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Observation (CEACR) - adoptée 2009, publiée 99ème session CIT (2010)

Convention (n° 29) sur le travail forcé, 1930 - Soudan (Ratification: 1957)
Protocole de 2014 relatif à la convention sur le travail forcé, 1930 - Soudan (Ratification: 2021)

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La commission prend note du rapport du gouvernement daté du 27 avril 2008, reçu en mai 2008, du rapport de la Commission pour l’éradication de l’enlèvement des femmes et des enfants (CEAWC) sur ses activités, joint au premier, et enfin de la discussion qui a eu lieu au sein de la Commission de la Conférence sur l’application des normes en juin 2008. Elle prend également note des observations de la Confédération syndicale internationale (CSI) concernant l’application de la convention par le Soudan datées du 29 août 2008, ainsi que de la réponse du gouvernement à ces observations datée du 2 novembre 2008, transmise au Bureau par communications datées des 12 et 20 novembre 2008 puis, à nouveau, par communication datée du 9 janvier 2009.

Article 1, paragraphe 1, et article 2, paragraphe 1, de la convention. Abolition des pratiques de travail forcé. Depuis un certain nombre d’années, la commission se réfère, dans le contexte de l’application de la convention, à la persistance de pratiques d’enlèvements et de travail forcé dont sont victimes des milliers de femmes et d’enfants dans les régions du pays où sévit un conflit armé. La commission rappelle que cette situation a été examinée à de nombreuses reprises au fil des ans dans ses propres observations et discutée à plusieurs reprises par la Commission de la Conférence. La commission a souligné à chacune de ces occasions que ces pratiques constituent une grave violation de la convention dans la mesure où les victimes sont contraintes d’accomplir un travail pour lequel elles ne se sont pas proposées d’elles-mêmes, que ce travail s’accomplit dans des conditions extrêmement difficiles associées à des mauvais traitements, y compris de la torture et la mort. La commission a considéré que cette situation appelle d’urgence une action systématique à la mesure de sa gravité et de son étendue. Il a donc été demandé au gouvernement de fournir des informations détaillées sur les mesures prises pour mettre un terme à ces pratiques de travail forcé qui font suite aux enlèvements de femmes et d’enfants et pour s’assurer que, conformément à la convention, des sanctions pénales sont infligées aux auteurs de ces pratiques.

Commission de l’application des normes de la Conférence. La commission note que, dans ses conclusions de juin 2008, la Commission de la Conférence a relevé une fois de plus la convergence des allégations et le large consensus parmi les différentes institutions des Nations Unies, les organisations représentatives de travailleurs et les organisations non gouvernementales au sujet de la persistance et de l’étendue des violations des droits de l’homme et du droit humanitaire international dans certaines régions du pays. La Commission de la Conférence a pris note des mesures prises par le gouvernement, et notamment les progrès obtenus par la CEAWC en ce qui concerne la libération des personnes enlevées, ainsi que les efforts déployés pour améliorer la situation dans le pays sur le plan des droits de l’homme. Elle a cependant estimé qu’il n’a pas été fourni d’éléments tangibles permettant de vérifier que le travail forcé a été complètement éradiqué dans la pratique et s’est déclarée préoccupée par certaines informations faisant état de retour involontaire des victimes d’enlèvement, pour certaines après avoir été séparées de leur famille, et notamment de certaines affaires de déplacement d’enfants non accompagnés. La Commission de la Conférence a également noté avec préoccupation qu’aucune responsabilité n’a été recherchée du côté des auteurs de ces actes. Elle a instamment appelé le gouvernement à poursuivre ses efforts avec vigueur et à s’employer de toute urgence, y compris avec le concours de la CEAWC, à éradiquer totalement les pratiques de travail forcé et à mettre un terme à l’impunité, en traduisant en justice les auteurs de ces actes, notamment ceux qui ne veulent pas coopérer. Elle a à nouveau invité le gouvernement à recourir à l’assistance technique du BIT et d’autres donateurs dans ce but, gardant à l’esprit que seule une vérification indépendante de la situation dans le pays permettra de déterminer si les pratiques de travail forcé ont été complètement éradiquées.

Organes des Nations Unies. La commission note que, dans sa résolution no 1881 (de 2009), le Conseil de sécurité des Nations Unies se déclare préoccupé par la gravité persistante de l’état de sécurité et la détérioration de la situation humanitaire au Darfour et a réitéré sa condamnation de toutes les violations des droits de l’homme et du droit humanitaire international au Darfour. Le Conseil de sécurité souligne que les auteurs de ces crimes doivent être traduits en justice et demande instamment au gouvernement soudanais d’honorer ses obligations à cet égard. La commission prend également note d’un rapport de la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme au Soudan (A/HRC/11/14, juin 2009), dans lequel il est constaté que, malgré certaines mesures positives de réforme de la législation, l’amélioration de la situation des droits de l’homme sur le terrain reste un défi considérable. C’est ainsi qu’au Darfour les violations des droits de l’homme et du droit humanitaire international continuent d’être perpétrées par toutes les parties et que, dans le sud du Soudan, des centaines de civils ont été tués dans des raids commis par l’Armée des Seigneurs de la Résistance dans le cadre de conflits tribaux, et qu’un grand nombre de femmes et d’enfants ont été enlevés. Selon ce rapport, l’impunité de ces crimes continue à affecter gravement toutes les régions du Soudan, les dénonciations d’atteintes aux droits de l’homme ne font pas dûment l’objet d’enquêtes, nombre d’auteurs présumés de crimes graves ne sont pas traduits en justice et aucune réparation n’est accordée aux victimes. La Rapporteuse spéciale renouvelle toutes les recommandations qu’elle a formulées antérieurement dans ses rapports et qui sont restées sans suite et, en particulier, celle qui vise à ce que toutes les dénonciations d’atteintes aux droits de l’homme et au droit humanitaire international fassent dûment l’objet d’enquêtes et que les auteurs présumés soient promptement traduits en justice (paragr. 92(2)).

Commentaires d’organisations de travailleurs. Dans les observations datées du 29 août 2008 mentionnées plus haut, la CSI souligne que, malgré les déclarations du gouvernement à la Commission de la Conférence en 2008 selon lesquelles il n’y a plus eu d’autres cas d’enlèvement et de travail forcé dans le pays, des informations provenant de sources diverses attestent au contraire de la persistance des enlèvements au Darfour, dans le cadre du conflit qui sévit toujours dans cette région, et les violations des droits de l’homme qui s’y commettent accusent une similarité marquée avec celles qui ont sévi dans le sud du Soudan tout au long de la guerre civile de 1983 à 2005, notamment avec de nombreux cas documentés d’enlèvements à des fins d’exploitation sexuelle et de travail forcé. La CSI se réfère en particulier au rapport de novembre 2007 sur la situation des droits de l’homme au Darfour établi par le groupe d’experts des Nations Unies, au rapport de mars 2008 de la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme au Soudan et aux conclusions des recherches menées par Anti-Slavery International en 2006-07. Tout en accueillant favorablement le fait que le gouvernement a, finalement, reconnu l’ampleur du problème et a résolu 11 300 cas d’enlèvement, la CSI se déclare préoccupée par le processus de libération et de réunification des familles. Elle se réfère en particulier aux constatations de l’UNICEF selon lesquelles certaines des personnes prises en charge ne sont pas les véritables victimes d’enlèvement, certaines des personnes retournant dans leur foyer ne le font pas de leur plein gré et certaines familles ont été séparées de leurs enfants, lesquels ont été déplacés sans être accompagnés. La CSI relève également que, alors que le gouvernement affirme que 11 300 des 14 000 cas d’enlèvement ont été «résolus», la réunification des familles ne s’est produite que dans 3 394 cas, c’est-à-dire dans moins d’un tiers des cas. La CSI reste persuadée que l’impunité dont les auteurs de ces enlèvements ont bénéficié – attestée par l’absence de toutes poursuites pour enlèvement au cours des seize dernières années – a été la cause de la persistance de cette pratique tout au long de la guerre civile de 1983 à 2005 et de sa persistance, encore aujourd’hui, au Darfour. La CSI appuie donc fermement la recommandation formulée par la Commission de la Conférence en 2008 selon laquelle ce ne sera «qu’à travers une vérification indépendante de la situation dans le pays qu’il sera possible de déterminer que les pratiques de travail forcé ont été complètement éradiquées». Elle considère que le gouvernement devrait accepter l’assistance technique du BIT sous la forme d’une mission qui aurait pour mandat d’examiner la mesure dans laquelle les victimes d’enlèvements ont effectivement été réintégrées dans leur communauté d’origine.

Réponse du gouvernement. Dans son rapport de 2008, le gouvernement reprend les informations communiquées au BIT en mai 2007 et présente une mise à jour des activités menées par la CEAWC à fin avril 2008. Il réaffirme une fois de plus son engagement ferme et constant à éradiquer totalement le phénomène des enlèvements et à fournir un soutien continu à la CEAWC. Le gouvernement indique, dans son rapport, ainsi que dans sa réponse aux observations susmentionnées de la CSI, que sur près de 14 000 cas documentés d’enlèvements, la CEAWC a été en mesure de réintégrer les personnes enlevées dans leur famille dans 6 000 cas. La commission constate cependant que, d’après le rapport d’activité de la CEAWC daté du 27 avril 2008, joint au rapport du gouvernement, il n’y a eu que 3 708 cas de retour de personnes enlevées dans leur famille, en incluant les 310 cas récemment comptabilisés par le gouvernement du sud du Soudan. Le gouvernement confirme une fois de plus sa déclaration antérieure selon laquelle les enlèvements ont totalement pris fin ce qui, toujours selon lui, est confirmé par le Comité des chefs Dinka (DCC). C’est pour cette raison que le gouvernement a demandé instamment que ce cas ne soit plus examiné et que l’OIT cesse d’en discuter puisque, comme en attestent les rapports des organes spécialisés des Nations Unies, la situation est désormais réglée de manière satisfaisante. Pour ce qui est de la situation au Darfour, le gouvernement est d’avis que, puisque le Conseil de sécurité des Nations Unies et l’Union africaine examinent actuellement cette question, elle ne devrait pas être discutée par l’OIT, de manière à éviter toute duplication. Pour ce qui est des préoccupations des travailleurs exprimées dans l’observation de la CSI évoquée plus haut au sujet du processus de libération et de réintégration des victimes dans leur famille et du caractère volontaire du retour des victimes, le gouvernement déclare que ces préoccupations ne sont pas fondées. Il se réfère au rapport précité de la CEAWC, qui fait lui-même référence à une lettre du représentant de l’UNICEF au Soudan selon laquelle il n’a pas été signalé de cas de retour forcé et, par ailleurs, sur le terrain, une solution a été apportée de manière effective à plusieurs affaires d’enfants non accompagnés dans le nord du pays. Le gouvernement fait part, dans son rapport, de son engagement à fournir tous les fonds nécessaires pour que le travail restant à faire soit mené à bien, bien que nombre d’institutions internationales ont déclaré que le reste des victimes d’enlèvements ne sont plus des personnes enlevées au sens strict du terme et ont demandé à la CEAWC d’éviter les retours forcés. S’agissant de la traduction en justice des auteurs de ces crimes, le gouvernement renouvelle ses déclarations antérieures, selon lesquelles la CEAWC, initialement convaincu qu’une action de la justice serait le meilleur moyen d’éradiquer le phénomène des enlèvements, a été prié par toutes les tribus concernées, y compris le DCC, de ne pas recourir aux actions en justice, à moins que les efforts amiables des tribus échouent. Le gouvernement a estimé que les actions en justice prennent trop de temps, et sont très coûteuses; elles ne sauraient en outre construire la paix entre les tribus concernées et servir ainsi l’esprit de réconciliation nationale. Le gouvernement déclare également qu’il n’est pas en mesure de forcer les gens à engager une action en justice. Il rejette également la recommandation tendant à une vérification indépendante du travail accompli par la CEAWC.

Prenant note de ces avis et commentaires, de même que de l’engagement renouvelé du gouvernement à résoudre le problème, la commission prie instamment le gouvernement de redoubler d’efforts afin d’éradiquer totalement les pratiques de travail forcé, qui constituent une grave violation de la convention et, en particulier, de résoudre les cas d’enlèvements qui ont sévi dans toutes les régions du pays, et de prévoir les moyens pour que les victimes retournent dans leur famille. Tout en prenant note des nouveaux résultats enregistrés par la CEAWC en ce qui concerne la libération des victimes d’enlèvements, la commission espère que le gouvernement continuera de fournir des informations détaillées sur ce processus de libération et de réintégration des victimes dans leur famille, s’appuyant sur des statistiques précises et fiables, étayées par des rapports de la CEAWC. Notant également avec préoccupation les déclarations du gouvernement selon lesquelles les enlèvements ont cessé complètement sont en contradiction avec d’autres sources d’information, la commission se réfère à nouveau au large consensus parmi les organes des Nations Unies, les organisations représentatives de travailleurs et les organisations non gouvernementales au sujet de la persistance et de l’étendue des violations des droits de l’homme et du droit humanitaire international dans certaines régions du pays. Elle exprime le ferme espoir que le gouvernement prendra d’urgence les mesures préconisées dans les recommandations des institutions et organes internationaux compétents en vue de mettre fin à toutes les violations des droits de l’homme et ainsi contribuer à établir les conditions d’un respect plein et entier des conventions relatives au travail forcé. La commission incite le gouvernement à recourir, comme proposé par la Commission de la Conférence, à l’assistance technique du BIT.

Article 25. Sanctions pénales punissant le fait d’avoir exigé illégalement du travail forcé ou obligatoire. La commission avait pris note des dispositions du Code pénal punissant les enlèvements de peines d’emprisonnement et elle avait demandé au gouvernement de prendre les mesures pour s’assurer que des sanctions pénales sont imposées aux auteurs de tels actes, conformément à la convention. La commission note que le gouvernement réitère dans ses rapports que la CEAWC, qui était initialement d’avis que les actions en justice sont le meilleur moyen d’éradiquer la pratique des enlèvements, a été priée par toutes les tribus concernées de ne pas recourir à ces actions, à moins que les efforts amiables déployés par les tribus n’échouent. Le gouvernement précise également à nouveau qu’à son avis, dans un esprit de réconciliation nationale, il y a lieu de ne pas engager de poursuites à l’égard des auteurs d’actes d’enlèvement et de travail forcé. La commission rappelle à cet égard qu’en vertu de l’article 25 de la convention «le fait d’exiger illégalement du travail forcé ou obligatoire sera passible de sanctions pénales et tout Membre ratifiant la présente convention aura l’obligation de s’assurer que les sanctions imposées par la loi sont réellement efficaces et strictement appliquées». Elle considère donc que la non-application de sanctions pénales à l’égard des auteurs de ces crimes est contraire à cette disposition de la convention et peut avoir pour effet d’assurer l’impunité aux auteurs d’enlèvements qui exploitent le travail forcé d’autrui.

La commission exprime le ferme espoir que les mesures nécessaires seront enfin prises pour que des poursuites judiciaires soient engagées à l’égard des auteurs de ces actes, en particulier à l’égard de ceux qui refusent de coopérer, et que des sanctions pénales seront imposées aux personnes condamnées pour avoir exigé illégalement du travail forcé, comme le prescrit la convention. Elle prie à nouveau le gouvernement de fournir, dans son prochain rapport, des informations sur l’application dans la pratique des dispositions pénales punissant le crime d’enlèvement, de même que des dispositions punissant le kidnapping et l’imposition de travail forcé (art. 161, 162 et 163 du Code pénal), en communiquant copie de toute décision judiciaire pertinente.

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