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- 1179. La plainte figure dans une communication de la Confédération nigérienne du travail (CNT) et de l’Organisation démocratique syndicale des travailleurs africains (ODSTA) datée du 19 mai 2005, appuyée par la Confédération mondiale du travail (CMT) dans une communication du 23 mai 2005. La CNT a transmis des informations complémentaires en juillet 2005 et février 2006.
- 1180. Le gouvernement a transmis sa réponse dans une communication datée du 26 octobre 2005.
- 1181. Le Niger a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, ainsi que la convention (no 135) concernant les représentants des travailleurs, 1971.
A. Allégations des organisations plaignantes
A. Allégations des organisations plaignantes- 1182. Dans leurs communications du 19 mai et de juillet 2005, les organisations plaignantes expliquent que le Syndicat des travailleurs de l’électricité du Niger (SYNTRAVE) a tenu son assemblée constitutive le 29 novembre 2003 et a été enregistré par les autorités le 4 décembre 2003. Il existait dès lors deux syndicats au sein de la Société nigérienne d’électricité (NIGELEC): le Syndicat national des travailleurs de l’eau et de l’énergie (SYNATREEN) existant auparavant et le SYNTRAVE nouvellement constitué.
- 1183. Selon les organisations plaignantes, la direction de la NIGELEC a opéré une discrimination constante et répétée entre les deux syndicats, par exemple: en ne reconnaissant que le seul SYNATREEN; en omettant systématiquement le SYNTRAVE de toutes les circulaires et notes de service; en prenant clairement partie pour le SYNATREEN à l’occasion de la fête du 1er mai (distribution de pagnes pour le défilé; privilèges d’utilisation du parc automobile de la société aux seuls membres du SYNATREEN); et en organisant des élections pour le compte du seul SYNATREEN.
- 1184. Les organisations plaignantes allèguent également que la société a procédé à de nombreuses mutations arbitraires de militants et de membres du bureau exécutif national du SYNTRAVE afin de déstabiliser ce dernier, notamment: M. Ibrahim Woussi, secrétaire à l’information, affecté à Dosso (140 km du siège du SYNTRAVE); M. Abdourhamane Garba, secrétaire à la formation syndicale, affecté à Bagaroua (400 km du siège); M. Assoumane Issoufou, secrétaire à l’organisation, affecté à Keïta (500 km du siège); M. Issoufou Bah, secrétaire aux conflits et aux négociations, affecté à Arlit (1 200 km du siège); M. Mohamed Goumar, secrétaire aux finances, affecté à Agadez (1 000 km du siège); M. Abdou Namata, secrétaire adjoint aux conflits et aux négociations, affecté à Dolbel (200 km du siège); et de nombreux autres travailleurs.
- 1185. De plus, le Centre des métiers de l’électricité (CME), dont le personnel avait massivement adhéré au SYNTRAVE, fut aussitôt fermé et les salariés graduellement répartis dans d’autres services. Les membres et dirigeants du SYNTRAVE touchés par ces affectations ont tous été placés sous l’autorité directe de responsables du SYNATREEN. Par ailleurs, les membres du SYNTRAVE sont continuellement soumis à des mesures vexatoires, par exemple M. Assoumane Issoufou qui avait obtenu de son supérieur hiérarchique une permission d’absence de 72 heures pour aller toucher son salaire, ensuite refusée par l’administrateur délégué de la société.
- 1186. Le 10 décembre 2003, M. Diamyo El Hadj Yacouba (secrétaire général du SYNTRAVE, délégué du personnel et membre du comité d’entreprise, comptant 22 ans d’ancienneté, dont 15 comme délégué du personnel) a envoyé, en sa qualité de secrétaire général du syndicat, une lettre ouverte à l’administrateur délégué où il lui reprochait notamment d’avoir déclaré aux délégués du personnel qu’il n’accepterait pas la présence de deux syndicats à la NIGELEC et d’avoir ordonné à ses collaborateurs d’user de leur influence pour qu’aucun travailleur n’adhère au SYNTRAVE. Le 29 décembre 2003, M. Diamyo a fait l’objet d’une mise à pied conservatoire dans l’attente de l’autorisation de licenciement, demandée par l’administrateur délégué à l’inspection du travail. Toujours à la requête de l’administrateur délégué, M. Diamyo a été cité à comparaître le 12 janvier 2004 devant le tribunal correctionnel pour diffamation en rapport avec les mêmes faits. Le 4 février 2004, l’inspection du travail n’a pas accueilli la demande d’autorisation de licenciement, déclarant que le pénal tenant le civil, il fallait s’en remettre à la décision du tribunal correctionnel. Le 9 février 2004, l’administrateur délégué a informé M. Diamyo qu’il était licencié pour faute lourde à compter du 10 février 2004. Le 12 février 2004, le ministre de la Fonction publique et du Travail, président du Comité interministériel de négociation, a informé par écrit l’administrateur délégué qu’il jugeait la décision de licenciement inopportune, des négociations étant en cours pour la réintégration de M. Diamyo. Saisi par ce dernier, le tribunal régional de Niamey a ordonné la poursuite de son contrat de travail, sous astreinte de 100 000 francs CFA par jour de retard, au motif que, «aux termes de l’article 216 du Code du travail, tout licenciement d’un représentant élu du personnel … quelle qu’en soit la cause, doit être soumis à l’inspection du travail … en décidant de le licencier sans l’accord de l’administration du travail, l’employeur a commis une voie de fait et créé un trouble grave qu’il importe de faire cesser» (ordonnance de référé no 66 du 13 avril 2004). La cour d’appel de Niamey (Chambre civile, arrêt no 10 du 6 février 2006) a déclaré nul le licenciement de M. Diamyo El Hadj Yacouba et ordonné sa réintégration dans la situation existant avant le licenciement, sous astreinte de 100 000 francs CFA par jour de retard. En dépit de ces décisions, M. Diamyo n’a pas encore été réintégré dans ses fonctions.
- 1187. La ministre du Travail a écrit à la société NIGELEC le 17 février 2006, l’informant que le Comité interministériel, ayant pris connaissance de l’arrêté de la cour d’appel, avait été convenu de saisir NIGELEC «afin que les mesures nécessaires soient prises en vue de la mise en œuvre» de la décision de la Cour.
- 1188. Les organisations plaignantes soutiennent que les actes de la direction de la NIGELEC constituent clairement des actes de discrimination antisyndicale et de favoritisme, en violation de la convention collective interprofessionnelle, de la législation nationale et des conventions internationales de l’OIT.
- B. Réponse du gouvernement
- 1189. Dans sa communication du 26 octobre 2005, le gouvernement déclare que le dossier de licenciement de M. Diamyo El Hadj Yacouba a suivi presque toutes les étapes réglementaires et conventionnelles en vigueur: procédure interne, conformément au règlement intérieur et au statut du personnel; demande d’autorisation de licenciement; plainte en diffamation par l’administrateur délégué devant le tribunal régional de Niamey; décision de licenciement par la NIGELEC; recours en référé de M. Diamyo contre la décision de licenciement; intercession des autorités auprès de la NIGELEC. La cour d’appel de Niamey a statué deux fois sur le dossier, qui est en suspens devant la Cour suprême, suite au recours de M. Diamyo.
- 1190. Le gouvernement souligne que le licenciement de M. Diamyo couvre un autre problème tout aussi important, à savoir la rivalité entre le SYNATREEN et le SYNTRAVE. Toutefois, en veillant à ne pas interférer dans la procédure judiciaire en cours, le gouvernement examine toutes les voies de règlement équitable de ce litige, afin de favoriser un dialogue permanent avec les partenaires sociaux.
- 1191. Le gouvernement joint à sa communication: le jugement du tribunal correctionnel de Niamey (10 février 2004) reconnaissant M. Diamyo coupable de diffamation; l’ordonnance de référé du tribunal régional de Niamey (13 avril 2004) ordonnant la poursuite du contrat de travail de M. Diamyo; le jugement du tribunal du travail de Niamey (25 mai 2004) rejetant la demande d’annulation de licenciement présentée par M. Diamyo, au motif qu’il n’est pas couvert par l’article 216 du Code du travail (interdiction de licencier les représentants élus du personnel sans autorisation préalable de l’inspecteur du travail).
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 1192. Le comité note que la présente plainte concerne plusieurs allégations de discrimination antisyndicale, s’inscrivant dans un contexte de rivalité intersyndicale au sein de la Société nigérienne d’électricité (NIGELEC) entre le Syndicat national des travailleurs de l’eau et de l’énergie (SYNATREEN) et le Syndicat des travailleurs de l’électricité du Niger (SYNTRAVE). L’organisation plaignante fait état: d’actes de favoritisme de la société envers le SYNATREEN; du refus de la société NIGELEC de reconnaître le SYNTRAVE; de nombreuses mutations arbitraires de membres et dirigeants du SYNTRAVE; et du licenciement de M. Diamyo El Hadj Yacouba, secrétaire général du SYNTRAVE, délégué du personnel et membre du comité d’entreprise.
- 1193. Le comité rappelle tout d’abord qu’une situation qui n’implique pas de différend entre le gouvernement et les organisations syndicales, mais résulte d’un conflit au sein même du mouvement syndical est du seul ressort des parties intéressées, et qu’il ne lui appartient pas de se prononcer sur les différends opposant les diverses tendances d’un mouvement syndical. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, quatrième édition, 1996, paragr. 962-963.]
- 1194. Le comité note toutefois sur la base des informations fournies par les organisations plaignantes, auxquelles le gouvernement n’a pas répondu, que la direction de la société NIGELEC semble faire preuve de favoritisme au profit de l’organisation en place: reconnaissance du seul SYNATREEN; non-communication au SYNTRAVE des circulaires et notes de service; favoritisme à l’égard du SYNATREEN lors de la fête du 1er mai; lien de sujétion systématique des membres du SYNTRAVE; organisation d’élections pour le compte du seul SYNATREEN. Notant que le SYNTRAVE, ayant satisfait à toutes les prescriptions de la législation, a été dûment enregistré par les autorités, le comité considère qu’un gouvernement, surtout lorsqu’il a ratifié les conventions pertinentes, doit s’assurer que les employeurs observent les dispositions législatives visant à assurer l’égalité de traitement entre les organisations syndicales et n’exercent pas de discrimination en faveur d’une organisation syndicale donnée. Le comité demande au gouvernement de donner rapidement les instructions voulues à la direction de la NIGELEC afin qu’elle respecte ce principe, et lui demande de le tenir informé des mesures prises en ce sens.
- 1195. Le comité note avec regret que le gouvernement n’a donné aucune information sur les mutations abusives dont, selon les allégations, plusieurs membres et dirigeants du SYNTRAVE auraient été victimes. Soulignant que les mesures de ce type constituent des violations très sérieuses de la liberté syndicale en ce qu’elles peuvent nuire gravement à la viabilité et à la pérennité d’une organisation de travailleurs, le comité rappelle que nul ne devrait subir de préjudice dans son emploi en raison de son affiliation syndicale, même si le syndicat dont il s’agit n’est pas reconnu par l’employeur comme représentant la majorité des travailleurs intéressés [voir Recueil, op. cit., paragr. 701] et qu’une politique délibérée de mutations fréquentes des responsables syndicaux peut porter gravement préjudice au bon déroulement des activités syndicales. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 712.] Le comité demande au gouvernement de diligenter rapidement une enquête indépendante sur ces allégations et, s’il s’avérait qu’elles sont fondées, de prendre les mesures voulues pour que des mesures de redressement appropriées soient prises rapidement. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de l’évolution de la situation à cet égard.
- 1196. S’agissant du licenciement de M. Diamyo El Hadj Yacouba, le comité note que ce dernier soutient avoir été licencié pour motifs de discrimination antisyndicale; l’employeur impute plutôt son licenciement à la faute lourde qu’il aurait commise en envoyant une lettre ouverte contenant des propos diffamatoires contre l’administrateur délégué de la société. Le comité note que l’ordonnance de référé rendue au moment des faits ordonnait la continuation de l’exécution du contrat de travail de M. Diamyo au motif que son licenciement, quel qu’en soit le motif, ne pouvait intervenir sans autorisation préalable de l’inspection du travail, parce qu’il bénéficiait de la protection supplémentaire accordée par l’article 216 du Code du travail aux représentants élus du personnel; le tribunal du travail en a toutefois décidé autrement au motif que M. Diamyo n’était pas couvert par l’article 216. Le comité note enfin que la cour d’appel de Niamey s’est prononcée le 6 février 2006 en faveur de la réintégration de M. Diamyo El Hadj Yacouba et que le Conseil interministériel compétent a saisi la société NIGELEC afin qu’elle exécute le jugement.
- 1197. Au vu des circonstances du cas, notant les tentatives d’intercession des autorités dans ce différend et tenant compte tant de l’esprit que de la lettre de l’article 216 du Code du travail du Niger, ainsi que des dispositions de la convention (no 135) concernant les représentants des travailleurs, 1971, ratifiée par le Niger, qui vise précisément à couvrir ce genre de situation, le comité veut croire que la société NIGELEC appliquera rapidement le jugement de la cour d’appel de Niamey. Il lui demande de le tenir informé de l’évolution de la situation à cet égard.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 1198. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité demande au gouvernement de donner les instructions voulues à la direction de la société NIGELEC afin qu’elle observe les dispositions législatives visant à assurer l’égalité de traitement entre les organisations syndicales légalement présentes au sein de l’entreprise et n’exerce pas de discrimination contre le SYNTRAVE. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de l’évolution de la situation à cet égard.
- b) Le comité demande au gouvernement de diligenter rapidement une enquête indépendante sur les allégations de mutations arbitraires dont auraient été victimes plusieurs membres et dirigeants du SYNTRAVE et, s’il s’avérait qu’elles sont fondées, de prendre les mesures voulues pour que des mesures de redressement appropriées soient prises rapidement. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de l’évolution de la situation à cet égard.
- c) S’agissant du licenciement de M. Diamyo El Hadj Yacouba, le comité veut croire que la société NIGELEC appliquera rapidement le jugement de la cour d’appel de Niamey, ordonnant sa réintégration dans sa situation professionnelle antérieure, et demande au gouvernement de le tenir informé de l’évolution de la situation à cet égard.