ainsi que celui de ses considérants;
    • c) en ce qui concerne le conflit portuaire de 1966:
    • i) de prendre note de la déclaration du gouvernement selon laquelle celui-ci n'a pas l'intention de maintenir indéfiniment le contrôle dont fait l'objet le Syndicat unifié des travailleurs portuaires argentins, mais qu'au contraire il s'efforcera de faire en sorte que ledit syndicat puisse fonctionner normalement à bref délai;
    • ii) d'exprimer l'espoir que les mesures nécessaires à cet effet seront prises aussi rapidement que possible et de demander au gouvernement de bien vouloir le tenir au courant de l'évolution de la situation à cet égard;
    • iii) d'attirer l'attention du gouvernement sur l'importance qu'il a toujours attachée au fait que, lorsqu'il existe des restrictions au droit de grève dans les services essentiels, ces restrictions devraient s'accompagner de procédures de conciliation et d'arbitrage adéquates, impartiales et expéditives, à tous les stades desquelles les intéressés aient la possibilité de participer;
    • iv) de prendre note de la déclaration du gouvernement selon laquelle les mesures d'exception ont été levées et le travail est redevenu tout à fait normal dans le port de Buenos Aires;
    • v) de demander néanmoins au gouvernement de bien vouloir répondre à l'allégation selon laquelle la majeure partie des travailleurs du port de Buenos Aires se sont trouvés sans emploi pour avoir agi en défense de leurs intérêts syndicaux;
    • d) pour ce qui est des mesures d'intervention et de suspension de la personnalité syndicale prises contre diverses organisations syndicales:
    • i) de prendre note que le gouvernement a abrogé l'article 2 de l'arrêté no 119/67, qui suspendait les autorisations de retenir les cotisations et les contributions dont bénéficiaient cinq organisations syndicales, et que l'Union ferroviaire a recouvré sa personnalité juridique;
    • ii) en ce qui concerne les mesures de suspension de la personnalité syndicale, d'attirer une nouvelle fois l'attention du gouvernement, pour les motifs exposés aux paragraphes 372 à 374 ci-dessus, sur l'importance du principe énoncé à l'article 4 de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, que l'Argentine a ratifiée, selon lequel les organisations de travailleurs ne sont pas sujettes à dissolution ou à suspension par voie administrative;
    • iii) de demander au gouvernement de bien vouloir lui faire savoir si un recours formé en justice contre un arrêté suspendant la personnalité syndicale a un effet suspensif;
    • iv) en ce qui concerne les décrets relatifs aux mesures de contrôle et de blocage des comptes bancaires visant plusieurs organisations syndicales, d'attirer de nouveau l'attention du gouvernement sur l'importance des dispositions de l'article 3 de la convention no 87 précitée, en vertu desquelles les organisations de travailleurs ont le droit d'élire librement leurs représentants, d'organiser leur gestion et leur activité et de formuler leur programme d'action, comme aussi sur le fait que, lorsque les syndicats enfreignent des dispositions législatives ou statutaires, il importe au plus haut point, à l'effet de garantir l'impartialité et l'objectivité de la procédure, que ce contrôle soit exercé par l'autorité judiciaire;
    • v) d'exprimer l'espoir que les mesures dont il est question aux alinéas ii) et iv) du présent paragraphe qui seraient encore en vigueur seront levées dans un proche avenir et de prier le gouvernement de bien vouloir le tenir au courant de l'évolution de la situation à cet égard;
    • e) de prendre note du présent rapport intérimaire, étant entendu que le Comité présentera un nouveau rapport sur les aspects du cas qui sont encore pendants lorsqu'il aura reçu les informations complémentaires mentionnées aux points b iii); c ii) et v); d iii) et v) du présent paragraphe, ainsi que les informations complémentaires qui sont demandées par le Comité aux paragraphes 383, 386 et 398 du présent rapport.
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