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- 532. Le Comité a déjà eu à connaître du présent cas à sa vingt-huitième session (mai 1961) et, à l'exclusion d'une des allégations formulées par les plaignants, il a présenté au Conseil d'administration ses conclusions définitives sur l'ensemble du cas. Ces conclusions ont été adoptées par le Conseil lors de sa 149ème session (juin 1961).
533. Selon l'allégation restée en suspens, M. Raúl Ignacio Robacio, secrétaire général du Syndicat des employés de banque de Buenos Aires (S.E.B.B.A), aurait - et cela constituerait une mesure de discrimination antisyndicale - été muté par la direction de la Banque de la Nation à une succursale distante de 670 kilomètres de Buenos Aires, alors que, parallèlement, la direction aurait entrepris contre l'intéressé une information administrative tendant à transformer cette mutation en licenciement pur et simple.
533. Selon l'allégation restée en suspens, M. Raúl Ignacio Robacio, secrétaire général du Syndicat des employés de banque de Buenos Aires (S.E.B.B.A), aurait - et cela constituerait une mesure de discrimination antisyndicale - été muté par la direction de la Banque de la Nation à une succursale distante de 670 kilomètres de Buenos Aires, alors que, parallèlement, la direction aurait entrepris contre l'intéressé une information administrative tendant à transformer cette mutation en licenciement pur et simple.- 534. Le S.E.B.B.A. - déclarent les plaignants - aurait alors demandé au juge du travail une décision interdisant toute modification de la situation de M. Robacio jusqu'au prononcé de la sentence à intervenir à la suite d'une plainte déposée en justice par le syndicat. Bien que cette décision ait été prise par le juge, la banque aurait refusé d'en tenir compte, en dépit d'une nouvelle sentence du même juge contre le président de la banque pour refus et désobéissance. La décision du juge du travail ayant fait l'objet d'un recours de la part de la direction de la Banque de la Nation, la Cour d'appel, le 19 avril 1960, aurait confirmé la mesure prise par le juge jusqu'au prononcé de la sentence. La Banque de la Nation aurait refusé de nouveau de se conformer à cette décision.
- 535. Ayant constaté que le gouvernement s'abstenait dans sa réponse de présenter sur ce point aucune observation, le Comité avait estimé qu'il serait opportun pour lui d'ajourner l'examen de cet aspect particulier du cas en attendant de recevoir à son sujet des informations du gouvernement et il avait formulé une recommandation à cet effet au Conseil d'administration a.
- 536. Telles que le Conseil d'administration les a adoptées, les conclusions du Comité et, notamment, la demande d'informations sur les questions mentionnées aux paragraphes précédents, ont été portées à la connaissance du gouvernement par une lettre du Directeur général du 7 juillet 1961.
- 537. Le gouvernement a répondu par une communication du 11 septembre 1961. Toutefois, cette réponse ne contient aucune information sur les points dont il est question ci-dessus.
- 538. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration de solliciter une fois encore du gouvernement des informations quant aux allégations relatives au fait que la direction de la Banque de la Nation ne se serait pas conformée aux sentences prononcées par le juge du travail et, ultérieurement, par la juridiction d'appel au sujet de la situation du secrétaire général du S.E.B.B.A.
- 539. Si elle ne répond pas à la demande d'informations qui avait été présentée au gouvernement, la dernière communication de celui-ci contient par contre un certain nombre de commentaires au sujet des conclusions soumises par le Comité au Conseil d'administration et approuvées par ce dernier. Ces conclusions, contenues au paragraphe 124 a), b), c) et d) du cinquante-septième rapport du Comité sont ainsi conçues:
- 124. En ce qui concerne le cas dans son ensemble, le Comité recommande au Conseil d'administration:
- a) de décider, pour les raisons indiquées aux paragraphes 112 à 117 ci-dessus, que les allégations relatives à l'interdiction faite aux employés de la Banque dé la Nation d'exercer des activités syndicales n'appellent pas de sa part un examen plus approfondi;
- b) d'attirer l'attention du gouvernement sur le fait que le statut privilégié accordé aux associations dotées de la personnalité syndicale limite considérablement les moyens d'action des organisations qui ne sont pas dotées de cette personnalité, étant de nature à toucher indirectement la liberté des travailleurs d'adhérer à des organisations de leur choix, et sur l'opportunité d'une éventuelle suppression de la distinction opérée par la loi entre les associations dotées de la personnalité syndicale et les autres organisations syndicales;
- c) d'attirer l'attention du gouvernement sur l'importance que le Conseil d'administration attache au principe selon lequel les travailleurs doivent bénéficier d'une protection adéquate contre tous actes de discrimination tendant à porter atteinte à la liberté syndicale en matière d'emploi - licenciement, transfert et autres actes préjudiciables -, cette protection étant particulièrement souhaitable en ce qui concerne les délégués syndicaux, étant donné que, pour pouvoir remplir leurs fonctions syndicales en pleine indépendance, ceux-ci doivent avoir la garantie qu'ils ne subiront pas de préjudice en raison de leur mandat syndical;
- d) d'attirer l'attention du gouvernement sur le fait que la garantie de semblable protection dans le cas de dirigeants syndicaux est en outre nécessaire pour assurer le respect du principe fondamental selon lequel les organisations de travailleurs ont le droit d'élire librement leurs représentants.
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- 540. Le gouvernement déclare tout d'abord qu'il ne saurait souscrire aux termes du cinquante-septième rapport du Comité lorsque celui-ci « attire l'attention du gouvernement sur le fait que le statut privilégié accordé aux associations dotées de la personnalité syndicale limite considérablement les moyens d'action des organisations qui ne sont pas dotées de cette personnalité, étant de nature à toucher indirectement la liberté des travailleurs d'adhérer à des organisations de leur choix... ».
- 541. Aux yeux du gouvernement, pareille conception ne peut avoir son origine que dans une interprétation erronée de la loi no 14455, du 8 août 1958, sur les associations professionnelles de travailleurs. La loi no 14455 -déclare le gouvernement -s'inspire des notions démocratiques les plus larges et veille à la défense des droits des travailleurs puisqu'elle admet la pluralité syndicale et que l'essence même de la démocratie syndicale réside dans la possibilité pour les travailleurs de créer autant de syndicats qu'ils le désirent. C'est ainsi - poursuit le gouvernement - que l'article 2 de la loi reconnaît aux travailleurs le droit de « constituer librement et sans autorisation préalable des associations professionnelles, des syndicats ou des unions » ainsi que celui de s'affilier à ces organisations, étant bien entendu que « le droit de s'affilier comporte celui de ne pas s'affilier ». C'est dire - déclare le gouvernement - que la loi accorde aux travailleurs le maximum de liberté en la matière et qu'il serait difficile de concevoir des dispositions plus démocratiques et plus respectueuses de la liberté syndicale.
- 542. Il n'en reste pas moins - poursuit le gouvernement - qu'à l'intérieur de ce système de pluralité syndicale, il a bien fallu que la loi mette sur pied une procédure rendant possibles les négociations collectives, c'est-à-dire l'élaboration de normes contractuelles et leur application aux diverses branches de l'économie. A cette fin, la loi habilite le syndicat « le plus représentatif » à négocier collectivement au nom de l'ensemble de la branche professionnelle (art. 16). C'est en cela - déclare le gouvernement - que réside la personnalité syndicale (personeria gremial), à savoir la reconnaissance, au syndicat qui compte le plus grand nombre d'affiliés, du caractère représentatif aux fins de négociations collectives.
B. B. Conclusions du comité
B. B. Conclusions du comité
- 543. Ce n'est pas la première fois que le Comité doit examiner les conséquences de la distinction opérée par la législation argentine entre les organisations qui jouissent de la personnalité syndicale et les autres. Ce n'est pas la première fois non plus que le gouvernement argentin conteste le bien-fondé des conclusions du Comité et du Conseil à cet égard. Il semble par conséquent nécessaire de préciser la position du Comité et du Conseil d'administration sur ce point.
- 544. Si l'on se reporte aux commentaires présentés par le gouvernement, il semblerait que ce dernier estime que les remarques du Comité et du Conseil visent essentiellement le fait que certains privilèges particuliers s'attachent aux seules organisations les plus représentatives. En réalité, telle n'a pas été la position du Comité et du Conseil.
- 545. A plusieurs reprises, en effet, et notamment à propos de la discussion du projet de convention sur le droit d'organisation et de négociation collective, la Conférence a évoqué la question du caractère représentatif des syndicats, et elle a admis dans une certaine mesure la distinction faite parfois entre les divers syndicats en présence selon leur degré de représentativité. De son côté, l'article 3, paragraphe 5, de la Constitution de l'O.I.T consacre la notion d'« organisations les plus représentatives ».
- 546. Ainsi, le simple fait que la législation d'un pays donné établisse une distinction entre les organisations syndicales les plus représentatives et les autres organisations syndicales ne saurait, en soi, prêter à critique. Encore faut-il, toutefois, qu'une telle distinction n'ait pas pour conséquence d'accorder aux organisations les plus représentatives - caractère qui découle du nombre plus important de leurs affiliés - des privilèges allant au-delà d'une priorité en matière de représentation aux fins de négociations collectives, de consultation par les gouvernements, ou encore en matière de désignation de délégués auprès d'organismes internationaux. En d'autres termes, il ne faudrait pas que la distinction opérée aboutisse à priver les organisations syndicales non reconnues comme les plus représentatives des moyens essentiels de défense des intérêts professionnels de leurs membres et du droit d'organiser leur gestion et leur activité et de formuler leur programme d'action, prévu par la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ratifiée par l'Argentine.
- 547. A cet égard, les observations présentées par le gouvernement au sujet des conclusions du Comité et du Conseil en l'espèce font valoir, en réponse au passage du rapport du Comité cité au paragraphe 540 ci-dessus, que le fait, pour un syndicat, de ne pas jouir de la personnalité syndicale n'empêche pas ce dernier - hormis la participation aux négociations collectives - de s'acquitter de ses fonctions de défense des intérêts professionnels des travailleurs et de poursuivre notamment ses activités économiques, culturelles, sportives, etc. De l'avis du gouvernement, la loi no 14455 ne confère aucun « statut privilégié » aux associations dotées de la personnalité syndicale ni ne limite « considérablement les moyens d'action des organisations qui ne sont pas dotées de cette personnalité »; de même - affirme le gouvernement -, il serait inexact de prétendre que le régime de la loi argentine « peut indirectement avoir pour effet d'affecter la liberté des travailleurs d'adhérer à des organisations de leur choix ».
- 548. Il convient, à ce stade, de se reporter au texte même de la loi. Les conséquences de la distinction entre les organisations ne possédant pas de personnalité syndicale semblent déterminées aux articles 15 et 16 de la loi no 14455, qui définissent les fonctions et les droits de ces deux genres d'organisations. L'article 16 précise que les droits et fonctions qu'il énumère sont réservés exclusivement aux organisations dotées de la personnalité syndicale. Parmi les droits ainsi consentis, à l'article 16, aux seules organisations jouissant de la personnalité syndicale figurent: la participation aux travaux des organismes officiels chargés de la réglementation du travail et de la sécurité sociale, la négociation et la conclusion de conventions collectives, la collaboration avec l'Etat, à titre technique et consultatif, dans l'étude des solutions des problèmes intéressant la branche professionnelle représentée par l'organisation, la tenue de réunions sans autorisation préalable, la défense et la représentation des intérêts individuels des membres de l'organisation devant les institutions de la sécurité sociale, les tribunaux et autres organismes publics, la défense, enfin, et la représentation des intérêts professionnels vis-à-vis de l'Etat et des employeurs. Il est vrai que ce dernier droit est également consenti aux organisations ordinaires, mais l'article 15 de la loi précise toutefois qu'elles n'en jouissent que dans le cas où il n'existe pas d'organisation possédant la personnalité syndicale dans la branche d'activité considérée.
- 549. Parmi les activités auxquelles peuvent se livrer les organisations ordinaires, l'article 15 de la loi mentionne la création d'institutions de prévoyance, de camps de vacances, de restaurants, d'hôpitaux, etc., l'établissement de coopératives de production et de consommation, la promotion de l'éducation générale et de la formation professionnelle par la création de bibliothèques, de laboratoires, etc.
- 550. On ne saurait nier que du point de vue des activités syndicales, les fonctions permises aux organisations non dotées de la personnalité syndicale sont extrêmement limitées. Si l'on se reporte en effet à la définition donnée par l'article 10 de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ratifiée par l'Argentine, l'expression « organisations professionnelles » doit être entendue comme signifiant « toute organisation de travailleurs ou d'employeurs ayant pour but de promouvoir et de défendre les intérêts des travailleurs ou des employeurs ». Il ressort de la lecture de la loi que les moyens d'atteindre ce but ne sont pas accordés aux organisations ordinaires et que les possibilités d'action de ces organisations sont particulièrement restreintes.
- 551. Le Comité et le Conseil d'administration avaient déjà abouti aux mêmes conclusions à l'occasion de leur examen du cas no 190 intéressant également l'Argentine. Dans le cadre de ce même cas, le Comité, étant donné les fonctions limitées qui sont reconnues aux organisations ordinaires, avait considéré en outre que la distinction opérée par la législation nationale pouvait indirectement avoir pour effet de peser sur la liberté des travailleurs d'adhérer aux organisations de leur choix.
- 552. Les raisons qui ont amené le Comité et le Conseil à adopter cette position sont les suivantes. De manière générale, la possibilité, pour un gouvernement, d'accorder un avantage à une organisation déterminée ou de le lui retirer pour en faire bénéficier une autre, par exemple, risque, même si tel n'est pas son dessein, d'aboutir à favoriser ou à défavoriser un syndicat par rapport aux autres et à constituer par là un acte de discrimination. Plus précisément, en favorisant ou en défavorisant une organisation par rapport aux autres, un gouvernement peut influencer, directement ou indirectement, le choix des travailleurs en ce qui concerne l'organisation à laquelle ils entendent appartenir, tant il est vrai que ces derniers seront enclins à adhérer au syndicat le plus apte à les servir, alors que, pour des raisons d'ordre professionnel, confessionnel, politique ou autre, leurs préférences les auraient portés à s'affilier à une autre organisation. Or la liberté de choix des intéressés en la matière constitue un droit expressément consacré par l'article 2 de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, instrument qui a été ratifié par l'Argentine.
- 553. Le Comité estime que les dernières observations présentées par le gouvernement n'apportent, sur l'ensemble de la question, aucun élément nouveau par rapport à ce que le gouvernement avait déjà fait valoir antérieurement et que, par conséquent, il n'y a pas lieu pour lui de modifier les conclusions auxquelles il avait abouti et qui sont consignées au paragraphe 124 de son cinquante-septième rapport, conclusions qui, on l'a dit, ont été approuvées par le Conseil d'administration.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 554. En ce qui concerne le cas dans son ensemble, le Comité recommande au Conseil d'administration:
- a) de solliciter une fois encore du gouvernement, pour les raisons indiquées aux paragraphes 532 à 538 ci-dessus, des informations rapides quant aux allégations relatives au fait que la direction de la Banque de la Nation ne se serait pas conformée aux sentences prononcées par le juge du travail et, ultérieurement, par la juridiction d'appel au sujet de la situation du secrétaire général du Syndicat des employés de banque de Buenos Aires;
- b) de confirmer, pour les raisons indiquées aux paragraphes 539 à 553 ci-dessus, les conclusions qui sont contenues au paragraphe 124 a), b), c) et d) du cinquante-septième rapport du Comité, cité au paragraphe 539 ci-dessus;
- c) de prendre note du présent rapport intérimaire en ce qui concerne l'allégation restée en suspens, étant entendu que le Comité fera à nouveau rapport lorsqu'il sera en possession des informations sollicitées à l'alinéa a) ci-dessus.