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204. La plainte figure dans une communication de l’Association syndicale des enseignants d’Entre Ríos (AGMER) du 8 juin 2010. La Confédération des travailleurs de l’enseignement de la République argentine (CTERA) a appuyé la plainte.
- 204. La plainte figure dans une communication de l’Association syndicale des enseignants d’Entre Ríos (AGMER) du 8 juin 2010. La Confédération des travailleurs de l’enseignement de la République argentine (CTERA) a appuyé la plainte.
- 205. Le gouvernement a envoyé ses observations dans une communication du 24 mai 2011.
- 206. L’Argentine a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, la convention (no 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978, ainsi que la convention (no 154) sur la négociation collective, 1981.
A. Allégations de l’organisation plaignante
A. Allégations de l’organisation plaignante
- 207. Dans sa communication du 8 juin 2010, l’Association syndicale des enseignants d’Entre Ríos (AGMER) déclare être une personne morale dotée d’un statut syndical octroyé par résolution no 505 (MTYSSN) du 22 juin 1993 et être enregistrée sous le no 1518 en tant qu’organisation syndicale du premier degré ayant compétence pour intervenir dans le territoire de la province d’Entre Ríos, République argentine. Elle précise également qu’elle est affiliée à la Confédération des travailleurs de l’enseignement de la République argentine (CTERA), qui est une organisation syndicale de second degré (fédération) ayant compétence pour intervenir dans tout le territoire de la République argentine.
- 208. L’AGMER indique que le gouvernement a ratifié la convention no 87 et les conventions nos 154 et 151. Elle ajoute que la Constitution nationale de l’Argentine, dans son article 14 bis, garantit le droit de grève en tant que droit fondamental des syndicats; et que, d’autre part, au deuxième paragraphe de son article 75, alinéa 22, elle confère à un certain nombre de traités internationaux relatifs aux droits de l’homme, parmi lesquels les Pactes de New York de 1966, un statut constitutionnel en vertu duquel les conventions nos 87, 151 et 154 se voient reconnaître le même statut. Le Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels stipule en outre spécifiquement que les Etats parties s’engagent à garantir le droit de grève (article 8.1, d). Le premier paragraphe de l’article 75, alinéa 22, de la Constitution nationale boucle le cercle de la protection de la liberté syndicale en octroyant la primauté juridique aux autres traités internationaux, dont les conventions de l’OIT.
- 209. De même, la Constitution nationale établit le système représentatif républicain et fédéral. Chaque Etat provincial dispose donc de pouvoirs législatifs et, dès lors, la procédure de convocation à la négociation collective dans l’administration publique doit nécessairement être adoptée par voie législative, conformément à la réglementation de chaque province. L’organisation plaignante ajoute que la Constitution de la province d’Entre Ríos reconnaît que «les droits, déclarations et garanties énoncés dans la Constitution nationale et que cette Constitution reproduit, ne devront pas être compris comme un déni d’autres droits et garanties non énoncés mais qui découlent du principe de la souveraineté du peuple, de la forme républicaine du gouvernement, et qui appartiennent de manière intrinsèque à l’être humain…» (article 5). Ainsi, on voit que les droits énoncés dans la Constitution nationale sont bien incorporés et respectés dans le cadre de la province, et notamment les droits d’association et de liberté syndicale, les conventions collectives, le droit de grève et les garanties relatives à l’immunité syndicale des délégués syndicaux.
- 210. En ce sens, la province d’Entre Ríos a apporté à sa Constitution des modifications, entrées en vigueur en novembre 2008 et qui, entre autres garanties, ont entériné celle de l’article 82 qui dispose que «Le travail est un droit protégé et promu par l’Etat». La même norme établit en particulier: a) la négociation collective garantissant les principes d’inaliénabilité, de progressivité, de primauté de la réalité, d’indemnité et, en cas de doute, d’interprétation en faveur du travailleur; b) «le cadre juridique général de l’emploi public provincial et municipal avec la participation des travailleurs, qui garantira l’application de normes relatives à l’hygiène, à la sécurité et à la prévention des accidents…» De l’avis de l’organisation plaignante, bien que le cadre juridique et les droits dont bénéficient tous ceux qui travaillent en qualité d’agents de l’Etat de la province d’Entre Ríos soient clairement définis, on verra que, dans le cas particulier des enseignants, il a été à plusieurs reprises et ostensiblement porté atteinte à ces droits et garanties.
- 211. L’organisation plaignante signale que, en 2008, des mesures d’action directe décidées de manière organique par l’AGMER et par les autres organisations syndicales représentatives d’enseignants ont été ordonnées et mises en œuvre, en se basant sur la recherche d’une réévaluation légitime des salaires, entre autres revendications professionnelles présentées depuis de nombreuses années. Les enseignants de la province d’Entre Ríos se rallièrent volontairement et massivement à ces mesures conformes à la légalité et aux statuts syndicaux et notifiées à l’administration du travail, s’abstenant de faire leur travail, en exerçant le droit de grève constitutionnel directement opérationnel consacré par l’article 14 bis de la Constitution nationale et par les autres normes déjà citées.
- 212. Ces mesures, à caractère nettement revendicatif, cherchaient à obtenir le cautionnement de la garantie constitutionnelle d’une «rétribution juste» pour l’ensemble des travailleurs représentés par les organisations syndicales du secteur. Bien que ces actions syndicales constituaient des «mesures légitimes d’action syndicale» (énoncées dans la loi no 23551), le gouvernement de la province d’Entre Ríos et le Conseil général de l’enseignement ont promulgué une série ininterrompue, mensuelle et périodique de normes attentatoires au droit de grève dont la finalité était de: 1) procéder à des retenues sur les salaires des personnes ayant exercé ce droit; 2) poursuivre les directeurs qui ne se résolvaient pas à «remettre la liste» ou le nom des enseignants ayant participé à la grève, pour permettre de procéder effectivement aux retenues sur salaires; et 3) laisser la mention inscrite dans le dossier personnel de chacun des enseignants sanctionnés.
- 213. L’organisation plaignante précise que les innombrables réunions organisées entre les syndicats enseignants et les autorités compétentes du secteur de l’éducation de la province, les responsables du secteur économique et le gouverneur lui-même, en vue d’obtenir un réajustement des émoluments qui permette aux maîtres et aux professeurs d’exercer dignement leurs fonctions étaient publiques. Toutes ces négociations ont tout simplement échoué, puisque les réunions n’ont donné lieu à aucune proposition tendant à véritablement réévaluer les salaires et à garantir la dignité et la sécurité des conditions de travail. Devant l’échec des négociations, des mesures de recours à la force ont été décrétées sur ordre des assemblées des travailleurs enseignants et en conformité avec les dispositions statutaires, légales et constitutionnelles expresses.
- 214. Selon l’organisation plaignante, au-delà des discours des autorités publiques exprimant leur «respect» du droit de grève, il s’avère en réalité qu’il ne s’agit que de déclamations qui ne se traduisent pas dans la pratique gouvernementale puisque la réglementation publique édictée dans le même temps se concrétise au contraire par une atteinte réelle et substantielle portée aux salaires des enseignants par la déduction des jours de grève. On applique ainsi une sanction de nature pécuniaire absolument illégale, compte tenu de l’absence de déclaration d’illégalité des mesures prises, qui avaient été adoptées dans la légalité la plus absolue. Cette conduite est inadmissible et incompatible avec un Etat de droit démocratique étant donné que les interventions successives, telles que les avertissements publics de l’inspection fiscale de l’Etat selon lesquels les enseignants feraient l’objet d’enquêtes et seraient passibles de mises à pied, visaient à neutraliser le droit de grève en inspirant à ceux qui exerceraient un tel droit la crainte de faire l’objet d’enquêtes et d’être passibles de sanctions disciplinaires.
- 215. L’organisation plaignante considère que les sphères officielles ont fait preuve d’une conduite illégale et d’intimidation en se livrant à un asservissement du droit de grève sans que les actions concernées n’aient fait l’objet d’une réclamation ni n’aient été déclarées illégales et sans que – ainsi que l’exige l’article 9 de la loi no 14786 – les enseignants n’aient été sommés de reprendre leurs tâches habituelles. Une fois épuisées les négociations pour la résolution du conflit et face à l’attitude inébranlable, injustifiée et réticente de l’Etat de la province d’Entre Ríos à respecter ses obligations, les mesures de recours à la force ordonnées par les syndicats ont été déployées.
- 216. L’organisation plaignante affirme que, pour toute réponse aux dites mesures qui disposaient à l’évidence de l’appui massif des enseignants, les autorités provinciales ont commencé à édicter des normes visant à déduire les jours de grève. On portait ainsi atteinte à la convention collective des enseignants de la province par des dispositions clairement attentatoires à la garantie constitutionnelle. C’est en cela que la déduction ordonnée par l’Etat, au-delà de toute affirmation dogmatique dépourvue de fondements, constitue une «sanction» en violation d’un droit qui doit être garanti avec force. L’organisation plaignante signale qu’elle dénonce de ce fait devant le comité, sur une base constitutionnelle et supranationale, ce qui est affirmé dans les considérants de la résolution no 3217 du Conseil général de l’enseignement: «Que si la non-prestation du service (elle parle du service professionnel) est avérée, il convient de ne pas verser les rémunérations pendant et en proportion de la durée de l’absence de prestation de services.»
- 217. L’organisation plaignante estime que la sanction de l’adhésion individuelle aux mesures de recours à la force décidées de manière organique est illégale puisque, avant et à l’appui des mesures d’action syndicale, on trouve au préalable un manquement de l’Etat provincial à respecter son mandat constitutionnel d’actualiser les salaires en fonction du coût de la vie prévu dans le texte constitutionnel de 1933 et dans sa version révisée actuelle. Il convient de bien souligner que le principe de légalité doit présider à tous les actes de gouvernement et constitue la garantie fondamentale de la consolidation d’un Etat de droit démocratique. Les retenues effectuées sur les salaires constituent une sanction administrative et, partant, une manifestation du pouvoir de sanction et de répression de l’Etat, qui porte atteinte au droit de grève, pilier incontesté de la Constitution.
- 218. L’organisation plaignante signale qu’il existe en Argentine une procédure réglementée par une loi nationale en vigueur (loi no 14786) pour trouver la solution aux conflits collectifs d’intérêts que les parties ne parviennent pas à régler entre elles; et que cette procédure n’a pas été suivie par l’administration provinciale, ce qui rend son action illégale. L’Etat provincial fait passer pour une «pratique» une voie de fait consistant à déduire des salaires les jours pendant lesquels les enseignants ont mis en œuvre des mesures de recours à la force, et ce sans la garantie d’une procédure régulière et sans diligenter d’enquêtes pour déterminer les causes d’un recours à de telles mesures.
- 219. L’organisation plaignante déclare que les mauvaises pratiques de travail sont fréquentes de la part de l’Etat provincial d’Entre Ríos et du Conseil général de l’enseignement qui, à maintes reprises, ont mal utilisé les modalités prévues pour la négociation (loi no 9624 relative aux organes paritaires du personnel enseignant), s’occupant uniquement de freiner les mesures de recours à la force. Selon l’organisation plaignante, cela apparaît clairement dans le fait qu’ils interviennent sans propositions salariales réelles et, lorsqu’ils ont concédé de rares et insuffisantes augmentations de salaires, celles-ci n’ont pas été rémunératrices car sans bonification et sans incidence sur les émoluments des fonctionnaires retraités (montants au noir qui ne font que réduire le salaire des enseignants, aujourd’hui constitué de divers postes au noir sur lesquels ne sont payés ni impôts ni charges). Ils n’ont pas non plus tenu compte des revendications relatives à la dignité des conditions de travail, comme en attestent l’état calamiteux des infrastructures scolaires, ainsi que le manque d’équipements et de propreté des réfectoires des écoles.
- 220. L’action administrative a constitué en l’espèce une voie de fait puisqu’elle est non seulement intervenue sans le respect du droit à la défense et sans la garantie d’une procédure régulière au fond, mais, en outre, au moment de prendre la décision no 3217 qui ordonnait les déductions, elle n’avait ni eu recours à la conciliation obligatoire demandée par l’Etat lui-même par l’intermédiaire du CGE, ni mis judiciairement en demeure les syndicats de renoncer aux mesures de recours à la force. Dès lors, les actes administratifs qui prétendent servir de fondement juridique à ces déductions sont entachés de nullité car ils sont sans motif et sans fondement. Selon l’organisation plaignante, la déduction appliquée est compulsive, arbitraire et déraisonnable, les bulletins de salaire portant la mention: «Déduction des jours non travaillés», sans qu’il n’y ait eu au préalable aucune déclaration d’illégalité de la grève décrétée, sans avoir eu recours à la conciliation obligatoire, et sans avoir mis les syndicats en demeure de cesser ces actions. En somme, sans avoir attendu la décision judiciaire et au mépris des garanties des enseignants, sujets passifs d’une voie de fait. Qui plus est, la déduction est appliquée à titre de «sanction administrative» sans que cela ne soit prévu dans aucune norme constitutive du pouvoir administratif. La loi nationale no 14786, qui institue une procédure administrative obligatoire avant toute mise à exécution, est formelle dans son article 9, dont la seconde partie stipule: «La grève ou la réduction volontaire et préméditée de la production en deçà des limites normales entraînera pour les travailleurs la perte du droit à percevoir les rémunérations correspondant à la période de cessation ou de réduction du travail s’ils n’ont pas cessé cette action après avoir été mis en demeure de le faire par l’autorité compétente.»
- 221. Pour l’organisation plaignante, il convient de noter que la mise en demeure faite aux travailleurs grévistes de reprendre les tâches qu’ils ont abandonnées est une façon de passer outre la garantie attachée au droit de grève. Sans le respect de ladite mise en demeure de la part de l’autorité – judiciaire ou administrative – il n’est pas possible d’appliquer une sanction telle que la retenue sur salaire puisque, dans un tel cas, l’action administrative porte atteinte au principe relatif au caractère raisonnable et contrevient fondamentalement au principe de la hiérarchie normative de l’article 31 de la Constitution nationale. L’organisation plaignante considère également que le gouvernement de la province et le Conseil général de l’enseignement ont tous deux enfreint leurs propres actes puisqu’ils ont saisi la justice pour faire cesser les mesures de recours à la force et puisque, avant que la décision judiciaire n’ait été rendue, ils ont pris des mesures administratives par lesquelles ils prétendent légitimer les déductions opérées de manière arbitraire. L’absence de disposition réglementaire légitimant les déductions des jours d’arrêt de travail découle de manière évidente du texte même de la directive no 30 prise en 2007 par le pouvoir exécutif de la province, un acte administratif de rang inférieur pouvant d’une certaine façon venir conforter l’action de l’Etat. A telle enseigne que l’objet dudit acte est de «donner des instructions relatives aux retenues sur salaires pour l’adoption de mesures de recours à la force par des agents de l’administration publique provinciale», sans que lesdites «instructions» ne se basent sur une norme constitutive de l’ordre juridique. De ce fait, l’organisation plaignante considère que la directive en question est simplement une décision injustifiée, un caprice du pouvoir exécutif relevant d’un procédé arbitraire, qu’il convient donc de condamner.
- 222. L’organisation plaignante affirme que l’Etat provincial d’Entre Ríos et le Conseil général de l’enseignement ont non seulement porté atteinte à la garantie du droit de grève en procédant à la déduction des jours sans la garantie d’une procédure régulière, mais qu’ils ne respectent pas les traités internationaux relatifs aux droits de l’homme ratifiés par l’Etat national, ne tenant ainsi aucun compte et faisant fi de l’engagement qu’il doit respecter sous peine d’encourir une responsabilité internationale. Il est donc plus qu’évident que cette façon d’agir manque de toute justification, de tout caractère raisonnable et est dépourvue de toute légalité. Pour sa part, la circulaire no 02/07, qui avait pour thème «Information sur les jours d’arrêt de travail de tous les agents relevant du CGE», destinée aux inspections départementales du service embauche et liquidations du CGE, déclare ce qui suit pour ce qui concerne les absences des enseignants pour participation à des mesures de recours à la force: «En l’espèce, il s’agit d’une absence justifiée par une mesure d’action directe, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas d’une autorisation demandée par l’enseignant mais de sa non-présence sur le lieu de travail…» Ladite circulaire a mis en œuvre un dispositif administratif pour les cas où les enseignants sont absents par adhésion à des mesures de recours à la force; malgré cela, pour l’organisme de l’enseignement, la faute de grève est – littéralement – une «absence justifiée par une mesure d’action directe». Il faut garder clairement à l’esprit que l’Etat provincial, qui est l’employeur des enseignants, ne saurait qualifier de légale ou d’illégale une mesure de recours à la force car il n’en a ni le pouvoir ni même la compétence puisque, s’il le fait, il est à la fois juge et partie. Il ne peut en effet prétendre régler un conflit en se basant sur ses propres règles en vertu desquelles il censure toute grève en la qualifiant de manière erronée et irrationnelle d’illégale. L’autorité administrative du travail ne saurait non plus qualifier des mesures d’action directe, une telle décision étant de la compétence exclusive des juges.
- 223. Il est tout à fait clair que la retenue sur salaire opérée sans modifier la garantie qui entoure le droit de grève constitue une restriction inacceptable au dit droit, le pouvoir exécutif provincial s’arrogeant des pouvoirs qu’il n’a pas. Dans le cas des enseignants touchés par les déductions opérées sur leurs salaires, cette mesure est attentatoire à l’intégrité du salaire dont la nature alimentaire est indubitable, et elle affecte par ailleurs le droit de propriété dont l’inviolabilité est garantie par l’article 17 de la Constitution nationale. L’Etat provincial manque non seulement à son obligation de verser une «juste rémunération», qui doit être actualisée en fonction du coût de la vie, mais il viole carrément le contrat existant entre l’administration et ses agents, sans aucun fondement juridique.
- 224. L’organisation plaignante précise que les jurisprudences tant nationale que provinciale ont mis l’accent sur les conséquences différentes qu’une grève peut entraîner pour les travailleurs qui s’y rallient, selon que la grève en question a fait ou non l’objet d’une déclaration d’illégalité ou d’illicéité. Ainsi, par exemple, dans des procédures «Association enseignante ADEMYS contre GCBA concernant d’autres procédures interlocutoires, Chambre de deuxième instance du CA et T – salle II, affaire no 33972/1», il a été soutenu que «... 1.- Que le juge compétent a jugé recevable la demande de mesure conservatoire présentée par ADEMYS dans le but que l’administration s’abstienne de prendre toute disposition ou action qui, par suite des mesures de recours à la force prises par le secteur enseignant les 17 et 18 septembre 2008; les 1er, 2, 15, 16 et 21 octobre 2008; les 18 et 19 novembre 2008; les 17, 18, 25 et 31 mars et les 1er et 22 avril 2009, pourrait porter atteinte à la perception intégrale de leurs salaires.» Il a donc ordonné la restitution immédiate des montants qui leur avaient été déduits pour un tel motif.
- 225. L’organisation plaignante affirme que, dans le présent cas, la grève a été licite dès que la déclaration d’illicéité ou d’illégalité a fait défaut et que, étant licite, elle doit, d’une part, être protégée par l’ordre juridique et elle ne peut, d’autre part, entraîner un préjudice pour les travailleurs qui s’y sont ralliés.
- 226. L’organisation plaignante ajoute que, depuis 2005, dans la province d’Entre Ríos, la loi no 9624 est en vigueur, laquelle dispose ce qui suit: «Est instituée la convention collective du travail dans l’enseignement entre le Conseil général de l’enseignement de la province d’Entre Ríos, en sa qualité d’employeur, et les associations de travailleurs ayant un mandat syndical de l’activité enseignante, afin de convenir des conditions de travail, des salaires et de tout ce qui concerne la relation de travail des enseignants...» (article 1). Bien que sa procédure soit claire, cette loi, véritable conquête des enseignants de la province, a été à diverses reprises interprétée et utilisée par les gouvernements de la province et le CGE d’une manière dénaturée et très préjudiciable (en particulier lors des conflits du travail de la mi-2008 et du début 2009).
- 227. En 2008, des faits s’étaient produits faisant apparaître certaines pratiques déloyales et antisyndicales identiques à celles survenues au cours de l’année 2009. Il était de notoriété publique que l’AGMER avait prévu d’organiser un congrès qui serait chargé de prendre des décisions en relation avec des futures mesures de recours à la force le 4 juillet 2008. Pourtant, alors que les autorités du CGE et du gouvernement provincial étaient parfaitement informées de l’organisation de ce conclave le 4 juillet, la présidente du Conseil général de l’enseignement demanda la convocation ce même jour d’une réunion des organes paritaires ce qui, curieusement, fut accepté par l’organisme administratif, qui ordonna la convocation et sa notification aux organisations syndicales. Cette notification parvint au syndicat après qu’aient été définies les mesures de recours à la force dont rend compte la copie des résolutions adoptées par le congrès. Le syndicat refusa la convocation, la considérant comme donnée de mauvaise foi par l’employeur, attendu qu’elle enfreignait les dispositions de l’article 6 de la loi no 9624 relative aux organes paritaires du personnel enseignant, déjà citée plus haut, quand elle stipule: «Les parties seront tenues de négocier de bonne foi. Ce principe comporte pour les parties les droits et obligations suivants: a) la participation aux négociations et aux audiences convoquées en bonne et due forme, avec des pouvoirs suffisants …; e) la mise en œuvre d’efforts concourant à parvenir à des accords qui tiennent compte des différentes circonstances du cas.»
- 228. Selon les organisations plaignantes, aucun des principes précités n’a été respecté. A son avis, la mauvaise foi d’une convocation fixée le même jour que celui où des décisions préalablement annoncées par tous les médias publics de la province allaient être prises paraît évidente et, comme si cela ne suffisait pas, il se trouve que l’Etat lui-même avait totalement omis son obligation de présenter une proposition salariale avant le 30 juin 2008. D’autre part, il est également signalé que ni le CGE ni le gouvernement provincial n’ont fait les efforts concourant à parvenir à des accords, gardant simplement le silence avant de demander le lancement de la procédure paritaire le jour-même où les décisions devaient être prises par les organisations syndicales. Pour couronner le tout, devant la notification du refus exprimé par les organisations syndicales, la toute nouvelle présidente du CGE pria 20 jours plus tard le directeur de la DPT de relancer la convocation, laquelle n’est jamais arrivée, sans que les raisons d’une telle omission de la part de l’organisme administratif n’aient été données. Il convient de préciser que le directeur de la direction provinciale du travail disposait de pouvoirs étendus pour convoquer à nouveau les parties, mais que la procédure de négociation n’a jamais été lancée, du fait de la mauvaise foi avérée de l’employeur. On voit bien jusqu’ici que la procédure de négociation ou procédure paritaire prévue dans la loi, pour laquelle cette dernière l’a dotée d’instances spécifiques, n’avait pas été entamée.
- 229. L’organisation plaignante signale que l’on arrive ainsi à ce qui constitue le cœur de l’action antisyndicale. Bien que la voie qu’il devait suivre soit tout à fait claire, le Conseil général de l’enseignement a saisi la juridiction du travail pour demander d’ordonner la conciliation obligatoire, ce qui a donné lieu à l’instruction du cas «Le Conseil général de l’enseignement C/l’Association syndicale des enseignants d’Entre Ríos et l’Association des enseignants de l’enseignement technique S/conciliation obligatoire, loi no 9624», qui est traitée par le tribunal du travail no 3 de Paraná. La juge du travail a ordonné, d’une manière totalement et absolument erronée, la conciliation obligatoire pour laquelle elle a estimé que «… de l’affaire no 915216 – traitée par la direction provinciale du travail – naît le fondement des diverses étapes qu’il importe d’examiner depuis la procédure réglementaire, à savoir, d’une part, l’existence d’un conflit collectif avec le champ d’application de la description juridique et, d’autre part, la convocation à l’audience de conciliation et son échec ... Que, dans ce contexte et en vertu du dispositif juridique en question, le directeur de la direction provinciale du travail – après communication des mesures d’action directe et de la demande formulée en ce sens par la présidente du Conseil général de l’enseignement – ordonne par décision du 4 juillet de convoquer la commission de négociation pour le 28 juillet. Les organisations syndicales concernées expriment alors leur refus d’un tel appel à l’accord – attitude de renonciation qui, au-delà des raisons motivant un tel rejet, dont l’examen dépasse le cadre de la pondération voulue par la norme, implique en fait une rupture de la continuité du dialogue et, en ce sens, équivaut à un acte – la non-participation – de clôture de la procédure administrative, pour mettre en application en leur faveur la “liberté d’exercer les droits qui leur reviennent” ... et entrant en l’espèce dans les cas prévus à l’article 16 de la loi no 9624...»
- 230. Selon l’organisation plaignante, il convient d’ajouter, à titre d’autre démonstration manifeste d’action déloyale et de mauvaise foi, que le CGE a présenté devant la justice une demande de conciliation obligatoire le 26 août 2008, soit un jour avant le lancement des mesures de recours à la force (arrêt de travail) qui devaient se produire les 27, 28 et 29 août 2008. Ainsi, un mois plus tard que la date fixée par la direction provinciale du travail (elle était prévue pour le 28 juillet 2008), le CGE demande la conciliation en se basant sur une décision du congrès de l’AGMER (refus de la convocation des organes paritaires au siège administratif) communiquée par l’organisation syndicale le 8 juillet 2008, soit un mois et vingt jours avant la présentation de la requête devant la justice. Devant cette décision judiciaire, l’AGMER a présenté un recours en appel qui a été accepté par le tribunal chargé de l’instruction, c’est-à-dire que la décision judiciaire n’a pas été confirmée et que, partant, elle n’était pas définitive.
- 231. Selon l’organisation plaignante, lorsqu’il a sollicité la mesure judiciaire le 26 juin 2008, le gouvernement provincial n’avait aucune proposition à faire. Dès lors, on peut se demander quel était l’objectif central et principal de l’exécutif provincial en ouvrant une procédure de négociation collective, si sa contrepartie auteur de la contre-proposition lui avait répondu que la proposition était insuffisante et si celle-ci, à son tour, a affirmé qu’il n’y avait aucune amélioration ni aucune possibilité que cela se produise. La réponse est évidente, la seule intention étant d’utiliser le mécanisme paritaire pour freiner les mesures d’action directe décidées par les organisations syndicales. Il est précisé que, depuis le lancement de la procédure, la conduite adoptée par les autorités pourrait être taxée de mauvaise foi, étant donné qu’elles connaissaient déjà très certainement la réponse qui leur serait donnée par le secteur des travailleurs. Malgré cela, les enseignants de la province, s’accommodant de longue date du dialogue, ont décidé de participer à la commission de négociation, dans le but logique d’obtenir un résultat différent de celui auquel on était lamentablement parvenu à cause de la façon d’agir de l’employeur, à savoir l’échec total du processus de négociation dans le cadre de la procédure administrative.
- 232. Selon l’organisation plaignante, la mauvaise foi apparaît non seulement dans la manière de formuler la demande de convocation des organismes paritaires mais aussi dans tout le déroulement de la négociation conduite au siège administratif. L’AGMER indique que, le 11 mars 2009, l’employeur est arrivé en déclarant que la proposition consiste en «… une augmentation de salaire qui intègre le paiement mensuel d’environ sept millions de pesos…» Il s’agissait exactement de la même proposition salariale que celle déjà rejetée par les syndicats du secteur, les membres des organes paritaires représentant l’AGMER incorporant, entre autres, le point suivant: «Ouvrir une discussion budgétaire et salariale, en tenant compte du fait que le congrès a déjà refusé la proposition, jugée insuffisante, que le gouvernement de la province lui a faite le 26 février 2009, identique à celle exposée dans le présent acte et portant sur une augmentation qui intègre le paiement mensuel d’approximativement sept millions de pesos…» Les membres des organes paritaires représentant le Conseil général de l’enseignement ont alors fait état de la nécessité de disposer d’un délai de réflexion pour pouvoir donner une réponse aux points incorporés par les organes paritaires du personnel enseignant. L’organisation plaignante ajoute que la réponse fournie vingt-quatre heures plus tard met en évidence la véritable intention et la façon d’agir de mauvaise foi de l’employeur. Ainsi, concernant les revendications, il soutient que «il ne sera pas dérogé aux règles énoncées dans l’acte du 11 mars 2009, dans le but de consolider l’arsenal administratif juridique en vigueur dans le système éducatif, en relation avec le remboursement des jours déduits pour l’arrêt de travail au cours de l’année 2008 et il ne sera procédé à aucune déduction pour arrêts de travail au cours de l’année 2009, et nous confirmons la décision du gouvernement provincial de rémunérer les jours effectivement travaillés; il est par ailleurs offert d’avancer, en complément à la proposition salariale de départ déjà énoncée hier, le paiement de la prime d’enseignement prévue initialement sous forme de six versements à partir du mois de juillet 2009 et jusqu’en décembre 2009, en trois versements effectués en mai, juillet et septembre de l’année en cours...»
- 233. Selon l’organisation plaignante, ce qui semble être une offre n’en est pas une. Cette proposition représente le paiement d’une dette arriérée que l’Etat national comme l’Etat provincial ont à l’égard des enseignants d’Entre Ríos depuis l’année 2004, et que l’on propose par ailleurs de payer en plusieurs versements et sans aucun intérêt ni actualisation. La présidente du Conseil général de l’enseignement a elle-même affirmé que la prime d’enseignement relève de la responsabilité du gouvernement national, la province faisant seulement office d’intermédiaire entre le payeur et le bénéficiaire, et que la nation ne la considère pas comme une dette due au secteur enseignant. Devant l’absence totale de réponse à la totalité et à chacun des points à négocier incorporés par les parties, la procédure de négociation a échoué.
- 234. L’organisation plaignante tient à préciser que ni le Conseil général de l’enseignement ni le gouvernement n’ont déployé les efforts concourant à parvenir à des accords; ils ont simplement maintenu la même proposition, tout en tentant par ailleurs de la «travestir» en amélioration en s’engageant à payer des sommes dues depuis plusieurs années (prime d’enseignement) par un autre débiteur (Etat national), qui en avait déjà fait l’annonce auparavant et ce pour la faire apparaître comme un supplément ou une amélioration de la proposition. L’employeur n’a jamais utilisé ce mécanisme paritaire en «temps de paix», son action se bornant à en appeler à la loi relative aux organes paritaires, dans l’unique objectif de démanteler ou de freiner les mesures d’action, généralement directes (grèves), dont décident les enseignants de la province lorsque l’on a fait longtemps la sourde oreille à leurs demandes d’améliorations des conditions de travail. C’est ainsi qu’apparaît clairement la mauvaise foi déjà invoquée puisque, pour l’employeur, il n’est ni n’a jamais été question d’un véritable dispositif de négociation avec ses employés dans le sens prévu lors de l’élaboration de la loi en question, dont ni la lettre ni l’esprit n’ont été respectés.
- 235. L’organisation plaignante déclare que, en contradiction avec l’attitude déloyale et de mauvaise foi mise en évidence dans la façon d’agir susmentionnée de l’employeur, le 4 mars 2009, c’est-à-dire deux jours après avoir appelé à la négociation paritaire en 2009, il promulgue la décision no 521/09 CGE qui stipule: «article premier: Habiliter les directeurs/directrices départementaux des écoles, après identification du personnel de direction enseignant n’ayant pas informé de l’absence de membres du personnel enseignant relevant d’eux occasionnée par des arrêts de travail dudit personnel au cours de l’année 2008, à appliquer aux membres concernés la mesure de “rappel à l’ordre”, avec mention inscrite dans leur dossier personnel…» Cette règle implique une conduite tout à fait déloyale et elle est d’autre part manifestement inconstitutionnelle puisque, entre autres, en ordonnant une sanction de manière générale et sans discrimination ni analyse quelconque de la situation particulière de chaque directeur, elle porte atteinte au principe de la présomption d’innocence, au droit à la défense, à la garantie d’une procédure régulière et au principe de légalité de tous les droits et garanties de rang constitutionnel et supralégal dont jouissent les traités internationaux. Selon l’organisation plaignante, la genèse de cette disposition fait clairement ressortir la mauvaise foi de la conduite de l’employeur, qui demande une table de négociation et qui, deux jours plus tard, sans tenir compte d’aucune raison, sans écouter, sans les appeler à se disculper et sans leur donner aucune possibilité de se défendre, punit les directeurs des écoles n’ayant pas signalé l’absence de membres du personnel enseignant.
- 236. Cette punition est imposée aux directeurs d’école sans qu’aucune réglementation n’ait à aucun moment prévu cette sanction, puisque la règle en vigueur (statut de l’enseignant d’Entre Ríos) ne prévoit pas le rappel à l’ordre avec inscription au dossier personnel, sans aucune possibilité de défense, comme une possibilité de sanction (article 61 et suivants). Cette décision a pour seule finalité la persécution de quiconque aurait exercé son droit de grève légitime et, pour cette raison, n’aurait pas été présent(e) sur son lieu de travail. Nous devons rappeler ici que les directeurs des écoles ne sont pas des fonctionnaires publics mais des enseignants qui accèdent à des fonctions de direction par concours, conformément aux règles édictées en ce sens par l’Etat lui-même. Ce ne sont pas des fonctionnaires hors de la grille d’avancement et, de ce fait, ils ne jouissent pas d’un tel statut juridique, disposent d’un régime de congé particulier, d’une échelle des salaires commune à tous les employés relevant du CGE et, à ce titre, ils entrent dans le cadre du statut de l’enseignant, raisons pour lesquelles ils accèdent aux mêmes droits et obligations que le reste du secteur, dont le droit de se rallier à des mesures de recours à la force.
- 237. Cette attitude antisyndicale déployée par l’Etat a un effet «dissuasif» pour la mise en œuvre de mesures syndicales car les personnes concernées se rendent compte que, si elles respectent les dispositions prises par les syndicats d’enseignants – même si elles sont ordonnées dans le cadre de la loi, comme c’est le cas en l’espèce – elles seront attaquées «à titre individuel» par l’employeur. Enfin, la persécution pénale dont font l’objet les dirigeants syndicaux de l’Association syndicale des enseignants d’Entre Ríos constitue un autre fait important en termes d’implications politiques, syndicales et d’atteinte aux droits.
- 238. L’AGMER signale que, devant la violation manifeste du droit mise en évidence par l’attitude de mauvaise foi de l’employeur public, elle a décidé de ne pas accepter la conciliation obligatoire et de confirmer les arrêts de travail des 28 et 29 août 2008 et de demander à son conseil juridique d’interjeter appel contre la décision judiciaire ayant imposé à tort la conciliation obligatoire. L’employeur a ensuite saisi le tribunal du travail pour demander que les mesures légales soient prononcées devant la communication du non-respect de la décision judiciaire contre laquelle avait été interjeté l’appel, en évoquant clairement le lancement ou le dépôt d’une plainte au pénal pour la commission présumée d’un délit puni par le Code pénal argentin. Ce qui a ensuite donné lieu à l’instruction de l’affaire intitulée «Elizar Sergio, Madoz Marta, Budino Luis César, Sánchez Zulma, Sánchez Norma et Rodríguez Patricia S/infraction judiciaire», traitée par le tribunal d’instruction no 8 de la ville de Paraná sous le numéro 2684. Ce délit, pour lequel les dirigeants qui étaient à cette époque membres du comité directeur central de l’Association syndicale des enseignants d’Entre Ríos sont poursuivis, est caractérisé dans l’article 239 du Code pénal qui stipule que «sera passible de quinze jours à un an de prison la personne qui … désobéirait à un fonctionnaire public dans l’exercice légitime de ses fonctions».
- 239. Outre le fait qu’il n’existe en l’espèce pas de délit, il n’y a eu aucune infraction ni aucune façon d’agir illégitime de la part de ceux qui sont aujourd’hui inculpés. Il convient de souligner que, lorsque l’Etat lui-même a recours au droit pénal, c’est parce qu’il veut attiser le conflit du travail par la violence produite par le pouvoir répressif. Dans un Etat de droit démocratique, le pouvoir de répression est et doit être réduit au minimum. Il s’agit de l’ultime recours, c’est-à-dire qu’il apparaît lorsqu’il n’y a pas d’autre droit à appliquer. Pourtant, en l’espèce, un conflit du travail que l’on entend résoudre par la conciliation entre les parties s’avère incompatible avec l’attitude consistant à criminaliser le droit constitutionnel de grève et le droit du travail/administratif de lutter pour l’intégrité et l’augmentation du salaire afin qu’il soit juste, pour des conditions de travail dignes et équitables et pour la santé et la sécurité sur le lieu de travail.
- 240. Il importe de bien faire ressortir que les inculpés dans le cadre de la procédure pénale sont des enseignants qui ont occupé des fonctions de dirigeants au sein des syndicats d’enseignants d’Entre Ríos, qui les ont élus pour défendre leurs droits du travail, ce qui s’est toujours fait dans le cadre de la Constitution et des lois qui réglementent ladite activité. Il faut donc souligner que l’intention des fonctionnaires qui ont entamé la procédure était d’effrayer les travailleurs qui luttent pour leurs droits. Le recours à un procès pénal avait pour seul motif de susciter la peur chez les enseignants.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement
- 241. Dans sa communication du 24 mai 2011, le gouvernement déclare que la direction provinciale du travail (DPT) de la province d’Entre Ríos a, en relation avec l’application de la loi no 9624/05 relative aux organes paritaires du personnel enseignant, répondu que, avant d’analyser le conflit de l’année 2008, il convient de présenter un bref rappel des conflits survenus depuis l’année 2005 et de faire observer quelle a été l’attitude de l’organisation plaignante tout au long de la période où ils sont survenus. En 2005, le président du CGE de la province a ouvert la procédure no 084-02364/05 à la demande de parents d’élèves autoconvoqués pour la défense de l’éducation publique, afin de garantir la scolarité et le droit fondamental à l’éducation des enfants, touchés par les mesures d’action directe mises en œuvre par différentes organisations syndicales. Devant cette requête, l’organisme provincial du travail a immédiatement fixé une série d’audiences pour résoudre le conflit, lequel portait sur des revendications de réévaluation des salaires présentées par des enseignants, en dérogation à la loi provinciale no 9330 et sur les conditions de travail et les infrastructures publiques – loi de financement du secteur de l’éducation. Différentes organisations syndicales du secteur étaient à la tête de ces revendications: l’Association syndicale des enseignants d’Entre Ríos (AGMER), le Syndicat argentin des enseignants privés (SADOP), l’Association du corps des enseignants de l’enseignement technique (AMET) et l’Union des enseignants argentins (UDA). Ce conflit a abouti à des mesures d’action directe les 25, 26 et 27 juillet 2005, les 3 et 4 août 2005 et les 11 et 12 août 2005.
- 242. C’est dans le cadre de cette procédure que la DPT a convoqué une audience pour le 5 août 2005, parvenant à un début d’accord qui a finalement été refusé par la direction syndicale, avec un nouvel arrêt des activités prévu pour les 11 et 12 août 2005. Devant l’intensification du conflit, elle a appelé à une conciliation obligatoire dans un délai de quinze jours. Ladite conciliation n’a pas été acceptée, les pouvoirs de la direction de l’imposer étant mis en question. En vertu du Pacte fédéral du travail (no 25212), l’affaire a été portée devant le ministère du Travail de la nation, afin de solliciter son intervention et sa décision à ce sujet. Par décision no 275/05, le ministère a reconnu la compétence et le pouvoir de l’organisme du travail provincial à intervenir dans les conflits collectifs suscités dans le territoire de la province. Ainsi a été prise la décision no 442/05 DPT du 19 août 2000, confirmant l’ordre de conciliation obligatoire et ordonnant la cessation des mesures d’action directe. Cette mesure n’a pas non plus été respectée par le syndicat. La DPT signale que, en dépit de la signification des mises en demeure et du non-respect des mesures de négociation de la part des organisations, aucune sanction n’a été prise et il n’a pas été porté atteinte au droit de grève.
- 243. L’autorité provinciale ajoute que, en 2008, dans le cadre de la nouvelle réglementation (articles 7 et 16 de la loi no 9624), l’intervention de la DPT a été demandée. Cette dernière a fixé l’audience au 28 juillet 2008, ce que n’a pas respecté l’organisation plaignante, bien qu’elle ait incité à la rédaction et à l’application de la norme. Conformément à l’article 16 de celle-ci, elle entraîne l’intervention judiciaire, qui a ordonné la conciliation obligatoire, à laquelle l’AGMER a également refusé de se soumettre. La DPT fait remarquer que, en dépit de ce qui précède, aucune sanction n’a été prise.
- 244. L’autorité provinciale indique que, au cours de l’année 2010, l’AGMER a annoncé des mesures de recours à la force pour les 26 et 27 juillet, et que le CGE demande que soit ordonnée la conciliation obligatoire. La présidente du CGE signale que, en application de la loi relative aux organes paritaires du personnel enseignant, une augmentation en deux étapes a été accordée (acte du 17 février 2010), avec la poursuite des négociations. La décision de la DPT no 401/10 du 23 juin 2010 n’a pas été respectée et a été contestée par l’AGMER, alléguant que la loi no 9624 relative aux organes paritaires règlemente le mécanisme qui peut aboutir à faire ordonner une conciliation obligatoire par un tribunal national et que, comme il s’agit ici de l’employeur, il se trouve dès lors être juge et partie dans l’affaire. Elle indique qu’il n’y a pas eu d’organe paritaire mis en place dans la province, cette dernière s’étant conformée à la loi relative aux organes paritaires nationaux du personnel enseignant.
- 245. Le 24 juillet 2010, l’organisation syndicale a été mise en demeure de se soumettre à la conciliation obligatoire ordonnée en temps opportun. Donnant son aval à l’Etat provincial le 25 juillet 2010, le tribunal de première instance civil et commercial no 1 de Paraná, greffe no 1, dans les procédures «Conseil provincial de l’enfant, de l’adolescent et de la famille C/AGMER et autre S/mesure d’autosatisfaction», a en définitive renforcé l’appel à la conciliation obligatoire lancé par la DPT. Nonobstant ce qui précède, l’organisation syndicale continue de refuser de se soumettre à l’ordre et maintient ses mesures de recours à la force les 25 et 26 juillet 2010. Dans cette procédure, il est fait appel à l’intervention du ministère du Travail de la nation qui, le 2 août 2010, prend la décision no 1077, mettant l’AGMER en demeure de se soumettre à la conciliation obligatoire ordonnée par la DGT de la province d’Entre Ríos, sous peine de se voir infliger les dispositions de l’article 56, alinéa 3, de la loi no 23551, notifiée à l’organisation le 5 août 2010.
- 246. Pour finir, l’autorité provinciale conclut qu’il convient de rejeter dans tous leurs aspects les allégations formulées dans la plainte, attendu qu’il n’y a eu aucune violation de la liberté syndicale. Elle souligne que l’AGMER, ainsi qu’il a été signalé, ne s’est jamais conformée aux dispositions qui, tant au niveau national qu’au niveau provincial, règlementent la conciliation obligatoire avant l’adoption de mesures de recours à la force. En dépit de tout ce qui précède, aucune disposition n’a jamais été prise ni aucune procédure entamée pour l’application de sanctions. Toutes les mesures prises par l’autorité provinciale l’ont été dans le cadre de ses pouvoirs et de ses compétences à connaître de conflits collectifs à l’intérieur de son territoire.
- 247. L’autorité provinciale joint l’avis et les informations versés par le Conseil général de l’enseignement de la province qui, concernant le reste des allégations formulées par l’organisation, déclare ce qui suit: 1) sanctions motivées par l’exercice du droit de grève par le personnel enseignant. Il est nié avec force qu’une «sanction économique» ait été appliquée, attendu que le droit de grève est un droit consacré par l’article 14 bis de la Constitution nationale et que, de ce fait, son exercice ne constitue pas une conduite passible de sanctions. Ce qui a été appliqué était un non-versement de salaires pour absence au travail qui, tout en étant légalement autorisée, ne donne pas lieu à rétribution puisque le seul acte générateur de rétribution est le travail; 2) absence de procédure préalable. L’autorité fait avant tout remarquer que, en réalité, c’est le syndicat qui n’a pas respecté la loi en ne se soumettant pas à la procédure de conciliation prévue, qui est chargée de déterminer la marche à suivre avant le recours à des mesures d’action directe (article 2, alinéa F, de la loi no 14786). Ces mesures exigent que les activités soient conduites par le syndicat à l’origine de la mesure concernée, condition qui, en l’espèce, n’était alors pas remplie. Elle déclare que, de leur côté, les syndicats avaient déjà rejeté la mise en demeure judiciaire de conciliation obligatoire ordonnée par la juridiction provinciale, qui comprenait l’ordre de suspendre les mesures en cours dans l’attente d’une démarche de conciliation (articles 8 et 11 de la loi précitée). Une telle conduite révèle que c’est bien le syndicat lui-même qui n’a pas respecté la loi et la procédure prévue avant de prendre des mesures d’action directe (article 2, alinéa F, de la loi no 14786), comme cela a déjà été souligné dans le paragraphe précédent. Il faut de nouveau faire remarquer que, même ainsi, le recours à des mesures n’a pas été déclaré illégal, l’autorité se bornant à ne pas rétribuer les jours non travaillés et à proposer des solutions de conciliation; 3) mauvaise foi des organes paritaires. Pour dire la vérité, c’est l’organisation syndicale qui a publiquement et ostensiblement refusé la procédure de conciliation, qui n’a pas assisté aux audiences tant judiciaires qu’administratives, et qui a sapé toutes ces procédures. Cette conduite négative rend totalement pertinente la procédure judiciaire que la loi relative aux organes paritaires du personnel enseignant prévoit, en son article 16, en termes très clairs: «devant l’échec de la procédure administrative de conciliation mentionnée, chacune des parties pourra demander au tribunal du travail siégeant par roulement dans la ville de Paraná d’ordonner la conciliation obligatoire». D’autre part, le syndicat a refusé la conciliation judiciaire mais, de manière tout à fait contradictoire, il s’en est prévalu pour examiner la proposition gouvernementale et la rejeter. En définitive, il semble que, pour l’organisation syndicale, la procédure de négociation paritaire soit une conquête des travailleurs lorsqu’elle aboutit aux résultats souhaités par le syndicat, mais qu’elle soit à rejeter quand tel n’est pas le cas; 4) persécution administrative à l’encontre de directeurs d’école. Le CGE explique calmement que «le rappel à l’ordre» ne revêt pas la qualité de sanction, qu’il n’a pas un caractère punitif et qu’il n’existe pas de peine applicable. Il s’agit d’une mesure corrective prévue dans la décision no 1427/02 du CGE du 15 mai 2002, qui règlemente la procédure à suivre pour le calcul des postes d’annulations comptables professionnelles du personnel enseignant. A la différence des mesures disciplinaires, ces mesures ne donnent lieu à aucune diminution de la note d’évaluation professionnelle; 5) persécution pénale à l’encontre de dirigeants syndicaux. Le CGE fait ressortir que l’organisation plaignante aurait dû se conformer à la décision judiciaire ordonnant le recours à la conciliation obligatoire et que, dans n’importe quel ordre juridique, le non-respect d’une décision judiciaire constitue un délit. Il estime, pour finir, que les appréciations versées concernant les politiques publiques de l’Etat s’écartent de l’objectif central ayant motivé la plainte, à savoir l’exercice du droit de grève du personnel enseignant du secteur public.
- 248. L’autorité provinciale signale qu’il ne convient pas de juger recevable la présente plainte attendu que, même avec la profusion d’éléments et de détails versés par l’organisation, la loi relative aux organes paritaires du personnel enseignant a été appliquée, ce qui, d’une part, s’est traduit par la participation active de l’AGMER et, d’autre part, par l’application des termes de son article 16 qui dispose: «devant l’échec de la procédure administrative de conciliation mentionnée, chacune des parties pourra demander au tribunal du travail siégeant par roulement dans la ville de Paraná d’ordonner la conciliation obligatoire».
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
- 249. Le comité observe que, dans le présent cas, l’organisation plaignante allègue le manque de bonne foi du gouvernement de la province d’Entre Ríos et du Conseil général de l’enseignement dans les négociations paritaires du secteur de l’éducation (propositions de prétendues améliorations ne relevant pas de la compétence provinciale; absence de véritables propositions d’augmentation de salaires ou propositions illégales de versements et refus de tenir compte des revendications portant sur les conditions de travail) et contestation de la décision des autorités de la province de déduire des salaires les jours de grève légale réalisée dans le secteur en 2008. L’organisation plaignante allègue également que des sanctions ont été prises à l’encontre des dirigeants enseignants n’ayant pas communiqué les noms des enseignants s’étant ralliés à la grève et qu’une plainte a été déposée au pénal pour infraction judiciaire à l’ordre de conciliation obligatoire à l’encontre des dirigeants syndicaux nommément désignés dans la plainte.
- 250. En ce qui concerne l’allégation de manque de bonne foi des autorités provinciales dans les négociations paritaires, le comité prend note de ce que le gouvernement de la province d’Entre Ríos indique que l’organisation plaignante a refusé la conciliation sur les sujets de négociation et que les autorités n’ont pas imposé de sanctions, et qu’il souligne en particulier que: 1) pendant les mesures d’action directe déployées en 2005, le syndicat a refusé de se soumettre à l’ordre de conciliation obligatoire et qu’aucune sanction ne lui a été imposée; 2) dans le cadre du conflit en 2008, la direction provinciale du travail a convoqué les parties à une audience mais l’organisation plaignante a refusé la citation et, bien que l’autorité judiciaire ait ordonné la conciliation obligatoire, l’AGMER n’a pas comparu; 3) l’organisation plaignante ne s’est vue là encore imposer aucune sanction; 4) au cours de l’année 2010, dans le cadre d’un nouveau conflit, l’AGMER a de nouveau refusé de se conformer à l’appel à la conciliation obligatoire lancé par voie judiciaire; et 5) l’AGMER a rejeté publiquement et ostensiblement la procédure de conciliation et ne s’est rendue à aucune audience administrative ou judiciaire.
- 251. A cet égard, le comité constate que, d’après ce qui ressort des allégations et de la réponse du gouvernement, cela fait des années que les relations professionnelles s’avèrent difficiles dans le secteur de l’enseignement de la province d’Entre Ríos. Dans ces conditions, le comité rappelle qu’il a souligné à maintes reprises qu’«il importe qu’employeurs et syndicats participent aux négociations de bonne foi et déploient tous leurs efforts pour aboutir à un accord, des négociations véritables et constructives étant nécessaires pour établir et maintenir une relation de confiance entre les parties». [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 935.] Le comité demande au gouvernement de veiller au respect de ce principe.
- 252. Quant à la décision contestée de déduire des salaires des enseignants les jours pendant lesquels ils ont participé à une grève en 2008, le comité prend note de la déclaration du gouvernement de la province d’Entre Ríos selon laquelle aucune sanction économique n’a été appliquée, attendu que le droit de grève est un droit consacré par la Constitution nationale, mais que ce qui a été appliqué était un non-versement de rétributions (salaires) pour absence au travail. Le comité considère que «les déductions de salaire pour les jours de grève ne soulèvent pas d’objections du point de vue des principes de la liberté syndicale» [voir Recueil, op. cit., paragr. 654] et qu’il ne poursuivra pas l’examen de ces allégations.
- 253. En ce qui concerne les allégations de sanctions (rappel à l’ordre) qui auraient été imposées aux dirigeants enseignants qui n’ont pas communiqué les noms des enseignants s’étant ralliés à la grève, le comité prend note de ce que le gouvernement de la province d’Entre Ríos fait savoir que le rappel à l’ordre: 1) ne revêt pas la qualité de sanction et n’a pas de caractère punitif; 2) qu’il n’existe pas de peine applicable; et 3) qu’il s’agit d’une mesure corrective prévue dans la décision no 1427/02 du CGE qui, à la différence des mesures disciplinaires, ne donne lieu à aucune diminution de la note d’évaluation professionnelle. Eu égard à ces informations, le comité ne poursuivra pas l’examen de ces allégations.
- 254. Enfin, en ce qui concerne l’allégation relative au dépôt d’une plainte au pénal pour infraction judiciaire à l’ordre de conciliation obligatoire à l’encontre des dirigeants syndicaux nommément désignés dans la plainte, le comité prend note de la déclaration du gouvernement de la province selon laquelle le non-respect d’une décision judiciaire constitue un délit dans n’importe quel ordre juridique. Rappelant le principe selon lequel nul ne devrait pouvoir être privé de liberté ni faire l’objet de sanctions pénales pour le simple fait d’avoir organisé une grève pacifique ou d’y avoir participé [voir Recueil, op. cit, paragr. 672], le comité demande au gouvernement de communiquer copie de la décision définitive.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 255. Au vu des conclusions qui précédent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver la recommandation suivante:
- Rappelant le principe selon lequel nul ne devrait pouvoir être privé de liberté ni faire l’objet de sanctions pénales pour le simple fait d’avoir organisé une grève pacifique ou d’y avoir participé, le comité demande au gouvernement de communiquer une copie de la décision définitive concernant la plainte déposée au pénal pour infraction judiciaire à l’ordre de conciliation obligatoire à l’encontre des dirigeants syndicaux de l’Association syndicale des enseignants d’Entre Ríos (AGMER), nommément désignés dans la plainte.