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Observation (CEACR) - adoptée 2022, publiée 111ème session CIT (2023)

Convention (n° 29) sur le travail forcé, 1930 - Mali (Ratification: 1960)
Protocole de 2014 relatif à la convention sur le travail forcé, 1930 - Mali (Ratification: 2016)

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Observation
  1. 2022
  2. 2020
  3. 2003
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Article 1, paragraphe 1, et article 2, paragraphe 1, de la convention, et article 1, paragraphe 2, article 2 et article 3 du protocole. Esclavage par ascendance. Action systématique et coordonnée et protection des victimes. La commission a précédemment noté avec préoccupation la persistance des pratiques esclavagistes et a demandé au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour évaluer l’étendue du phénomène et adopter une action systématique et coordonnée pour y mettre fin.
Le gouvernement indique dans son rapport qu’une étude sur l’esclavage par ascendance dans la région de Kayes ainsi qu’une stratégie nationale de lutte contre l’esclavage par ascendance, ont été validées en juillet 2021 par la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH). La commission note que d’après cette étude, les causes de la persistance de l’esclavage par ascendance sont d’ordre économique (les «maîtres d’esclaves» disposent de grandes superficies de terres et les esclaves constituent la main d’œuvre pour travailler ces terres), mais que l’esclavage est également dû à des croyances traditionnelles et religieuses persistantes (les coutumes locales, qui ont ancré une forme de domination sociale, favorisent la pratique de l’esclavage), et à l’ignorance des populations (qui sont rurales et à majorité analphabètes dans les régions où l’esclavage persiste). Le rapport souligne que les esclaves travaillent pour leurs maîtres afin de bénéficier de l’exploitation des terres. Soit l’esclave travaille exclusivement pour le maître qui bénéficie de toute la récolte; soit l’esclave travaille à la fois pour le maître et pour lui-même. Dans ce dernier cas, il y a des esclaves qui disposent des terres à titre précaire moyennant l’acceptation de leurs conditions et statut servile. Ils sont tenus de cultiver pour leurs maîtres avant de s’occuper de leurs propres champs.
La commission note par ailleurs que, dans son rapport annuel 2020, la CNDH souligne que le phénomène de l’esclavage par ascendance dans la Région de Kayes connaît une évolution inquiétante, en raison, notamment, de ses manifestations de plus en plus violentes qui ont conduit à des pertes en vie humaine, des atteintes à l’intégrité physique et morale, des atteintes au droit de propriété, et de déplacés internes (p. 5). L’année 2020 a constitué un point culminant dans l’expression de l’horreur consécutive à la pratique de l’esclavage. Les pratiques discriminatoires néfastes à l’égard des «descendants d’esclaves» sont indéniables et récurrentes. Elles se manifestent le plus souvent, par de la maltraitance, des agressions, des dépouillements de biens voire le bannissement pur et simple de la société. La CNDH met en évidence que ces violences sont souvent consécutives du refus des «descendants d’esclaves» d’accepter leur statut sociétal inférieur. En outre, ceux qui dénoncent cette discrimination font systématiquement l’objet de représailles encouragées et menées souvent par les chefferies traditionnelles des différentes localités (pp. 34 et 35).
La commission note que des experts des droits de l’homme des Nations Unies ont fait état, dans un communiqué de presse du 29 octobre 2021, d’une série d’attaques «barbares» perpétrées en 2021 contre des centaines de personnes nées en esclavage. Les experts se réfèrent à huit attaques entre janvier et septembre dans la région de Kayes au cours desquelles une personne a été tuée, au moins 77 ont été blessées, et plus de 3 000 personnes considérées comme «esclaves» ont été déplacées.
La commission exprime sa profonde préoccupation face à ces informations qui témoignent de la persistance du système d’esclavage par ascendance dans le pays dans le cadre duquel des personnes sont victimes de travail forcé, de discriminations multiples et de violence lorsqu’elles tentent de revendiquer leurs droits. La commission rappelle, comme le confirme l’étude de la CNDH, que les causes de la persistance de telles pratiques sont complexes et multidimensionnelles et que la lutte contre ce phénomène requiert une action systématique et coordonnée intégrant tous les secteurs de la société (économique, social, religieux, etc.). Elle note par ailleurs que le Mali bénéficie de l’assistance technique du Bureau à travers le projet «Combattre l’esclavage et la discrimination fondée sur l’esclavage au Mali» (20192023). Ce projet vise à renforcer la connaissance des parties prenantes et leur sensibilisation à l’esclavage et à la discrimination fondée sur l’esclavage; l’accès des victimes à des services d’autonomisation économique et d’assistance juridique; et le cadre législatif et sa mise en œuvre.
La commission prie instamment le gouvernement de redoubler d’efforts afin de mettre fin à la pratique de l’esclavage par ascendance, et elle veut croire qu’il prendra dans les plus brefs délais les mesures nécessaires pour:
i)mettre en œuvre de la stratégie nationale de lutte contre l’esclavage, afin d’assurer une action systématique et coordonnée de la part des autorités compétentes et autres acteurs concernés;
ii)désigner l’autorité compétente pour la mise en œuvre de cette stratégie et lui allouer les moyens nécessaires pour mener à bien ses fonctions;
iii)sensibiliser, éduquer et informer l’ensemble de la population sur la réalité et la gravité des pratiques relevant de l’esclavage, notamment les autorités traditionnelles et religieuses dans les régions où l’esclavage persiste;
iv)identifier, libérer et assister les victimes et s’assurer qu’elles bénéficient d’une protection adaptée à leur situation qui leur permette de faire valoir leurs droits, d’obtenir réparation et de se reconstruire psychologiquement, économiquement et socialement.
Article 25 de la convention, et article 1, paragraphe 3, du protocole. Application de sanctions. La commission a précédemment prié le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour s’assurer que des procédures judiciaires sont engagées dans les affaires d’esclavage, ainsi que pour renforcer les capacités des acteurs de la chaîne pénale. Le gouvernement indique qu’un avant-projet de modification du Code pénal, visant à inclure une infraction spécifique d’esclavage sous toutes ses formes, y compris l’esclavage par ascendance, et prévoyant des sanctions spécifiques pour ce crime, a été validé le 20 août 2022. Le gouvernement ajoute qu’une fois le projet de Code pénal modifié adopté, un accent particulier sera mis sur l’esclavage et ses différentes formes, à l’occasion d’une campagne de sensibilisation et de formation des acteurs de la chaîne pénale. Le gouvernement précise qu’une circulaire de 2019 du ministre chargé de la Justice et des Droits de l’homme invite les magistrats à réprimer toutes les infractions en lien avec le phénomène de l’esclavage par ascendance.
La commission note l’indication du gouvernement selon laquelle dans le cadre du Projet Combattre l’esclavage et la discrimination fondée sur l’esclavage au Mali le gouvernement, avec l’appui du BIT, a pu former 20 inspecteurs et contrôleurs du travail sur les lois et politiques de lutte contre l’esclavage ainsi que sur l’identification et la dénonciation des cas d’esclavage et de travail forcé, dans le cadre d’inspections réalisées dans les zones rurales et l’économie informelle.
La commission note par ailleurs que, d’après les informations de la note trimestrielle du 30 mai 2022 de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) sur les tendances des violations et atteintes aux droits de l’homme au Mali, quelques progrès en ce qui concerne la lutte contre l’impunité sont à noter, notamment le placement sous mandat de dépôt d’au moins 30 personnes dans le cadre d’enquêtes sur les actes de violence ciblant les personnes considérées comme «esclaves». De plus, le ministre de la Justice et des Droits de l’homme a instruit au Procureur général près la Cour d’appel de Kayes l’organisation d’une session spéciale des Assises, courant 2022, dédiée spécifiquement au jugement des procédures relatives aux pratiques de l’esclavage par ascendance (paragr. 52).
La commission exprime le ferme espoir que le projet de loi modifiant le Code pénal sera adopté sans délai, qu’il contiendra des dispositions permettant de définir les éléments constitutifs, incriminer et réprimer l’esclavage par ascendance ainsi que toutes les infractions connexes, et qu’il fera l’objet d’une large diffusion auprès des autorités compétentes et de tous les segments de la population. Par ailleurs, la commission prie instamment le gouvernement de poursuivre ses efforts pour intensifier les activités de sensibilisation et de renforcement des capacités des organes chargés de faire appliquer la loi (inspection du travail, forces de l’ordre, autorités de poursuite et autorités judiciaires) afin de s’assurer que les cas d’esclavage sont identifiés, les preuves réunies et les procédures judiciaires initiées de manière à ce que les auteurs de telles pratiques puissent être sanctionnés. La commission prie le gouvernement de fournir des informations sur le nombre de cas d’esclavage ayant été identifiés, le nombre de poursuites judiciaires initiées, ainsi que sur le nombre et la nature des sanctions imposées.
La commission espère que le gouvernement pourra continuer à se prévaloir de l’assistance technique du BIT en vue d’obtenir dans un avenir proche des progrès notables dans la lutte contre l’esclavage.
La commission soulève d’autres questions dans une demande qu’elle adresse directement au gouvernement.
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