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Rapport intérimaire - Rapport No. 28, 1958

Cas no 159 (Cuba) - Date de la plainte: 20-DÉC. -56 - Clos

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  1. 111. Par deux communications datées respectivement des 20 décembre 1956 et 7 mars 1957 - la première ayant été adressée au Secrétaire général des Nations Unies et transmise par ce dernier à l'O.I.T. - la Confédération des travailleurs d'Amérique latine et la Fédération syndicale mondiale ont formulé une série d'allégations selon lesquelles il aurait été porté atteinte à l'exercice des droits syndicaux à Cuba. Ces allégations peuvent être résumées de la façon suivante. La réglementation des élections syndicales portée par les décrets no 65 du 20 janvier 1951 et no 1559 du 19 juin 1956 constituerait une intervention de l'Etat dans un domaine où l'on reconnaît en général aux organisations le droit d'établir elles-mêmes les dispositions statutaires pertinentes ; ces décrets seraient contraires aux droits reconnus aux organisations syndicales par l'article 3 de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, à savoir : droits d'organiser librement leurs activités et d'élire leurs représentants. Des actes de violence auraient été commis contre des syndicalistes; les plaignants donnaient notamment le nom de plusieurs personnes qui auraient trouvé la mort. Le droit de réunion ne serait pas respecté ; un congrès de la Confédération des travailleurs cubains se serait déroulé sous surveillance policière. Enfin, des allégations étaient formulées relativement au blocage des salaires, au congédiement de travailleurs et à la violation des droits de l'homme.
  2. 112. Le gouvernement a fait parvenir ses observations par deux communications en date des 6 et 7 mai 1957 ; il a également - à la suite d'une demande formulée par le Comité à sa dix-septième session (Genève, mai 1957) - fourni sur plusieurs points certaines informations complémentaires dans une lettre datée du 20 août 1957.

A. A. Allégations des organisations plaignantes

A. A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 113. A sa dix-huitième session (Genève, octobre 1957), le Comité a examiné le cas dans son ensemble et a formulé certaines conclusions et recommandations qui sont consignées dans son vingt-septième rapport. Ce rapport a été adopté par le Conseil d'administration à sa 137ème session (Genève, octobre-novembre 1957). En ce qui concerne les allégations relatives au blocage des salaires, à des congédiements et à des violations des droits de l'homme, le Comité a recommandé au Conseil d'administration de décider que ces allégations n'appelaient pas un examen plus approfondi. En ce qui concerne les allégations relatives au droit de réunion, le Comité a recommandé au Conseil d'administration d'attirer l'attention du gouvernement sur le fait qu'une intervention policière au cours d'un congrès syndical constitue une violation de la liberté syndicale et un acte contraire à l'article 3 de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, qui a été ratifiée par Cuba. En ce qui concerne les allégations relatives à une intervention de l'Etat dans les élections syndicales, le Comité a recommandé au Conseil d'administration d'attirer l'attention du gouvernement de Cuba sur le fait que la réglementation des élections contenue dans les décrets no 65 de 1951 et no 1559 de 1956 est incompatible avec les garanties qui sont accordées aux syndicats par la convention no 87, qui a été ratifiée par Cuba, et en particulier avec les dispositions selon lesquelles les « organisations de travailleurs et d'employeurs ont le droit d'élire librement leurs représentants et d'organiser leur gestion et leurs activités » et selon lesquelles « les autorités publiques doivent s'abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l'exercice légal » et de demander au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour mettre sa législation en harmonie avec ces dispositions de la convention. Quant aux allégations relatives aux violences exercées contre des syndicalistes, le Comité a recommandé au Conseil d'administration de prier le gouvernement de Cuba de fournir de toute urgence des informations précises sur les circonstances dans lesquelles les personnes nommément mentionnées par les plaignants ont trouvé la mort et tout particulièrement sur les conclusions des instructions entreprises sur ces faits, étant entendu que le Comité présenterait un nouveau rapport sur ces allégations lorsqu'il aurait reçu du gouvernement les informations demandées.
    • ANALYSE DES OBSERVATIONS DU GOUVERNEMENT
  2. 114. Par cinq communications datées des 12 novembre, 9 décembre (deux communications), 10 et 13 décembre 1957, le gouvernement cubain a fait parvenir au Bureau un certain nombre d'observations sur les conclusions adoptées par le Comité et par le Conseil d'administration ainsi que des informations complémentaires sur les points pour lesquels le Comité avait sollicité de telles informations.
  3. 115. En premier lieu, le gouvernement déclare formellement que, contrairement à ce qui ressort des conclusions du Comité et du Conseil d'administration, il n'a jamais reconnu qu'il y ait eu une intervention policière ou militaire au cours d'un congrès syndical. A son avis, rien dans les observations qu'il avait présentées relativement aux allégations des plaignants ne permettait de déduire de sa part une telle reconnaissance. Il ne peut donc s'agir - déclare le gouvernement - que d'une interprétation erronée, voire malveillante en ce sens qu'elle viserait à altérer la vérité. Le gouvernement affirme qu'en fait, ni la police ni les corps de sécurité et moins encore l'armée n'ont pénétré dans les locaux où se tenait le congrès syndical dont il est question dans la plainte de la Confédération des travailleurs d'Amérique latine ; seule la rue a été soumise à une surveillance dans le but exclusif de prévenir tout désordre éventuel.
  4. 116. D'autre part, le gouvernement conteste la validité du raisonnement qui a conduit le Comité à formuler la recommandation contenue au paragraphe 380 a) de son vingt-septième rapport en ce qui concerne la réglementation des élections syndicales contenue dans des décrets de 1951 et de 1956. D'après lui, les décrets incriminés ne constituent en rien des instruments de subordination des syndicats. A l'appui de cette affirmation, le gouvernement déclare que, du reste, la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations n'a jamais considéré ces textes comme portant atteinte à la liberté syndicale. Le gouvernement indique enfin que ces deux décrets, édictés en vue de résoudre une situation momentanée, ont depuis été abrogés.
  5. 117. Enfin, en réponse à la demande d'informations complémentaires formulée par le Comité dans le paragraphe 380 f) de son vingt-septième rapport, le gouvernement fournit les renseignements suivants. Après enquête ouverte par plusieurs juridictions d'instruction pour assassinat dans les cas de MM. Alejo Tomás, Héctor Infante Pérez, Isaac Hernández Oliver, Loynaz Hecheverria et Luis Sera Moreno, les tribunaux devant lesquels ces affaires avaient été portées se sont déclarés incompétents et s'en sont dessaisis en faveur de la justice militaire. En ce qui concerne le cas de M. Armando Guzmán Guidi, l'enquête ouverte pour assassinat par le tribunal d'instruction compétent a abouti à un non-lieu provisoire en application de la disposition no 2 de l'article 641 de la loi de procédure criminelle étant donné qu'il a été impossible de découvrir la ou les personnes qui ont pris part au fait comme auteurs, complices ou receleurs. Pour les mêmes raisons, un non-lieu a également été prononcé dans les cas de MM. Antonio Valencio Consuegro et Antonio Concepción Paradio. En ce qui concerne le cas de M. Miguel Torres Suárez, le décès de ce dernier ayant été établi par les dossiers de la juridiction compétente, une enquête a été ouverte par ladite juridiction, qui n'est pas encore terminée. En ce qui concerne enfin les cas de MM. Germánico Mendoza, Ramón Concepción Cue, Amaranto Fransua, Luis Frits, Miguel Mordago et Enrique Morgan, le gouvernement déclare qu'ils ne sont pas mentionnés dans les procès-verbaux introductifs du mois de décembre 1956.

B. B. Conclusions du comité

B. B. Conclusions du comité
  1. 118. Le gouvernement conteste catégoriquement qu'il ait reconnu une intervention policière ou militaire au cours d'un congrès syndical. Cette objection vise le paragraphe 380 b) du vingt-septième rapport du Comité, où celui-ci s'est exprimé en ces termes:
    • [Le Comité recommande au Conseil d'administration] d'attirer l'attention du gouvernement de Cuba sur le fait qu'une intervention policière et militaire au cours d'un congrès syndical, comme celle qu'a reconnue le gouvernement, constitue une violation de la liberté syndicale et un acte incompatible avec l'article 3 de la convention no 87 ratifiée par Cuba.
  2. 119. Les raisons qui ont incité le Comité à formuler ainsi ses conclusions sont les suivantes. En réponse à une allégation spécifique selon laquelle une telle intervention aurait eu lieu, le gouvernement, sans reconnaître explicitement l'intervention qui lui était reprochée dans ce cas concret, n'a pas non plus contesté cette allégation, mais a, au contraire, admis le principe de l'intervention en précisant qu'il le considérait comme justifié. Les observations du gouvernement à cet égard étaient en effet ainsi conçues : « ... particulièrement dans les périodes d'agitation politique, d'insurrection et de terrorisme, les activités syndicales doivent être soumises à la surveillance de la police nationale et des corps de sécurité... » Dans ces conditions, le Comité a considéré que le fait, pour le gouvernement, de s'être abstenu de contester l'intervention qui lui était imputée, s'ajoutant à la prise de position de ce gouvernement en faveur du principe d'une surveillance par la police, équivalait à une reconnaissance de sa part du fait qu'une telle intervention s'était effectivement produite.
  3. 120. Depuis l'adoption des conclusions du Comité par le Conseil d'administration, le gouvernement a fourni des renseignements complémentaires, contenant un élément nouveau, d'où il parait ressortir que l'intervention qui lui était reprochée n'a pas effectivement eu lieu.
  4. 121. Dans ces conditions, tout en affirmant que toute intervention policière ou militaire dans des activités syndicales authentiques serait contraire à l'article 3 de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, le Comité a noté des observations plus détaillées fournies par le gouvernement depuis l'adoption du vingt-septième rapport du Comité par le Conseil d'administration, observations selon lesquelles, dans le cas spécifique mentionné par les plaignants, l'intervention qui était reprochée au gouvernement ne se serait pas effectivement produite.
  5. 122. Le gouvernement déclare que les deux décrets relatifs à la réglementation des élections syndicales, que le Comité et le Conseil d'administration avaient jugés incompatibles avec les dispositions de la convention no 87, ratifiée par Cuba, ne constituent absolument pas des instruments de subordination des syndicats. Pour étayer ce point de vue, le gouvernement déclare que la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations n'a jamais considéré ces textes comme portant atteinte à la liberté syndicale. Il est exact que la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations, qui a présenté au gouvernement de Cuba des observations sur certains points (droits syndicaux des fonctionnaires et employés de l'Etat, des provinces et municipalités, interdiction générale de toute activité politique des syndicats, présence d'un fonctionnaire aux réunions syndicales), n'a pas présenté de commentaires sur les décrets en question. Il convient toutefois de signaler que, si la Commission d'experts n'a pas pu faire d'observations sur les deux décrets en question, cela s'explique du fait que ces décrets n'ont jamais été mentionnés par le gouvernement dans les rapports qu'il a fournis, au titre de l'article 22 de la Constitution de l'O.I.T, sur l'application de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et de la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949. Bien plus, lorsque la Commission d'experts a, en 1956, demandé expressément, dans une de ses observations présentées au gouvernement de Cuba, s'il existait dans la législation nationale « des dispositions relatives à l'élection des dirigeants syndicaux », le gouvernement, dans sa réponse, n'a fait allusion à aucun des textes aujourd'hui incriminés. Enfin, lorsque le projet de monographie établi sur Cuba dans le cadre de l'enquête du Comité de l'indépendance des organisations d'employeurs et de travailleurs - projet qui ne mentionnait pas non plus les deux décrets en question - a été communiqué au gouvernement cubain pour observations et que la demande lui eut été faite de signaler toute lacune éventuelle dans la liste des textes législatifs figurant en annexe au projet, le gouvernement s'est abstenu de mentionner les décrets dont il s'agit. On ne saurait donc interpréter l'absence de commentaires sur ces deux textes par la Commission d'experts pour l'application des conventions comme ayant constitué une approbation même tacite de leur contenu.
  6. 123. Les dernières observations du gouvernement cubain contiennent par ailleurs, sur cet aspect du cas, un élément nouveau qui modifie entièrement la situation. Le gouvernement y signale en effet que les deux décrets incriminés ont - depuis l'adoption du vingt-septième rapport du Comité - été abrogés. La fin du paragraphe 380 a) de son vingt-septième rapport, qui a été approuvé par le Conseil d'administration à sa 137ème session (octobre-novembre 1957), invitait le gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour mettre sa législation en harmonie avec les dispositions de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948. Or dans le décret d'abrogation (décret no 3509), dont le gouvernement joint le texte à sa communication du 9 décembre 1957, et qui, comme le gouvernement le précise dans sa lettre du 13 décembre 1957, a été publié dans le Journal officiel du 10 décembre 1957, il est dit notamment dans l'un des attendus que l'une des raisons justifiant l'abrogation des deux décrets en question réside dans le fait qu'ils pourraient être considérés comme incompatibles avec les exigences de la convention no 87. Dans ces conditions, le Comité note avec satisfaction la suite ainsi donnée par le gouvernement cubain à l'une de ses recommandations approuvées par le Conseil d'administration.
  7. 124. Dans ses dernières communications, le gouvernement répond enfin à la demande d'informations complémentaires formulée par le Conseil d'administration au sujet des violations qui auraient été exercées à l'encontre de syndicalistes. Des renseignements fournis par le gouvernement, il ressort que les cas des personnes nommément mentionnées par les plaignants ont fait l'objet, soit d'un renvoi devant la justice militaire par les tribunaux civils qui en avaient été saisis, soit d'un non-lieu provisoire en raison de l'impossibilité, quant à présent, d'établir les faits, soit d'une enquête non encore terminée, ou bien, enfin, n'ont pas encore fait l'objet d'une enquête. En d'autres termes, tous les cas en question sont encore en instance, et les informations du gouvernement revêtent la forme d'un rapport sur l'état d'avancement des procédures engagées.
  8. 125. Dans ces conditions, tout en remerciant le gouvernement des renseignements qu'il a bien voulu lui fournir sur l'état d'avancement des procédures engagées dans le cas des personnes nommément désignées dans les plaintes, le Comité recommande au Conseil d'administration de prier le gouvernement de Cuba de fournir des informations précises sur les circonstances dans lesquelles les personnes nommément désignées dans la plainte de la Fédération syndicale mondiale ont trouvé la mort et tout particulièrement sur les conclusions des instructions entreprises sur ces faits, étant entendu que le Comité présentera un nouveau rapport sur ces allégations aussitôt qu'il aura reçu les informations demandées.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 126. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration:
    • a) de prendre note des observations plus détaillées fournies par le gouvernement depuis l'adoption du vingt-septième rapport du Comité de la liberté syndicale par le Conseil d'administration, observations selon lesquelles, dans le cas spécifique mentionné par les plaignants, l'intervention policière au cours d'un congrès syndical reprochée au gouvernement ne se serait pas effectivement produite ;
    • b) de prendre note avec satisfaction de la déclaration du gouvernement selon laquelle les décrets no 65 de 1951 et no 1559 de 1956, jugés incompatibles par le Conseil d'administration avec les garanties accordées aux syndicats par la convention no 87, ont été abrogés, mesure qui donne suite à la recommandation formulée par le Conseil par laquelle il était demandé au gouvernement cubain de faire en sorte que sa législation soit mise en harmonie avec les dispositions de la convention ;
    • c) tout en remerciant le gouvernement des renseignements préliminaires qu'il a bien voulu déjà lui fournir sur la question, de prier ce gouvernement de fournir des informations sur les circonstances dans lesquelles les personnes nommément désignées dans la plainte de la Fédération syndicale mondiale ont trouvé la mort et tout particulièrement sur les conclusions des instructions entreprises sur ces faits, étant entendu que le Comité présentera un nouveau rapport sur cet aspect du cas aussitôt qu'il aura reçu les informations sollicitées du gouvernement.
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