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Demande directe (CEACR) - adoptée 2023, publiée 112ème session CIT (2024)

Convention (n° 29) sur le travail forcé, 1930 - France (Ratification: 1937)
Protocole de 2014 relatif à la convention sur le travail forcé, 1930 - France (Ratification: 2016)

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La commission salue la ratification par la France du protocole de 2014 relatif à la convention sur le travail forcé, 1930, et prend dûment note du premier rapport du gouvernement sur son application ainsi que des réponses aux précédents commentaires de la commission sur la convention.
Article 1, paragraphe 1, et article 2, paragraphe 1, de la convention, et article 1, paragraphe 2, du protocole. Plan national et action systématique et coordonnée. La commission s’est précédemment référée au rapport d’évaluation de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNDH), en tant que rapporteur national sur la traite, concernant le Plan national de lutte contre la traite des êtres humains 20142016, qui recommandait notamment d’allouer des ressources budgétaires suffisantes pour la mise en œuvre du Plan d’action et d’assurer une meilleure coordination des organes chargés de la lutte contre la traite.
Dans son rapport, le gouvernement se réfère au second Plan d’action national contre la traite des êtres humains 2019-2021, conduit par la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF). Le gouvernement précise que ce second Plan d’action s’articule autour de six axes, déclinés en 45 mesures, dont les principaux objectifs sont de: i) sensibiliser l’ensemble de la société aux risques d’exploitation et de traite; ii) former les professionnels; iii) protéger les victimes (en garantissant l’effectivité de leurs droits); iv) intensifier les poursuites à l’encontre des auteurs; et v) coordonner et harmoniser l’action publique au niveau national. La commission note que, dans son avis sur «L’évaluation du Plan d’action national contre la traite des êtres humains (20192021)», publié le 12 janvier 2023 (ci-après «Évaluation du Plan d’action national de 2023»), la CNCDH souligne l’ineffectivité d’une partie des mesures du deuxième plan; elle note que les mesures annoncées n’ont majoritairement pas été mises en place et que les fonds nécessaires n’ont pas été attribués. La CNCDH fait référence à l’élaboration d’un troisième plan, dont la date de parution demeure inconnue.
La commission note également que le comité de coordination sur la traite auprès de la MIPROF, composé de membres institutionnels et associatifs, assure le suivi de la mise en œuvre des actions nationales contre la traite des personnes. Elle observe à cet égard que, dans son Évaluation du Plan d’action national de 2023, la CNCDH précise que le comité de coordination s’est réuni une fois en 2020 et une fois en 2022, et observe qu’au regard de ce faible nombre de réunions, celui-ci a davantage pris la forme d’un comité consultatif.
Rappelant l’importance d’assurer une action systématique et coordonnée pour lutter contre la traite des personnes, la commission prie le gouvernement d’indiquer les mesures prises pour assurer le bon fonctionnement du comité de coordination de la MIPROF. La commission prie également le gouvernement de fournir des informations sur l’adoption du troisième Plan d’action national contre la traite des êtres humains, ainsi qu’une synthèse de l’action menée par les autorités en matière de lutte contre la traite des personnes, y compris dans le cadre du Plan d’action, en précisant les difficultés rencontrées et les mesures prises pour les surmonter. En outre, la commission prie le gouvernement d’indiquer comment, dans la pratique, une action systématique et coordonnée est également mise en œuvre pour lutter contre les autres formes de travail forcé qui sont identifiées dans le pays (voir ci-dessous).
Article 1, paragraphe 3, du protocole et article 25 de la convention. 1. Répression et application de sanctions efficaces. S’agissant des procédures judiciaires engagées concernant les infractions relevant du travail forcé, à savoir la réduction en esclavage et l’exploitation de personnes réduites en esclavage (art. 224-1 A et 224-1 C du Code pénal), le travail forcé (art. 225-14-1 du Code pénal), la réduction en servitude (art. 22514-2 du Code pénal) et la traite des êtres humains (art. 225-4-1 du Code pénal), le gouvernement fait référence à plusieurs affaires de traite des personnes et de travail forcé et fournit des informations statistiques sur les infractions constitutives de travail forcé. Il indique que, en 2020, 240 personnes ont fait l’objet de poursuites pour traite des personnes, et que moins de cinq personnes l’ont été pour travail forcé et réduction en servitude. La commission note que, en 2021, d’après l’étude sur la traite et l’exploitation des êtres humains depuis 2016 du Service statistique ministériel de la sécurité intérieure parue en octobre 2022, 215 personnes ont été poursuivies pour traite des êtres humains, et 263 pour exploitation par le travail (comprenant les infractions de réduction en esclavage, conditions de travail et d’hébergement indignes, travail forcé et réduction en servitude). S’agissant des condamnations, le gouvernement indique que, en 2020, 67 condamnations ont été prononcées pour traite des personnes, et que l’emprisonnement ferme est la peine la plus fréquemment prononcée à l’encore des auteurs de traite des personnes, avec un quantum moyen de 47 mois pour les peines prononcées entre 2016 et 2020.
La commission note que, dans son Évaluation du Plan d’action national de 2023, la CNCDH observe le faible nombre de condamnations pour traite et que cette infraction est souvent requalifiée en une autre infraction au cours de la procédure ou correctionnalisée (c’est-à-dire jugée devant le tribunal correctionnel en tant que délit plutôt que devant la Cour d’assises en tant que crime, avec une peine qui pourra être moins élevée) (paragr. 99).
Observant les difficultés qui subsistent en matière de qualification des faits et de sanction effective des auteurs de traite des personnes, la commission prie le gouvernement de continuer à renforcer les connaissances et les capacités des organes chargés de faire appliquer la loi, afin que les cas constitutifs de travail forcé, tel que défini par la convention, soient adéquatement identifiés et fassent l’objet d’enquêtes approfondies permettant la mise en cause, la poursuite et la condamnation à des sanctions suffisamment dissuasives de leurs auteurs. La commission prie le gouvernement de continuer à fournir des informations au sujet des affaires concernant les différentes infractions du Code pénal relevant du travail forcé (traite des êtres humains, travail forcé, réduction en servitude, réduction en esclavage), y compris sur le nombre d’infractions constatées, de poursuites engagées, de condamnations prononcées, et sur la nature des sanctions imposées. Prière d’indiquer si conformément à l’article 225-19 du Code pénal, les juridictions ont procédé à la confiscation du patrimoine des personnes condamnées pour ces différentes infractions.
2. Inspection du travail et collaboration. En ce qui concerne le rôle des agents de l’inspection du travail dans la détection des infractions relatives à la traite des personnes, au travail forcé et à la réduction en servitude, la commission note que le gouvernement indique, que, en matière de lutte contre la traite des personnes à des fins d’exploitation au travail, l’inspection du travail agit le plus souvent dans le cadre de coopérations interinstitutionnelles. Le gouvernement se réfère notamment aux Journées d’actions communes, associant inspection du travail et services de police judiciaire, qui ont permis d’identifier en 2020 cinq situations de traite des personnes, au cours de 450 contrôles sur les conditions de travail et d’emploi des salariés. Par ailleurs, la commission note l’indication contenue dans le bilan du Plan national de lutte contre le travail illégal 2019-2021, d’après laquelle dans le cadre des Journées d’action communes de 2021, 63 procédures pour exploitation par le travail pouvant relever de la qualification pénale de traite des êtres humains ont été ouvertes.
Le gouvernement indique également qu’une formation pour les agents de contrôle de l’inspection du travail a été mise en place et qu’un livret de formation sur «l’identification et l’orientation des victimes de traite des êtres humains à des fins d’exploitation par le travail», destiné aux agents de contrôle de l’Inspection du travail, a été réalisé par la MIPROF et actualisé en décembre 2018. Le gouvernement précise que, lorsque les éléments constatés convergent vers la possible commission de l’infraction de traite des personnes par l’exploitation par le travail, les agents de contrôle de l’inspection du travail peuvent solliciter du parquet leur co-saisine avec un service de police judiciaire.
La commission prend dument note des mesures prises par le gouvernement pour renforcer les capacités des services d’inspection à la détection de situations de travail forcé, y compris de traite des personnes à des fins d’exploitation au travail, et leur collaboration avec le parquet et les services de police et le prie de continuer sur cette voie compte tenu du rôle fondamental de l’inspection dans ce domaine. La commission prie le gouvernement de fournir des informations à cet égard, en indiquant notamment le nombre de co-saisines sollicitées au parquet, ainsi que le nombre de procès-verbaux transmis au procureur par les services d’inspection du travail et les suites données à ces procès-verbaux par le procureur.
Article 2 du protocole. Mesures de prévention. Alinéa a) Éducation et information. La commission prend note des informations du gouvernement sur la sensibilisation des élèves au cours de leur scolarité à la problématique de la traite des personnes et à l’occasion de diverses journées commémoratives. Elle note que, dans son Évaluation du Plan d’action national de 2023, la CNCDH constate qu’aucune campagne de sensibilisation à l’échelle nationale n’a été mise en place depuis la création de la MIPROF à l’exception de la mention de la traite à des fins d’exploitation sexuelle dans une campagne de prévention de l’achat d’actes sexuels. La commission prie le gouvernement de renforcer les mesures visant à éduquer et informer les personnes en ce qui concerne la traite des personnes tant à des fins d’exploitation au travail que d’exploitation sexuelle, ainsi qu’en ce qui concerne les autres formes de travail forcé, et de fournir des informations à ce sujet.
Alinéas b) et e). Éducation et information des employeurs. Appui à la diligence raisonnable. Le gouvernement indique que, dans le cadre du Plan d’action national contre la traite des êtres humains 2019-2021, une convention de partenariat est en cours de finalisation entre la MIPROF et les organisations professionnelles d’employeurs et de travailleurs représentatives. Des actions de sensibilisation du monde de l’entreprise sur les conséquences du recours au travail forcé et à l’emploi des personnes victimes de traite sont également prévues dans le cadre du Plan national de lutte contre le travail illégal 2019-2021. À cet égard, la commission prend note de l’adoption d’un nouveau Plan national de lutte contre le travail illégal pour la période 2023-2027, qui prévoit notamment la finalisation de cette convention partenariale de lutte contre la traite des êtres humains. Par ailleurs, la commission note que, dans son Évaluation du Plan d’action national de 2023, la CNCDH indique qu’un référent «traite des êtres humains» a été désigné au sein du pôle travail de chaque Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS), dont le rôle est notamment de faciliter la diffusion et l’appropriation des outils et actions d’information et de sensibilisation par les acteurs de l’entreprise dans les territoires.
La commission note enfin que la loi no 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre prévoit, pour les sociétés les plus grandes, l’obligation d’établir et de mettre en œuvre un plan de vigilance qui vise à prévenir les atteintes graves aux droits humains et à l’environnement, tant par les filiales que par les sous-traitants. La commission salue ces initiatives et prie le gouvernement de fournir des informations sur l’application de la loi du 27 mars 2017 en pratique, en précisant la manière dont les entreprises concernées s’acquittent de l’obligationd’établir et de mettre en œuvre un plan de vigilance, notamment en ce qui concerne le risque de travail forcé, et si une évaluation de l’impact de ces plans sur la prévention de toutes les formes de travail forcé a été réalisée. La commission prie également le gouvernement de communiquer des informations sur les avancées réalisées concernant la conclusion du partenariat précité entre la MIPROF et les partenaires sociaux.
Article 3 du protocole. 1. Identification des victimes. Le gouvernement fait référence à un rapport de 2019 sur le profil des victimes de la traite des êtres humains suivies par les associations, réalisé par la MIPROF et l’Observatoire de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), d’après lequel les victimes d’exploitation par le travail représentent 19 pour cent de l’ensemble des victimes de traite, réparties entre 247 victimes dans le cadre du travail domestique et 239 dans le cadre de secteurs d’activités tels que l’agriculture, le bâtiment et la construction, la restauration, le commerce, les salons de coiffure et d’esthétique. La commission note que, selon l’enquête annuelle sur les victimes de traite des êtres humains accompagnées par les associations en France, portant sur l’année 2021, parmi les victimes accompagnées par des associations en 2021, les victimes d’exploitation par le travail représentaient 18 pour cent, et les victimes d’exploitation sexuelle 74 pour cent. En 2021, les 44 associations ayant répondu à l’enquête ont identifié 4 868 victimes de traite dont 77 pour cent de femmes. Les victimes originaires du Nigéria représentaient à elles seules 39 pour cent de l’ensemble des victimes accompagnées, 5 pour cent étaient des victimes françaises.
Le gouvernement indique en outre que la MIPROF a mis en place un groupe de travail au printemps 2020 rassemblant les partenaires institutionnels, associatifs, experts et la CNCDH en vue de la création d’un mécanisme national d’identification et d’orientation des victimes (MNIO) de traite des personnes. Le groupe travaille à l’élaboration d’indicateurs communs d’identification à l’ensemble des professionnels au contact de victimes de traite. La commission exprime l’espoir que le mécanisme national d’identification et d’orientation des victimes sera très prochainement adopté, et prie le gouvernement de fournir des informations sur les mesures prises pour permettre son application effective. Elle prie également le gouvernement de continuer à fournir des informations sur le nombre de victimes d’infractions relevant du travail forcé (traite des êtres humains, travail forcé, réduction en servitude, réduction en esclavage) identifiées.
2. Protection des victimes. Mesures d’assistance. Le gouvernement indique que le renforcement des droits protecteurs des victimes, notamment en matière d’hébergement adapté et d’accompagnement social et psychologique, est inscrit parmi les objectifs du second Plan d’action national contre la traite des êtres humains. La commission note que des places en centres d’hébergement et de réinsertion sociale sont ouvertes à l’accueil des victimes de traite des personnes dans des conditions sécurisantes. Par ailleurs, le dispositif national «Ac.Sé», créé en 2001, a pour mission d’accueillir, d’héberger et de protéger les victimes de traite en situation de danger, en leur proposant un accueil et un accompagnement par des professionnels formés ainsi qu’un éloignement géographique, grâce à un réseau de plus de 70 structures partenaires. S’agissant de l’accompagnement psychologique, la commission note que, dans son évaluation du Plan d’action national de 2023, la CNCDH fait référence à la création de 17 centres régionaux de prise en charge globale du psychotraumatisme en capacité d’accueillir les victimes de traite. S’agissant de l’accès aux droits et au dépôt de plainte, la commission note que, dans son rapport de 2022, le Groupe d’experts sur la lutte contre la traite des êtres humains du Conseil de l’Europe (GRETA) évoque les difficultés auxquelles les victimes se heurtent lorsqu’elles tentent de déposer plainte: le délai d’attente pour prendre un rendez-vous, le manque de services d’interprète, le refus de réception de plainte par certains gendarmes ou policiers qui renvoient les victimes vers d’autres structures. La commission prie le gouvernement de fournir des informations sur le nombre de victimes de traite ayant bénéficié de services d’assistance, en précisant la nature des services fournis (accompagnement social, juridique, hébergement, prise en charge sanitaire…). La commission prie également le gouvernement d’indiquer les mesures prises ou envisagées afin de faciliter l’accès des victimes de traite, et plus largement des victimes de toute infraction relevant du travail forcé, aux mécanismes juridiques leur permettant de faire valoir leurs droits.
Droit au séjour des ressortissants étrangers victimes de travail forcé. Le gouvernement indique que le dispositif actuel prévoit une admission au séjour de plein droit aux personnes étrangères qui déposent plainte ou témoignent dans une procédure pénale contre une personne que la victime accuse d’avoir commis à son encontre des faits constitutifs des infractions de traite des êtres humains ou de proxénétisme (art. L.425-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile -CESEDA-). En cas de condamnation définitive de la personne mise en cause, l’étranger titulaire d’une carte de séjour prévue à l’article L.425-1 se voit délivrer une carte de résident d’une durée de 10 ans (art. L.425-3 du CESEDA).
Le gouvernement indique que les ressortissants ne souhaitant pas s’inscrire dans une démarche de collaboration avec les autorités dans le cadre de l’enquête disposent d’un accès au séjour au titre de l’admission exceptionnelle au séjour, conformément à l’article L.435-1 du CESEDA, qui prévoit la possibilité de bénéficier d’un titre de séjour pour des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels. Par ailleurs, la commission note que l’article L.425-4 du CESEDA prévoit qu’une autorisation provisoire de séjour d’une durée minimale de six mois peut être accordée aux victimes de traite à des fins d’exploitation sexuelle indépendamment de leur coopération avec les forces de sécurité, sous condition de l’abandon de toute activité prostitutionnelle et de leur engagement dans un parcours de réinsertion.
L’article R.425-1 du CESEDA prévoit également la possibilité de bénéficier d’un délai de réflexion de 30 jours pour choisir de bénéficier ou non de la possibilité d’admission au séjour prévue à l’article L.425-1. Pendant le délai de réflexion, aucune décision d’éloignement ne peut être prise à l’encontre de l’étranger, ni exécutée. Le délai de réflexion peut, à tout moment, être interrompu si l’étranger a, de sa propre initiative, renoué un lien avec les auteurs de l’infraction de traite des personnes.
La commission note que l’étude sur la traite et l’exploitation des êtres humains depuis 2016 du Service statistique ministériel de la sécurité intérieure parue en octobre 2022, relève qu’en 2021, les données provisoires font état de 428 cartes de séjour temporaire délivrées à des victimes de traite ou de proxénétisme au titre de l’article L.425-1 du CESEDA, et environ 40 cartes de résident. S’agissant de la délivrance d’une autorisation provisoire de séjour en cas de parcours de sortie de prostitution, en 2021, 566 victimes ont pu en bénéficier. En outre, d’après l’enquête annuelle sur les victimes de traite des êtres humains accompagnées par les associations en France la plus récente, parmi les victimes accompagnées par des associations en 2021 ayant besoin d’un titre de séjour, 40 pour cent en bénéficiait, parmi lesquelles 40 pour cent l’ont obtenu au titre de l’article L.425-1 du CESEDA, un tiers au titre d’une protection internationale (demande d’asile) et 28 pour cent au titre d’un autre motif.
Par ailleurs, la commission note que la CNCDH indique, dans son Évaluation du Plan d’action national de 2023, qu’environ 60 pour cent des préfectures seraient dotées de référents «traite des êtres humains», mais souligne que bien que ce nombre continue d’augmenter, les missions de ces référents sont encore mal définies. La CNCDH indique en outre que les articles L.425-1 et L.425-3 du CESEDA demeurent peu appliqués et que leur mise en œuvre est largement hétérogène d’une préfecture à l’autre. La CNCDH constate une réticence à délivrer des titres de séjour sur ce fondement, s’expliquant en partie par le climat de suspicion généralisé à l’encontre des personnes migrantes. La commission prie le gouvernement de fournir des informations sur: i) le nombre de permis de séjours octroyés aux victimes de traite, tant à des fins d’exploitation au travail que d’exploitation sexuelle, dans le cadre de l’admission exceptionnelle au séjour prévue à l’article L.435-1 du CESEDA, pour les victimes ne souhaitant pas collaborer avec les autorités; ii) le nombre de victimes de traite ayant bénéficié d’un délai de réflexion; iii) les possibilités existantes de bénéficier d’un droit au séjour pour les étrangers victimes d’autres infractions relevant du travail forcé (réduction en esclavage, réduction en servitude, travail forcé); et iv) le rôle des référents «traite des êtres humains» au sein des préfectures.
Victimes de traite parmi les demandeurs d’asile. Le gouvernement indique qu’au sein des demandeurs d’asile, il existe de plus en plus de demandes de prise en charge de profils particulièrement vulnérables, parmi lesquels figurent les victimes de traite. Selon les dernières données établies pour 2019 par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), le phénomène de traite relève majoritairement, et à l’instar des années précédentes, de la traite à des fins d’exploitation sexuelle. Le gouvernement indique que l’OFPRA confirme cependant l’émergence des demandes de protection internationale en lien avec la traite à des fins d’exploitation au travail. Il s’agit notamment d’hommes et de femmes disant avoir été contraints au travail forcé soit dans le cadre familial, soit par des réseaux organisés au Bangladesh, en Europe et dans les pays du Golfe.
Le gouvernement indique qu’il a publié fin mai 2021 un Plan d’action national pour renforcer la prise en charge des vulnérabilités des demandeurs d’asile et des réfugiés, comportant dix actions concrètes pour améliorer le repérage précoce et permettre une prise en charge adaptée des demandeurs d’asile et des réfugié s vulnérables, notamment: i) le renforcement de la formation de l’ensemble des personnels de la chaîne de l’asile au repérage précoce des vulnérabilités, dont celles liées à une situation de traite; ii) la diffusion d’outils de sensibilisation sur les dispositions législatives et réglementaires concernant l’accès au séjour des victimes étrangères de traite, à toutes les étapes de la procédure d’asile, ainsi que le développement de campagne s d’informations ciblées; et iii) le renforcement du dispositif de places d’hébergement spécialisées pour victimes de traite et femmes demandeuses d’asile et réfugiées vulnérables, qui compte à ce jour 300 places. La commission salue l’adoption du Plan d’action national pour renforcer la prise en charge des vulnérabilités des demandeurs d’asile et des réfugiés et prie le gouvernement de continuer à fournir des informations sur les mesures prises pour mieux identifier et protéger les victimes de traite parmi les demandeurs d’asile.
Article 4 du protocole. Paragraphe 1. Accès à des mécanismes de recours et de réparation. Le gouvernement indique que les victimes de travail forcé peuvent faire valoir leurs droits devant les juridictions pénales ou civiles. Sur le plan pénal, toute personne contrainte de travailler dans des conditions revêtant les caractéristiques de la traite des personnes, de l’esclavage, du travail forcé ou de la réduction en servitude a droit à une réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, même lorsqu’elle n’est pas française, à partir du moment où les faits ont été commis sur le territoire national (art. 706-3 du Code de procédure pénale). Le gouvernement précise à cet égard que la victime peut saisir la Commission d’indemnisation des victimes d’infraction pour obtenir réparation à tout moment de la procédure, dès le dépôt de plainte. Par ailleurs, toute personne constituée partie civile (c’est-à-dire demandeur civil dans une affaire pénale), qui bénéficie d’une décision définitive lui accordant des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi et des frais engagés au titre de la procédure, et qui n’a pas obtenu d’indemnisation en application de l’article 706-3 précité, peut obtenir de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués que ces sommes lui soient payées prioritairement sur les biens de son débiteur dont la confiscation a été décidée de manière définitive (art. 706-164 du Code de procédure pénale).
S’agissant des juridictions civiles, le gouvernement réitère que tout salarié, quelle que soit sa nationalité et son statut sur le territoire, qui a été employé dans le cadre d’un travail dissimulé, dont sont souvent victimes les personnes qui travaillent dans des conditions d’exploitation, a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire (art. L.8223-1 du Code du travail). Le paiement de cette indemnité n’est pas subordonné à l’existence d’une décision pénale déclarant l’employeur coupable du délit de travail dissimulé. Le gouvernement ajoute que le ministère de l’Intérieur et le ministère du Travail ont élaboré et traduit en plusieurs langues des dépliants destinés à informer les travailleurs étrangers de leurs droits à cet égard. La commission prend dument note de ces mesures et prie le gouvernement d’indiquer le nombre de victimes de traite des personnes ou de toute autre forme de travail forcé ayant bénéficié d’une réparation pour le préjudice subi, tant dans le cadre de la procédure pénale, que dans le cadre d’une indemnité prononcée par une juridiction civile, en précisant les montants accordés.
Paragraphe 2. Absence de poursuites et de sanctions pour des actes illégaux commis par les victimes sous la contrainte. Le gouvernement indique qu’il n’existe pas de disposition spécifique dans le droit français sur la non-sanction des victimes. Une telle disposition porterait atteinte au principe constitutionnel d’égalité devant la loi impliquant que toute personne puisse voir sa responsabilité pénale engagée pour des faits incriminés. Le gouvernement indique en revanche que le principe d’opportunité des poursuites et la notion d’action sous la contrainte permet de pallier cette absence et de ne pas imposer de sanction à la victime contrainte de prendre part à des activités illicites. La commission prie le gouvernement d’indiquer comment dans la pratique il est assuré que les victimes de travail forcé ayant commis des actes illicites sous la contrainte ne sont pas poursuivies ou sanctionnées, en précisant notamment si des instructions ont été données en ce sens aux procureurs.
Article 6 du protocole. Consultation des organisations d’employeurs et de travailleurs. La commission note que, dans son évaluation du Plan d’action national de 2023, la CNCDH, en tant que rapporteur national sur la traite des personnes, demande à être pleinement associée, avec les associations spécialisées, les syndicats, les partenaires privés et les organisations étatiques pertinentes, à l’élaboration du troisième plan national d’action. La commission prie le gouvernement de fournir des informations sur la manière dont les organisations d’employeurs et de travailleurs sont consultées, notamment dans le cadre de l’élaboration, la mise en œuvre, et l’évaluation du troisième plan d’action national contre la traite des êtres humains.
Article 2, paragraphe 2 c). Travail pénitentiaire effectué au profit d’entreprises privées. La commission rappelle que les personnes détenues volontaires pour travailler peuvent être amenées à effectuer un travail au profit d’entreprises privées, soit au service général des établissements pénitentiaires à gestion mixte, soit pour des activités de production, pour le compte des entreprises privées concessionnaires de l’administration pénitentiaire ou dans des établissements à gestion mixte. Un acte d’engagement est signé entre le détenu et le chef d’établissement préalablement à l’exercice de toute activité professionnelle. La commission a demandé au gouvernement de continuer à rapprocher les conditions de travail des détenus travaillant au profit d’entreprises privées ou d’établissements à gestion mixte de celles des travailleurs libres.
La commission note l’adoption de la loi no 2021-1729 pour la confiance dans l’institution judiciaire le 22 décembre 2021, qui prévoit la création d’un contrat d’emploi pénitentiaire entre le détenu et le donneur d’ordre (l’opérateur économique en cas d’emploi au profit d’une entreprise privée), remplaçant l’acte d’engagement entre le détenu et le chef d’établissement. Le contrat d’emploi pénitentiaire détermine notamment la durée du contrat, le temps de travail et les conditions de travail. S’agissant de la procédure d’affectation à un emploi, il est prévu que la personne détenue qui souhaite travailler adresse au préalable une demande à l’administration pénitentiaire pour être autorisée à travailler, puis une demande d’affectation sur un poste de travail, qui peut donner lieu à l’organisation d’entretiens professionnels.
La commission prend note du décret no 2022-655 du 25 avril 2022 relatif au travail des personnes détenues et modifiant le Code pénitentiaire, qui précise la procédure d’accès au travail des personnes détenues ainsi que le contenu et les modalités de conclusion et d’exécution du contrat d’emploi pénitentiaire. Eu égard à la rémunération, le décret fixe un taux horaire minimum de 45 pour cent du salaire minimum pour les activités de production et de 33 à 20 pour cent pour le service général. Il prévoit également la possibilité pour le donneur d’ordre de verser des primes liées à la productivité ou à l’ancienneté ou toute autre prime à caractère exceptionnel.
En outre, la commission prend note de l’ordonnance no 2022-1336 du 19 octobre 2022 relative aux droits sociaux des personnes détenues, prise en application de l’article 22 de la loi no 2021-1729 pour la confiance dans l’institution judiciaire. Cette ordonnance prévoit notamment que la rémunération des détenus effectuant un travail dans le cadre d’un contrat d’emploi pénitentiaire est assujettie aux cotisations de sécurité sociale et que ces derniers acquièrent des droits à l’assurance chômage et à la formation, et sont affiliés au régime de retraite complémentaire. L’ordonnance prévoit par ailleurs: i) le renforcement des prérogatives de l’inspection du travail en prison; ii) le développement de la médecine du travail en détention; et iii) des mesures pour lutter contre les discriminations et le harcèlement des détenus travailleurs.
La commission note l’indication du gouvernement selon laquelle le taux de travail en détention, particulièrement en production, a fortement baissé ces dernières années, passant de près de 50 pour cent au début des années 2000 à 29 pour cent en 2021, s’expliquant notamment par l’augmentation de la population carcérale et la délocalisation ou la fermeture d’entreprises implantées en détention. Le gouvernement précise que les entreprises implantées en détention doivent faire face à des contraintes spécifiques et que la mise en place du salaire minimum national de droit commun en détention pourrait conduire à une diminution encore plus importante du travail en détention. Le gouvernement indique par ailleurs que l’ouverture de la possibilité de primes à la productivité et à l’ancienneté ainsi que le mouvement d’amélioration qualitative du travail en détention initié depuis deux ans permettront de rapprocher les montants de ceux du travail dans le droit commun. Ainsi, dans certains établissements, en particulier en centre de détention, la rémunération moyenne peut s’élever au montant du salaire minimum de droit commun.
La commission salue l’adoption des textes précités qui garantissent aux travailleurs détenus réalisant un travail au profit d’entités privées un certain nombre de garanties, permettant de ce fait de rapprocher leurs conditions de travail de celles des travailleurs libres. La commission encourage le gouvernement à poursuivre ses efforts pour rapprocher le niveau de rémunération des détenus travaillant au profit d’entreprises privées ou d’établissements à gestion mixte du niveau du salaire minimum national.
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