ILO-en-strap
NORMLEX
Information System on International Labour Standards
NORMLEX Page d'accueil > Profils par pays >  > Commentaires

Observation (CEACR) - adoptée 2012, publiée 102ème session CIT (2013)

Convention (n° 182) sur les pires formes de travail des enfants, 1999 - Sénégal (Ratification: 2000)

Afficher en : Anglais - EspagnolTout voir

La commission note le rapport du gouvernement ainsi que la communication de la Confédération syndicale internationale (CSI) du 31 août 2012.
Articles 3 a) et 7, paragraphe 1, de la convention. Vente et traite à des fins d’exploitation économique, travail forcé et sanctions. Mendicité. Dans ses commentaires précédents, la commission avait noté que le Comité des droits de l’enfant, dans ses observations finales d’octobre 2006 (CRC/C/SEN/CO/2, paragr. 60 et 61), s’était dit inquiet des pratiques dans les écoles coraniques dirigées par des marabouts qui consistent à utiliser à grande échelle les enfants talibés à des fins économiques en les envoyant travailler dans des champs agricoles ou mendier dans les rues ou effectuer d’autres travaux illégaux qui rapportent de l’argent, les empêchant ainsi d’avoir accès à la santé, à l’éducation et à de bonnes conditions de vie.
La commission avait constaté avec préoccupation que, bien que l’article 3 de la loi no 2005-06 interdise d’organiser la mendicité d’autrui en vue d’en tirer profit ou d’embaucher, d’entraîner ou de détourner une personne en vue de la livrer à la mendicité ou d’exercer sur elle une pression pour qu’elle mendie ou continue de le faire, l’article 245 du Code pénal dispose que «le fait de solliciter l’aumône aux jours, dans les lieux et dans les conditions consacrés par les traditions religieuses ne constitue pas un acte de mendicité». Elle avait ainsi fait observer que, à la lecture conjointe de ces deux dispositions, il semblerait que le fait d’organiser la mendicité des enfants talibés ne puisse être incriminé puisqu’il ne s’agit pas d’un acte de mendicité au sens de l’article 245 du Code pénal. La commission avait également observé que la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, dans son rapport du 28 décembre 2010 présenté au Conseil des droits de l’homme à la suite de sa mission au Sénégal (A/HRC/16/57/Add.3), a noté l’incohérence entre l’article 3 de la loi no 2005-06 et l’article 245 du Code pénal (paragr. 31). En outre, elle avait noté que le Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, dans ses observations finales du 3 décembre 2010 (CMW/C/SEN/CO/1, paragr. 26), a noté avec préoccupation que plus de la moitié des enfants contraints à la mendicité dans la région de Dakar viennent de pays limitrophes, et que le gouvernement sénégalais n’a pas adopté de mesures concrètes pour mettre un terme à la traite régionale des enfants à des fins de mendicité.
La commission avait également pris note des observations de la CSI qui indiquaient que le nombre d’enfants talibés forcés à mendier – pour la plupart, des garçons âgés entre 4 et 12 ans – était estimé à 50 000 en 2010. La CSI a observé que la plupart de ces enfants viennent de zones rurales reculées du Sénégal ou ont fait l’objet de traite depuis les pays voisins, notamment le Mali et la Guinée-Bissau. Elle a insisté sur le fait que ces enfants reçoivent en réalité très peu d’éducation et sont extrêmement vulnérables car ils dépendent totalement de leur professeur coranique ou marabout. Ils vivent dans des conditions d’insalubrité et de pauvreté et font l’objet de sévices physiques et psychiques s’ils ne réussissent pas à rapporter leur quota financier en mendiant. En ce qui concerne les causes de ce phénomène, la CSI a expliqué que la pauvreté ne peut expliquer à elle seule cette forme d’exploitation, étant donné que des preuves tendent à montrer que certains marabouts gagnent davantage grâce à la mendicité des enfants que le revenu nécessaire à l’entretien de leur daaras (écoles coraniques). La CSI a affirmé en outre qu’il n’y a eu aucune trace d’arrestations, de poursuites ni de condamnations de marabouts pour avoir obligé des talibés à mendier jusqu’en août 2010, lorsque le Premier ministre a annoncé l’adoption d’un décret interdisant la mendicité dans les lieux publics. Suite à cet événement, sept maîtres coraniques ont été arrêtés et condamnés à des peines de prison en application de la loi no 2005-06 du 29 avril 2005 relative à la lutte contre la traite des personnes et pratiques assimilées et à la protection des victimes. Néanmoins, ces jugements n’ont jamais été appliqués. En effet, la CSI a révélé que des filiales des associations des maîtres coraniques auraient condamné l’application de la loi no 2005-06 et menacé de retirer leur soutien au Président lors des élections de février 2012. En octobre 2010, le Président est donc revenu sur la décision de son gouvernement.
La commission note les nouvelles allégations de la CSI selon lesquelles le Sénégal s’est montré largement défaillant sur le plan de l’application de la loi et de la répression de l’exploitation des talibés et des mauvais traitements infligés à ces enfants. La CSI rapporte que, depuis la condamnation et la remise en liberté des marabouts qui ont été arrêtés en 2010, aucun marabout n’a été poursuivi et encore moins condamné. En outre, la CSI rapporte qu’il serait utile de modifier le Code pénal de manière à lever tout doute quant à l’idée que forcer un enfant à mendier est interdit dans tous les lieux et en toutes circonstances, y compris dans les daaras, de manière à le rendre parfaitement conforme aux engagements pris par le Sénégal par rapport à la convention.
La commission note les informations communiquées par le gouvernement dans son rapport en ce qui concerne la mendicité des enfants. Le gouvernement indique notamment qu’il est d’avis qu’il n’existe aucune ambiguïté entre les dispositions de l’article 245 du Code pénal et de l’article 3 de la loi no 2005-06. Selon le gouvernement, en précisant que le fait de solliciter l’aumône dans les conditions consacrées par les traditions religieuses ne constitue pas de la mendicité, l’article 3 de la loi no 2005-06 ne fait que distinguer entre les formes de mendicité interdites et tolérées. Le gouvernement indique également que la mendicité permanente dans les artères de la ville constitue une infraction pénale au regard de la loi sénégalaise, tandis que le fait de solliciter l’aumône, par exemple le vendredi dans les mosquées et les jours de messe dans les églises, est toléré du fait des croyances socioculturelles.
La commission observe que le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, dans l’examen des rapports présentés par le Sénégal du 31 août 2012, note avec préoccupation la persistance et l’ampleur du phénomène des enfants talibés (CERD/C/SEN/CO/16-18, paragr. 14). En outre, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale exprime son regret que l’incohérence entre l’article 3 de la loi no 2005-06 et l’article 245 du Code pénal persiste malgré les recommandations de la Rapporteuse spéciale sur la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants. A cet égard, bien que la commission note les informations du gouvernement relatives aux poursuites engagées et condamnations prononcées en matière de traite entre 2008 et 2010, force est de constater que le gouvernement ne communique aucune information en ce qui concerne la poursuite, l’arrêt ou la condamnation de marabouts pour exploitation de la mendicité d’enfants talibés.
Se référant à l’étude d’ensemble sur les conventions fondamentales concernant les droits au travail de 2012 (paragr. 483), la commission rappelle au gouvernement que, bien que la question de la quête de l’aumône utilisée comme outil pédagogique ne relève pas du mandat de la commission, il est clair que l’utilisation d’enfants pour la mendicité à des fins purement économiques ne peut être acceptée en vertu de la convention. Cette situation constitue une dérive par rapport aux objectifs légitimes de ce système d’éducation traditionnel et ses méthodes. Souvent astreints à des conditions de servitude, les enfants talibés sont obligés de travailler tous les jours, généralement comme mendiants, et de remettre les aumônes reçues à leur marabout.
La commission se doit donc à nouveau d’exprimer sa profonde préoccupation devant le grand nombre d’enfants talibés instrumentalisés à des fins purement économiques et face au défaut d’application de la loi no 2005-06 à l’égard des maître coraniques qui utilisent la mendicité des enfants talibés à des fins exclusivement économiques. La commission rappelle au gouvernement que, en vertu de l’article 1 de la convention, des mesures immédiates et efficaces doivent être prises de toute urgence pour assurer l’interdiction et l’élimination des pires formes de travail des enfants et que, en vertu de l’article 7, paragraphe 1, de la convention, il doit prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la mise en œuvre effective et le respect des dispositions donnant effet à la convention, y compris par l’établissement et l’application de sanctions suffisamment efficaces et dissuasives. Par conséquent, la commission prie à nouveau instamment le gouvernement de prendre des mesures immédiates et efficaces, en droit et dans la pratique, afin de garantir que les personnes qui se livrent à la vente et à la traite des enfants talibés de moins de 18 ans à des fins d’exploitation économique ou qui utilisent ces enfants pour la mendicité à des fins purement économiques, soient effectivement poursuivies et que des sanctions suffisamment efficaces et dissuasives leur soient imposées. A cet égard, la commission prie à nouveau le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour harmoniser sa législation nationale de manière à garantir que l’utilisation de la mendicité des enfants talibés à des fins d’exploitation économique puisse être incriminée au titre de l’article 245 du Code pénal et de la loi no 2005-06. Elle le prie de communiquer des informations sur les mesures prises à cet égard, ainsi que sur le nombre d’enquêtes menées, de poursuites engagées, de condamnations prononcées et de sanctions imposées à l’égard de ces personnes.
Article 7, paragraphe 2. Mesures efficaces prises dans un délai déterminé. Alinéa d). Enfants particulièrement exposés à des risques. Enfants talibés. Dans ses commentaires précédents, la commission avait noté qu’un partenariat pour le retrait et la réinsertion des enfants des rues (PARRER) a été créé en février 2007, lequel regroupe à la fois des membres de l’administration sénégalaise, d’ONG, du secteur privé, des partenaires au développement, d’organisations religieuses, de la société civile et des médias. La commission avait noté les commentaires de la CSI qui indiquaient que le gouvernement a adopté des mesures en faveur d’un programme de daaras modernes gérés ou régulées par l’Etat. Elle avait noté que le gouvernement a instauré l’inspectorat des daaras en 2008 pour mener à bien le programme de modernisation des daaras et d’intégration des daaras modernes dans l’enseignement public. Elle avait également noté que le ministère de l’Education a signé un accord avec le PARRER afin d’élaborer un programme scolaire harmonisé pour les écoles coraniques, lancé en janvier 2011. Dans sa réponse aux observations de la CSI, le gouvernement a affirmé être engagé à mieux gérer et encadrer le système de l’enseignement au niveau des daaras. Il envisageait également d’intégrer certaines actions dans sa stratégie de prévention de la mendicité des enfants, comme la mise en place de mesures de protection sociale dans les zones d’origine des enfants migrants, la mise en place de programmes de transfert conditionnel pour les familles vulnérables, l’appui à la création d’activités génératrices de revenus des marabouts ainsi que l’élargissement du contenu enseigné dans les écoles coraniques afin de faciliter l’insertion des jeunes talibés dans la vie active. En outre, la commission avait noté que, selon les informations contenues dans le rapport de la Rapporteuse spéciale des Nations Unies du 28 décembre 2010, le Centre d’accueil, d’information et d’orientation des enfants en situation difficile (centre GINDDI), rattaché au ministère de l’Education, a pour mission, depuis 2003, d’assurer le retrait et la réinsertion des enfants des rues et de fournir un accompagnement psychologique et une assistance sociale aux filles et garçons victimes de la traite (paragr. 68).
La commission note que, selon la CSI, le programme scolaire harmonisé pour les écoles coraniques du PARRER est actuellement appliqué à titre pilote dans 20 daaras de quatre régions du Sénégal (Dakar, Thiès, Fatick et Kaolack). Le programme pilote doit s’étaler sur trois ans (2011-2014) et doit être progressivement étendu à l’ensemble de la nation à partir de 2012-13. Les enfants des daaras affectées ne seront pas tenus de mendier. En outre, la CSI rapporte que, alors que l’ancien gouvernement omettait de faire respecter les lois en vigueur, le nouveau Président, élu en avril 2012, a déclaré son attachement à la modernisation des daaras et devrait adopter ce programme, lui conférer un caractère prioritaire et en accélérer le déroulement au niveau national, notamment dans les zones rurales d’où sont originaires la plupart des enfants talibés.
La commission note les informations du gouvernement concernant les mesures mises en place pour protéger ou retirer les enfants vulnérables ou victimes de la traite et de l’exploitation. Parmi celles-ci, la commission note que le projet «Education à la vie familiale (EVF)» dans les daaras prévoit un certain nombre d’activités, dont la formation de maîtres coraniques et des enfants talibés sur les droits de l’enfant et leur protection et l’amélioration des conditions de vie et d’apprentissage des enfants talibés dans les daaras. La commission note également que, pour prévenir la mobilité des enfants dans la région de Kolda (région frontalière), supposée être la plus grande zone pourvoyeuse d’enfants mendiants, un projet pilote d’allocation monétaire aux familles a été mis en place.
En outre, le gouvernement indique que, dans le cadre du PARRER, un nombre d’activités ont été menées, dont des visites de plaidoyer auprès de grands chefs religieux et maîtres coraniques, des actions de prévention et de retrait des enfants des rues, et le développement de larges campagnes de sensibilisation. Ces différentes activités ont permis d’obtenir un certain nombre de résultats, tels que l’identification de 1 129 familles à risque dans les régions de Ziguinchor, Kolda et Kaolack, la mise en place de 146 comités de protection des enfants talibés, et l’élaboration et la diffusion d’une argumentation islamique contre la mendicité des enfants. La commission constate cependant que le gouvernement n’offre pas de statistiques récentes en ce qui concerne le nombre d’enfants talibés qui ont pu bénéficier de la protection accordée par le centre GINDDI. La commission prie le gouvernement de poursuivre ses efforts pour protéger les enfants talibés de moins de 18 ans contre le travail forcé ou obligatoire, tel que la mendicité. Elle le prie de continuer à communiquer des informations sur les mesures prises, notamment dans le cadre du programme financé par le PARRER, et les résultats obtenus, en précisant notamment le nombre d’enfants talibés qui auront été retirés des pires formes de travail des enfants et qui auront bénéficié de mesures de réinsertion et d’intégration sociale dans le centre GINDDI. Elle le prie également de continuer à communiquer des informations sur les mesures prises ou envisagées dans le cadre du processus de modernisation du système des daaras, ainsi que les progrès réalisés dans le cadre du programme scolaire harmonisé pour les écoles coraniques.
La commission soulève d’autres points dans une demande qu’elle adresse directement au gouvernement.
© Copyright and permissions 1996-2024 International Labour Organization (ILO) | Privacy policy | Disclaimer