Afficher en : Anglais - Espagnol
- 82. La plainte est exposée dans une communication datée du 2 novembre 1959 adressée directement au B.I.T par le Congrès du travail du Canada. Dans une lettre datée du 23 décembre 1959, la Fédération internationale des syndicats libres a exprimé sa décision d'appuyer la plainte du Congrès du travail du Canada. Par une lettre datée du 18 janvier 1960, le gouvernement du Canada a transmis les observations du gouvernement de Terre-Neuve, province dans laquelle se seraient déroulés les faits faisant l'objet de la plainte.
A. A. Allégations des organisations plaignantes
A. A. Allégations des organisations plaignantes
- 83. Il est allégué qu'au début de l'année 1956, l'Union internationale des travailleurs américains du bois, organisation affiliée au Congrès du travail du Canada, entreprit une campagne d'organisation parmi les ouvriers forestiers employés par deux entreprises de fabrication de pulpe et de papier. Une première demande d'accréditation présentée par l'Union internationale des travailleurs américains du bois en qualité d'agent négociateur pour les ouvriers forestiers en question fut rejetée en mars 1957 par le Conseil des relations ouvrières de Terre-Neuve. Il est allégué que cette demande fut rejetée par le Conseil des relations ouvrières parce que, bien qu'elle eût été appuyée par 87 pour cent des travailleurs, l'Union ne remplissait pas toutes les conditions techniques fixées dans la loi de Terre-Neuve sur les relations de travail. En juin 1957, une autre demande fut présentée et, lors d'un vote du personnel de l'une des deux entreprises en question - la Anglo-Newfoundland Development Company - 86,4 pour cent du personnel se prononcèrent en faveur de l'Union internationale. Le 1er mai 1958, l'Union internationale fut accréditée comme agent négociateur des ouvriers forestiers intéressés. Des négociations en vue de la conclusion d'une convention collective commencèrent en juin 1958, mais aucun progrès ne put être réalisé. Conformément à la loi, un conseil de conciliation fut institué. Le 9 novembre 1958, le conseil (qui comprenait un représentant de l'entreprise) aurait recommandé à l'unanimité une majoration immédiate des salaires de 3 cents l'heure et une réduction de la semaine de soixante heures. Il est allégué qu'à Terre-Neuve, les conditions de travail des ouvriers forestiers sont très inférieures à celles des ouvriers forestiers du reste du Canada, où l'Union internationale des ouvriers américains du bois compte quelque 45.000 adhérents. Mais l'Anglo-Newfoundland Development Company rejeta les recommandations (que le représentant des employeurs avait contribué à formuler) et refusa de discuter la question plus avant. Après un vote faisant ressortir une majorité de 98,4 pour cent en faveur de l'Union internationale, les ouvriers forestiers se mirent en grève le 31 décembre 1958, le Congrès du travail du Canada signifiant son approbation le 21 janvier 1959. Au début de la grève, les autorités auraient tenté de briser le mouvement en annonçant que les ouvriers forestiers membres de l'Union internationale des travailleurs américains du bois et leurs familles n'auraient pas droit aux prestations sociales. Cependant, cette restriction fut levée devant le sentiment d'indignation que souleva l'emploi de moyens de ce genre à l'encontre d'un syndicat. Les plaignants déclarent que les scènes de violence furent peu nombreuses, mais que lorsque des piquets dé grève eurent été organisés, les employeurs (l'entreprise Anglo-Newfoundland Development Company) essayèrent de recruter des travailleurs dans les villages de pêcheurs et de leur faire prendre la place des ouvriers forestiers; il en résulta quelques incidents - peu nombreux - qui éclatèrent lorsque les ouvriers forestiers pénétrèrent dans les camps pour inciter les pêcheurs à rentrer chez eux. Les plaignants déclarent qu'à la suite de ces faits près de deux cents inculpations furent prononcées - pour obstruction, vol de denrées alimentaires appartenant à la compagnie et désordre - et que l'attorney-général fit une déclaration publique invitant les magistrats à user de sévérité en jugeant ces cas. Des amendes allant de 150 à 300 dollars furent imposées; dès la première semaine, soixante-sept grévistes furent mis en prison tandis qu'un nombre beaucoup plus élevé d'entre eux attendaient d'être jugés.
- 84. C'est alors que le premier ministre de Terre-Neuve lança une campagne d'injures contre l'Union internationale des travailleurs américains du bois et tenta de faire révoquer l'accréditation d'agent négociateur qu'elle avait acquise en adhérant scrupuleusement aux prescriptions légales; il invita les ouvriers forestiers à quitter l'Union internationale et à adhérer à un syndicat qui serait créé sous les auspices du gouvernement et qui devait être dirigé par un membre du Parlement, M. Max Lane. Il est allégué que le premier ministre aurait alors organisé un syndicat, la Fraternité des ouvriers forestiers de Terre-Neuve, sous la présidence de M. Lane. A cette occasion, le premier ministre se serait installé dans des locaux appartenant aux employeurs de l'entreprise qui était partie au conflit (l'entreprise Anglo-Newfoundland Development Company) et aurait invité publiquement les travailleurs à se rendre dans la localité, offrant de payer leurs frais de transport, ainsi que leurs dépenses de nourriture et de boisson, à condition qu'ils signent une carte d'adhésion au nouveau syndicat. Les plaignants déclarent que quelque quatre-vingt-sept ouvriers forestiers en tout, acceptèrent d'adhérer au nouveau syndicat.
- 85. Le plaignant présente comme preuve le texte d'un discours public prononcé le 12 février 1959 par le premier ministre de Terre-Neuve. Dans ce discours, il aurait déclaré avoir envoyé des émissaires dans différentes parties de Terre-Neuve, avoir écrit à de nombreux membres du clergé et ministres de diverses confessions religieuses pour qu'ils lui adressent~ des rapports confidentiels sur l'état d'esprit de la population relativement à l'Union internationale des travailleurs américains du bois et à la grève. Il aurait déclaré:
- Je vais proposer un mode d'action que, selon moi, les ouvriers forestiers devraient adopter et cela sans attendre un instant ... Il faut, en premier lieu, prier l'Union internationale des travailleurs américains du bois de s'occuper de ses propres affaires. Il faut l'exclure de Terre-Neuve. Dire (à ses représentants) de ne jamais remettre les pieds ici. Ecrire, ou mieux encore, télégraphier immédiatement chacun à l'Union internationale des travailleurs américains du bois, en indiquant que vous avez cessé d'être membre de cette organisation. En second lieu, il faut former un syndicat entièrement nouveau, réunissant tous les ouvriers forestiers de Terre-Neuve ... puis, penser à grouper dans un grand syndicat terre-neuvien unique tous les pêcheurs et tous les ouvriers forestiers. Vous pourriez ensuite approcher la Fédération des pêcheurs et lui demander de fusionner avec le nouveau syndicat d'ouvriers forestiers ... Je dois vous dire que j'ai parlé de tout cela avec ... Max Lane, qui est secrétaire général de la Fédération des pêcheurs ... J'ai dit à Max Lane que j'estime qu'il est de son devoir, en tant que Terre-neuvien, de s'occuper de cette affaire et de lancer une grande organisation syndicale nouvelle ... Je serais heureux de vous aider dans toute la mesure de mes moyens et je suis à même de vous procurer de nombreux concours très utiles. Comme vous le savez, M. Lane est membre de l'Assemblée législative ... Le gouvernement ne veut pas de l'Union internationale des travailleurs américains du bois. Le gouvernement ne collaborera jamais avec l'Union internationale des travailleurs américains du bois; il ne s'adressera jamais à ses représentants; il ne répondra jamais à une lettre ou à un télégramme qu'ils auraient pu lui adresser et il ne veut avoir absolument rien à faire avec l'Union internationale ... Comment ces étrangers osent-ils pénétrer dans une province paisible et chrétienne et, par des méthodes aussi condamnables, tenter de mettre la main sur la principale industrie de notre province ...
- 86. Puis, constatant que sa campagne de recrutement pour former un nouveau syndicat avait échoué, le premier ministre présenta à la législature de Terre-Neuve une résolution condamnant l'Union internationale des travailleurs américains du bois et invitant les ouvriers forestiers à se retirer de ce syndicat et à adhérer à un nouveau syndicat. Deux lois furent présentées au Parlement terre-neuvien. L'une prévoit la révocation de l'accréditation de l'Union internationale et stipule que cette organisation ne pourra pas présenter de nouvelle demande d'accréditation sans le consentement du lieutenant-gouverneur siégeant en Conseil. L'autre projet de loi, déclare le plaignant, prévoit la dissolution de certains syndicats et la confiscation de leurs biens lorsque certaines conditions «paraissent» être réunies.
- 87. Dans une pétition présentée au gouverneur général siégeant en Conseil, le Congrès du travail du Canada demanda l'annulation de la législation en question, mais aucune mesure en ce sens n'a encore été prise par le gouvernement canadien.
- 88. En ce qui concerne l'un de ces textes législatifs, la loi du 6 mars 1959 sur les relations industrielles (modifications), le plaignant présente les observations suivantes. Aux termes de l'article 6A (1) inséré dans la loi principale (chap. 258 de la législation révisée de Terre- Neuve, 1952) par la loi d'amendement,
- ...lorsqu'il apparaît au lieutenant-gouverneur siégeant en Conseil qu'un nombre important de dirigeants, d'agents ou de représentants d'un syndicat ou de n'importe quel groupement ou organisation de syndicats extérieur à la province ont été condamnés pour un acte criminel quel qu'il soit, tel que trafic de stupéfiants, meurtre, extorsion, abus de confiance ou parjure, et que l'un ou l'ensemble de ces personnages restent en fonction comme dirigeant, agent ou représentant du syndicat ou corps, groupement ou organisation de syndicats, le lieutenant-gouverneur siégeant en Conseil peut, à la date qu'il jugera convenir, dissoudre tout syndicat dans la province qui est une branche, une cellule ou un groupement affilié du syndicat, corps, groupement ou organisation de syndicats susmentionnés.
- Cette dissolution entraîne la révocation de toute accréditation accordée au syndicat comme agent négociateur dans les négociations collectives (S.6A (3)) et l'annulation immédiate de toute convention collective en vigueur à laquelle cette organisation est partie (6s.6A(4)), tandis que le lieutenant-gouverneur siégeant en Conseil « peut édicter des règlements prévoyant la dévolution des biens d'un syndicat dissous aux termes de l'alinéa (1) » (S.6A(5)).
- 89. Les plaignants estiment, comme ils l'ont exposé dans la pétition adressée par eux au gouverneur-général siégeant en Conseil en lui demandant d'annuler la loi, que le nouvel article 6A met tout syndicat national ou international dans la province à la merci du lieutenant-gouverneur siégeant en Conseil. Les plaignants font valoir qu'aucune espèce de preuve n'est nécessaire: il suffit que le lieutenant-gouverneur « estime » que les personnes dont il s'agit ont été reconnues coupables d'un des délits spécifiés; ils relèvent qu'aucune disposition ne prévoit que les cas feront l'objet de débats et que l'interprétation des termes « important » et « supérieur » est laissée à la discrétion du lieutenant-gouverneur en Conseil. Les plaignants poursuivent en disant que le Congrès du travail du Canada auquel tous les syndicats nationaux ou internationaux de Terre-Neuve sont affiliés compte des milliers d'« agents » et de « représentants », en sorte qu'il suffit que le lieutenant-gouverneur siégeant en Conseil estime qu'un nombre «important» d'« agents » ou de « représentants» de la Fraternité des cheminots, des transports et des ouvriers non spécialisés du Canada ou du Syndicat des ouvriers américains de la sidérurgie ou du Congrès du travail du Canada ayant leur siège « hors de la province » aient été reconnus coupables des délits spécifiés pour que chacune des branches, cellules ou syndicats affiliés à n'importe laquelle de ces organisations à Terre-Neuve soit dissous... La branche, la cellule ou l'organisation affiliée, même si elle était en mesure de témoigner (ce que la loi ne prévoit pas) et de fournir la preuve (dont le lieutenant-gouverneur siégeant en Conseil pourrait parfaitement ne pas tenir compte) que le syndicat principal hors de la province s'est débarrassé de « tous sauf un » des dirigeants supérieurs « paraissant » avoir été condamnés comme spécifié, «ne pourrait échapper à la dissolution ». L'article 6A(5), poursuivent les plaignants, donne au lieutenant-gouverneur siégeant en Conseil, après avoir arbitrairement dissous un syndicat, le pouvoir de saisie et de dévolution de ses biens. Il peut transmettre ces biens au Trésor de la province; il peut les attribuer à un employeur ou à l'Armée du Salut, ou encore les «distribuer parmi les membres du Conseil exécutif ou de l'Assemblée législative». D'après une interprétation possible des mots « hors de la province », un syndicat purement terre-neuvien, n'étant affilié à aucun organisme extérieur à la province, resterait, selon les plaignants, entièrement en dehors de l'application de l'article 6A « même si tous ses dirigeants supérieurs, agents ou représentants, avaient été condamnés pour tous les crimes imaginables ». L'article, concluent les plaignants, a aussi un caractère discriminatoire en ce qu'il ne s'applique pas aux syndicats purement terre-neuviens mais uniquement aux syndicats nationaux et internationaux dont l'exclusion complète de la province pourrait bien s'ensuivre.
- 90. Les plaignants analysent ensuite le texte du nouvel article 11 de la loi principale modifié. Ils rappellent que, jusqu'alors, l'accréditation d'un agent négociateur en matière de négociations collectives ne pouvait être révoquée que si le Conseil des relations ouvrières estimait que «l'agent négociateur accrédité ne représentait plus la majorité des travailleurs salariés de l'unité pour laquelle il était accrédité», le caractère représentatif de l'agent étant aussi le seul critère entrant en ligne de compte pour l'octroi de l'accréditation. Le nouveau paragraphe II a pour effet, selon les plaignants, d'«élargir indûment la gamme des motifs de révocation de l'accréditation de syndicats». Le nouvel article Il (I) a) ii) autorise la révocation lorsque le Conseil estime que «l'employeur a cessé d'être l'employeur des salariés de l'unité pour laquelle il a été accrédité ». Les plaignants estiment que cette clause est de nature à encourager tout employeur peu scrupuleux à éluder les obligations qui lui incombent aux termes d'une convention collective en faisant exécuter le travail par des sous-entrepreneurs, en vendant son affaire ou en changeant le nom du propriétaire.
- 91. Selon les plaignants, le nouvel article 11 (1) e) autorise le Conseil des relations ouvrières à révoquer l'accréditation «si une injonction autre qu'une injonction provisoire a été prononcée contre tout... membre» agissant ou n'agissant pas au nom de l'agent négociateur et indépendamment de la question de savoir s'il s'était conformé à l'injonction ou s'il l'avait violée, tandis que l'article 11(2) dote le lieutenant-gouverneur siégeant en Conseil du pouvoir arbitraire de révoquer une accréditation, sans aucune espèce de procédure, sans organiser d'audience publique, sans même être obligé de donner une raison quelconque, ce qui lui permet de passer par-dessus les décisions du Conseil des relations ouvrières et de se débarrasser de sa juridiction. L'article 11(3) interdit au Conseil d'accorder l'accréditation à aucun syndicat de n'importe quelle unité de négociation, lorsque le lieutenant-gouverneur siégeant en Conseil a révoqué l'accréditation d'un syndicat déterminé, d'une unité de négociation collective déterminée, sauf avec l'autorisation du lieutenant-gouverneur siégeant en Conseil. A ces différents égards, le lieutenant-gouverneur siégeant en Conseil, doté de pouvoirs plus étendus, se substitue en fait au tribunal administratif créé aux termes de la loi principale.
- 92. Le nouvel article 43 A (I) a) dispose ce qui suit: «Aucun syndicat et aucun corps, groupement ou organisation de syndicats et aucun dirigeant, membre, agent ou représentant d'un syndicat ou d'un corps, groupement ou organisation de syndicats ne peut autoriser, conseiller, agir par procuration, aider ou inciter une personne physique quelle qu'elle soit, et aucune personne physique ne peut inciter ou encourager une autre personne physique à entreprendre un refus concerté d'utiliser, de manufacturer, de transporter ou autrement de manutentionner ou de traiter des marchandises ou des matériaux, ou d'exécuter des services quelconques, afin d'obliger un employeur quel qu'il soit ou toute autre personne à cesser d'utiliser, de vendre, de manutentionner, de transporter ou autrement de traiter les produits ou de cesser d'être en relations d'affaires avec une autre personne ». Comment, demande le plaignant, un syndicat ou ses membres pourraient-ils se mettre en grève sans « un refus concerté de manufacturer» (dans une industrie manufacturière), de « transporter » (dans une industrie de transport), de « traiter des marchandises ou des matériaux » (dans n'importe quelle industrie autre qu'une industrie de service) ou « d'exécuter des services quelconques» « afin d'obliger » leur employeur ou des employeurs « à cesser... de vendre, de manutentionner, de transporter... ou de cesser d'être en relations d'affaires avec tous les clients de l'employeur ou des employeurs ». Le plaignant estime que «cette disposition de la loi rend toute grève légale absolument impossible dans la juridiction de la législature de Terre-Neuve».
- 93. Aux termes du nouvel article 52 (A), déclarent ensuite les plaignants, les syndicats peuvent être poursuivis en justice (les syndicats eux-mêmes ne peuvent pas poursuivre), non seulement pour les actes délictueux commis par un syndicat ou en son nom, mais aussi pour des actes délictueux qui ont été « prétendument » commis.
- 94. Dans leur pétition, les plaignants font état d'une jurisprudence abondante pour montrer que la loi contient des dispositions semblables à des dispositions analogues d'autres lois qui ont amené le pouvoir fédéral à annuler ces dernières, qu'elle constitue une négation des droits fondamentaux des travailleurs, qu'elle est contraire à la politique du Dominion et à l'intérêt public du Canada.
- 95. L'autre mesure législative qui fait l'objet des critiques des plaignants est la loi no 2 du 6 mars 1959 sur les syndicats (dispositions exceptionnelles), aux termes de laquelle, l'accréditation de l'Union internationale des travailleurs américains du bois a été révoquée. La loi dispose également que le syndicat ne pourra pas présenter de nouvelle demande d'accréditation sans obtenir au préalable le consentement du lieutenant-gouverneur siégeant en Conseil et que le Conseil des relations ouvrières ne pourra pas accorder d'accréditation sans ce même consentement.
- 96. Les plaignants déclarent que les actes du premier ministre de Terre-Neuve et de son gouvernement ont privé les travailleurs du droit d'appartenir aux syndicats qu'ils ont librement choisis pour les représenter et que le premier ministre a organisé sous les auspices du gouvernement un syndicat avec lequel les entreprises ont maintenant conclu des conventions collectives. Ces actes, déclare le plaignant, sont contraires aux principes énoncés dans la Déclaration de Philadelphie et contredisent, d'une manière flagrante, la lettre et l'esprit de la convention de 1948 (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical.
- 97. Le plaignant fait état d'un certain nombre de documents: extraits de discours, copie de la législation mentionnée plus haut, copie de la pétition du syndicat demandant le rejet de la législation, coupures de presse, etc.
- 98. Dans sa réponse en date du 4 janvier 1960, le ministre du Travail du Canada a informé le Directeur général qu'il avait avisé le premier ministre de Terre-Neuve qu'il serait heureux de recevoir les observations que ce dernier pourrait souhaiter voir transmises en son nom au sujet de la plainte et qu'il transmettait par sa lettre le texte des observations reçues de lui.
- 99. Le Comité a observé que, bien qu'ayant transmis sur le cas les observations du gouvernement de Terre-Neuve, le gouvernement du Canada s'était lui-même abstenu de présenter des observations ou commentaires. Tout en ayant conscience des questions susceptibles de se poser, le Comité souhaiterait recevoir également les observations du gouvernement du Canada, qui est le Membre de l'Organisation internationale du Travail mis en cause.
- 100. Dans ses observations, le premier ministre de Terre-Neuve confirme que l'Union internationale des travailleurs américains du bois a agi légitimement jusqu'au moment de la grève et de son renvoi. Le premier ministre soutient ensuite que le syndicat a incité les grévistes à violer la loi et que l'Union a imposé, « durant plus de cinq semaines, un véritable règne de terreur ». En vue de s'opposer au recours à la violence que le syndicat a encouragé et organisé, le premier ministre de Terre-Neuve déclare que le texte législatif a été promulgué pour annuler l'accréditation du syndicat et lui retirer son privilège de négocier avec les employeurs au nom de ses membres. Le premier ministre poursuit en déclarant: «Le droit d'organisation, d'action syndicale, d'entamer des négociations avec les employeurs et de conclure avec eux des accords, et généralement d'agir comme un syndicat, n'a pas été violé, mais un nouveau syndicat, la Confrérie des travailleurs du bois de Terre-Neuve, a été organisé, ce syndicat a conclu des contrats par voie de négociation et le nombre de ses membres est plus élevé que celui de l'Union internationale des travailleurs américains du bois. Le premier ministre estime que son initiative consistant à supprimer l'accréditation du syndicat a été approuvée presque à l'unanimité par le Parlement et l'opinion publique, l'action illicite du syndicat ayant montré qu'il n'était pas en mesure de jouir du monopole de représenter les travailleurs forestiers. En conclusion, le ministre déclare qu'il est disposé à donner toute l'assistance nécessaire à l'O.I.T au cas où cette organisation déciderait d'envoyer des experts à Terre-Neuve pour qu'ils y mènent une enquête impartiale en la matière.
- 101. Le Comité a observé que les plaignants soutiennent que les mesures du premier ministre de Terre-Neuve sont en contradiction avec les principes énoncés dans la convention de 1948 (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical. Cette convention n'a pas été ratifiée par le Canada, mais le Comité estime, comme il l'a fait pour le cas no 102 relatif à l'Union sud-africaine, opportun de souligner que la Déclaration de Philadelphie, qui maintenant fait partie intégrante de la Constitution de l'Organisation internationale du Travail, et dont les buts et objectifs qu'elle énonce figurent parmi ceux dont la réalisation justifie l'existence de l'Organisation, comme l'indique l'article 1 de la Constitution, tel qu'il a été modifié à Montréal en 1946, reconnaît « l'obligation solennelle pour l'Organisation internationale du Travail de seconder la mise en oeuvre parmi les différentes nations du monde de programmes propres à réaliser... la reconnaissance effective du droit de négociation collective et la coopération des employeurs et de la main-d'oeuvre pour l'amélioration continue de l'organisation de la production, ainsi que la collaboration des travailleurs et des employeurs à l'élaboration et à l'application de la politique sociale et économique ». Dans ces conditions, le Comité, comme dans le cas no 102, considère «qu'il devrait, en prenant la responsabilité d'appliquer ces principes qui lui a été confiée, être guidé dans sa tâche en s'inspirant entre autres des dispositions en rapport avec ces principes que la Conférence a approuvées et incorporées dans la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et dans la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, qui permettent d'établir une base de comparaison lorsqu'il s'agit d'examiner telle ou telle allégation et plus particulièrement lorsque les membres de l'Organisation sont tenus, en vertu de l'article 19 (5) e) de la Constitution, de faire rapport au Directeur général du Bureau international du Travail, à des périodes appropriées, selon ce que décidera le Conseil d'administration sur l'état de leur législation et sur la pratique concernant la question qui fait l'objet de la convention, en précisant dans quelle mesure l'on a donné suite ou l'on se propose de donner suite à toute disposition de la convention par voie législative, par voie administrative, par voie de contrats collectifs ou par toute autre voie, et en exposant quelles difficultés empêchent ou retardent la ratification de telles conventions ». Le Canada est un des gouvernements qui a rempli ses obligations à la demande du Conseil d'administration en ce qui concerne la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948. Le Comité, tout en reconnaissant que le Canada n'est pas lié par les dispositions desdites conventions, a estimé devoir examiner les allégations qui sont en rapport avec ces conventions et qui ont été formulées dans le présent cas, en vue de vérifier le bien-fondé des faits et d'en faire rapport au Conseil d'administration.
- 102. Les allégations formulées dans le présent cas soulèvent des problèmes quant à l'application de plusieurs principes incorporés dans la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948. L'article 2 de la convention énonce le principe selon lequel les travailleurs ont le droit, sans autorisation préalable, de constituer des organisations de leur choix ainsi que celui de s'affilier à ces organisations à la seule condition de se conformer aux statuts de ces dernières. L'article 3 dispose que les organisations de travailleurs ont le droit d'élire librement leurs représentants, d'organiser leur gestion et leur activité et de formuler leur programme d'action et que les autorités publiques doivent s'abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l'exercice légal. Le principe selon lequel les organisations de travailleurs ne sont pas sujettes à dissolution ou à suspension par voie administrative, est énoncé à l'article 4. Selon l'article 5, les organisations de travailleurs ont le droit de constituer des fédérations et des confédérations ainsi que celui de s'y affilier et, aux termes de l'article 6, lesdits principes s'appliquent aux fédérations et aux confédérations des organisations de travailleurs. Enfin, l'article 8 dispose que, tout en exerçant les droits qui leur sont reconnus par la présente convention, les travailleurs et leurs organisations sont tenus, à l'instar des autres personnes ou collectivités organisées, de respecter la légalité, et que la législation nationale ne devra porter atteinte ni être appliquée de manière à porter atteinte aux garanties prévues par la présente convention.
- 103. Ces principes figurent au nombre de ceux dont le Comité devrait tenir compte ainsi qu'il l'a déjà fait dans de nombreux cas, et ce, que la convention ci-dessus ait été ratifiée ou non par l'Etat intéressé, dans son examen sur la matière des allégations formulées.
- 104. Le Comité a déjà souligné, par exemple, à diverses reprises, l'importance qu'il attachait au principe selon lequel les travailleurs devraient avoir le droit de constituer des organisations « de leur choix » et de s'affilier à ces organisations. Dans le présent cas, le Comité a estimé devoir examiner, à la lumière de ce principe généralement accepté, les allégations concernant les dispositions législatives qui ont été prises à Terre-Neuve relatives à la dissolution des organisations et à la suppression de l'accréditation de l'Union internationale des travailleurs américains du bois.
- 105. Dans le cas no 20 (Liban), le Comité a recommandé au Conseil d'administration d'attirer l'attention sur le fait que le droit qu'ont les travailleurs de constituer des organisations de leur choix ainsi que celui de s'affilier à ces organisations «sans autorisation préalable» est un des fondements du principe de la liberté syndicale. Il semblerait que les conditions auxquelles la loi subordonne la réaccréditation de l'Union internationale des travailleurs américains du bois, ainsi que certains éléments de l'allégation, appellent examen, à la lumière du principe énoncé ci-dessus et d'autres principes généralement acceptés, notamment celui selon lequel le refus ou l'annulation d'accréditation ne devrait jamais être laissé à la discrétion des autorités publiques et devrait, dans tous les cas, donner la possibilité à l'organisation intéressée de faire appel aux tribunaux ordinaires.
- 106. Une bonne part des allégations soulève la question de l'application du principe selon lequel les travailleurs et leurs organisations devraient avoir le droit d'élire librement leurs représentants, principe dont le Comité a plus d'une fois souligné l'importance. Ainsi, parmi les allégations qu'il convient d'examiner à la lumière de ce principe et d'autres principes, il y a lieu de se pencher sur celles qui ont trait au discours prononcé par le premier ministre de Terre-Neuve en février 1959 et aux mesures qui ont été prises par la suite contre l'Union internationale des travailleurs américains du bois et aux dispositions législatives concernant l'accréditation et l'annulation d'accréditation des syndicats.
- 107. Dans un certain nombre de cas, le Comité a souligné l'importance qu'il attache au principe généralement accepté selon lequel les autorités administratives ne devraient pas être en mesure de suspendre ou de dissoudre les organisations de travailleurs et d'employeurs, principe à la lumière duquel il convient, semble-t-il, d'examiner les dispositions de la nouvelle législation de Terre-Neuve, relatives à la dissolution des syndicats.
- 108. En ce qui concerne les allégations relatives à l'affectation des avoirs des organisations dissoutes, le Comité a rappelé que, parmi les principes qu'il a formulés dans des cas semblables, il a souligné que lorsqu'une organisation est dissoute, ses avoirs devraient être temporairement mis sous séquestre et finalement distribués parmi ses anciens membres ou transférés à l'organisation qui lui succède.
- 109. Il semblerait en outre que les allégations concernant les mesures qui ont été prises en vue de former un nouveau syndicat des travailleurs du bois et le rôle que, prétend-on, le premier ministre et le gouvernement de Terre-Neuve ont joué à cet égard, pourraient donner lieu à un examen à la lumière des principes énoncés ci-dessus, à savoir: le droit qu'ont les travailleurs de s'affilier à des organisations de leur choix, le droit qu'ils ont d'élire librement leurs représentants, le principe selon lequel les autorités publiques devraient s'abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l'exercice légal. Le cas dans son ensemble ou du moins en très grande partie, devrait, semble-t-il, faire l'objet d'un examen à la lumière du principe selon lequel la législation nationale ne devrait porter atteinte ni être appliquée de manière à porter atteinte aux divers droits et principes généralement acceptés qui sont énoncés dans la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948.
- 110. Néanmoins, avant d'être en mesure de poursuivre plus avant l'examen des diverses questions complexes et techniques que soulèvent les allégations dont il est actuellement saisi, le Comité estime nécessaire d'obtenir des renseignements supplémentaires sur plusieurs questions que ces allégations ont soulevées. En outre, conformément à la pratique qu'il a toujours suivie et qui consiste à demander aux gouvernements qui, dans leurs réponses, ont mentionné en termes généraux les actes de violence ou les actes illégaux commis par les organisations plaignantes ou leurs membres de bien vouloir fournir des renseignements plus détaillés sur de tels actes, le Comité estime qu'il y aurait lieu de chercher à obtenir des renseignements plus complets au sujet des actes de violence et des actes illicites que, selon le premier ministre de Terre-Neuve, l'Union internationale des travailleurs américains du bois et ses membres ont commis au cours de la grève.
- 111. Une des questions d'importance fondamentale qui s'attachent à l'examen du cas semble être encore en suspens : le plaignant a demandé au gouverneur- général du Canada en Conseil de rejeter la législation qui contient les dispositions auxquelles ont directement trait les allégations les plus importantes.
- 112. Dans des cas précédents, le Comité n'a pas adopté la pratique consistant à examiner les questions qui font l'objet de procédures judiciaires en cours, lorsque lesdites procédures étaient assorties de garanties judiciaires suffisantes, car les débats judiciaires pouvaient fournir des éléments d'informations utiles au Comité dans l'appréciation du bien-fondé des allégations.
- 113. Dans le présent cas, il n'existe aucune procédure légale en cours au sens habituel du terme, mais les plaignants ont demandé au gouvernement du Canada d'exercer un pouvoir constitutionnel; cependant, du point de vue du Comité, en ce qui concerne les éléments qu'il devrait avoir à sa disposition pour se prononcer en connaissance de cause, les circonstances du cas sont semblables à celles qui l'ont amené à prendre les décisions mentionnées au paragraphe 112 ci-dessus. Dans l'un des cas mentionnés, notamment celui qui a trait à la Sarre (cas no 51), le rapprochement est encore plus étroit, le Comité ayant ajourné son examen en attendant le résultat de la décision de la Commission de la Constitution de la Diète sur la question de la constitutionnalité d'une loi, dont les dispositions ont fait l'objet de plaintes.
- 114. Dans le présent cas, le Comité, avant d'examiner les allégations quant au fond, décide de demander au gouvernement du Canada de bien vouloir lui faire savoir s'il désire faire une déclaration au sujet de la requête des plaignants selon laquelle le gouvernement du Canada devrait, en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés, rejeter la législation de Terre-Neuve.
B. B. Conclusions du comité
B. B. Conclusions du comité
- 115. Le Comité note avec un intérêt particulier la suggestion du premier ministre de Terre-Neuve selon laquelle il serait indiqué que le B.I.T envoie des personnes hautement qualifiées à Terre-Neuve pour qu'elles y mènent une enquête sur la question de fond de la plainte et prend note, avec une satisfaction particulière, de l'assurance du ministre, selon laquelle « il serait heureux » d'aider ces personnes « dans leur examen approfondi et impartial de ces questions ». Le Comité estime toutefois qu'avant de donner un avis au Conseil d'administration sur les conditions dans lesquelles une telle invitation pourrait être acceptée, il serait souhaitable que le gouvernement du Canada lui fasse savoir s'il a une déclaration nouvelle à faire à ce sujet et qu'il soit saisi d'informations plus détaillées sur plusieurs questions soulevées par les allégations, qu'il y aurait lieu d'examiner au cours d'une telle enquête. A cet égard, le Comité, tenant compte du fait que c'est le gouvernement fédéral du Canada et non ceux des provinces de ce pays qui est, du point de vue international, responsable des relations entre le Canada et l'Organisation internationale du Travail, a décidé de demander au gouvernement du Canada de bien vouloir lui communiquer ou lui obtenir les observations du gouvernement de Terre-Neuve sur certaines allégations concernant les allégations contenues dans la plainte et qui sont étudiées aux paragraphes 82 à 96 ci-dessus, à la lumière des principes généraux énoncés aux paragraphes 102 à 109 ci-dessus et des renseignements plus détaillés sur les actes de violence et les actes illicites que, selon la réponse du premier ministre, l'Union internationale des travailleurs américains du bois et ses membres ont commis au cours de la grève.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 116. En attendant de recevoir ces informations complémentaires, le Comité recommande au Conseil d'administration de prendre note du présent rapport intérimaire.