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- 250. A sa dix-huitième session (Genève, octobre 1957), le Comité était saisi d'une série de plaintes alléguant qu'il serait porté atteinte à l'exercice des droits syndicaux en Algérie. Les conclusions présentées sur ces plaintes au Conseil d'administration par le Comité figurent au paragraphe 293 de son vingt-septième rapport, lequel a été adopté par le Conseil d'administration à sa 137ème session (Genève, octobre-novembre 1957).
- 251. Le Comité avait présenté sur certaines allégations un rapport intérimaire et avait demandé au gouvernement des informations complémentaires avant de formuler ses recommandations définitives au Conseil d'administration.
- 252. Depuis l'adoption du vingt-septième rapport du Comité par le Conseil d'administration, un certain nombre de communications émanant de différents groupements d'Allemagne orientale ont été reçues par le Directeur général ces communications, qui sont au nombre de neuf, se plaignent de la situation en Algérie.
- 253. Par ailleurs, depuis la dernière session du Comité et du Conseil d'administration, le gouvernement français, par une communication en date du 25 février 1958, a fait parvenir au Bureau les informations complémentaires sollicitées dans le vingt-septième rapport du Comité.
A. A. Allégations des organisations plaignantes
A. A. Allégations des organisations plaignantes
- Communications émanant de différents groupements d'Allemagne orientale
- 254 Un certain nombre de communications, conçues en termes généraux, ont été reçues par le Directeur général de différents groupements d'Allemagne orientale ; ces communications se plaignent de la situation en Algérie ; aucune d'entre elles ne se rapporte aux droits syndicaux, si ce n'est par des allusions brèves et vagues, mais elles consistent toutes essentiellement en de courtes protestations de caractère politique.
- Allégations relatives aux mesures prises contre des militants syndicaux
- 255 Les plaignants alléguaient que les autorités publiques prennent de sévères mesures antisyndicales et ont, notamment, procédé à l'arrestation ou à la déportation de nombreux dirigeants et militants syndicaux, dont les plaignants donnent des listes. L'un des plaignants alléguait en outre que trois militants syndicaux, MM. Ladjabi, Boudour et Bouzour, auraient été assassinés après leur arrestation le 27 mars 1956.
- Décisions du Comité
- 256 A sa dix-huitième session, le Comité avait notamment recommandé au Conseil d'administration:
- c) d'appeler l'attention du gouvernement de la France sur l'importance qu'il attache à ce que, lorsque des syndicalistes sont accusés de délits politiques ou criminels que le gouvernement considère comme étrangers à leurs activités syndicales, les personnes en question soient jugées promptement par une autorité judiciaire impartiale et indépendante ; d'exprimer le voeu que le gouvernement tiendra compte de ce principe et lui fera connaître en temps utiles les procédures légales et judiciaires qui auront pu être suivies dans le cas de celles des personnes mentionnées par les plaignants qui sont encore internées, et le résultat de telles procédures ;
- d) de charger le Directeur général d'obtenir, en son nom, du gouvernement de la France, des informations détaillées sur les circonstances qui ont conduit au décès de MM. Ladjabi, Boudour et Bouzour, si ce décès est effectivement survenu, étant entendu que le Conseil d'administration sera de nouveau saisi d'un rapport lorsque les informations sollicitées du gouvernement seront devenues disponibles.
- ANALYSE DE LA DERNIERE REPONSE DU GOUVERNEMENT
- 257 Par une communication en date du 25 février 1958, le gouvernement français a fait parvenir au Bureau certaines informations sur les points mentionnés par le Comité dans son vingt-septième rapport. Dans cette communication, le gouvernement indique notamment qu'il a « pris note de l'avis exprimé par le Comité de la liberté syndicale selon lequel « lorsque les syndicats décident, en se conformant aux lois et usages en vigueur dans leurs pays respectifs et à la volonté de leurs membres, d'établir des relations avec des partis politiques ou d'entreprendre une action politique pour favoriser la réalisation de leurs objectifs économiques et sociaux, ces relations ou cette action politique ne doivent pas être de nature à compromettre la continuité du mouvement syndical ou de ses fonctions sociales et économiques, quels que soient les changements politiques qui peuvent survenir dans le pays».
- 258 Répondant ensuite aux demandes précises du Comité, le gouvernement s'exprime en ces termes : « Le gouvernement français est en mesure de confirmer qu'aucune des personnes citées dans les communications des organisations syndicales n'a été poursuivie en raison de son rôle syndical. Les procédures légales ou judiciaires engagées visent des faits de participation active au terrorisme ou à la rébellion armée en Algérie. »
- 259 Le gouvernement précise ensuite : « C'est le cas notamment de Raymonde Peschard, présentée dans la lettre de la Confédération générale du travail en date du 29 décembre 1957 comme la victime d'une mesure administrative prise à seule fin de l'empêcher d'exercer ses fonctions syndicales. Or, le 13 février 1957, cette militante du Parti communiste algérien clandestin a fait l'objet d'un mandat d'arrêt du juge d'instruction près le tribunal de première instance d'Alger, des chefs de tentative d'homicide, de destruction d'édifices par explosifs. Bien qu'elle fût en fuite depuis août 1956, Raymonde Peschard bénéficia le 29 juin 1957 d'une ordonnance de non-lieu rendue sur réquisitions conformes du Parquet. Le 26 novembre 1957, au cours d'une action de rébellion conduite par un groupe rebelle dont elle faisait partie à quelques kilomètres de Médiana, l'intéressée a été tuée les armes à la main. Son corps a été identifié d'abord par les rebelles de la bande à laquelle elle appartenait, ensuite par son père, sa tante et son oncle. »
- 260 Le gouvernement donne en outre les indications suivantes : « Blanche Moine, membre suppléant du Comité central du Parti communiste algérien clandestin, inculpée d'association de malfaiteurs, a été condamnée le 3 août 1957 à dix ans de réclusion par le Tribunal militaire d'Oran. Cette peine a été commuée le 12 octobre 1957 en cinq ans de travaux forcés par le Tribunal permanent de cassation des forces armées à Alger. Serge Gex, militant du Parti communiste clandestin d'Oran, inculpé d'association de malfaiteurs et de détention illégale d'armes et de munitions de guerre, a été condamné le 3 août 1957 à quinze ans de réclusion par le Tribunal militaire d'Oran. Mohammed Boualen, militant du Parti communiste algérien clandestin d'Oran, inculpé d'association de malfaiteurs et de détention illégale d'armes et munitions de guerre, a été condamné le 3 août 1957 à quinze ans de travaux forcés par le Tribunal militaire d'Oran. Leonardo López, responsable de l'organisation clandestine du Parti communiste algérien clandestin d'Oran, inculpé d'association de malfaiteurs, a été condamné le 3 août 1957 à cinq ans de réclusion par le Tribunal militaire d'Oran. André Castel, militant du Parti communiste clandestin algérien, responsable d'un groupe terroriste, a été arrêté par les forces armées en juillet 1957, inculpé d'atteinte à la sûreté extérieure de l'Etat (tentative d'assassinat du général Massu) et écroué. Henri Domenech, secrétaire régional du Parti communiste algérien, inculpé d'association de malfaiteurs et de détention illégale d'armes et munitions de guerre, a été condamné le 12 octobre 1957 à cinq ans de travaux forcés par le Tribunal militaire d'Oran. »
- 261 En ce qui concerne MM. Ladjabi, Boudour et Bouzour, le gouvernement précise que les intéressés sont décédés dans les circonstances suivantes : « A la suite de l'assassinat d'un commissaire de police, d'importantes opérations de contrôle ont eu lieu à Constantine et un certain nombre de militants du Parti communiste clandestin, accusés d'activités terroristes, ont été arrêtés. Ali Boudour fut arrêté par la police le 29 mars et placé provisoirement sous la surveillance de l'armée. S'étant enfui, il a trouvé la mort alors qu'il se dissimulait dans le ravin de Rhummel, les sentinelles ayant tiré dans sa direction après les sommations d'usage. Le même jour, au cours de la même opération, MM. Ladjabi et Bouzour, arrêtés par la gendarmerie, étaient transférés à Kroubs ; à la faveur d'un arrêt du camion, ils tentèrent de désarmer leurs gardiens et de s'enfuir ; ils furent tués dans l'engagement qui s'ensuivit entre eux et les gendarmes de l'escorte. A la suite de ces trois décès, le Parquet de Constantine a été saisi. »
- 262 Le gouvernement précise que l'ensemble des faits rapportés ci-dessus sont sans rapport avec l'exercice des droits syndicaux et, par conséquent, ne relèvent pas de la compétence du Comité de la liberté syndicale ; il ajoute cependant n'avoir aucune objection à ce que ces faits soient portés à la connaissance du Comité.
B. B. Conclusions du comité
B. B. Conclusions du comité
- Communications émanant de différents groupements d'Allemagne orientale
- 263 Le Comité a observé que, si sept des neuf communications reçues sont présentées comme émanant de syndicats - les deux autres émanant de professeurs et d'instructeurs -, aucune d'entre elles ne se rapporte aux droits syndicaux, si ce n'est par des allusions brèves et vagues, mais elles consistent toutes essentiellement en de courtes protestations de caractère politique. Dans ces conditions, le Comité a estimé que les communications dont il s'agit ont un caractère si purement politique et ne se rapportent que si peu et que si accessoirement à l'exercice des droits syndicaux qu'elles n'appellent aucune suite dans le cadre de la procédure établie pour l'examen des plaintes en violation de la liberté syndicale.
- Allégations relatives aux mesures prises contre des militants syndicaux
- 264 En ce qui concerne l'allégation relative au décès de MM. Ladjabi, Boudour et Bouzour, le Comité avait rappelé à sa dix-huitième session que, dans les cas où la mort d'un homme était alléguée, il a toujours estimé qu'il lui était nécessaire d'obtenir les informations les plus complètes sur les circonstances qui ont conduit au décès des personnes mentionnées dans la plainte ; c'est pourquoi il avait demandé au gouvernement français de lui fournir toutes informations nécessaires sur cet aspect du cas. Le gouvernement a donné suite à cette demande par sa communication du 25 février 1958 analysée ci-dessus.
- 265 Le Comité a constaté tout d'abord que le gouvernement ne conteste pas le fait que MM. Ladjabi, Boudour et Bouzour aient trouvé la mort. Le gouvernement précise toutefois dans quelles circonstances : il apparaît qu'arrêtés en tant que militants du Parti communiste clandestin et à des fins de contrôle après l'assassinat d'un commissaire de police, les intéressés aient trouvé la mort en tentant de s'échapper.
- 266 Etant donné, d'une part, les déclarations du gouvernement, d'où il semble ressortir que l'arrestation des personnes en question - suivie de leur décès dans les circonstances précitées - a été étrangère à la qualité de syndicalistes des intéressés ou aux activités qu'ils ont pu déployer en tant que tels ; étant donné, d'autre part, que les allégations du plaignant se bornent à faire état du décès de MM. Ladjabi, Boudour et Bouzour sans déclarer que celui-ci a été la conséquence de leurs activités ou de leur qualité syndicales, le Comité estime que les plaignants n'ont pas apporté de preuves suffisantes tendant à montrer qu'il y aurait eu, en l'occurrence, atteinte à la liberté syndicale et recommande donc au Conseil d'administration de décider que cet aspect du cas ne mérite pas de sa part un examen plus approfondi.
- 267 En ce qui concerne le cas de Raymonde Peschard, au sujet de laquelle les plaignants alléguaient qu'elle aurait été victime d'une mesure administrative prise à seule fin de l'empêcher de remplir ses fonctions syndicales, le gouvernement indique de façon très détaillée et très circonstanciée dans quelles circonstances cette personne a tout d'abord été poursuivie et a, par la suite, trouvé la mort. L'intéressée - déclare le gouvernement - a été tuée les armes à la main alors qu'elle prenait part à une opération déclenchée par une bande rebelle.
- 268 Dans ces conditions, comme dans le cas de MM. Ladjabi, Boudour et Bouzour, le Comité a estimé que le plaignant n'a pas apporté la preuve que Raymonde Peschard ait fait l'objet de mesures prises en raison de son activité ou de sa qualité syndicale et recommande au Conseil d'administration de décider que cet aspect du cas n'appelle aucune action de sa part.
- 269 En ce qui concerne la condamnation et la détention des personnes mentionnées par les plaignants, la seule question qui se pose est celle de savoir quelle est la véritable raison de ces mesures. Comme il l'avait fait dans un cas antérieur, le Comité estime que si l'allégation d'après laquelle les personnes en question ont été réellement arrêtées pour des activités syndicales était fondée, il y aurait là une limitation incontestable de la liberté syndicale des travailleurs.
- 270 Le Comité a noté que les peines infligées aux personnes mentionnées nommément dans la réponse du gouvernement ne semblaient pas être le résultat de décisions arbitraires, mais ont été prononcées par des tribunaux militaires comprenant une seconde instance devant laquelle certains des intéressés ont d'ailleurs fait appel avec un certain succès, leurs peines ayant été commuées en des peines moins lourdes. Dans les cas cités par le gouvernement dans sa réponse, celui-ci donne en outre les motifs pour lesquels les personnes intéressées ont été arrêtées. Ces motifs étaient les suivants : association de malfaiteurs, détention d'armes de guerre et de munitions de guerre. Le gouvernement ajoute que toutes les personnes en question militaient, dans la clandestinité, dans les rangs du Parti communiste qui a été déclaré illégal en Algérie.
- 271 Il ressort assez clairement de la réponse gouvernementale que les faits reprochés aux personnes intéressées sont étrangers à l'exercice de la liberté syndicale et constituent des actes subversifs relevant de la rébellion armée. Le Comité avait abouti à la même conclusion dans un certain nombre de cas antérieurs. Ainsi, dans le cas no 6 (Iran), les personnes traduites devant les tribunaux militaires étaient accusées des faits suivants : entretenir des intelligences avec une armée étrangère et travailler dans l'intérêt de celle-ci, organiser des bandes terroristes, commettre des assassinats et des atteintes dont le but était d'exciter les citoyens à la guerre civile et à la révolte. Dans le cas no 22 (Philippines), qui se rapportait à un soulèvement armé, et dans le cas no 49 (Pakistan), où il était question d'une conspiration militaire, le Comité avait abouti à la même conclusion.
- 272 Dans ces conditions, le Comité estime, après avoir pris connaissance des réponses précises et circonstanciées du gouvernement, que les faits allégués ne concernent en aucune façon l'exercice des droits syndicaux, mais se rapportent à des actes subversifs et de rébellion dont il n'a pas à connaître, et il recommande donc au Conseil d'administration de suivre en cela sa pratique antérieure et de décider que les allégations formulées en ce qui concerne les personnes nommément mentionnées dans la réponse du gouvernement se rapportent à des circonstances politiques, de sorte qu'il n'est pas opportun, sur ce point, de poursuivre l'affaire.
- 273 Toutefois, le Comité recommande au Conseil d'administration, tout en prenant note des informations déjà fournies par le gouvernement, de rappeler l'importance qu'il attache à ce que, lorsque des syndicalistes sont accusés de délits politiques ou criminels que le gouvernement considère comme étant étrangers à leurs activités syndicales, les personnes en question soient jugées promptement par une autorité judiciaire impartiale et indépendante, et d'exprimer le voeu que le gouvernement lui fera connaître en temps utile les procédures légales et judiciaires qui auront pu être suivies dans le cas de celles de personnes mentionnées par les plaignants qui sont encore internées et au sujet desquelles le gouvernement n'a pas encore fourni d'informations, ainsi que le résultat de telles procédures.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 274. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration:
- a) de décider que, pour les raisons indiquées aux paragraphes 264 à 268 ci-dessus, les allégations relatives aux cas de MM. Ladjabi, Boudour et Bouzour, ainsi qu'au cas de Raymonde Peschard n'appellent pas de sa part un examen plus approfondi ;
- b) de décider que, pour les raisons indiquées aux paragraphes 269 à 272 ci-dessus, les allégations relatives aux mesures qui auraient été prises à l'encontre des personnes nommément mentionnées par le gouvernement se rapportent à des circonstances politiques, de sorte qu'il n'est pas opportun d'en poursuivre l'examen ;
- c) tout en prenant note des informations déjà fournies par le gouvernement, de rappeler l'importance qu'il attache à ce que, lorsque des syndicalistes sont accusés de délits politiques ou criminels que le gouvernement considère comme étant étrangers à leurs activités syndicales, les personnes en question soient jugées promptement par une autorité judiciaire impartiale et indépendante, et d'exprimer le voeu que le gouvernement lui fera connaître en temps utile les procédures légales et judiciaires qui auront pu être suivies dans le cas de celles des personnes mentionnées par les plaignants qui sont encore internées et au sujet desquelles le gouvernement n'a pas encore fourni d'informations, ainsi que le résultat de telles procédures.