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- 178. Les plaintes initiales figurent dans deux communications des 7 février et 19 mai 1961, adressées directement à l'Organisation internationale du Travail par la Fédération générale des syndicats d'Irak et la F.S.M, respectivement.
A. A. Allégations des organisations plaignantes
A. A. Allégations des organisations plaignantes
- 179. Les organisations plaignantes formulent de nombreuses allégations détaillées concernant l'arrestation des principaux dirigeants de la Fédération générale des syndicats d'Irak, l'interdiction d'envoyer à l'étranger des représentants de la Fédération même et des syndicats affiliés, l'arrestation et la condamnation par des tribunaux militaires de travailleurs en grève et de syndicalistes ayant présenté des revendications de salaire, l'emploi d'armes à feu par la police sur l'ordre du gouvernement contre les manifestants - ce qui a entraîné la mort de huit personnes -, le licenciement de milliers de travailleurs en raison de leurs activités syndicales, l'arrestation du rédacteur en chef du principal journal syndical, l'interdiction de toute réunion syndicale, l'occupation armée de locaux syndicaux, les ingérences graves et répétées des autorités dans les élections syndicales, la falsification des résultats électoraux, la dissolution de syndicats et la création de syndicats fantoches, la répression des droits syndicaux par des décrets arbitraires, etc.
- 180. Etant donné l'évolution ultérieure de la question, à laquelle on se réfère par la suite, il semble opportun à ce stade de procéder à une analyse plus approfondie de certains aspects particuliers de ces allégations. La Fédération générale des syndicats d'Irak déclare que ses statuts prévoient, conformément à la législation nationale et à la pratique universelle, l'organisation d'élections syndicales par scrutin secret direct. D'après les allégations, les autorités seraient intervenues sans motif légal en vue d'obliger les travailleurs à procéder à des élections syndicales dans les lieux de travail, et ce après que les employeurs auraient eu le temps de licencier plusieurs travailleurs et que d'autres travailleurs auraient été arrêtés pour les empêcher de voter; pendant ce temps, ceux qui auraient voté auraient été appelés, sans justification légale, à présenter un certificat prouvant que leur casier judiciaire était vierge. Il est également allégué que les services de l'emploi eux-mêmes ont dissous des syndicats et des sections syndicales en vue de faciliter l'établissement de comités syndicaux fantoches dont les membres n'avaient jamais, auparavant, appartenu à un syndicat quelconque. Le plaignant déclare que les représentants syndicaux ont été empêchés d'accomplir leurs tâches en ce qui concerne les élections syndicales et que les travailleurs non syndiqués ont été autorisés par les autorités à voter pour des listes de candidats établies par les employeurs; que les forces armées ont empêché certains travailleurs de voter; que des élections qui n'ont pas produit le résultat espéré par les autorités ont été annulées et que les scrutins sont publics, contrairement à toutes les règles. De l'avis du plaignant, toute cette campagne, accompagnée de projets de modification à la législation en vigueur, viserait à créer une situation permettant au ministère des Affaires sociales de former ou de dissoudre des syndicats à son gré et de garder l'ensemble du mouvement syndical sous son pouvoir.
- 181. Le plaignant traite de façon très détaillée la question des élections du Syndicat des travailleurs du tabac, intervenues en 1960. Il est allégué que les partisans de la Fédération auraient gagné les élections du 17 juin 1960, mais que celles-ci auraient été annulées par les autorités sous prétexte que le quorum n'était pas atteint. Le plaignant déclare que de nouvelles élections ont eu lieu le 28 octobre 1960, mais qu'auparavant plusieurs syndicalistes avaient été licenciés, que la convention collective avait été annulée unilatéralement et que les membres de l'exécutif avaient été privés de tout pouvoir de contrôle; de même, le registre des membres a été laissé de côté et plusieurs travailleurs ont été empêchés de voter. Lorsque le ministère de la Défense a rejeté une requête demandant de nouvelles élections libres, les travailleurs ont décrété la grève dans le but d'obtenir de nouvelles élections et de faire réintégrer à leur poste les travailleurs licenciés. Selon les allégations précitées, la police aurait tiré sur la foule, composée de familles de travailleurs et d'autres adeptes de la grève. La grève a finalement été décommandée lorsque la promesse a été reçue d'organiser de nouvelles élections pour le 9 novembre. Toutefois, le 30 octobre - déclare le plaignant -, un plus grand nombre de travailleurs ont été licenciés et le chef et divers autres membres du syndicat ont été arrêtés et les élections ajournées; une nouvelle grève fut alors déclenchée et, au cours d'une des manifestations, la police a tiré sur la foule, plusieurs personnes ayant été tuées, parmi lesquelles l'ancien chef du Syndicat des travailleurs de l'industrie du tourisme. Il y a eu des grèves dans différentes manufactures de tabac et plusieurs travailleurs ont été emprisonnés. En outre, il est allégué que l'arrestation du rédacteur en chef du journal syndical a eu lieu parce que le journal en question aurait protesté contre les coups de feu et qu'il avait appuyé les revendications des travailleurs. Finalement, des élections syndicales ont eu lieu le 28 novembre 1960. Selon les allégations formulées à ce propos, des travailleurs qui distribuaient des brochures avant les élections auraient été arrêtés; dans les bureaux de vote des employeurs auraient menacé les candidats figurant sur la liste proposée par la Fédération; des douzaines de gens n'ayant aucune relation avec le syndicat auraient été autorisés à voter en vue d'assurer une victoire aux candidats des autorités et plus de 2.000 syndicalistes ont été empêchés d'entrer dans les locaux de vote.
- 182. Il convient de rappeler que cette plainte est datée du 7 février 1961, qu'elle est signée par M. Ali Choukr, à l'époque président de la Fédération générale des syndicats d'Irak, et qu'il n'y est pas prétendu qu'un dirigeant quelconque de la Fédération ait été arrêté jusqu'à cette date.
- 183. La plainte de la F.S.M date du 19 mai 1961, c'est-à-dire de trois mois plus tard. Bien que sur plusieurs aspects elle confirme la plainte de la Fédération générale des syndicats d'Irak, elle fournit également des détails sur d'autres faits allégués. Il est allégué, en particulier, que M. Ali Choukr, président de la Fédération, a été arrêté le ter mai 1961 avec M. Ara Khachadoor, secrétaire général de cette organisation, et MM. Sadik El Falahi et Kuleban Salih, membres du comité exécutif, alors que les bureaux de la Fédération étaient occupés de force. Il est allégué, en outre, que les projets de modification à la législation du travail publiés en janvier 1960 auraient pour effet de donner au ministre du Travail et des Affaires sociales toute latitude d'établir et de dissoudre des syndicats de manière arbitraire ainsi que d'intervenir dans les affaires internes de ces organisations.
- 184. Les plaintes de la Fédération générale des syndicats d'Irak et de la F.S.M ont été transmises au gouvernement de l'Irak, pour observations, par lettres datées respectivement des 18 mai et 27 juin 1961. Lors de sa trentième session (février 1962), le Comité a noté que, alors que le gouvernement avait été informé que le cas présent rentrait dans la catégorie des cas considérés comme urgents par le Conseil d'administration et que des lettres ultérieures avaient été envoyées au gouvernement les 5 septembre et 28 novembre 1961 et le 23 janvier 1962, aucune réponse à ces communications n'avait été reçue jusqu'alors du gouvernement; par conséquent, le Comité a recommandé au Conseil d'administration de demander au gouvernement d'Irak de fournir ses observations sur les deux plaintes susmentionnées d'urgence, recommandations approuvées par le Conseil d'administration à sa 151ème session (mars 1962) et communiquée au gouvernement par lettre du 16 mars 1962.
- 185. Depuis ce moment-là deux faits nouveaux se sont produits. Tout d'abord, le 24 avril 1962 certaines observations ont été envoyées par le gouvernement. Ensuite, dans une communication du 25 février 1962, reçue le 2 avril 1962 seulement, la Fédération générale des syndicats d'Irak a exprimé le désir de retirer sa plainte; cette communication ayant été envoyée pour observations au gouvernement le 9 mai 1962 n'a pas encore fait l'objet de commentaires de sa part.
- 186. Dans sa communication du 24 avril 1962, le gouvernement déclare en termes généraux que le présent régime a promulgué une législation pour protéger la classe ouvrière et que le premier ministre s'est préoccupé lui-même des intérêts et du bien-être des travailleurs. Trente-six centrales syndicales ont été établies - la plupart d'entre elles subdivisées en sections provinciales - qui sont groupées dans la Fédération générale des syndicats d'Irak, au sein de laquelle, déclare le gouvernement, des élections libres sont organisées chaque année. Pour améliorer la situation des travailleurs, le gouvernement a pris diverses mesures dans le domaine des salaires, du logement, etc. Il est impensable, déclare le gouvernement, que l'armée et la police arrêtent des travailleurs qui réclament le respect de leurs droits ou tirent sur des grévistes; en conséquence, les plaintes alléguées « sont fausses et sans fondement ». Le gouvernement se réfère à M. Ali Choukr comme à l'un de ceux qui ont dupé les travailleurs en se faisant élire comme responsables des syndicats et qui cherchent à conduire les travailleurs d'une façon contraire à l'intérêt public. Lui et ses camarades, déclare le gouvernement, cherchent à utiliser l'argent de la Fédération générale des syndicats de manière irrégulière et se plaignent lorsque les travailleurs élisent d'autres personnes à leur place. Le journal de la Fédération, déclare le gouvernement, « ne tient pas compte de l'intérêt public » et calomnie les autorités, de telle sorte que son éditeur a dû être traduit en justice.
- 187. Dans sa communication du 25 février 1962, signée par un nouveau président, la Fédération générale des syndicats se réfère à l'ancien comité exécutif comme ayant présenté sa plainte dans le but de couvrir « leurs méthodes peu recommandables de s'occuper des travailleurs et la façon illégale dont ils disposent de leurs fonds ». Le nouveau comité exécutif allègue que, sous l'influence de l'ancien exécutif, la doctrine communiste était répandue parmi les travailleurs, ils étaient forcé d'acheter des publications contenant les nouvelles des pays socialistes, la production souffrait, des grèves étaient fomentées, les travailleurs étaient obligés de payer « des contributions volontaires » qui allaient au parti communiste. Le nouvel exécutif déclare que, lors des dernières élections syndicales, les travailleurs ont abandonné leurs anciens chefs et que maintenant il règne «une harmonie et une compréhension parfaites » entre les travailleurs et le gouvernement, qui a pris des mesures immédiates pour les protéger contre « la domination despotique des anciens membres de la Fédération générale des syndicats ». Il est déclaré que le gouvernement a promulgué une nouvelle législation protégeant le travail, a accordé une subvention annuelle à la Fédération et a distribué à bas prix des terres aux travailleurs. En conclusion, le nouvel exécutif demande à l'Organisation internationale du Travail de ne pas tenir compte de la plainte. La communication indique que copies de celle-ci ont été envoyées au ministre irakien des Affaires étrangères, au ministre des Affaires sociales et au Cabinet du Département du travail.
B. B. Conclusions du comité
B. B. Conclusions du comité
- 188. La première question qui se pose au Comité est la demande de retrait de la plainte de la Fédération générale des syndicats d'Irak. Cela soulève un point de procédure que le Comité a déjà été appelé à examiner dans le passé. Dans le cas no 66, relatif à la Grèce, le Comité a exprimé l'avis que le désir manifesté par une organisation plaignante de retirer sa plainte, tout en constituant un facteur auquel on doit apporter la plus grande attention, n'est cependant pas en lui-même une raison suffisante pour que le Comité cesse automatiquement d'examiner cette plainte. Le Comité considère dans ce cas qu'il doit se guider à cet égard sur les conclusions approuvées par le Conseil d'administration en 1937 et 1938 concernant deux plaintes soumises par le Syndicat des travailleurs du textile de Madras et par la Société de bienfaisance des travailleurs de l'île Maurice, en vertu de l'article 23 de la Constitution de l'Organisation (actuellement article 24). Le Conseil d'administration a posé à ce moment-là le principe que, du moment qu'une plainte lui était soumise, lui seul était compétent pour décider quelle suite devait lui être donnée et que « le désistement de l'organisation requérante n'est pas toujours une preuve que la réclamation n'était pas recevable ou était dénuée de fondement ». Le Comité considère que, partant de ce principe, il est libre d'évaluer les raisons données pour expliquer le retrait d'une plainte et de rechercher si elles apparaissent suffisamment plausibles pour amener à conclure que le retrait a été fait dans une indépendance complète. Le Comité a fait observer qu'il pouvait arriver qu'une organisation, après avoir présenté une plainte, la retirait non parce qu'elle était devenue sans objet, mais à cause d'une pression exercée par le gouvernement sur les plaignants, ces derniers étant menacés d'une aggravation de leur situation s'ils ne consentaient pas à ce retrait.
- 189. Dans le cas présent, les plaintes de la Fédération générale des syndicats d'Irak et de la F.S.M sont présentées en termes très détaillés. Ainsi que l'indique le paragraphe 184, le gouvernement n'a tenu aucun compte de plusieurs demandes pressantes d'observations sur ces plaintes et ce n'est qu'après avoir reçu une demande directe du Conseil d'administration lui-même qu'il a fourni, dans sa communication du 24 avril 1962, des observations d'un caractère très général se rapportant seulement à quelques-unes des nombreuses allégations précises et détaillées présentées par les plaignants. Le Comité exécutif de la Fédération générale des syndicats d'Irak qui manifeste l'intention de retirer la plainte n'est pas le comité qui avait déposé la plainte originale et dont la F.S.M allègue que les membres auraient été arrêtés et remplacés. Il faut également observer que le second plaignant, la F.S.M, n'a témoigné aucun désir de retirer sa propre plainte.
- 190. Dans ces circonstances, en l'absence d'informations plus complètes, le Comité ne saurait déterminer si, oui ou non, la présente demande de retrait de la plainte est faite librement, par un dirigeant syndical élu démocratiquement et indépendant de toute influence gouvernementale. A ce sujet, le Comité rappelle que, dans son premier rapport, il a souligné que si des allégations précises ont été formulées, il ne peut pas considérer comme satisfaisantes des réponses de gouvernements qui s'en tiennent à des généralités et il a exprimé l'espoir qu'en présence d'allégations précises, les gouvernements reconnaissent qu'il importe, pour la sauvegarde de leur propre réputation, de présenter, en vue d'un examen objectif, des réponses bien détaillées portant sur des faits précis en réponse à des accusations d'une telle nature. Le Comité a indiqué que, dans tous les cas où les informations fournies par un gouvernement auquel une plainte a été communiquée semblent ne pas répondre à la question ou paraissent d'un caractère trop général, le gouvernement intéressé sera requis de fournir au Comité des informations plus détaillées en vue de lui permettre de présenter un avis motivé au Conseil d'administration. Le Comité a déclaré en outre que, dans les cas où un gouvernement ne répond pas dans un délai raisonnable à une telle demande d'information plus détaillées, le Comité fera rapport au Conseil sur la situation.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 191. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration:
- a) de prendre note des observations générales présentées par le gouvernement dans sa communication du 24 avril 1962;
- b) de prendre note également du fait que le comité exécutif de la Fédération générale des syndicats d'Irak qui avait présenté la plainte de cette organisation a été remplacé par un nouveau comité exécutif qui a exprimé le désir de retirer la plainte, mais que l'autre plaignant, en l'espèce la Fédération syndicale mondiale, n'a pas manifesté un tel désir en ce qui concerne sa propre plainte;
- c) de signaler au gouvernement qu'étant donné les circonstances de ce cas et eu égard à la nature précise comme au caractère sérieux des allégations, le Conseil d'administration ne peut pas, pour les raisons indiquées aux paragraphes 188 à 190 ci-dessus, prendre de décision sur la demande de retrait de la plainte de la Fédération générale des syndicats d'Irak avant que le gouvernement ait fourni ses observations, complètes et détaillées, sur les allégations précises contenues dans cette plainte et dans la plainte de la Fédération syndicale mondiale, laquelle, de toute manière, reste en suspens;
- d) de demander, une fois de plus, au gouvernement de fournir de telles informations de toute urgence afin qu'il puisse en être tenu compte quand le Comité examinera le cas quant au fond, à sa prochaine session, lorsqu'il soumettra ses recommandations sur ce cas au Conseil d'administration.