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Rapport définitif - Rapport No. 45, 1960

Cas no 212 (Etats-Unis d'Amérique) - Date de la plainte: 21-NOV. -59 - Clos

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  1. 69. La plainte présentée par la Fédération syndicale mondiale a fait l'objet d'une communication adressée directement au Directeur général du B.I.T le 21 novembre 1959. Le gouvernement des Etats-Unis a envoyé ses observations par lettre en date du 4 février 1960.

A. A. Allégations des organisations plaignantes

A. A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 70. Les plaignants soutiennent que le Président des Etats-Unis, en invoquant la loi Taft-Hartley, et la Cour suprême, en autorisant le gouvernement à suspendre la grève qui a eu lieu récemment dans l'industrie sidérurgique américaine, ont porté atteinte à l'exercice du droit de grève que le Comité lui-même a reconnu comme étant «l'arme légale dont disposent les syndicats pour la défense des intérêts de leurs membres ». En conséquence, la décision du Président et celle de la Cour suprême constituent une ingérence dans les affaires intérieures des syndicats, contraire à l'esprit de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et de la convention (no 98) sur l'application des principes du droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
  2. 71. Les plaignants donnent alors, ainsi qu'il suit, leur version des événements qui ont été à l'origine de la situation décrite ci-dessus. Les travailleurs de l'industrie sidérurgique ont déclenché, le 15 juillet 1959, une grève pour appuyer leurs revendications pour un relèvement des salaires et pour une plus grande sécurité dans l'emploi, en raison de l'industrialisation et de l'automatisation de leurs usines. Selon la F.S.M, les bénéfices réalisés étaient suffisants pour donner satisfaction aux revendications des travailleurs, sans qu'il soit nécessaire de majorer le prix de l'acier, mais les employeurs, non seulement s'y sont opposés, mais ont encore attaqué les droits acquis des travailleurs. A son avis, les employeurs ont, au cours du premier semestre de 1959, accéléré le rythme de la production de manière à pouvoir, sans dommage pour leurs intérêts, forcer les travailleurs à déclencher une longue grève. Quant au gouvernement, il a soutenu le point de vue des employeurs en prétendant que la grève provoquerait une réduction des stocks d'acier. Ainsi, l'objectif des employeurs, dans cette affaire, a été de provoquer une grève de deux ou trois mois et, ensuite, de faire intervenir le gouvernement, en vertu de la loi Taft-Hartley, pour suspendre la grève pendant quatre-vingts jours, dès que celle-ci commençait à porter atteinte à leur situation monopolistique. En intervenant à un moment où la grève ne menaçait ni l'ordre public, ni la sécurité nationale, mais seulement les intérêts égoïstes des employeurs, le Président a violé la loi Taft-Hartley, dont les dispositions d'exception ne sauraient être invoquées que dans les cas de danger imminent pour le pays. Enfin, selon les plaignants, le Syndicat des travailleurs de l'industrie automobile a élevé une protestation contre la décision du Président, qui, en essayant de dégager les industriels de la pression qu'ils subissaient de la part des travailleurs, «ne faisait rien moins que de se servir du pouvoir et de l'autorité du gouvernement des Etats-Unis pour briser la grève ».
  3. 72. Une copie de la plainte susmentionnée a été transmise au gouvernement des Etats-Unis, le 2 décembre 1959, afin de lui permettre de formuler, à ce sujet, ses observations, conformément à la procédure d'examen des plaintes en violation des droits syndicaux.
  4. 73. Dans sa lettre du 4 février 1960, le gouvernement se déclare prêt à apporter son concours et sa collaboration au Comité dans son enquête sur tous les chefs d'accusation formulés contre le gouvernement des Etats-Unis, à l'exception de ceux présentant un caractère purement politique qui, selon les preuves fournies et conformément aux procédures établies, justifieraient l'intervention des organes d'investigation ou de conciliation, ou des deux à la fois. Le gouvernement estime que la plainte de la F.S.M est purement gratuite et ne s'appuie sur aucun fait. A son avis, le droit légal de grève des travailleurs de l'industrie sidérurgique n'a qu'une seule limite: l'ordre public et la sécurité nationale. Les dispositions concernant l'état d'urgence contenues dans la loi de 1947 sur les relations professionnelles (loi Taft-Hartley) consacrent la solution adoptée par le Congrès pour faire face aux arrêts de travail, lorsqu'ils revêtent de vastes proportions et risquent de porter atteinte à l'ordre public et à la sécurité nationale. En vertu de ces dispositions, lorsqu'une grève ou un lock-out, ou une menace de grève ou de lock-out, affecte la totalité, ou une partie, d'une industrie portant soit sur les échanges, le commerce, le transport ou les transmissions, ou les communications entre les Etats ou avec les pays étrangers, soit sur la production des marchandises destinées au commerce, et lorsque son déclenchement ou sa prolongation risquerait de porter atteinte à l'ordre public et à la sécurité nationale, le Président peut instituer une commission d'enquête chargée de faire des investigations sur les points litigieux. La Commission procède à l'audition des deux parties et en fait rapport au Président. A ce stade, le Président peut donner l'ordre au procureur général de saisir la juridiction compétente, qui donnera les injonctions nécessaires aux grévistes ou aux employeurs appliquant le lock-out. Si cette juridiction estime, comme le Président, que l'affaire rentre dans les cas prévus par la loi Taft-Hartley (voir ci-dessus), elle peut enjoindre aux intéressés de cesser la grève ou le lock-out pour une durée qui ne peut pas dépasser quatre-vingts jours, jusqu'à ce qu'une solution soit trouvée au différend. Au cours de cette période de quatre-vingts jours, employeurs et travailleurs sont tenus, de par l'injonction judiciaire dont ils sont l'objet, « de tendre tous leurs efforts pour parvenir au règlement amiable de leur conflit». Faute d'un tel règlement pendant cette période, après un vote final au scrutin secret sur la dernière offre de la part des employeurs, les travailleurs sont libres de reprendre la grève. Dans le cas de l'industrie sidérurgique, les travailleurs étaient libres de se mettre en grève, et leur grève a effectivement duré cent seize jours. C'est alors que la procédure légale pertinente a été appliquée, car on a trouvé que la grève menaçait l'ordre public et la sécurité nationale. Quant à l'allégation selon laquelle le Président a décidé d'agir au moment où les intérêts monopolistiques des employeurs commençaient à sentir l'effet de la grève, le gouvernement tient à souligner que la F.S.M n'a pas contesté le fait que la grève portait sur toute une industrie, pas plus qu'elle n'a suggéré que l'intervention présidentielle aurait dû avoir lieu plus tôt. Dans ces conditions, la seule question qui se posait, de l'avis du Président, était celle de savoir jusqu'à quand le pouvoir exécutif aurait pu - s'il le pouvait - attendre encore, avant de prendre les mesures qui s'imposaient pour protéger l'ordre public et la sécurité nationale.
  5. 74. Le gouvernement a joint, à sa réponse, la copie d'une lettre en date du 12 janvier 1960, adressée au B.I.T par le Syndicat des travailleurs unis des industries sidérurgiques des Etats-Unis, et a demandé que cette copie soit jointe au dossier de l'affaire. En ce qui concerne l'arrêt de la Cour suprême confirmant l'injonction, le gouvernement cite un considérant de la Cour, aux termes duquel «la grève menace la sécurité nationale », car « il est prouvé qu'elle a des répercussions sur les projets spécifiques de la Défense nationale». Ces projets, ajoute le gouvernement, portent sur les programmes concernant les fusées, les sous-marins atomiques, les chantiers de construction navale et les recherches spatiales. Ainsi, dans ce conflit, la fermeté de l'Exécutif s'est uniquement fondée sur les dangers que présentait la grève pour la sécurité nationale; les répercussions de cette grève sur l'ordre public n'ont pas été prises en considération.
  6. 75. Dans sa lettre du 12 janvier 1960, le Syndicat des travailleurs unis de l'industrie sidérurgique des Etats-Unis a déclaré avoir eu connaissance d'une plainte déposée par la F.S.M. Selon lui, lorsqu'en octobre 1959, le Président a jugé que la grève présentait des dangers et risquerait, si elle se prolongeait, de porter atteinte à l'ordre public et à la sécurité nationale, il a convoqué la Commission d'enquête. Celle-ci a rédigé son rapport. Le tribunal du district de Pittsburgh, après avoir procédé à l'audition des parties, lança une injonction. Appel en fut interjeté successivement devant la Cour d'appel itinérante, puis devant la Cour suprême, qui confirma l'injonction. Un juge de la Cour d'appel et un autre de la Cour suprême s'étaient rangés du côté du Syndicat. La question était de savoir si la grève avait porté atteinte, ou risquait de porter atteinte, à l'ordre public et à la sécurité nationale. Le Syndicat confirme son opposition à la loi Taft-Hartley, mais il souligne comment, pendant toute la durée du conflit, il lui a toujours été loisible de recourir, quand il le voulait, à la protection légale et que, pendant les cent seize jours de grève, aucun travailleur n'a été arrêté ou persécuté par le gouvernement. Au cours de la trêve de quatre-vingts jours, les négociations ont continué. Le 4 janvier 1960, le Syndicat a conclu une convention collective dont les termes lui ont paru satisfaisants. Il aurait pu, légalement, déclencher une nouvelle grève à partir du 26 janvier, mais a jugé inutile de le faire. Quoi qu'il en soit, l'éventualité d'une reprise de la grève a joué un rôle important dans les négociations. En conclusion, le Syndicat expose les raisons pour lesquelles il estime inopportune la plainte formulée à ce sujet par la F.S.M auprès de l'O.I.T. Le 28 janvier 1960, le Syndicat des travailleurs unis de l'industrie sidérurgique des Etats-Unis a écrit, à nouveau, au B.I.T, pour s'opposer formellement à la plainte de la F.S.M et pour lui demander de considérer sa lettre du 12 janvier comme une requête officielle tendant à ce qu'il plaise à l'O.I.T de « rejeter ladite plainte comme dénuée de tout fondement ».
  7. 76. En ce qui concerne la lettre adressée au B.I.T, le 12 janvier 1960, par le Syndicat des travailleurs unis de l'industrie sidérurgique des Etats-Unis, le Comité tient avant tout à souligner le fait que la plainte de la F.S.M n'a été révélée et communiquée, par le B.I.T, qu'aux seuls membres du Comité et au gouvernement des Etats-Unis.

B. B. Conclusions du comité

B. B. Conclusions du comité
  1. 77. La procédure d'examen des plaintes concernant les allégations de violations des droits syndicaux n'est pas une procédure entre organisations syndicales. Elle a pour objectif fondamental de donner son avis au Conseil d'administration au sujet des allégations concernant les gouvernements. Dans ces conditions, il ne saurait être question, pour une organisation, de présenter une plainte, ou pour une autre organisation, affectée par l'objet de cette plainte, d'être partie à la procédure. Celle-ci a pour but de permettre au Conseil d'administration de juger dans quelle mesure le principe de la liberté syndicale, consacré par la Constitution de l'Organisation et par diverses décisions prises par la Conférence internationale du Travail, a été observé par le Membre en question. Pour toutes ces raisons, le Comité estime qu'il ne devrait pas considérer l'affaire qui lui est soumise comme une affaire intéressant la F.S.M et le Syndicat des travailleurs unis de l'industrie sidérurgique des Etats-Unis.
  2. 78. Dans le cas particulier, les observations formulées par l'organisation syndicale ont été communiquées par le gouvernement. Cette façon de procéder appelle de la part du Comité les deux observations suivantes. En premier lieu, le Comité considère qu'un gouvernement ne saurait se décharger de sa propre responsabilité de fournir des informations en transmettant les observations d'une organisation syndicale. Ce qu'il est tenu de faire, c'est de s'expliquer sur son comportement et non de communiquer les observations d'une organisation sur ce comportement. Néanmoins, en second lieu, le Comité estime que le principe ainsi dégagé n'affecte en rien la force probante que ces observations peuvent éventuellement présenter, étant entendu que le Comité ne pourra tenir compte de ces dernières que dans la mesure où elles lui apparaissent, à la lumière des circonstances de la cause, comme étant la libre expression des opinions indépendantes de l'organisation en question. Dans le cas d'espèce, la manière dont les observations ont été rédigées, le fait qu'elles concernent un conflit ouvert entre le gouvernement et l'organisation et reflètent un désaccord avec la législation sur l'application de laquelle porte la plainte, ont paru suffisants pour permettre au Comité de les considérer comme l'expression d'une opinion librement émise, et d'en tenir compte, après avoir analysé la réponse donnée, par le gouvernement lui-même, à ce sujet. Le Comité, toutefois, ne saurait admettre la suggestion contenue dans les observations qui lui ont été communiquées selon laquelle il utiliserait son temps de faon plus profitable en examinant des allégations mettant en cause d'autres pays; le devoir du Comité est d'examiner avec une égale impartialité et en se fondant sur les mêmes principes toutes les allégations qui lui sont soumises indépendamment de leur source ou du gouvernement mis en cause.
  3. 79. La question réelle qui se pose au Comité, au sujet de la grève des travailleurs de l'industrie sidérurgique dont il est saisi, semble très nette: il est admis par les deux parties que la grève a duré cent seize jours, que le Président des Etats-Unis a institué alors une commission d'enquête qui a rédigé un rapport sur la base duquel le Président a prié le procureur général de saisir les tribunaux pour qu'une injonction soit lancée aux grévistes leur intimant l'ordre de cesser la grève pendant une période de quatre-vingts jours. La question essentielle que les tribunaux de droit commun ont eu à résoudre était celle de savoir si la grève qui paralysait alors une industrie de base serait de nature à porter atteinte à l'ordre public et à la sécurité nationale. Le Président estimait qu'une telle menace existait. Le syndicat directement intéressé soutenait le contraire. Les deux parties ayant plaidé leurs causes respectives conformément à la procédure de droit commun, les juridictions compétentes (Tribunal de district, Cour d'appel) - et finalement la Cour suprême, par un vote majoritaire - ont donné raison au Président en se fondant sur la menace que la grève faisait peser sur certains projets importants intéressant la Défense nationale. L'injonction a eu pour effet de contraindre les deux parties à procéder à de nouvelles négociations en vue d'un règlement amiable. Si un tel règlement n'avait pu intervenir dans la limite des quatre-vingts jours, les travailleurs auraient été libres de déclencher une nouvelle grève. En d'autres termes, le droit de grève a subi une restriction temporaire pour permettre à la procédure de conciliation et de négociation de se poursuivre. Ce délai expiré, la grève aurait pu être reprise. Elle ne l'a pas été, les travailleurs unis de l'industrie sidérurgique des Etats-Unis ayant estimé que la convention collective qui a été conclue leur était favorable.
  4. 80. Dans un certain nombre de cas, le Comité a souligné le fait que le droit de grève est généralement accordé aux travailleurs et à leurs organisations comme faisant partie intégrante du droit qu'ils ont d'assurer la défense collective de leurs intérêts économiques et sociaux, à la condition que ce droit soit exercé en tenant compte des restrictions temporaires auxquelles il est soumis, comme la cessation de toute grève pendant les procédures de conciliation et d'arbitrage, procédures auxquelles les parties peuvent prendre part à tout moment du conflit Dans le cas présent, avant même que le syndicat intéressé ait pu être forcé d'accepter la restriction temporaire, à savoir la cessation de la grève pendant une durée maximum de quatre-vingts jours pour permettre la conciliation et la négociation, il existait déjà une garantie supplémentaire en ce sens que la justice avait été consultée sur le point de savoir si, en fait, la grève portait réellement atteinte à l'ordre public et à la sécurité nationale.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 81. Dans ces conditions, le Comité, considérant que les allégations relatives à l'interdiction de la grève n'échappent pas à sa compétence dans la mesure où cette interdiction affecte l'exercice des droits syndicaux, recommande au Conseil d'administration de décider que les plaignants n'ont pas, en l'occurrence, apporté suffisamment d'éléments pour prouver que la restriction temporaire à l'exercice du droit de grève constituait, dans le présent cas, une atteinte aux droits syndicaux.
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