ILO-en-strap
NORMLEX
Information System on International Labour Standards

Informe definitivo - Informe núm. 378, Junio 2016

Caso núm. 3145 (Federación de Rusia) - Fecha de presentación de la queja:: 27-MAY-15 - Cerrado

Visualizar en: Inglés - Español

Allégations: L’organisation plaignante allègue des poursuites pénales contre les militants syndicaux M. Leonid Tikhonov, président de la section locale du Syndicat russe des dockers (RPD) de l’entreprise portuaire «Vostochny Port», et Mme Natalia Bondareva, chef comptable du syndicat, et leur condamnation et détention pour l’exercice d’activités syndicales

  1. 719. La plainte figure dans une communication de la Confédération russe du travail (KTR), en date du 27 mai 2015.
  2. 720. Le gouvernement de la Fédération de Russie a adressé ses observations dans une communication en date du 24 novembre 2015.
  3. 721. La Fédération de Russie a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations de l’organisation plaignante

A. Allégations de l’organisation plaignante
  1. 722. Dans sa communication en date du 27 mai 2015, la KTR explique que M. Leonid Tikhonov a été élu vice-président de la section locale du Syndicat russe des dockers (RPD) de l’entreprise portuaire «Vostochny Port», en 1997, puis élu président en 2002. Mme Bondareva a adhéré à la section locale du syndicat le 16 juillet 2008 et était son chef comptable.
  2. 723. La KTR explique que, lorsque la convention collective de l’entreprise pour la période 2009 2011 a pris fin en novembre 2011, l’employeur a refusé de maintenir les conditions de l’ancienne convention collective, alors que la section locale du syndicat souhaitait les conserver. La section locale du syndicat a organisé un grand rassemblement le 4 décembre 2011 afin de le faire coïncider avec la date des élections de la Douma d’Etat. La KTR allègue que, pour éviter que le grand rassemblement ne puisse avoir lieu, l’employeur a accepté de renouveler la convention collective avec le libellé proposé par les travailleurs, mais, dépité, ce dernier a commencé à exiger de la section locale du syndicat des documents financiers et autres et a demandé un audit des activités financières de la section locale du syndicat.
  3. 724. La KTR indique que, en vertu de l’article 377(4) du Code du travail, dans les cas prévus par la convention collective, l’employeur alloue des ressources financières à une section locale syndicale pour l’organisation d’activités de masse dans les domaines de la culture, du sport et des loisirs. La convention collective de l’entreprise pour la période 2009-2011 contenait une disposition dans ce sens. En application du paragraphe 6.24 de la convention collective, l’entreprise et les syndicats actifs au sein de cette dernière s’engagent à organiser des activités de masse dans les domaines de la culture, du sport et des loisirs. A cette fin, l’employeur transfère tous les mois, sur le compte des syndicats, des fonds à hauteur de 1 pour cent de la masse salariale des membres syndicaux. Selon l’organisation plaignante, cet engagement était déjà respecté dans la pratique par l’employeur depuis huit ans. Durant ces années, il y avait une pratique consistant à soumettre à l’employeur de simples rapports écrits accompagnés de copies de documents confirmant les dépenses. Les formalités écrites étaient relativement simples. Les fonds consacrés aux activités de masse dans le domaine de la culture servaient notamment à acheter des cadeaux de nouvel an pour les travailleurs et leurs enfants. Néanmoins, ces dernières années, de nombreux travailleurs ont préféré recevoir de l’argent plutôt que des cadeaux. Selon la KTR, la pratique était connue et reconnue par l’employeur.
  4. 725. La KTR explique que, en 2011, le comité d’organisation de la section locale du syndicat a décidé d’acheter des souvenirs et des prix pour les enfants des membres syndicaux et de remettre aux membres syndicaux eux-mêmes un montant de 500 roubles à titre de cadeau de nouvel an. Néanmoins, des comités syndicaux ont, par la suite, acheté des cadeaux en nature qu’ils ont offerts à leurs membres.
  5. 726. La KTR explique par ailleurs que, en 2012, une conférence de travailleurs, à laquelle participaient deux syndicats actifs au sein de l’entreprise et d’autres travailleurs, a décidé d’appeler l’employeur à augmenter les salaires, compte tenu du fait qu’il n’y avait pas eu de hausse de salaires depuis plus de deux ans. Le 2 juin 2012, constatant une hausse du chiffre d’affaires du fret et des dividendes des actionnaires, la section locale syndicale, avec la participation active de M. Tikhonov, a tenu une réunion de protestation pour exiger des hausses de salaires et une revalorisation des primes et prestations pour ancienneté.
  6. 727. L’organisation plaignante allègue que, le 19 juin 2012, des policiers ont perquisitionné, sans mandat, les bureaux de la section locale du syndicat et saisi des documents syndicaux. Le 22 juin 2012, une deuxième perquisition a eu lieu, avec un mandat approuvé par un enquêteur et un juge. Selon la KTR, durant les deux perquisitions, des documents ont été saisis en violation des règles de procédure, car aucun inventaire n’a été dressé et des dossiers entiers ont été emportés sans être enregistrés. Le 22 juin 2012, des poursuites pénales ont été intentées contre M. Tikhonov et Mme Bondareva. A la suite d’une enquête, les deux syndicalistes ont été formellement accusés du détournement de 10 000 roubles en 2009 et de 359 571 roubles en 2011. A plusieurs reprises, le syndicat a remis en question l’action des policiers, y compris en dénonçant les violations des procédures de perquisition, sans résultat.
  7. 728. Une commission d’audit du RPD a examiné, du 4 au 6 mars 2013, les dépenses effectuées par la section locale du syndicat avec les fonds alloués par l’entreprise en 2009 et en 2011 au titre des activités culturelles. La KTR explique que, bien qu’il n’ait pas été possible pour la commission d’audit de procéder à une vérification complète du budget du fait que tous les documents pertinents avaient été saisis par la police, les membres interrogés de la section locale du syndicat ont confirmé avoir reçu chacun 500 roubles. L’argent a été remis de la manière suivante: une fois les fonds reçus à la banque, Mme Bondareva et M. Tikhonov transféraient les fonds aux présidents des comités syndicaux et aux organisateurs des groupes de travail (sans les enregistrer), de sorte que ces derniers pouvaient soit acheter des cadeaux, soit remettre des espèces aux travailleurs. La KTR allègue que, au cours des audiences au tribunal et durant l’enquête, les présidents des comités syndicaux ont confirmé la réception de ces montants, mais le tribunal n’a pas accepté leur témoignage en raison de leur qualité de militants syndicaux. L’organisation plaignante explique que les présidents des comités syndicaux ont distribué les fonds aux membres syndicaux, mais que tous n’ont pas produit de reçu; certaines personnes ont présenté des chèques en blanc qui ont été remplis par Mme Bondareva en personne. Par la suite, M. Tikhonov et Mme Bondareva ont approuvé un rapport financier sur la base des tickets de caisse présentés.
  8. 729. La KTR fait valoir que la violation des règles régissant le classement des documents comptables réside dans le fait qu’il n’y a pas eu d’inscription des transferts de fonds vers les présidents des comités syndicaux et directement vers les membres syndicaux. Elle fait remarquer par ailleurs que, alors que ce type d’infraction relève de la responsabilité administrative, l’enquête et le tribunal ont conclu à des malversations et à un détournement de fonds.
  9. 730. Selon l’organisation plaignante, durant l’enquête, les témoins ont été entendus avec la participation directe de l’employeur: le personnel de sécurité de l’entreprise a conduit les travailleurs, l’un après l’autre, au poste de police local pour interrogatoire, ou les a invités à se rendre dans les bureaux des services de sécurité du port. Les travailleurs ont été invités à attester qu’ils n’avaient pas reçu de cadeau de nouvel an de la part du syndicat en décembre 2011, y compris sous forme d’espèces, tout en étant avertis qu’ils risquaient de perdre leur emploi. Si la majorité des travailleurs/membres syndicaux n’ont pas cédé aux pressions de l’employeur et ont confirmé avoir effectivement reçu un cadeau de fin d’année sous forme d’espèces, certains travailleurs ont accepté de témoigner du contraire. Selon la KTR, par la suite, 13 travailleurs, qui au cours de l’enquête avaient témoigné n’avoir pas reçu d’argent, ont refusé de confirmer leur témoignage devant le tribunal. Néanmoins, lorsque le procureur leur a fait remarquer qu’ils risquaient d’être condamnés pour parjure, ils ont confirmé leur témoignage initial selon lequel ils n’avaient pas reçu d’argent.
  10. 731. L’organisation plaignante allègue en outre qu’environ 300 membres de la section locale du syndicat ont été interrogés durant l’enquête préliminaire, mais que leurs témoignages confirmant avoir reçu de l’argent n’ont pas été inclus dans l’acte d’accusation. Durant le procès, la défense a présenté une requête tendant à citer ces personnes à comparaître directement comme témoins devant le tribunal, mais ce dernier l’a rejetée. Durant la procédure judiciaire, 29 travailleurs interrogés en qualité de témoin ont déclaré ne pas avoir reçu la somme de 500 roubles de la part de la section locale du syndicat. Selon l’organisation plaignante, le tribunal a accepté le témoignage de ces travailleurs comme la preuve de la culpabilité de M. Tikhonov et de Mme Bondareva, mais n’a pas tenu compte du fait que huit de ces travailleurs n’étaient pas membres de la section locale du syndicat en décembre 2011 et n’avaient donc droit à aucun cadeau. Le tribunal a exclu les témoignages des témoins confirmant avoir reçu des cadeaux en espèces en faisant valoir que les intéressés «sont ou ont été des militants de la section locale du syndicat, raison pour laquelle, de l’avis du tribunal, en témoignant devant le tribunal et en fournissant des preuves qui ont été objectivement réfutées durant le procès par le témoignage d’autres témoins interrogés … ils ne souhaitent pas porter préjudice aux accusés».
  11. 732. La KTR fait remarquer en outre que l’entreprise, à savoir l’employeur, apparaît comme la victime dans le procès pénal et fait valoir que, en vertu de la législation en vigueur, à partir du moment où les fonds sont transférés sur le compte du syndicat, ils deviennent la propriété de ce dernier, et l’employeur perd le droit de propriété sur ces fonds. Puisque la commission d’audit du RPD n’a constaté aucune utilisation frauduleuse des fonds, elle n’a pas fait appel à la police ni au ministère public en tant que partie lésée.
  12. 733. Le 15 décembre 2014, le Tribunal de la ville de Nakhodka (Primorsky Krai) a déclaré M. Tikhonov et Mme Bondareva coupables du crime prévu à l’article 160(3) du Code pénal – détournement de fonds (appropriation des biens d’autrui confiés au contrevenant commise par une personne utilisant sa position officielle et à grande échelle). Le tribunal les a reconnus coupables de détournement de 10 000 roubles en 2009 et de 359 571 roubles en 2011 (environ 6 709 euros au total au taux de change du mois de mai 2015). M. Tikhonov a été condamné à trois ans et six mois de prison, avec l’interdiction de participer à des activités syndicales pendant trois ans, tandis que Mme Bondareva a été condamnée à un an et deux mois de prison.
  13. 734. L’organisation plaignante fait remarquer que l’article 160(3) du Code pénal prévoit plusieurs peines alternatives possibles pouvant être infligées à toute personne reconnue coupable de cette infraction:
    • – une amende allant de 100 000 à 500 000 roubles ou le salaire ou tout autre revenu pour une période allant de un à trois ans;
    • – l’interdiction d’occuper certaines fonctions ou de participer à certaines activités pour une période allant jusqu’à cinq ans;
    • – une peine de travail forcé pour une période allant jusqu’à cinq ans, avec ou sans privation de liberté pour une période allant jusqu’à un an et demi;
    • – une peine d’emprisonnement allant jusqu’à six ans, avec ou sans une amende allant jusqu’à 10 000 roubles ou le salaire ou tout autre revenu pour une période allant jusqu’à un mois, avec ou sans privation de liberté pour une période allant jusqu’à un an et demi.
  14. 735. L’organisation plaignante indique que le tribunal n’a pas motivé le choix de la forme la plus sévère de sanction, l’emprisonnement, et n’a pas envisagé la possibilité d’infliger une peine moins sévère aux syndicalistes, malgré l’absence d’antécédents judiciaires ou de circonstances aggravantes. Il fait remarquer en outre que cette affaire a donné lieu à une vaste indignation publique, et que des actions de solidarité ont eu lieu à Moscou, Saint Pétersbourg, Vladivostok, Yeisk et Wrangell village, dans la ville de Nakhodka. L’organisation plaignante conclut que, à la lumière des faits susmentionnés, il apparaît clairement que les deux syndicalistes ont été poursuivis et condamnés pour l’exercice d’activités syndicales légitimes.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 736. Dans sa communication en date du 24 novembre 2015, le gouvernement fait remarquer que, en application de l’article 5(1) de la loi sur les syndicats, les syndicats sont indépendants des autorités exécutives, des gouvernements locaux, des employeurs et de leurs associations, des partis politiques et des autres organisations et n’ont pas à leur rendre de comptes ou à se soumettre à leur contrôle. En outre, en application du paragraphe 6.24 de la convention collective de l’entreprise du 25 novembre 2008, l’employeur est tenu de financer des activités culturelles, sportives et de loisirs pour les travailleurs et les membres de leurs familles par l’intermédiaire des organisations syndicales. Ce paragraphe stipule aussi que les organisations syndicales présentent un rapport trimestriel à l’employeur sur la manière dont l’argent est dépensé.
  2. 737. Le gouvernement indique que le ministère du Travail a demandé et reçu des informations transmises par le ministère de la Justice, la commission d’enquête, le ministère public et le ministère des Affaires intérieures sur les questions soulevées dans la plainte. A cet égard, le ministère de la Justice fait remarquer que, en vertu de l’article 8.1(2) du Code de procédure pénale, les juges statuent sur les affaires pénales en dehors de toute influence extérieure. Toute ingérence de la part des autorités étatiques, des autorités du gouvernement local, d’organes, d’organisations, de fonctionnaires ou de particuliers dans l’administration de la justice par les juges est interdite et passible des poursuites pénales prévues par la loi. Le ministère ajoute que, en vertu de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, toute personne qui fait l’objet d’une accusation en matière pénale a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement, dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi et sur la base de la présomption d’innocence; elle même et son avocat disposeront de moyens procéduraux pour faire valoir leur position. Il y a violation du droit à un procès équitable si le tribunal n’a pas procédé à une audition et à un examen du bien-fondé de tous les arguments avancés durant l’instance par l’accusation et la défense, et s’il ne leur a pas accordé des droits procéduraux égaux.
  3. 738. Le gouvernement fait remarquer que les paragraphes 1 et 2 de l’article 46 de la Constitution nationale consacrent le droit à une défense juridique. En outre, une décision judiciaire peut être réexaminée en appel; toute procédure, autre que judiciaire pour la révision des décisions de justice, n’est pas autorisée par principe, car cela signifierait qu’il serait possible de remplacer les décisions judiciaires par des décisions administratives, ce qui constituerait un manquement incontestable aux garanties fondamentales de l’indépendance, de l’exhaustivité et de l’exclusivité de l’autorité judiciaire. De plus, l’article 297 du Code de procédure pénale stipule qu’un jugement émanant d’un tribunal doit être conforme au droit, motivé et équitable. Un jugement est considéré comme conforme au droit, motivé et équitable lorsqu’il est rendu conformément aux prescriptions du Code de procédure pénale et fondé sur la bonne application du droit pénal.
  4. 739. En rapport avec les faits exposés par l’organisation plaignante, le gouvernement fait valoir qu’un examen de l’allégation selon laquelle les salaires des dockers de l’entreprise n’avaient pas augmenté durant la période 2010-2012 a démontré que cette allégation était infondée. Conformément à l’article 134 du Code du travail, aux termes de la convention collective, les salaires sont indexés tous les trimestres. De plus, pour ce qui a trait aux conflits allégués entre le syndicat et l’employeur en ce qui concerne les rapports financiers, le gouvernement a indiqué que ces conflits ont fait l’objet de multiples plaintes déposées par M. Tikhonov auprès du ministère public des Transports pour l’Extrême-Orient russe et de l’inspection du travail d’Etat du territoire de Primorsky. Après examen desdites plaintes, aucune infraction à la loi fédérale ou violation des droits des membres syndicaux n’a été constatée. De même, aucune preuve n’est venue corroborer les allégations relatives à des perquisitions illégales du bureau de la section locale du syndicat le 19 juin 2012. L’examen des locaux, des bâtiments et des installations a été autorisé par le Tribunal de la ville de Nakhodka, et Mme Bondareva, présente pendant la perquisition, n’a formulé aucun commentaire à cet égard.
  5. 740. Le gouvernement indique qu’une plainte contre M. Tikhonov a été déposée le 22 juin 2012 pour une infraction prévue à l’article 160(3) du Code pénal, suite à une allégation de la direction selon laquelle le dirigeant syndical avait volé de l’argent. A la lumière des preuves recueillies, le 29 janvier 2013, M. Tikhonov et Mme Bondareva ont été inculpés d’actes délictueux en vertu de l’article 160(3) du Code pénal. Le lendemain, l’affaire pénale no 700428 a été transmise, en vertu de l’article 220 du Code de procédure pénale, au Procureur des transports de Nakhodka, puis au tribunal.
  6. 741. En ce qui concerne le refus allégué du tribunal d’entendre des témoins en faveur de la défense, le gouvernement fait remarquer que le tribunal a effectivement examiné, puis rejeté, la demande qu’un certain nombre de témoins soient entendus ou que leurs témoignages soient divulgués. Néanmoins, après le rejet, aucune partie n’a émis d’objection au sujet de la clôture de l’enquête judiciaire.
  7. 742. Le gouvernement indique en outre que, le 15 décembre 2014, le Tribunal de la ville de Nakhodka a déclaré M. Tikhonov et Mme Bondareva coupables d’actes délictueux en vertu de l’article 160(3) du Code pénal. Après des changements apportés aux condamnations en appel le 17 mai 2015, M. Tikhonov a été condamné à trois ans et quatre mois d’emprisonnement dans une colonie de redressement à régime ordinaire et s’est vu interdire la possibilité d’occuper des fonctions d’organisation et d’administration dans un syndicat pendant trois ans. Mme Bondareva a été condamnée à un an d’emprisonnement dans une colonie de redressement à régime ordinaire.
  8. 743. Selon le gouvernement, il n’y a eu aucune revendication sociale, aucun rassemblement, aucune marche, aucun piquet et aucune grève en lien avec la présente affaire.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 744. Le comité note que l’organisation plaignante allègue, dans le présent cas, des poursuites pénales contre les militants syndicaux M. Tikhonov, président de la section locale du Syndicat russe des dockers (RPD) de l’entreprise portuaire «Vostochny Port», et Mme Bondareva, chef comptable du syndicat, ainsi que leur condamnation et détention pour l’exercice d’activités syndicales. Les faits ci-après rapportés par la KTR, et étayés par les documents transmis dans sa communication en date du 27 mai 2015, ne sont pas contestés par le gouvernement.
  2. 745. En application du paragraphe 6.24 de la convention collective de l’entreprise pour la période 2009-2011, l’entreprise et les syndicats actifs au sein de celle-ci s’engagent à organiser des activités de masse dans les domaines de la culture, du sport et des loisirs pour les travailleurs et leurs familles. A cette fin, l’employeur transfère tous les mois sur le compte des syndicats des fonds s’élevant à 1 pour cent de la masse salariale des membres syndicaux. En application de cette disposition, le syndicat a l’obligation de rendre des comptes à l’employeur sur la manière dont l’argent est dépensé. En l’absence de rapport, ou si l’argent n’est pas utilisé conformément à l’objectif prescrit, l’employeur a le droit de suspendre les transferts de fonds.
  3. 746. En octobre 2013, à la suite d’une enquête, les deux syndicalistes ont été formellement accusés du détournement de 10 000 roubles en 2009 et de 359 571 roubles en 2011. A la lecture du texte de l’acte d’accusation et de la décision du tribunal, le comité croit comprendre que les 10 000 roubles en 2009 étaient censément alloués à une journée d’excursion pour voir les chutes d’eau près du village de Steklianuha, et les 359 571 roubles en 2011 censément alloués à des cadeaux de nouvel an (en espèces ou en nature) pour les membres syndicaux. Le 15 décembre 2014, les deux syndicalistes ont été reconnus coupables de malversations/détournement (art. 160(3) du Code pénal) par le Tribunal de la ville de Nakhodka; il a condamné M. Tikhonov à trois ans et six mois d’emprisonnement (trois ans et quatre mois en appel) dans une colonie de redressement à régime ordinaire et à l’interdiction d’occuper des fonctions d’organisation et d’administration dans un syndicat pendant trois ans, et Mme Bondareva à un an et quatre mois d’emprisonnement (un an en appel) dans une colonie de redressement à régime ordinaire.
  4. 747. Le comité note que la KTR affirme que l’enquête qui a conduit à la condamnation des syndicalistes découle des mesures de représailles prises par l’employeur à la suite des activités syndicales menées dans le cadre de la négociation collective, qui ont eu lieu à la fin de 2011, et de l’action de protestation à l’appui des revendications des travailleurs tendant à obtenir des hausses de salaires le 2 juin 2012.
  5. 748. L’organisation plaignante allègue en outre que les deux perquisitions effectuées dans les locaux du syndicat le 19 juin 2012 ont été menées en violation des règles de procédure en vigueur. Selon la KTR, le syndicat a contesté à plusieurs reprises l’action des autorités. Le comité note que le gouvernement réfute cette affirmation et indique que la perquisition a été autorisée par le Tribunal de la ville de Nakhodka et qu’aucune plainte n’a été déposée à cet égard.
  6. 749. Le comité note que, en mars 2013, une commission d’audit du RPD a examiné les dépenses effectuées avec les fonds alloués par l’entreprise à la section locale du syndicat durant la période 2009-2011 au titre des activités culturelles; l’organisation plaignante fournit une copie de ses conclusions. La commission a noté qu’il n’a pas été possible de procéder à une vérification complète du budget du fait que tous les documents pertinents avaient été saisis par les autorités, sans laisser de copies. Elle a donc interrogé plusieurs membres du syndicat qui ont confirmé que, en décembre 2011, les présidents des comités syndicaux ont reçu de l’argent en espèces, destiné à être distribué aux membres syndicaux. L’organisation plaignante explique que les présidents des comités syndicaux ont distribué cet argent aux membres syndicaux, mais que tous n’ont pas produit de reçu; certains ont présenté des chèques en blanc qui ont été ensuite remplis par Mme Bondareva en personne. Par la suite, M. Tikhonov et Mme Bondareva ont approuvé le rapport financier sur la base des tickets de caisse présentés.
  7. 750. La KTR soutient que la violation des règles régissant le classement de la documentation comptable réside dans le fait qu’il n’y a pas eu d’enregistrement des transferts de fonds vers les présidents des comités syndicaux et directement vers les membres syndicaux; la législation en vigueur prévoit, pour ce type d’infraction, des sanctions administratives. L’enquête et le tribunal ont en revanche conclu à des malversations et à un détournement de fonds.
  8. 751. La KTR fait remarquer que l’employeur apparaît comme la victime dans cette affaire pénale et fait valoir que, en vertu de la législation en vigueur, à partir du moment où les fonds sont transférés sur le compte du syndicat, ils deviennent la propriété du syndicat et l’employeur perd son droit de propriété sur le fonds. Etant donné que la commission d’audit du RPD n’a constaté aucun détournement de fonds, elle n’a pas fait appel à la police, ni au ministère public, en tant que partie lésée. Le comité note que le juge du tribunal municipal a rejeté cette argumentation et a conclu que, en vertu de l’article 377 du Code du travail et du paragraphe 6.24 de la convention collective, l’argent confié au syndicat pour les activités de masse demeure la propriété de l’employeur qui est également responsable de l’organisation d’activités de masse. Dans ces conditions, le comité estime que cet aspect particulier du cas n’entraîne pas une violation des principes de la liberté syndicale.
  9. 752. Le comité note en outre que, à la lecture de l’acte d’accusation, du compte rendu d’audience et du jugement lui-même, aucun des témoins ni les plaignants eux-mêmes n’ont pu confirmer avoir participé à l’excursion, ou que l’excursion a eu lieu en octobre 2009. Il note en outre qu’une majorité absolue des témoins entendus par le tribunal ont soit démenti avoir reçu des cadeaux de nouvel an en décembre 2011, soit été dans l’impossibilité de confirmer les avoir reçus. Le tribunal a également interrogé des témoins experts et des employés des entreprises où les cadeaux en nature auraient été achetés. Ils ont corroboré les faits des mises en accusation.
  10. 753. Parallèlement, le comité note avec préoccupation les éléments ci-après du cas. Il note l’allégation de l’organisation plaignante selon laquelle, sous la menace de licenciement de l’employeur, des témoins ont été forcés à attester qu’ils n’avaient pas reçu de cadeaux de nouvel an en espèces. A cet égard, il relève, dans le compte rendu d’audience, que plusieurs travailleurs ont quitté le syndicat entre 2012 et 2014 et que certains d’entre eux ont clairement déclaré en audience que cela était dû à l’enquête et aux «interrogatoires constants».
  11. 754. Le comité note également l’allégation de l’organisation plaignante selon laquelle environ 300 membres de la section locale du syndicat ont été interrogés durant l’enquête préliminaire et ont confirmé avoir reçu de l’argent. La KTR fait valoir que, durant le procès, la défense a présenté une requête tendant à citer ces personnes à comparaître directement comme témoins devant le tribunal, mais ce dernier l’a rejetée. Il fait remarquer en outre que, au cours de la procédure judiciaire, 29 travailleurs ont déclaré ne pas avoir reçu 500 roubles de la section locale du syndicat. Le comité croit comprendre, à la lecture du jugement, que le tribunal a bien accepté le témoignage de ces travailleurs comme preuve de la culpabilité de M. Tikhonov et de Mme Bondareva, mais qu’il n’a pas tenu compte du fait que plusieurs de ces travailleurs ont clairement indiqué qu’il n’étaient pas membres de la section locale du RPD en décembre 2011 et n’avaient donc droit à aucun cadeau. De plus, le tribunal a exclu les déclarations des témoins confirmant avoir reçu des cadeaux en espèces, en faisant valoir que les intéressés «sont ou ont été des militants de la section locale du syndicat, raison pour laquelle, de l’avis du tribunal, en témoignant devant le tribunal et en fournissant des preuves qui ont été objectivement réfutées durant le procès par le témoignage d’autres témoins interrogés … ils ne souhaitent pas porter préjudice aux accusés».
  12. 755. Le comité note en outre que l’organisation plaignante fait remarquer que l’article 160(3) du Code pénal prévoit plusieurs peines alternatives possibles pouvant être infligées à toute personne reconnue coupable pour cette infraction; cependant, il a choisi la forme de punition la plus sévère, l’emprisonnement, malgré l’absence d’antécédents judiciaires et de circonstances aggravantes.
  13. 756. Au vu de ce qui précède et malgré les nombreuses informations fournies, le comité n’est pas en mesure de conclure à la culpabilité ou à l’innocence des deux syndicalistes. Il estime toutefois que, dans l’ensemble, les éléments tels que présentés ci-dessus peuvent assombrir la perception que la justice a été rendue, et appelle l’attention du gouvernement sur l’importance qu’il faut accorder au principe selon lequel il faut non seulement que justice soit rendue, mais encore qu’elle soit ainsi perçue. A la lumière des conclusions qui précèdent et en l’absence d’éléments de preuve permettant au comité de conclure à la violation de droits syndicaux, le comité estime que le présent cas n’appelle pas un examen plus approfondi.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 757. Au vu des conclusions qui précèdent et en l’absence d’éléments de preuve permettant au comité de conclure à la violation de droits syndicaux, le comité recommande au Conseil d’administration de décider que le présent cas n’appelle pas un examen plus approfondi.
© Copyright and permissions 1996-2024 International Labour Organization (ILO) | Privacy policy | Disclaimer