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Rapport intérimaire - Rapport No. 19, 1956

Cas no 121 (Grèce) - Date de la plainte: 15-MAI -55 - Clos

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A. A. Allégations des organisations plaignantes

A. A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 135. La Confédération générale du travail de Grèce (Budapest), la Fédération panhellénique des ouvriers du tabac (Budapest), et la Fédération des syndicats grecs de gens de mer (Cardiff) ont adressé au Directeur général une communication commune, en date du 15 mai 1955, alléguant des atteintes à l'exercice des droits syndicaux en Grèce. Par ailleurs, soit directement, soit par l'intermédiaire des Nations Unies, le Directeur général a reçu plusieurs plaintes contenant des allégation du même ordre et émanant respectivement de l'Union des ouvriers du port du Pirée (télégramme du 6 juin 1955), de la Fédération nationale des ports et docks de Paris (communication du 1er octobre 1955), de la Fédération des travailleurs du port de Trieste (communication du 3 octobre 1955), de la Fédération des transports de Weissenfels (communication du 11 octobre 1955) et de l'Union internationale des syndicats des travailleurs des transports, des ports et de la pêche (communication du 14 novembre 1955). Toutes ces plaintes contenant des allégations de même nature, il convient de les analyser conjointement. Ces allégations sont essentiellement les suivantes.
    • Allégations relatives à la déportation et à l'arrestation de militants et de dirigeants syndicalistes
  2. 136. Des dirigeants et militants syndicalistes continueraient à être déportés - notamment à l'île de Youra - par voie d'ordonnances administratives pour la seule raison qu'ils ne se seraient pas ralliés à la politique gouvernementale et qu'ils seraient, de ce fait, considérés comme « dangereux pour la sécurité publique ». Les plaignants citent les noms de quelque trente personnes qui se trouveraient ainsi déportées, certaines depuis huit ans, alors qu'aux termes de la loi, la durée maximum de déportation serait fixée à trois ans. Les plaignants allèguent, de manière plus précise, qu'en août 1953 aurait été décidée la déportation d'Alexandre Zoumis, membre du comité exécutif de la Fédération des ouvriers du bâtiment de Grèce (le texte de la décision condamnant M. Alexandre Zoumis à la déportation est reproduit dans la plainte) ; qu'en octobre 1953, M. André Codzoyannis aurait été arrêté pour avoir fait de la propagande en faveur du troisième Congrès syndical mondial et pour avoir dénoncé les détournements de fonds de la Caisse d'assurance des ouvriers métallurgistes auxquels se seraient livrés des « amis du gouvernement » placés à l'administration de la caisse ; qu'en février 1955, M de Papaconstantinou, membre du comité exécutif de la Fédération des ouvriers boulangers de Grèce, aurait été arrêté et déporté à la suite d'une grève des ouvriers boulangers d'Athènes dans laquelle il avait joué un rôle très actif à la veille des élections syndicales; enfin, qu'en mars 1955, M. Stathopoulos Fotis, président du Syndicat du personnel des restaurants d'Athènes et M. Staveris Vassilis, secrétaire du Groupe syndical progressiste, auraient été condamnés à un an de déportation. La Fédération nationale des ports et docks de Paris ajoute le nom de M. Ambatielos, secrétaire de la Fédération des marins grecs, à ceux déjà mentionnés. Dans les informations complémentaires qui ont été communiquées au Bureau le 18 août 1955, les plaignants donnent encore une série de noms de personnes qui auraient été arrêtées ou déportées. Les plaignants allèguent qu'en procédant à ces déportations, le gouvernement viserait à empêcher le fonctionnement normal des organisations syndicales.
    • Allégations relatives à des actes de discrimination tendant à porter atteinte à la liberté syndicale en matière d'emploi
  3. 137. L'activité syndicale des ouvriers, entravée par les employeurs et par le gouvernement, constituerait une raison de licenciement ou de refus d'embauchage ; tout travailleur grec serait obligé, pour trouver un emploi quelconque, de fournir un « certificat de convictions sociales ». Les plaignants citent plusieurs cas où des licenciements auraient été prononcés en raison d'activités syndicales. Ils allèguent également que, dans certains cas, la loi interdit aux ouvriers de déployer une activité syndicale sur les lieux de leur travail. Il en serait ainsi notamment, en vertu du décret du 29 avril 1953, sur le règlement des conditions de travail du personnel des dépôts de tabac.
    • Allégations relatives à un contrôle gouvernemental de la C.G.T de Grèce
  4. 138. La Confédération générale du travail de Grèce se trouverait sous le contrôle du gouvernement, notamment en raison des subventions que recevraient ses dirigeants. Les plaignants allèguent que l'ancien ministre du Travail, M. Gonis, aurait reconnu que son département aurait octroyé en 1954 aux dirigeants de la C.G.T une somme de 750.000.000 de drachmes d'ancienne émission (30.000 drachmes 1 dollar des Etats-Unis). Depuis le mois de décembre 1954, le ministre du Travail de l'époque, M. Stratos, aurait octroyé mensuellement 350.000 drachmes de la nouvelle émission (30 drachmes 1 dollar des Etats-Unis) aux dirigeants de la C.G.T. Ceux-ci recevraient également des subventions extraordinaires pour participer à des congrès à l'étranger. Ces sommes auraient été prélevées sur les fonds du Foyer ouvrier, auquel les travailleurs verseraient obligatoirement 4 drachmes par mois. Les plaignants citent également d'autres exemples de subventions qui auraient été accordées à la Fédération panhellénique des marins par ordre du ministre de la Marine marchande. Ils allèguent, enfin, qu'aux ternies de l'article 22 d'un projet de loi sur les conventions collectives de travail, les dirigeants de la C.G.T auraient le droit d'imposer et de percevoir une contribution mensuelle de tous les ouvriers et employés, qu'ils soient ou non syndiqués ; en vertu de ce projet de loi, le ministre du Travail pourrait arrêter le versement de ces contributions obligatoires et il profiterait de ce droit pour exercer une pression sur les dirigeants de la C.G.T et pour tenir sous son contrôle les organisations syndicales.
    • Allégations relatives à la presse syndicale, aux réunions syndicales et aux immixtions gouvernementales dans l'activité des organisations professionnelles
  5. 139. La parution des publications syndicales et l'organisation des réunions syndicales publiques ou privées seraient soumises à une demande d'autorisation respectivement auprès du ministère de la Presse et auprès de la police. Les plaignants citent les cas où de telles demandes d'autorisation auraient été refusées et allèguent que, là où elles auraient été accordées, le gouvernement entraverait par ses interventions le libre exercice des droits syndicaux. Dans chaque ville, il y aurait en effet un fonctionnaire de la police spécialement chargé de surveiller les syndicats ; ce fonctionnaire aurait le droit d'assister aux séances des organisations syndicales, y noterait les interventions des travailleurs et interviendrait dans les élections. Il serait chargé de constituer des dossiers sur les travailleurs et déciderait des poursuites, arrestations et déportations.
  6. 140. Par quatre lettres, en date des 27 juillet, 29 août, 19 novembre 1955 et 9 février 1956, le Directeur général a communiqué au gouvernement grec les plaintes et les informations complémentaires que les plaignants ont adressées au Bureau.
    • ANALYSE DES REPONSES
  7. 141. Par quatre lettres, en date des 16 janvier, 8 février et 6 avril 1956, le gouvernement grec a fait parvenir au Bureau ses observations sur l'ensemble des plaintes qui lui avaient été communiquées.
  8. 142. Le gouvernement commence par donner certaines précisions sur la situation dans laquelle se trouvent, au regard de la loi, les signataires de la plainte originale adressée conjointement au Directeur général par la Confédération générale du travail de Grèce (Budapest), la Fédération panhellénique des ouvriers du tabac (Budapest) et la Fédération des syndicats grecs de gens de nier (Cardiff) ; il s'agit de MM. C. Théos, A. Grozos et N. Caloudis. Tous trois auraient été poursuivis pour avoir commis des actes punissables, se seraient exilés depuis de nombreuses années et se seraient vu retirer la nationalité grecque. Le gouvernement ajoute que M. Théos fait illégalement usage de la qualité de secrétaire de la C.G.T.G. ; en effet, son élection à l'administration de ladite organisation a été annulée en vertu d'une décision no 885/46 du Conseil d'Etat et, depuis cette date, il n'a jamais été élu à ce poste. En ce qui concerne M. Caloudis, le gouvernement indique que l'O.E.N.O, organisation que M. Caloudis prétend représenter, a été dissoute en vertu d'une décision judiciaire prise en 1948 en raison des activités communistes auxquelles elle se livrait. Il rappelle, à cet égard, que le Parti communiste a été mis hors la loi à la suite des événements de décembre 1944. De l'avis du gouvernement, il est clair que les trois personnes mentionnées ci-dessus, étant absentes de Grèce depuis plusieurs années, n'ont aucune connaissance précise de la situation existant réellement dans le pays.
    • Allégations relatives à la déportation et à l'arrestation de dirigeants et de militants syndicalistes
  9. 143. En ce qui concerne les allégations relatives aux déportations de syndicalistes, le gouvernement renvoie aux observations qu'il avait été appelé à fournir dans le cadre du cas no 112, antérieurement examiné par le Comité. A cette occasion, le gouvernement avait donné les précisions suivantes : il existe en Grèce, parallèlement à l'action pénale, un autre système de poursuite permettant « la déportation de toute personne suspectée d'avoir commis des actions visant à assister des brigands, des personnes en contumace, des contrebandiers ou toute autre personne ayant commis des actions contraires à l'ordre public, à la tranquillité et à la sécurité du pays ». La mesure de déportation est alors une peine spéciale, infligée en vertu d'une procédure spéciale ; conformément à la loi, elle ne peut dépasser la durée d'une année. Elle est décidée par les commissions spéciales de sécurité publique, qui fonctionnent dans chaque département et qui sont composées du préfet, du président et du procureur du tribunal de première instance, avec, pour rapporteur, le chef de la gendarmerie ou le directeur de la police, dans les grandes villes. La loi a établi, au sein de chaque cour d'appel, des commissions de sécurité publique de deuxième instance, composées du préfet, du président et du procureur de la cour d'appel et auxquelles chaque intéressé peut avoir recours dans les trois jours qui suivent la notification de la décision de la commission de première instance. Dans ces procès, les intéressés peuvent désigner un avocat. Le procureur y joue un rôle primordial en rassemblant le matériel d'investigation nécessaire. Après avoir décrit cette procédure, le gouvernement soulignait qu'à son avis, elle rentrait dans le domaine de la procédure pénale et constituait une question absolument distincte de l'exercice des droits syndicaux.
  10. 144. Dans ses observations présentées à propos du cas actuellement soumis au Comité, le gouvernement affirme de nouveau qu'en Grèce, personne n'est susceptible d'être déporté en raison de ses convictions ou de ses activités syndicales; tout citoyen peut librement exprimer ses opinions politiques et jouit d'une pleine liberté syndicale.
  11. 145. Parmi les personnes mentionnées par les plaignants comme ayant été déportées, le gouvernement signale que onze de celles-ci ont été libérées depuis longtemps après qu'elles se furent engagées, sous la foi du serment, à ne pas participer à l'action des organisations communistes clandestines. Les autres personnes mentionnées par les plaignants auraient été libérées pour des raisons diverses. Le gouvernement déclare en outre qu'il est faux que MM. Docopoulos, Tsivas et Cavaros aient jamais été déportés. De son côté, M. Zoumis serait maintenant libre ; il avait été déporté pour s'être livré à des activités subversives et non en raison de ses activités syndicales.
  12. 146. Plusieurs plaignants s'étant élevés contre les déportations à l'île de Youra, le gouvernement indique qu'il ne s'agit pas là d'une mesure spéciale ; il précise que les transferts effectués à la prison de Youra sont décidés par l'administration pénitentiaire pour de simples raisons d'organisation intérieure ; il nie qu'il existe aucun lien entre ces transferts et l'exercice de la liberté syndicale.
    • Allégations relatives à des actes de discrimination tendant à porter atteinte à la liberté syndicale en matière d'emploi
  13. 147. Se référant à l'allégation selon laquelle le gouvernement commettrait ou permettrait que soient commis des actes de discrimination tendant à porter atteinte à la liberté syndicale en matière d'emploi, le gouvernement cite tout d'abord l'article 11 de la Constitution nationale, lequel est ainsi conçu : «Les Hellènes ont le droit de s'associer et de se réunir, se conformant aux lois de la Nation, qui, toutefois, ne peuvent jamais subordonner ce droit à une autorisation préalable du gouvernement. »
  14. 148. Le gouvernement qualifie d'inexacte l'affirmation du plaignant selon laquelle les activités syndicales des travailleurs constitueraient un motif de licenciement ou de refus d'embauchage ; le licenciement ou l'embauchage d'une personne, syndiquée ou non, dépend exclusivement des besoins des entreprises. L'activité syndicale des travailleurs n'est entravée ni par le gouvernement ni - ce dernier y veille - par les employeurs. Non seulement il n'existe pas de loi en vertu de laquelle les activités syndicales seraient entravées dans les lieux de travail, mais pour protéger les syndicalistes contre certains agissements des employeurs, le gouvernement a fait adopter en 1951 une loi (L.O. 1803/51) concernant la protection des cadres syndicaux, en vertu de laquelle les employeurs n'ont pas le droit de dénoncer un contrat de travail dans le but d'éloigner les cadres syndicaux ; l'article 1er de cette loi est ainsi conçu:
    • Sous réserve des dispositions de la législation du travail et du Code civil relatives à la résiliation du contrat de travail, les personnes occupant un emploi, et qui sont présidents ou secrétaires généraux d'une organisation professionnelle ouvrière comptant plus de 100 membres, personnes physiques, ne peuvent être congédiées par résiliation du contrat de travail de la part de l'employeur, pendant la durée de leur mandat et pendant une année après son expiration, que pour un motif grave et par la procédure prévue à l'article 3 de la présente loi.
  15. 149. A propos de l'allégation selon laquelle, pour trouver un emploi, les travailleurs doivent être munis d'un « certificat de convictions sociales », le gouvernement rappelle qu'au lendemain de la guerre, des menées communistes menacèrent le régime établi et que, pour lutter contre la subversion, le gouvernement a voté, en janvier 1948, une loi (no 516/48) concernant les mesures de sécurité dans les sociétés et institutions d'utilité publique. En vertu de cette loi, tout organisme ou institution subventionné par l'Etat ou par des personnes morales de droit public et, en particulier les sociétés d'utilité publique (gaz, électricité, P.T.T, chemins de fer, etc.) devaient requérir de ses employés un certificat attestant qu'ils ne se livraient pas à des activités incompatibles avec la sécurité nationale. Si c'est de ces certificats que les plaignants entendent parler, il convient de noter qu'ils n'étaient exigés que dans les cas précis mentionnés plus haut et n'avaient pour but exclusif que d'écarter des services d'utilité publique des personnes ayant participé à des actes de sabotage comportant des suites graves pour la sécurité des citoyens.
  16. 150. En ce qui concerne les congédiements d'employés de l'Institut des assurances sociales mentionnés par les plaignants, le gouvernement indique qu'ils ont été effectués sur la base des dispositions de la loi no 2698/53 affectant les employés de cet Institut ; l'article 19 2) de cette loi est ainsi conçu:
    • Sur la base des dispositions prises par le comité établi par une décision du ministre du Travail, et qui est composé du gouverneur comme président, d'un juge de la cour d'appel, désigné par le ministre de la Justice et d'un fonctionnaire supérieur du ministère du Travail, désigné par le ministre du Travail, il est accordé à ce dernier, au cours d'une période de six mois pouvant être prolongée d'une durée égale, le pouvoir de congédier tout employé permanent, temporaire ou autre travaillant à l'Institut. Le comité établit librement son jugement, en tenant compte des éléments suivants caractère, capacités professionnelles, assiduité, état de santé physique et morale, dévotion aux idéaux nationaux, discipline dans le service et conduite dans la société en général. Il prend également en considération tous autres éléments figurant dans le dossier de l'employé intéressé, à savoir : invalidité éventuelle, qualité d'ancien combattant ou de victime de guerre. Le comité prend ses décisions à la majorité.
    • Ainsi - déclare le gouvernement -, les licenciements sont basés sur toutes les considérations qu'on vient de voir et non sur des considérations de loyauté comme semblent l'alléguer les plaignants.
  17. 151. En ce qui concerne les ouvriers des dépôts de tabac auxquels les plaignants font allusion, le gouvernement indique qu'il a adopté une politique plus libérale dans ce secteur de l'industrie et cite, à cet égard, l'article 1 de la loi no 2348/53 qui est ainsi conçu : « Toute disposition prévoyant l'utilisation exclusive, dans la manutention commerciale des feuilles de tabac ainsi que dans celle effectuée par les marchands de tabac, des personnes munies d'un livret spécial d'identité fourni par la Caisse d'assurance des ouvriers du tabac, est abolie. » Le gouvernement a entendu consacrer par cette loi la liberté du travail dans les manufactures de tabac.
  18. 152. Le gouvernement semble reconnaître que, dans le passé, les commissaires de police étaient également présidents des comités de placement des ouvriers du tabac ; il déclare toutefois qu'une décision no 60321, du 26 octobre 1955, du ministre du Travail a modifié ce système et que les comités de placement sont maintenant composés comme suit : l'inspecteur du travail ou le chef du bureau d'inspection comme président ; comme membres : le chef du bureau de placement intéressé, un fonctionnaire de la préfecture de police, désigné par le préfet, un représentant des ouvriers, désigné par le conseil d'administration du centre ouvrier intéressé et un représentant des employeurs, désigné par l'organisation d'employeurs intéressée.
  19. 153. Enfin, le gouvernement indique qu'un projet de loi a été déposé, qui aura pour effet de lever le caractère pénal de certaines infractions commises par le personnel des dépôts de tabac.
    • Allégations relatives à un contrôle gouvernemental de la C.G.T de Grèce
  20. 154. En ce qui concerne les allégations selon lesquelles la C.G.T de Grèce serait sous le contrôle du gouvernement, celui-ci commence par rappeler la crise révolutionnaire qu'a connue la Grèce après le conflit mondial et déclare qu'en présence de cette situation, il ne lui a pas été possible de jeter les fondations d'un système d'organisation syndicale analogue à celui qui est en vigueur dans les grands pays démocratiques ayant une longue tradition de liberté.
  21. 155. Le gouvernement reconnaît que l'organisation financière des associations professionnelles constitue un aspect très important de l'ensemble de la vie syndicale. Il rappelle à ce propos qu'une mission d'experts du B.I.T s'est rendue en Grèce en 1947 et s'est notamment penchée sur cette question. Elle a constaté que la C.G.T, notamment, était financée sur la base d'un système de contributions obligatoires de tous les travailleurs, syndiqués ou non. Elle a reconnu que, bien qu'en soi condamnable, un tel système pouvait être nécessaire dans des circonstances déterminées et pour une période limitée. Le gouvernement déclare que le système est toutefois en vigueur depuis si longtemps qu'il est devenu traditionnel et que sa suppression totale entraînerait d'innombrables difficultés.
  22. 156. Au cours de 1954, le système de contributions obligatoires a été aboli. Immédiatement après cette mesure, les organisations professionnelles manquèrent de ressources. Il est exact que le Foyer ouvrier, organisme de droit public, ait alors participé au financement des organisations syndicales. Toutefois, précise le gouvernement, il ne s'agit là que d'une solution transitoire destinée à servir de lien entre le système ancien et le système futur qui sera conforme aux règles du syndicalisme libre.
  23. 157. Une loi récente (no 3239/55) concernant le règlement des différends collectifs du travail prévoit qu'un des objets des conventions collectives nationales pourra être la stipulation d'une obligation de la part des employeurs de retenir une contribution, fixée dans la convention collective, pour participation aux organisations professionnelles d'employés. Il est prévu, toutefois, que les employés astreints à la retenue pourront, par une déclaration expresse, refuser le versement.
  24. 158. Le gouvernement s'élève contre l'allégation selon laquelle des « amis du gouvernement » seraient placés à la tête de la C.G.T de Grèce. Il déclare que cette allégation est non seulement dépourvue de fondement, mais qu'elle est en plus malveillante. D'ailleurs, le fait que la C.G.T s'est trouvée, à plusieurs reprises, en opposition avec le gouvernement tendrait à prouver, s'il en était besoin, la fausseté des affirmations des plaignants.
    • Allégations relatives à la presse syndicale, aux réunions syndicales et à l'immixtion du gouvernement dans la vie des organisations professionnelles
  25. 159. En ce qui concerne les allégations relatives à la presse et aux réunions syndicales et, plus généralement, aux prétendues immixtions des autorités gouvernementales dans la vie syndicale, le gouvernement rappelle l'article 11 de la Constitution nationale cité au début de cette analyse. Il précise que cette disposition constitutionnelle, qui garantit notamment de façon solennelle, la liberté de réunion et d'association, a été complétée par diverses lois dont la principale est la loi 281/1914 sur les associations, ainsi que par les articles 78 et 109 du Code pénal. Il affirme que ce faisceau législatif assure une protection absolue de la liberté d'association. Tous les travailleurs, quelle que soit leur catégorie professionnelle, peuvent fonder librement des associations, à condition que leurs statuts soient approuvés par l'autorité judiciaire compétente. Mise à part cette formalité, la liberté d'association ne fait l'objet d'aucune entrave de la part du gouvernement. Les organisations ouvrières sont libres d'agir dans le domaine syndical - dans les limites de la légalité et de leurs propres statuts - sans aucune ingérence de la part des pouvoirs publics. Elles peuvent élire librement leurs représentants ; non seulement aucune disposition ne vient entraver la liberté de réunion des membres des organisations professionnelles, mais on signale au contraire, de jour en jour, une activité syndicale croissante. Toute allégation selon laquelle une pression serait exercée par le gouvernement sur les chefs du mouvement syndical en vue d'entraver leur action est simplement calomnieuse.
  26. 160. Le gouvernement conclut en déclarant qu'il n'y a en Grèce aucune discrimination syndicale. Les personnes qui ont été poursuivies l'ont été uniquement en raison des actes punissables dont elles s'étaient rendues coupables et non en raison de leurs convictions politiques ni, à fortiori, en raison de leur appartenance ou de leur activité syndicale.

B. B. Conclusions du comité

B. B. Conclusions du comité
  1. 161. Le Comité a noté tout d'abord que le gouvernement, dans sa réponse, semblait mettre en doute le fait que certains des plaignants aient qualité pour déposer une plainte. Il indique en effet que MM. Théos, Grozos et Galoudis sont depuis longtemps hors de Grèce, que la nationalité grecque leur a été retirée et qu'ils ne représentent pas les organisations qu'ils prétendent représenter, soit parce qu'ils n'ont plus de fonctions dans ces organisations, soit parce que ces organisations elles-mêmes ont été dissoutes.
  2. 162. Lors de son examen d'un cas antérieur mettant en cause le gouvernement suisse et dans lequel celui-ci exprimait l'avis qu'il serait concevable de contester la recevabilité d'une plainte émanant d'une organisation ne comprenant aucune section dans le pays contre lequel la plainte est déposée, le Comité avait estimé que cette circonstance méritait en effet de retenir toute son attention lors de son examen du bien-fondé de la plainte. Il justifiait ce point de vue en rappelant les constatations formulées par lui dans son premier rapport aux termes desquelles il avait jugé qu'il pouvait parfois être difficile de déterminer dans quelle mesure l'on peut se fier au témoignage de personnes ne résidant pas dans le pays mis en cause ; il ajoutait toutefois que cette circonstance ne devait pas être prise en considération pour juger de la recevabilité de la plainte ; il constatait en effet à ce propos qu'il pouvait fort bien advenir que seules des personnes se trouvant à l'extérieur du pays intéressé jouissent de la liberté nécessaire pour soumettre une plainte au Comité. Il rappelait en outre que le seul critère de recevabilité d'une plainte consistait en ce que cette dernière émane, soit d'un gouvernement, soit d'une organisation d'employeurs, soit d'une organisation de travailleurs. Il rappelait enfin à cet égard que, dans son premier rapport, il avait décidé de ne pas considérer une plainte comme irrecevable pour le simple motif que le gouvernement mis en cause a dissous l'organisation au nom de laquelle la plainte a été formulée, ou parce que la ou les personnes de qui émane la plainte se sont réfugiées à l'étranger.
  3. 163. Le Comité, dans le cas d'espèce, constate que celui-ci correspond exactement à la situation qu'il avait prévue dans son premier rapport. Dans ces conditions, sans préjuger en quoi que ce soit la valeur des informations apportées par le plaignant, il a considéré que la plainte dont il se trouve aujourd'hui saisi n'est pas irrecevable et décidé, par suite, de l'examiner quant au fond en même temps que les autres plaintes qui lui sont soumises dans le cadre du cas présentement devant lui.
    • Allégations relatives à la déportation et à l'arrestation de militants et de dirigeants syndicalistes
  4. 164. Les plaignants allèguent que toute une série de dirigeants et militants syndicalistes -- dont ils donnent les noms - auraient été déportés ou arrêtés et que cette mesure viserait à paralyser le mouvement syndical grec.
  5. 165. Le gouvernement affirme que la mesure incriminée serait totalement étrangère à l'activité syndicale des personnes qui en ont été l'objet. Il reprend, à ce propos, les observations qu'il avait présentées dans le cadre du cas no 112 antérieurement examiné par le Comité et rappelées au paragraphe 143 ci-dessus. Il ajoute que la plupart des personnes mentionnées par les plaignants ont été libérées depuis longtemps et que les autres - mis à part M. Ambatielos dont le nom est cité par l'un des plaignants et auquel le gouvernement ne fait pas allusion - n'ont jamais été déportées. Le gouvernement conclut en affirmant que les déportations en question n'ont été motivées que par des raisons politiques.
  6. 166. Comme il l'avait fait lors de son examen du cas no 112, le Comité rappelle que, dans son premier rapport, il avait formulé certains principes au sujet de l'examen des plaintes auxquelles le gouvernement intéressé assigne un caractère purement politique. Le Comité avait notamment décidé, conformément aux principes généraux adoptés par le Conseil d'administration sur la proposition de son bureau que, même si des cas peuvent être d'origine politique ou présenter certains aspects politiques, ils devraient être étudiés de façon plus approfondie s'ils soulèvent des questions intéressant directement l'exercice des droits syndicaux.
  7. 167. Dans plusieurs cas antérieurs, le Comité a été appelé à se prononcer sur l'application de mesures qui, bien qu'étant de nature politique et n'ayant pas pour but de restreindre les droits syndicaux comme tels, pouvaient néanmoins affecter l'exercice de ces droits.
  8. 168. Dans le cas présent, le Comité estime que, dans la mesure où les commissions de sécurité publique ont été instituées à des fins exclusivement politiques, il ne lui appartient pas de se prononcer sur leur institution ni sur la procédure suivie devant ces commissions, selon laquelle certaines personnes peuvent être déportées pour avoir commis des actes contraires à la tranquillité et à l'ordre public ou à la sécurité de l'Etat.
  9. 169. A cet égard, le Comité, tout en reconnaissant qu'une telle procédure a pu être motivée par la situation de crise qu'a connue la Grèce à l'époque de la guerre civile - situation dont il a eu à plusieurs reprises l'occasion de tenir compte lors d'allégations dont il a été antérieurement saisi - attire l'attention sur l'intérêt qu'il y aurait à entourer cette procédure de toutes les sauvegardes nécessaires en vue de garantir qu'elle ne puisse être utilisée en vue de porter atteinte au libre exercice des droits syndicaux et sur l'importance qu'il attache à ce que les syndicats puissent poursuivre librement leur action de défense des intérêts professionnels.
  10. 170. En ce qui concerne le cas de M. Ambatielos, mentionné par l'un des plaignants comme ayant été arrêté en même temps que neuf autres dirigeants de la Fédération des syndicats grecs de gens de mer et auquel le gouvernement ne fait pas allusion dans sa réponse, le Comité a déjà, dans le cadre du cas no 66, eu à examiner cette question. Compte tenu des observations présentées alors par le gouvernement grec, le Comité avait estimé que ce gouvernement avait suivi, pour autant qu'il était en son pouvoir, une politique de clémence en vertu de laquelle les condamnations à mort prononcées contre M. Ambatielos et neuf autres dirigeants syndicalistes pour des activités étrangères à l'exercice des droits syndicaux avaient été commuées en peines d'emprisonnement à vie pour la plupart et, dans certains cas, de réclusion temporaire.
  11. 171. Etant donné que la plainte dont il se trouve aujourd'hui saisi ne contient aucun élément nouveau par rapport aux allégations sur lesquelles le Comité s'était prononcé dans son sixième rapport - rapport approuvé par le Conseil d'administration à sa 121ème session (mars 1953) -, le Comité estime que cette plainte spécifique n'appelle plus aucune suite.
  12. 172. Dans ces conditions, étant donné, d'une part, qu'il paraît ressortir des déclarations du gouvernement que tous les syndicalistes déportés mentionnés par l'un des plaignants ont été libérés, étant donné, d'autre part, que la mesure dont ces personnes ont été l'objet semble avoir été étrangère à l'exercice des droits syndicaux, étant donné, enfin, que le cas des syndicalistes mentionnés par un autre plaignant a déjà fait l'objet d'un examen de la part du Comité, celui-ci, sous réserve des observations présentées au paragraphe 169 ci-dessus, recommande au Conseil d'administration de décider que cet aspect du cas n'appelle pas de sa part un examen plus approfondi.
    • Allégations relatives à des actes de discrimination tendant à porter atteinte à la liberté syndicale en matière d'emploi
  13. 173. Les plaignants allèguent que les activités syndicales des travailleurs serait à l'origine de licenciements et de refus d'embauchage.
  14. 174. Le gouvernement déclare que l'embauchage comme les licenciements dépendent exclusivement des besoins des entreprises. Il ajoute qu'une loi de 1951 interdit même aux employeurs de licencier ceux de leurs employés qui détiennent des fonctions syndicales, sauf en cas de faute grave (voir paragraphe 148 ci-dessus).
  15. 175. Quant aux congédiements mentionnés par les plaignants à l'Institut des assurances sociales, le gouvernement indique que, loin d'être arbitraires, ces licenciements ont été décidés par des comités spéciaux établis auprès de la direction et qu'ils ont eu pour motifs des considérations totalement étrangères à la liberté syndicale ou à la loyauté des intéressés. Il ajoute que les livrets spéciaux d'identité exigés auparavant des ouvriers du tabac ont été supprimés et que la profession est maintenant ouverte à tous.
  16. 176. Dans ces conditions, après avoir rappelé l'importance qu'il attache au principe selon lequel les travailleurs doivent bénéficier d'une protection adéquate contre tous les actes de discrimination tendant à porter atteinte à la liberté syndicale en matière d'emploi - une telle protection devant notamment s'appliquer en ce qui concerne les actes ayant pour but de subordonner l'emploi d'un travailleur à la condition qu'il ne s'affilie pas à un syndicat ou cesse de faire partie d'un syndicat, ou de congédier un travailleur ou lui porter préjudice par tous autres moyens en raison de son affiliation syndicale ou de sa participation à des activités syndicales -, le Comité, tout en réservant la question des certificats de convictions sociales, estime que les plaignants n'ont pas apporté de preuves suffisantes à l'appui de ces allégations de discrimination antisyndicale.
  17. 177. L'embauchage serait subordonné à la détention par les postulants d'un « certificat de convictions sociales ». Le gouvernement indique que ces certificats ont exclusivement pour but de s'assurer que les travailleurs ne participent pas à des activités subversives clandestines et qu'ils n'ont cours que dans des entreprises d'utilité publique telles que les services du gaz, de l'électricité, des transports, des P.T.T, etc. Tout en tenant compte des circonstances politiques qu'a connues la Grèce au cours des dernières années, le Comité estime qu'avant de pouvoir juger si les précautions destinées à assurer le fonctionnement continu des services publics s'accompagnent de garanties propres à éviter qu'il ne soit porté atteinte à la liberté syndicale, il conviendrait d'obtenir du gouvernement des informations plus détaillées au sujet des certificats de convictions sociales mentionnés ci-dessus.
    • Allégations relatives à un contrôle gouvernemental de la C.G.T de Grèce
  18. 178. Les plaignants allèguent que les subventions allouées par les autorités aux organisations syndicales, et singulièrement à la C.G.T de Grèce, ont pour conséquence d'inféoder cette dernière au gouvernement.
  19. 179. Dans sa réponse, celui-ci reconnaît que la C.G.T de Grèce a longtemps été financée selon un système de contributions obligatoires de tous les travailleurs. Il reconnaît également que le Foyer ouvrier, organisme de droit public, contribue au financement des organisations syndicales. Il ajoute toutefois que ce système est en passe d'être remplacé par un système plus conforme aux normes du syndicalisme libre. En effet, le financement des organisations syndicales sera à l'avenir réglementé par des conventions collectives nationales. Le gouvernement ajoute que l'article 22 de la loi no 3239/55 contre lequel semblent s'élever les plaignants, s'il prévoit l'obligation pour les employeurs de retenir automatiquement les contributions syndicales, prévoit aussi expressément que les travailleurs pourront, s'ils en font la demande, être exemptés de la retenue.
  20. 180. Le Comité considère que les divers systèmes de subventions aux organisations ouvrières ont des conséquences toutes différentes selon la forme qu'ils revêtent, l'esprit dans lequel ils sont conçus et appliqués et la mesure dans laquelle ces subventions constituent un droit prévu par des dispositions statutaires ou ne relèvent que de la seule discrétion des pouvoirs publics. Les répercussions que pourra avoir une aide financière sur l'autonomie des organisations syndicales dépendra essentiellement des circonstances ; elles ne sauraient être évaluées par l'application de principes généraux : elles constituent une question de fait qui doit être examinée dans chaque cas à la lumière des circonstances propres à ce cas.
  21. 181. Dans le cas d'espèce, le Comité a pris note des déclarations du gouvernement selon lesquelles le système ancien sera prochainement remplacé et la question des cotisations syndicales sera réglée par voie de négociations collectives.
  22. 182. Dans ces conditions, après avoir attiré l'attention du gouvernement sur les observations formulées au paragraphe 180 ci-dessus, le Comité recommande au Conseil d'administration de demander au gouvernement de bien vouloir le tenir au courant des progrès réalisés dans ce sens.
    • Allégations relatives à la presse syndicale, aux réunions syndicales et aux immixtions gouvernementales dans l'activité des organisations professionnelles
  23. 183. Les plaignants allèguent que, par ses interventions, le gouvernement entraverait le libre exercice des droits syndicaux ; ils allèguent notamment que des fonctionnaires de la police assisteraient aux réunions syndicales, que ces dernières seraient subordonnées à une autorisation préalable et que les publications syndicales seraient elles-mêmes soumises à ladite autorisation.
  24. 184. Le gouvernement indique que la réglementation en vigueur constitue une garantie absolue de la liberté syndicale et rend impossible toute ingérence du gouvernement dans les affaires syndicales.
  25. 185. Etant donné que les plaignants ont présenté des allégations précises, le Comité estime que la réponse du gouvernement n'est pas suffisamment spécifique pour lui permettre de formuler, en connaissance de cause, des recommandations définitives sur cet aspect du cas. Dans ces conditions, il recommande au Conseil d'administration de demander au gouvernement de bien vouloir lui fournir des renseignements plus détaillés, notamment sur les conditions dans lesquelles les publications syndicales peuvent, en Grèce, être imprimées et diffusées, sur les formalités qui entourent la tenue des réunions syndicales et sur la participation éventuelle de fonctionnaires gouvernementaux auxdites réunions.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 186. Dans ces conditions, le Comité voudra peut-être recommander au Conseil d'administration:
    • a) de décider que, pour les raisons indiquées aux paragraphes 164-172 ci-dessus et sous réserve des observations qui y sont contenues, les allégations relatives à l'arrestation et à la déportation de syndicalistes n'appellent pas un examen plus approfondi ;
    • b) de décider que pour les raisons indiquées aux paragraphes 173 à 176 ci-dessus et sous réserve des observations qui y sont contenues, les allégations relatives à des actes de discrimination antisyndicale examinées dans ces paragraphes n'appellent pas un examen plus approfondi ;
    • c) de prendre note du présent rapport intérimaire portant sur les « certificats de convictions sociales » ;
    • d) de prendre note du présent rapport intérimaire sur les allégations relatives à l'effet des subventions gouvernementales sur l'autonomie de la C.G.T.G.;
    • e) de prendre note du présent rapport intérimaire sur les allégations relatives à la presse syndicale, aux réunions syndicales et aux ingérences gouvernementales dans l'activité des organisations professionnelles, étant entendu que le Comité fera un nouveau rapport au Conseil d'administration sur la question, quand il aura reçu les informations complémentaires sollicitées à ce sujet du gouvernement grec.
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