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Cas individuel (CAS) - Discussion : 1998, Publication : 86ème session CIT (1998)

Convention (n° 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948 - Colombie (Ratification: 1976)

Autre commentaire sur C087

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Le représentant gouvernemental, ministre du Travail, a souligné que son gouvernement approuve et fait siennes les observations de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations. Toutefois, son gouvernement estime pertinent d'apporter quelques précisions sur la législation du travail en vigueur en Colombie, ce qui conduit à évoquer certaines dispositions constitutionnelles et les conventions de l'OIT.

Depuis 1991, date à laquelle a été adoptée la nouvelle Constitution colombienne par l'Assemblée nationale constituante, laquelle est éminemment pluraliste, on enregistre des progrès sans précédent pour tout ce qui a trait au monde du travail. Il convient de mentionner que, sur le plan constitutionnel, les conventions internationales du travail que le Congrès a dûment ratifiées font partie du droit interne. Ainsi, les 51 conventions ratifiées par la Colombie peuvent être appliquées directement et, en vertu de la Constitution colombienne, elles priment dans le droit interne car il s'agit d'instruments du domaine des droits de l'homme. C'est le cas des conventions nos 87 et 96 de l'OIT. L'article 53 de la Constitution, dans son paragraphe 4, dispose que les conventions internationales du travail qui ont été dûment ratifiées font partie du droit interne. L'article 93 de la Constitution dispose que les traités et conventions internationaux qui consacrent les droits de l'homme et qui interdisent la restriction de ces droits pendant tout état d'exception priment dans le droit interne. Les droits et devoirs prévus dans la Constitution sont interprétés conformément aux traités internationaux relatifs aux droits de l'homme ratifiés par la Colombie. Les principes du droit du travail sont également garantis par le mécanisme judiciaire appelé "action de tutelle". En vertu de ce mécanisme, quiconque estime que l'un de ces droits fondamentaux est violé peut solliciter la protection de toute autorité judiciaire au moyen d'une procédure courte et rapide. De nombreux cas de violation de la liberté syndicale ont pu ainsi être résolus, et la protection du droit de libre association, notamment celui d'exercer les droits du travail, a été garantie.

Le gouvernement reste convaincu de l'importance que revêt l'activité normative de l'OIT et de l'avantage, sur le plan social, pour les travailleurs, les employeurs et la société, qu'il y a à intégrer les normes internationales du travail dans le droit interne. Ainsi, au cours de la dernière période, le Congrès a examiné et a approuvé les conventions (no 144) sur les consultations tripartites relatives aux normes internationales du travail, (no 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, (no 161) sur les services de santé au travail, (no 162) sur l'amiante, et (no 174) sur la prévention des accidents industriels majeurs. Ces conventions sont en cours de ratification. On peut affirmer qu'avant la Constitution de 1991 l'exercice de la liberté syndicale faisait l'objet d'entraves en Colombie. Ce n'est plus le cas actuellement et ce droit, qui est consacré par la convention no 87, a désormais rang constitutionnel. De même, le droit qu'ont les travailleurs et les employeurs de former des syndicats ou des associations sans l'intervention de l'Etat -- ces syndicats ou associations étant alors reconnus immédiatement du point de vue juridique -- est consacré dans l'article 38 de la Constitution.

Le représentant gouvernemental indique que des mesures ont été prises pour tenir compte des observations formulées par la commission d'experts dans son rapport III (partie 1) et des commentaires relatifs à la convention no 87, notamment en ce qui concerne les difficultés d'ordre législatif qui persistent. En 1996, une mission d'assistance technique sur la liberté syndicale s'est rendue en Colombie. En collaboration avec cette mission, on a élaboré divers projets de loi destinés à adapter la législation nationale relative au travail aux conventions qui ont été ratifiées. Ces projets de loi ont été soumis au Congrès. S'il est vrai qu'ils n'ont pas été adoptés au cours de cette procédure législative, ils ont servi de point de départ pour l'adoption de diverses mesures administratives, pour répondre aux besoins les plus immédiats et pour élaborer un projet de décret réglementaire portant sur les lois 26 et 27 de 1976, lois en vertu desquelles ont été ratifiées les conventions no 87 et no 98. A l'évidence, il convient de signaler à la commission que, même si ces lois, qui, selon les observations susmentionnées, vont à l'encontre des conventions no 87 et no 98, continuent d'exister, le gouvernement estime qu'elles ont été dérogées et, à cette fin, on demandera qu'une action en inconstitutionnalité soit entamée chaque fois que cela sera nécessaire. Comme on le voit, tout est mis en oeuvre: la présentation d'un projet de loi visant à adapter la législation aux observations de la commission d'experts, l'adoption d'un décret réglementaire et, même, une action en inconstitutionnalité devant la Cour.

A propos des observations de la commission d'experts sur la convention no 87, l'orateur rappelle que, dans le rapport de la commission d'experts, il est indiqué que les normes du travail colombiennes qui ne sont pas conformes à la convention no 87 sont les suivantes:

-- L'article 365 g) selon lequel, pour qu'un syndicat puisse être enregistré, l'inspection du travail doit certifier qu'il n'en existe pas d'autre syndicat. Cette disposition vise à empêcher, seulement dans le cas de syndicats d'entreprise, le parallélisme syndical. Les travailleurs conviendront, très certainement, que cette disposition est nécessaire pour renforcer le mouvement des travailleurs.

-- L'article 365 g) et l'article 384 du Code substantif du travail prévoient qu'il faut être Colombien pour exercer des fonctions de direction dans un syndicat et que, pour qu'un syndicat puisse être constitué, les deux tiers de ses membres doivent être Colombiens. Il est difficile de trouver, dans quelque pays que ce soit, une constitution aussi prodigue que la Constitution colombienne en ce qui concerne la reconnaissance des droits des étrangers. Il suffit d'examiner certaines constitutions dans le monde pour comprendre que la Constitution colombienne est prodigue puisqu'elle prévoit d'emblée la possibilité d'acquérir la nationalité colombienne en vertu des principes de la loi du sol et de la loi du sang. En outre, la Constitution établit que les étrangers peuvent acquérir la nationalité colombienne sans renoncer pour autant à leur nationalité d'origine. Ces dispositions sont d'une ampleur sans précédent et, dans ce domaine, peu de pays au monde peuvent être comparés à la Colombie. Par ailleurs, et c'est peut-être pour cela que ce point n'a pas fait l'objet de mesures législatives particulières, on n'enregistre pas en Colombie un secteur d'activité où la proportion d'étrangers serait particulièrement élevée. En vertu de la Constitution colombienne, les étrangers jouissent des mêmes droits civils que les Colombiens. Toutefois, pour des raisons d'ordre public, ces droits peuvent faire l'objet de réglementations. Par conséquent, la législation n'est contraire ni à la Constitution ni à la convention. Les étrangers peuvent adhérer à un syndicat, mais ils ne peuvent contrôler un syndicat ou devenir dirigeant d'un syndicat.

-- A propos de l'article 486 du Code du travail qui assujettit la gestion interne des syndicats ainsi que les réunions syndicales au contrôle de fonctionnaires, le représentant gouvernemental indique que les fonctionnaires sont chargés de garantir le respect des dispositions des statuts syndicaux relatives aux majorités qualifiées, par exemple en cas de grève. Souvent, ce sont les syndicalistes qui sollicitent la présence de fonctionnaires administratifs en cas de conflit au sein d'un syndicat. Dans ce cas, le fonctionnaire doit recueillir des éléments de preuve qui permettront de régler les conflits à l'avenir. Le gouvernement estime que cette disposition ne nuit ni à l'indépendance, ni à l'autonomie des syndicats.

-- L'article 380 (3) prévoit que tout membre de la direction d'un syndicat qui est responsable de la dissolution de ce syndicat peut être déchu de ses droits syndicaux pour un délai pouvant atteindre trois ans. La loi 50 de 1990 a supprimé la faculté de l'administration, c'est-à-dire du gouvernement, de déchoir de leurs droits syndicaux, les dirigeants d'un syndicat dans le cas susmentionné. Cette faculté revient désormais à l'autorité judiciaire lorsqu'elle constate qu'un dirigeant syndical est responsable de la dissolution ou de la suspension d'un syndicat. Etant donné que cette dissolution est déclarée par voie judiciaire, l'article 380 (3) du Code ne constitue pas une violation de la convention.

-- L'article 422 (1) c) prévoit qu'il faut avoir exercé une activité ou une profession pour devenir dirigeant syndical. Cette disposition ne peut porter atteinte aux droits d'association syndicale, d'abord parce qu'elle s'applique aux syndicats de secteur, ensuite parce que, ce qui importe, c'est le fait que l'activité ou la profession de la personne intéressée relèvent du domaine propre au syndicat, même si cette personne n'exerce pas, dans les faits, ces activités. Les autorités administratives du travail exigent seulement un certificat d'ancienneté du travailleur dans l'entreprise et le fait que ces activités relèvent du domaine propre au syndicat. De par sa nature, un syndicat doit être dirigé par des personnes qui ont la même profession que les membres du syndicat. Ce serait toute autre chose que d'envisager la possibilité de professionnaliser l'activité de dirigeant syndical.

-- Le droit de grève des fédérations et confédérations: le ministère du Travail est en train d'examiner avec tous les partenaires sociaux l'opportunité de développer et de renforcer le mouvement syndical par le biais du syndicalisme de secteur, ce qui conduirait à donner des facultés importantes aux fédérations et aux confédérations. De même, le projet de décret réglementaire envisage les mêmes facultés pour les syndicats d'organisations syndicales de deuxième et troisième degrés.

-- La faculté du ministre du Travail et de la Sécurité sociale et du Président de la République d'intervenir dans les conflits (articles 448 et 450 du Code): pendant le présent mandat du gouvernement, cette faculté n'a pas été exercée, sauf à la demande des syndicats. Le délégué reconnaît que, effectivement, cette disposition viole la convention no 87.

-- La possibilité de licencier les dirigeants qui sont intervenus ou qui ont participé à une grève illégale (article 450 (2) du Code). Les organes de supervision de l'OIT reconnaissent le caractère légitime du licenciement en cas de grève illégale, et la convention prévoit que les organisations de travailleurs doivent respecter la loi. Cette disposition ne viole donc pas la convention. Toutefois, à propos du droit de grève et de certaines restrictions, notamment du point de vue administratif (voir page 184 du rapport de la commission d'experts), le délégué informe la commission que la nouvelle Constitution colombienne de 1991 permet au Congrès de déterminer quels services publics sont essentiels. Ces mesures législatives sont notamment contenues dans cinq lois.

La loi 100 de 1993, article 4, qui porte sur le système général de sécurité sociale en matière de santé et sur le système général de pensions. Ces systèmes ont un caractère essentiel en ce qui concerne les activités qui ont directement trait à l'attribution et au versement de pensions; les articles 1 et 4 de la loi 142 de 1994 portent sur les services publics apportés aux particuliers (eau, égouts, installations sanitaires, électricité, gaz, téléphone fixe et téléphone mobile en milieu rural); l'article 11 du décret 407 de 1994 définit les fonctions du corps national de protection et de surveillance pénitentiaire et des prisons; l'article 125 de la loi 270 de 1996 établit que l'administration de la justice est un service public essentiel; le décret 336 de 1996 fixe les modalités des transports publics aériens, maritimes, ferroviaires et terrestres. Le droit de grève est consacré par la Constitution, et la législation du travail fait progressivement l'objet d'adoptions, de telle sorte que certaines dispositions de la législation en vigueur sont inapplicables et qu'il est possible de déroger à celles qui sont contraires à la Constitution.

Compte tenu du fait que, actuellement, la législation prévoit que les conventions internationales l'emportent sur le droit interne et qu'elles sont immédiatement applicables, le ministère du Travail et de la Sécurité sociale a créé un groupe de juristes dirigé par un spécialiste du droit du travail et des normes de l'OIT. Ce groupe est chargé d'entamer des actions devant la Cour constitutionnelle afin que celle-ci déclare anticonstitutionnelles les normes du Code substantif du travail et les dispositions de la législation du travail qui seraient contraires à l'esprit et à la lettre des conventions de l'OIT ratifiées par la Colombie. Ainsi, on évite, par la voie constitutionnelle, une procédure législative trop longue et le risque que, une fois pris le décret réglementaire susmentionné, des obstacles juridiques en empêchent l'application à l'avenir. La situation n'est toujours pas idéale au niveau de la législation, et pour cette raison le gouvernement tentera, avec les organisations de travailleurs, de tomber d'accord sur des dispositions plus acceptables.

Au sujet des actes de violence qui se produisent en Colombie, le représentant a indiqué que les violations des droits de l'homme qui se produisent ne sont ni voulues ni recherchées par le gouvernement, les travailleurs et les entrepreneurs, et qu'elles s'inscrivent dans le cadre de conflits armés qui perdurent et qui touchent les catégories sociales les plus diverses, soit l'ensemble de la société, les travailleurs et les dirigeants syndicaux. Face à cette situation complexe et extrêmement délicate, le gouvernement colombien a élaboré et mis en oeuvre une politique structurelle en vue de la paix et du respect des droits de l'homme et du droit international humanitaire. Cette politique vise à la fois à rechercher une solution négociée pour les conflits armés, à garantir et à promouvoir le respect des droits de l'homme et du droit international humanitaire, pour que la population civile ne soit pas victime de ces violations. Au sujet de la politique de paix, il convient de mentionner la création du Conseil national pour la paix qui est composé d'organisations de l'Etat et d'organisations issues de la société civile, en particulier de l'église catholique. Le Conseil est respecté et reconnu par les forces en présence. Le gouvernement a apporté son appui à une série d'initiatives de la part des citoyens pour la paix et contre la guerre. Ainsi, lors des dernières élections, le gouvernement a proposé aux électeurs un "bulletin pour la paix", et 10 millions de Colombiens ont placé ce bulletin dans les urnes. Conscient de l'importance qu'il y a à coopérer avec la communauté internationale pour faire face au problème de la violence, le gouvernement colombien a demandé la création en Colombie d'un bureau du Haut Commissaire des Nations Unies pour les droits de l'homme. Ce bureau a ouvert ses portes en avril 1997.

Le représentant gouvernemental a souligné que la Commission des droits de l'homme, qui est l'organe le plus important des Nations Unies pour la protection des droits de l'homme, a déclaré, lors de sa cinquante-quatrième session qui vient de se terminer alors que l'on célèbre le cinquantenaire de la Déclaration des droits de l'homme, qu'elle prend bonne note, d'une part, de l'ensemble des politiques et mesures importantes que le gouvernement colombien a adoptées et mises en oeuvre pour la protection et la défense des droits de l'homme, d'autre part, de la volonté du gouvernement de coopérer avec le bureau du Haut Commissaire pour les droits de l'homme à Bogotá, avec les rapporteurs spéciaux et avec les groupes de travail de la commission, et, enfin, de la disponibilité du gouvernement pour poursuivre et renforcer ces politiques et mesures. Ni la communauté internationale, ni la Colombie ne pourraient comprendre, à ce sujet, que soit prise une décision différente de celle qui a été adoptée au sein de la Commission des droits de l'homme, cela après une longue période d'examen et de concertation.

Au sujet des droits de l'homme des travailleurs, le gouvernement colombien et, en particulier, le ministère du Travail et de la Sécurité sociale se sont engagés à promouvoir le respect des droits fondamentaux relatifs à la vie, à la liberté individuelle et à la liberté d'association. Le gouvernement colombien a attaché une importance particulière à ce sujet parce que l'image du pays à l'étranger en dépend. Il a aussi pris des dispositions véritables et a manifesté sa volonté politique de remédier à une situation qui, il le reconnaît, est inacceptable et qui n'est pas compatible avec le caractère démocratique et citoyen des institutions colombiennes. A été créé le groupe consultatif en matière de droits de l'homme qui dépend directement des services du ministère. Ce groupe a notamment pour fonction de fournir des services consultatifs et d'appui à la Commission interinstitutionnelle des droits des travailleurs. De la sorte, on a progressé dans l'élaboration d'un système d'information sur les actes de violence dont sont victimes les dirigeants syndicaux. Ce système servira de base au gouvernement pour élaborer un mécanisme de suivi et de lutte contre l'impunité. Néanmoins, des assassinats et d'autres crimes odieux ont eu lieu contre des dirigeants syndicaux, et des menaces continuent d'être proférées à l'endroit des dirigeants syndicaux et de leurs activités. Le gouvernement condamne ces actes et offre de prendre des mesures afin de punir les auteurs de ces crimes. Le gouvernement considère que les organisations syndicales occupent une place importante dans la société et que la poursuite d'une paix réelle et d'une justice sociale devrait se poursuivre. Enfin, il indique qu'il s'identifie à la juste cause des organisations syndicales.

Les membres travailleurs ont déclaré que le cas de la Colombie est extrêmement préoccupant. La Commission de la Conférence a discuté de ce cas en 1989, 1990, 1991, 1992, 1993, 1994, 1995 et 1997. Ce cas a été mentionné dans un paragraphe spécial en 1989 et 1990. En outre, les observations de la commission d'experts renvoient également aux problèmes soulevés à propos de la convention no 98. En 1996, une mission de contacts directs s'est rendue en Colombie. A ce jour, cinq plaintes sont en instance devant le Comité de la liberté syndicale.

Les membres travailleurs ont rappelé que l'année précédente, lors de l'examen de ce cas, deux préoccupations majeures ont été soulevées: d'une part, le gouvernement avait élaboré, avec le concours du BIT, deux projets de loi allant dans le sens des observations des experts. Ces observations, reprises dans le rapport de cette année, portaient sur les divergences du droit et de la pratique avec les conventions nos 87 et 98. D'autre part, la Commission de la Conférence s'était déclarée vivement préoccupée par le climat de violence et d'impunité régnant dans le pays et visant en particulier les travailleurs et les syndicalistes.

La commission d'experts note que le gouvernement déclare dans son rapport que le Congrès de la République a décidé d'écarter le projet de loi et recherche d'autres solutions pour répondre aux exigences de la convention. De plus, le deuxième projet de loi, concernant les services publics essentiels, ne semble pas, non plus, avoir connu de suite.

En ce qui concerne la deuxième préoccupation, c'est-à-dire les intentions du gouvernement devant la situation de violence visant les travailleurs et les syndicalistes, aucune information n'est relayée par la commission d'experts, ce qui mène à conclure que le gouvernement n'a pas fourni de telles informations dans son rapport. Or les nouvelles parvenant par des syndicalistes colombiens à cette session même témoignent encore de la gravité extrême de la situation. La semaine précédente, 26 travailleurs ont été enlevés et assassinés. Selon les informations de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies, 127 syndicalistes ont été assassinés en 1997 pour des raisons politiques. Plusieurs syndicalistes ont été enlevés et sont portés disparus. Le Haut Commissaire de l'ONU pour les droits de l'homme a condamné l'appareil judiciaire, et en particulier les tribunaux régionaux, ces tribunaux ayant entériné l'arrestation de syndicalistes sans respecter la procédure judiciaire, et purement et simplement pour avoir exercé leurs droits syndicaux.

Cette situation conduit les membres travailleurs à insister de nouveau sur l'interaction nécessaire et indispensable des instruments de l'OIT et des principes énoncés dans sa Constitution afin de créer, pour reprendre les termes du mandat de la mission de contacts directs de 1996, "un climat de paix sociale et d'élimination progressive des conditions sociales qui impliquent l'injustice, la misère et les privations".

Les membres travailleurs ont constaté que, sur le plan de la mise en conformité de la législation avec la convention, aucun projet n'a été constaté et même que le processus devrait apparemment être recommencé. S'agissant des violences antisyndicales, le gouvernement reste muet quant à l'action entreprise pour mettre fin à ce climat de violence et, en particulier, aux agressions de syndicalistes.

Compte tenu de cette double lacune, les membres travailleurs proposent que, dans ses conclusions, la commission invite le gouvernement à accepter une mission de contacts directs afin: 1) d'assister le gouvernement et les autres organes politiques de décision, comme le Congrès de la République, en vue d'éliminer à court terme les obstacles s'opposant à l'adoption de normes de nature à rendre la législation conforme à la convention; 2) de s'informer sur la situation de violence antisyndicale et définir, avec les autorités compétentes et les organisations de travailleurs et d'employeurs, les mesures à prendre pour mettre un terme aux violences antisyndicales, pour instaurer un climat de paix sociale, et établir et garantir l'état de droit.

Les membres employeurs ont rappelé que ce cas a été examiné huit fois au cours des dix dernières années. En 1996, une mission de l'OIT sur la liberté syndicale avait abouti à l'élaboration d'un projet de loi qui, pour finir, n'a pas été adopté par le Congrès. L'adoption de ce projet de loi aurait apporté dans une large mesure une réponse satisfaisante aux douze points constituant la matière du rapport de la commission d'experts. S'agissant des critiques formulées par la commission d'experts quant à la disposition législative relative au droit de grève, les membres employeurs ont rappelé qu'en la matière leur position n'est pas la même que celle de la commission d'experts et que, par ailleurs, l'obligation pour l'Etat de prendre des mesures de protection s'impose à un stade antérieur. Abstraction faite de cette divergence d'opinions, les autres points soulevés par la commission d'experts montrent à l'évidence que la liberté syndicale est loin d'être respectée. Quant à la suggestion du représentant gouvernemental d'examiner si les propositions formulées dans le cadre du projet de loi précité pourraient être introduites dans la Constitution du pays, les membres employeurs estiment que cette procédure n'aurait pas de résultat positif puisqu'il n'a pas été adopté un seul projet de loi. Les membres employeurs ont noté que le représentant gouvernemental a donné d'abondantes informations sur les nombreuses questions soulevées dans le rapport de la commission d'experts, et qu'il a déclaré qu'une fois ratifiées les conventions sont directement applicables au niveau national et ont la prééminence sur les autres lois. Or la convention no 87 consacre des principes qui devraient être adoptés dans l'ordre juridique national et devraient être respectés dans la pratique, ce qui s'est révélé particulièrement aléatoire. S'agissant de l'intention du gouvernement d'examiner les dispositions juridiques contraires aux dispositions de la convention no 87 et de les déclarer inconstitutionnelles, les membres employeurs doutent que l'exécutif ait la faculté de procéder ainsi. Ils ont fait observer que le problème concerne non seulement la convention no 87 mais encore l'ensemble de la société, en proie à un climat de violence généralisé. Militants syndicaux et chefs d'entreprise sont victimes de discriminations, d'enlèvements ou d'assassinats, situation qui prouve que la liberté syndicale n'existe pas dans ce pays. Les membres employeurs souhaitent que, dans ses conclusions, la commission exprime sa profonde préoccupation, sans y mentionner pour autant des éléments individuels soulignés par la commission d'experts, dans le but d'illustrer la gravité de la situation dans son ensemble. Enfin, le gouvernement devrait être instamment prié de prendre des mesures appropriées et de présenter un rapport dans un proche avenir.

Le membre travailleur de la Colombie a déclaré que ce n'est pas la première fois qu'un ministre donne sa parole et que, un an plus tard, rien n'est fait. Le membre travailleur espère que, cette fois-ci, les promesses qui concernent les travailleurs et la communauté internationale seront tenues. Il déclare, avec beaucoup de tristesse, que la situation des droits de l'homme ne s'est pas améliorée en Colombie. La violence frappe l'ensemble de la société colombienne, en particulier les travailleurs et la population civile. Ces actes de violence, et l'impunité qui les caractérise, sont de plus en plus préoccupants. La politique constante de menaces et d'attentats à l'encontre des défenseurs des droits sociaux fait partie d'une stratégie visant à démobiliser et à démoraliser les organisations de travailleurs. Plus de 98 pour cent de la population colombienne est composée de personnes bonnes, pacifiques, travailleuses, limpides. Tout ce qu'elles veulent, c'est vivre dans un pays en paix, libre, démocratique et développé dans lequel tous les Colombiens auront accès à l'éducation, au logement, à la santé, aux loisirs, à la sécurité sociale, et à l'emploi. Il est donc essentiel de souligner que plus d'un million de personnes sont déplacées en raison de la violence. On sait d'ores et déjà que la situation empirera encore et qu'il y aura davantage de sacrifices. La liberté syndicale est étroitement liée aux droits de l'homme. Le rapport très précis de la commission d'experts porte notamment sur les violations de la convention no 87. S'il est vrai que le ministre du Travail actuel a pris ses fonctions il y a quelques mois seulement, il lui incombe aujourd'hui de se porter garant de ceux qui, de manière irresponsable, s'étaient engagés à harmoniser la législation du travail avec les conventions et les recommandations de l'OIT et qui n'ont pas tenu parole. Les fonctionnaires de l'Etat sont toujours privés du droit à la négociation collective. Le projet de loi dont il a été question précédemment n'a été suivi d'aucun effet et il place les fonctionnaires de l'Etat dans une situation très défavorable. Il est donc très important que le gouvernement de la Colombie dise s'il est véritablement en mesure de tenir des engagements. Par ailleurs, le rapport de la commission d'experts indique de nouveau que, depuis de nombreuses années, la Colombie annonce une modification de la législation du travail. Il est question aujourd'hui, pour garantir la liberté syndicale, de consacrer le statut du travail, comme le prévoit la Constitution. Or les travailleurs colombiens n'ont connaissance ni d'un projet de statut ni de l'issue qui a été donnée à un projet présenté par les travailleurs et qui avait recueilli plus d'un million de signatures. De plus, les travailleurs colombiens se disent préoccupés par la manière dont certaines entreprises suppriment littéralement les travailleurs et leurs organisations en les soumettant à des persécutions, en prévoyant des programmes de retraite "volontaire", en ayant recours à des contrats temporaires et en prévoyant ce que l'on appelle désormais le "statut du travailleur non syndiqué". Cet instrument est extrêmement dangereux pour le mouvement syndical car il établit des garanties et des droits différents pour les travailleurs non syndiqués et parce qu'il vise à diminuer le taux de syndicalisation, comme c'est le cas à Avianca, et dans d'autres entreprises où des pratiques inacceptables sont perpétrées. Par exemple, dans certaines organisations sociales où il existe des syndicats, on a l'habitude, aberrante, de faire pression sur les travailleurs pour qu'ils renoncent à leur emploi et pour qu'ils constituent de petites coopératives susceptibles de fournir des services aux entreprises. De la sorte, on dénature la relation capital-travail, on diminue le volume de l'activité syndicale et on prive les travailleurs de protection syndicale et de sécurité sociale. A ce sujet, il est très important que le gouvernement s'engage à défendre la liberté syndicale et à empêcher que se développent des pratiques allant à l'encontre de la liberté syndicale, comme l'ont signalé les travailleurs de Bavaria, entité où les dirigeants syndicaux ne peuvent exercer leurs activités sur le lieu de travail. De plus, le membre travailleur ne croit pas aux informations selon lesquelles des progrès significatifs auraient été accomplis dans la législation du travail, dans les systèmes de protection de la santé et dans les systèmes de pension. La réalité est tout autre. Le membre travailleur demande que le ministre dise clairement ce que l'on fera des dizaines de milliers de travailleurs qui ont été licenciés ces dernières années. Ces travailleurs ont été licenciés par des maires et des gouverneurs sans qu'aucune sanction n'ait été prise. L'orateur demande également à la commission d'accepter qu'une commission d'enquête soit dépêchée, ce qui pourrait être très utile dans les circonstances actuelles.

Un autre membre travailleur de la Colombie a exposé l'une des principales raisons pour lesquelles il est demandé au gouvernement colombien de rendre des comptes: les violations des droits de l'homme en Colombie sont graves. Plus de 2.500 syndicalistes ont été assassinés au cours des dix dernières années sans qu'aucun responsable de ces crimes n'ait été arrêté. Le nombre extrêmement élevé de personnes déplacées et de réfugiés dans des pays amis et, par conséquent, la destruction du tissu social, la rupture des liens qui existaient dans le monde du travail et au sein des familles montrent à quel point la situation est grave. Par ailleurs, la commission s'est émue des plaintes que les représentants des travailleurs de Colombie ont formulées et qui font état de la "pénalisation" de la lutte sociale. Il s'est avéré que la législation qui vise à réprimer le terrorisme et le trafic de stupéfiants est finalement utilisée contre les dirigeants syndicaux, sociaux et politiques. Cette législation ne permet pas d'engager les actions nécessaires. En effet, la procédure prévue par telle législation est effectuée par des juges "sans visage"; les preuves sont tenues secrètes; des témoins sont entendus plusieurs fois contre une même personne et leur identité n'est pas dévoilée -- on les appelle "témoins clonés"; surtout, cette procédure permet de prononcer, après négociation, des peines dérisoires à l'encontre des véritables coupables, et, bien souvent, des innocents se disent coupables pour ne pas être soumis à des procédures interminables. Si ces derniers n'agissent pas ainsi, ils sont condamnés à des peines arbitraires et injustes. Certes, des débats ont lieu sur l'application de ce type de justice. De plus en plus de personnes s'y opposent. Toutefois, les travailleurs s'inquiètent du fait que, tant que ce type de justice sera appliqué, elle servira, par des moyens illégitimes, à "justifier" ou à prétendre "justifier" toute action contraire à la liberté ou à l'intégrité des dirigeants syndicaux et sociaux et aux membres d'organisations non gouvernementales qui s'occupent des droits de l'homme et des droits politiques.

Mme Mary Robinson, Haut Commissaire des Nations Unies pour les droits de l'homme, a fait d'importantes déclarations au cours de la séance plénière à propos des droits de l'homme et du droit légitime de les défendre. Ces déclarations s'appliquent pleinement au rapport sur la Colombie qui a été présenté à la 54e réunion de la Commission des droits de l'homme, il y a à peine deux mois. Se fondant sur des informations émanant de sa déléguée en Colombie, Mme Robinson a indiqué que, selon des organismes de sécurité de l'Etat colombien, 15 guérilleros sur 100 sont militairement actifs et 85 sur 100 apportent un appui logistique ou politique aux insurgés. Ces guérilleros sont intégrés dans des organisations sociales et syndicales, dans des mouvements politiques légaux et dans des organisations de défense des droits de l'homme. On peut imaginer les conséquences qu'ont, dans un pays comme la Colombie, des allégations aussi absurdes de la part des organismes de sécurité.

Il y a environ un mois et demi, a été assassiné à Bogotá M. Eduardo Umaña Mendoza, défenseur reconnu des droits de l'homme et des droits syndicaux, qui a dénoncé avec véhémence l'impunité et le manque de garanties pour exercer les activités syndicales en Colombie. Il défendait à ce moment-là les dirigeants syndicaux du secteur pétrolier.

Les travailleurs colombiens constatent et saluent la préoccupation que manifestent depuis plus de dix ans le Comité de la liberté syndicale, la commission d'experts et la Commission de l'application des normes. De même, ils se félicitent des mesures qu'ont prises les divers organes de l'OIT pour que la Colombie s'acquitte de son obligation de garantir et de respecter les droits relatifs à la liberté syndicale. Tant de syndicalistes ont été assassinés, déplacés de force ou victimes d'autres violations de leurs droits, et si grave est l'impunité qu'il est vain de citer des statistiques. Il est temps que la communauté internationale, et l'OIT en particulier, prenne des mesures plus concrètes pour aider le peuple colombien à résoudre le grave problème de la situation des droits de l'homme en Colombie. Le membre travailleur appuie la demande, formulée par l'autre membre travailleur de la Colombie, en vue de la création d'une commission d'enquête sur la liberté syndicale en Colombie. Enfin, il a demandé qu'à la mémoire des plus de 2.000 syndicalistes qui ont été assassinés en Colombie au cours des dix dernières années la commission observe une minute de silence.

Le membre travailleur de l'Argentine a déclaré que sa centrale avait dû assurer, à la demande de l'Organisation régionale interaméricaine des Travailleurs (ORIT), la protection de certains syndicalistes contraints de quitter leur pays en raison de menaces de mort réitérées. Il a souligné que le rapport de la commission d'experts signale que le Congrès de la République de Colombie a décidé de mettre en sommeil une réforme législative tendant à modifier la législation en vigueur pour la rapprocher des normes de l'OIT et garantir la liberté syndicale des syndicalistes colombiens. La situation est d'autant plus grave qu'aujourd'hui travailleurs et dirigeants syndicaux sont totalement dépourvus de protection. En 1997, 156 travailleurs et dirigeants syndicaux ont été assassinés et une centaine ont dû abandonner leur foyer en raison des menaces dont ils faisaient l'objet. Les autorités ne font pas preuve d'une volonté marquée d'enquêter sur ces innombrables meurtres, enlèvements et autres attentats. On ne constate pas non plus de progrès notables quant au fonctionnement de la Commission pour la protection des droits de l'homme, que le gouvernement colombien s'était engagé à constituer. On ne constate pas d'évolution quant à la législation relative à la négociation collective dans le secteur public. Les syndicats qui revendiquent légitimement contre les abus des employeurs font l'objet d'une répression de la justice. Les entreprises exercent des poursuites au pénal contre les dirigeants syndicaux, avec une certaine complaisance de la justice. Le droit de grève est bafoué, bien qu'il soit inscrit dans la Constitution. Des dirigeants syndicaux sont licenciés en cas de participation à une grève, et ne jouissent d'aucune protection. Le ministère du Travail, investi de pouvoirs excessifs dont il fait usage de manière discrétionnaire et arbitraire, peut qualifier une grève d'illégale. A l'évidence, le gouvernement ne se soucie pas de modifier la législation, contrairement à ce qu'il s'était engagé à faire, ni de protéger la vie, la sécurité et l'activité des travailleurs et de leurs dirigeants syndicaux. L'intervenant se rallie donc à la démarche des travailleurs colombiens et demande instamment qu'il soit mis fin aux violences et aux diverses atteintes aux droits de l'homme en Colombie et qu'une commission d'enquête soit acceptée par le gouvernement.

Le membre travailleur de l'Allemagne a déclaré ne pas vouloir entrer dans les détails des cas individuels puisque ce cas concernait la situation générale en Colombie. Il souligne que les dirigeants syndicaux ont été assassinés ou sont victimes de toutes sortes de discrimination et qu'en conséquence cette commission se doit d'exprimer sa plus profonde préoccupation concernant la situation dans ce pays. Il souligne que non seulement les syndicalistes font l'objet de persécution, mais également les avocats qui les représentent. Ce climat de violence est illustré notamment par le cas du Dr Mendoza, avocat réputé dans le domaine des droits de l'homme, qui a été assassiné dans son bureau de Bogotá le 18 avril 1998. En ce qui a trait à la déclaration du délégué gouvernemental, il fait remarquer qu'aucune mesure concrète n'a été prise et que le délégué gouvernemental s'est limité à qualifier les actes décrits ci-dessus comme "terribles et criminels". Ainsi, le délégué gouvernemental devrait indiquer quelles mesures concrètes ont été prises afin de remédier à la situation qui prévaut dans ce pays.

Le membre travailleur de l'Islande, s'exprimant au nom des membres travailleurs des pays nordiques, a déclaré que le gouvernement colombien semble déterminé à célébrer le cinquantenaire de la convention no 87 en ne prenant aucune mesure de nature à assurer l'application adéquate de cet instrument dans le pays. A nouveau, la commission est appelée à connaître d'une situation de violence épouvantable à l'encontre de syndicalistes, dont on évoque quelques aspects: en 1997, non moins de 156 travailleurs et dirigeants syndicaux ont été assassinés dans le pays. Ce climat de violence ne semble pas s'être modifié cette année. Le gouvernement peut dire que ces meurtres sont des incidents isolés ou bien le fait de bandes criminelles et qu'il ne peut en être tenu responsable, mais, pour accepter une telle explication, cette commission devrait avoir la preuve que le gouvernement fait effectivement quelque chose pour remédier à la situation. Malheureusement, rien n'indique que ce soit le cas, bien au contraire; certains faits donnent à croire que les moyens de l'Etat sont utilisés pour saper l'activité syndicale. En mars, le Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme a prononcé une condamnation à l'égard de l'appareil judiciaire colombien, considérant que celui-ci violait les garanties du respect des procédures, et Amnesty International a exprimé, dans son récent rapport, des préoccupations du même ordre. Le problème réel qui se pose, devant la démission du gouvernement face aux obligations que lui impose la ratification de la convention no 87, est apparemment l'absence totale de volonté politique. De par le monde, les forces démocratiques et le respect des droits de l'homme amènent un renversement pacifique des dictatures et l'instauration d'une société meilleure pour tous. Pour qu'une telle évolution se produise, il faut du courage. Il faut du courage pour faire table rase de l'ancien système de répression sociale et encore du courage pour permettre au peuple d'un pays de jouir des droits fondamentaux de l'homme. Il est évident que de tels progrès, c'est-à-dire qu'une telle évolution démocratique ne peut avoir lieu dans les conditions qui règnent actuellement en Colombie.

Le membre travailleur de la France a d'abord souligné la forte émotion qui touche ce cas et qui justifie le nombre élevé d'interventions. Il note que les propos du gouvernement se veulent rassurants mais que les faits et l'actualité contredisent ces propos. Il estime qu'à la base le problème est l'absence d'un état de droit et des moyens classiques de faire respecter la loi. L'orateur rappelle que la démarche prometteuse en 1996 avec le concours de l'OIT tendant à modifier diverses mesures contenues dans le Code substantif du travail a été rejetée par le Congrès. Le ministère du Travail étudie la possibilité de soumettre au Congrès le statut du travail qui reprendrait les amendements précités. Mais l'orateur demande quelle crédibilité peut-on attacher à cette démarche si le Congrès de la République a déjà rejeté le premier projet. L'orateur rappelle ensuite certains chiffres tels que 156 dirigeants syndicaux assassinés en 1997. Il note que, de ce nombre, 61 sont des enseignants en plus des quatre qui sont portés disparus, ce qui représente plus de 50 pour cent des syndicalistes assassinés. Il cite par exemple les événements du 7 mars 1996 où le secrétaire général de la FENSUAGRO fut abattu dans son bureau. Il mentionne également que, le 26 mars, le ministère public a menacé d'arrêter huit dirigeants syndicaux pour falsification de documents et fraude. A cet égard, l'orateur estime que la non-application de la convention no 87 ne peut que conforter les groupes paramilitaires qui s'attaquent aux syndicalistes puisque même les pouvoirs publics ne semblent pas respecter les dispositions de la convention no 87.

Le membre travailleur de l'Espagne a souligné que les problèmes essentiels ne se situent pas au niveau de la législation ou de la Constitution, mais ont leur racine dans l'impunité des crimes commis. Il a été signalé qu'aucun responsable de ces crimes n'a été jugé. La commission d'enquête proposée lors de la discussion peut, si elle engage sa tâche avec valeur, générosité et courage, contribuer à rendre la paix possible. L'OIT et les Nations Unies ne peuvent rester impassibles face à la situation de violence en Colombie. Après avoir déploré les récents assassinats massifs des syndicalistes, il rend hommage à la CUT pour sa lutte en faveur des droits de l'homme et des droits syndicaux.

Le membre gouvernemental de la Norvège, s'exprimant au nom des douze pays suivants: l'Allemagne, l'Autriche, le Canada, le Danemark, les Etats-Unis, la Finlande, l'Irlande, l'Islande, la Norvège, les Pays-Bas, la Suède et la Suisse, a déclaré que la situation de la Colombie avait été discutée au cours de la dernière session de la présente commission. La commission avait exprimé de profonds regrets quant au climat de violence qui menaçait la vie et l'intégrité physique des syndicalistes. Au cours de ces dernières années, l'aggravation de la situation des droits de l'homme a de plus en plus capté l'attention de la communauté internationale. Le gouvernement n'a toujours pas adopté les mesures législatives nécessaires sur la liberté syndicale et la négociation collective, ainsi que la commission d'experts le relève dans son rapport. Les représentants gouvernementaux des douze Etats susvisés soutiennent l'appel lancé par la commission d'experts pour que le gouvernement fournisse un rapport clarifiant la situation dans ce domaine. Toutefois, aussi sérieuses que soient ces restrictions, elles interviennent dans un contexte global d'extrême violence, qui comprend parmi ses victimes des syndicalistes. L'orateur a exprimé le ferme espoir d'être en mesure, dans un proche avenir, de noter des progrès substantiels dans le domaine des droits civils et politiques qui sont essentiels à l'exercice des droits syndicaux, entre autres grâce à la coopération avec le bureau du représentant du Haut Commissaire des droits de l'homme à Bogotá et à l'assistance du BIT. Enfin, l'orateur a exprimé l'espoir que le gouvernement de la Colombie prenne prochainement les mesures nécessaires pour mettre sa législation et sa pratique pleinement en conformité avec la convention.

Le membre travailleur du Guatemala a signalé qu'il est triste et préoccupant de constater que l'année où est célébré le 50e anniversaire de la convention no 87 et de la Déclaration universelle des droits de l'homme, ces instruments restent lettre morte en Colombie. Le gouvernement ne garantit pas la protection de la vie des citoyens alors que ceci est sa responsabilité première. A cet égard, il convient de condamner la répression et les persécutions systématiques que subit le mouvement syndical colombien. L'impunité et l'injustice sociale prévalent en Colombie sans aucune perspective d'amélioration. Les travailleurs sont fatigués par les fausses promesses. Le représentant gouvernemental doit préciser quelles politiques il entend mener pour résoudre les problèmes mentionnés et garantir l'application effective de la convention no 87, la paix ainsi que la démocratie.

Le membre travailleur des Etats-Unis a déclaré qu'étant donné les violations systématiques, structurelles et chroniques de la liberté syndicale en Colombie et considérant les violations massives et barbares contre l'intégrité physique des syndicalistes en Colombie, la délégation des travailleurs américains se joint à la délégation des travailleurs colombiens ainsi qu'aux autres délégations de travailleurs pour demander l'établissement d'une commission d'enquête. Toute mesure moindre serait totalement inadéquate.

Le représentant gouvernemental de la Colombie a remercié tous les orateurs ayant participé à la discussion. Il a déclaré soutenir les déclarations de solidarité des travailleurs de tous les pays avec le peuple colombien, après les assassinats de travailleurs récemment perpétrés par des groupes paramilitaires. Il a également été reconnaissant de la minute de silence demandée par les travailleurs en protestation contre la violence en Colombie. Il a déclaré que, si des inexactitudes ont pu être formulées par certains orateurs à propos des problèmes législatifs, il ne souhaitait pas en faire mention, considérant que la question de fond est tout autre. Pour ce qui est des violations des droits de l'homme, l'organe spécialisé des Nations Unies dans ce domaine a reconnu l'ensemble des importantes mesures politiques adoptées et mises en oeuvre par le gouvernement en matière de protection des droits de l'homme. Compte tenu de cette déclaration, il convient de considérer que ce sont les organes spécialisés dans ce domaine qui doivent s'exprimer à cet égard. L'orateur ne nie pas cependant qu'il existe des violations des droits de l'homme en Colombie. Les agents de l'Etat s'étant rendus coupables de tels actes ont été sanctionnés. Cependant, devant tant de violence de la part des formations paramilitaires, de la guérilla, etc., on peut se demander si d'autres peuples auraient pu préserver leurs institutions et l'ordre constitutionnel, comme c'est le cas en Colombie. Pour ce qui est de la possibilité de déclarer inconstitutionnelles certaines dispositions du Code du travail, l'intervenant considère qu'il s'agit là d'une marque d'intérêt de la part d'un gouvernement soucieux de faire droit aux observations de la commission d'experts. En ce qui concerne la demande d'une commission d'enquête en Colombie, l'intervenant a déclaré souhaiter que s'achève la procédure pertinente devant le Conseil d'administration de l'OIT et que, dans le cas ou ce dernier déciderait, après avoir examiné la réponse du gouvernement, d'envoyer une mission d'enquête, celui-ci se montrerait pleinement coopératif.

Le représentant du Secrétaire général a répondu à la demande d'information formulée par les membres travailleurs concernant la commission d'enquête. Après la lecture des dispositions pertinentes de l'article 26 de la Constitution de l'OIT, il précise que la plainte doit être présentée par écrit ou, dans le cas présent, par un délégué à la Conférence; une déclaration pouvant être faite à la séance plénière de la Conférence. Le Conseil d'administration soumettra ensuite la plainte au bureau du Conseil d'administration puis au Conseil d'administration afin qu'il se prononce sur son admissibilité, et qu'il statue sur l'adoption de mesures qu'il jugerait utiles ou nécessaires. La plainte doit dans tous les cas identifier clairement les faits et indiquer les dispositions de la convention ou des conventions dont le non-respect est invoqué. Il convient de signaler que, en vertu de l'article 26 de la Constitution de l'OIT, la présente commission n'est pas compétente pour se prononcer sur l'admissibilité des plaintes.

La commission a pris note des informations orales communiquées par le ministre du Travail, ainsi que du long débat qui s'en est suivi. La commission a rappelé, avec une grande préoccupation, que les divergences majeures et persistantes entre la législation et la pratique et les dispositions de la convention ont fait, à maintes occasions, l'objet de discussions à la Commission de la Conférence. Elle a profondément déploré que les cas soumis au Comité de la liberté syndicale laissent apparaître une persistance de la violence antisyndicale, y compris la mort d'un grand nombre de dirigeants et militants syndicaux. La commission a exprimé sa profonde préoccupation concernant la violation des droits relatifs à la liberté syndicale dans leurs aspects les plus essentiels. Elle a noté, avec regret, qu'aucun progrès n'avait été réalisé dans le sens d'une plus grande conformité avec la convention, malgré l'assistance fournie en 1996 par une mission du BIT sur la liberté syndicale. La commission a rappelé que par la suite un projet de loi avait été préparé pour abroger et modifier un certain nombre de dispositions non compatibles avec les exigences de la convention, mais que ledit projet de loi a été mis en veilleuse par le Congrès. La commission a de nouveau instamment prié le gouvernement de prendre des mesures concrètes, afin de mettre en conformité avec les exigences de la convention les dispositions du Code substantif du travail et les décrets correspondants contraires à l'application des articles 2, 3 et 10. Elle a insisté, en particulier, sur: la nécessité de lever les pouvoirs de contrôle étendus sur les affaires syndicales accordés aux autorités administratives; l'interdiction de constituer plus d'un syndicat au niveau de l'entreprise; l'exigence d'un nombre excessivement élevé de travailleurs colombiens pour constituer un syndicat; la restriction importante qui pèse sur l'éligibilité des agents syndicaux et sur le droit des organisations de travailleurs d'organiser leurs activités et d'élaborer leurs programmes pour la promotion et la défense de leurs intérêts professionnels. La commission a exprimé le ferme espoir que le gouvernement fournirait un rapport détaillé à la commission d'experts sur les progrès concrets qui ont été réalisés, tant en droit qu'en pratique, pour assurer l'application de cette convention fondamentale, ratifiée il y a plus de vingt ans. La commission a pris note de la déclaration faite par le représentant gouvernemental, manifestant sa disposition à communiquer avec le Conseil d'administration au cas où une plainte écrite pour une commission d'enquête lui serait soumise.

Pendant la discussion, la commission a observé une minute de silence à la mémoire des syndicalistes assassinés en Colombie.

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