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- 835. La plainte est présentée dans des communications datées du 29 septembre et du 10 décembre 2004 et du 25 mai 2005 par l’Union des syndicats de Géorgie (GTUA). Dans une communication datée du 25 mars 2005, la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) s’est associée à la plainte et a fourni des précisions complémentaires à l’appui. La CISL a fourni des informations complémentaires dans une communication datée du 23 septembre 2005.
- 836. Le comité a été obligé de reporter à deux reprises l’examen du cas. [Voir 335e et 336e rapports, paragr. 5 et 6 respectivement.] A sa session de mai-juin 2005 [voir 337e rapport, paragr. 10], le comité a lancé un appel pressant au gouvernement en indiquant que, conformément à la règle de procédure établie au paragraphe 17 de son 127e rapport approuvé par le Conseil d’administration, il pourrait présenter un rapport sur le fond de l’affaire à sa prochaine session, même si les informations ou observations demandées n’avaient pas été reçues à temps. A ce jour, le gouvernement n’a envoyé aucune réponse.
- 837. La Géorgie a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations des plaignants
A. Allégations des plaignants- 838. Dans leurs communications des 29 septembre et 10 décembre 2004, et des 25 mars et 25 mai 2005, l’Union des syndicats de Géorgie (GTUA) et la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) ont allégué que le gouvernement s’ingérait dans les affaires internes de la GTUA. Plus précisément, selon elles, le gouvernement a saisi des biens syndicaux, a menacé d’emprisonnement les dirigeants de la GTUA, en public et en privé, pour les intimider, et a fait des déclarations désobligeantes dans les médias de masse au sujet de la GTUA. Elles ont ajouté que les autorités gouvernementales persistaient à feindre d’ignorer les nombreuses tentatives de la GTUA en vue de régler ces affaires par le dialogue constructif.
- 839. Selon la GTUA, après la Révolution rose, en novembre 2003, les biens que la GTUA avait acquis au lendemain de l’effondrement de l’URSS et de l’ancien régime syndical soviétique étaient devenus la cible du nouveau gouvernement. Les autorités contestaient le droit des syndicats de continuer de faire usage de biens remontant à l’ère soviétique. La GTUA avait souligné à maintes reprises que la Constitution géorgienne protégeait les droits à la propriété, et que la loi et la constitution régissant les syndicats autorisaient ces derniers à posséder des biens. En outre, au cours de l’été 2003, la Cour suprême de la Géorgie a statué que la GTUA était le successeur légitime du Conseil central des syndicats de l’URSS et propriétaire à ce titre des biens lui appartenant. Ces arguments ne semblent pas avoir eu beaucoup de poids aux yeux du nouveau régime.
- 840. Le 21 juin 2004, lors d’une session parlementaire, le comité parlementaire des affaires juridiques a été chargé d’examiner la question des biens appartenant à la GTUA pour poser les jalons de leur confiscation. Le 13 juillet 2004, le comité des affaires juridiques a demandé au président de la GTUA, M. Irakli Tugushi, de fournir de l’information sur tous les biens appartenant aux syndicats.
- 841. Selon les plaignants, les pouvoirs publics ont également eu recours à la force et à l’intimidation. Le 3 août 2004, quatre responsables du Service de sécurité de l’Etat sont venus voir M. Tugushi et l’ont amené au bureau du Procureur général. Il a alors été informé du fait que, le 7 juillet 2004, le bureau du Procureur général avait reçu de la documentation à l’appui d’une enquête journalistique – l’enregistrement sur cassette vidéo d’une émission de télévision géorgienne de la série «60 Minutes» datant de 1999. Dans le reportage, plusieurs dirigeants des syndicats affiliés à la GTUA étaient accusés d’acquisition illégale de biens et de détournement de fonds. Des poursuites pénales fondées sur le contenu de l’émission ont été intentées en juillet 2004 en vertu de l’article 182 du Code pénal géorgien («Détournement de biens et de fonds»). Les plaignants ont déclaré que, en 1999, la GTUA a poursuivi en justice les réalisateurs de l’émission pour défendre son honneur, sa dignité et sa réputation. Le litige a été résolu par suite d’une reconnaissance publique selon laquelle l’émission était biaisée et fondée sur des éléments de preuve non corroborés.
- 842. Le 29 juillet, le directeur du Service des enquêtes au bureau du Procureur général a ordonné une vérification de toutes les activités économiques et financières de la GTUA. L’ordre officiel prévoyait: 1) que toutes les activités économiques et financières de la GTUA fassent l’objet d’une vérification documentaire; 2) que le centre des enquêtes spéciales du ministère de la Justice soit chargé de l’expertise; 3) que la légalité de la comptabilité et de la propriété des biens principaux de la GTUA entre le 1er janvier 1992 et le 1er juillet 2004 soit vérifiée et que les recettes de la GTUA pour la période visée soient examinées. L’approbation judiciaire de l’expertise a été donnée le 9 août 2004. La commission chargée de l’expertise a étudié minutieusement les biens et les finances des syndicats affiliés à la GTUA et a émis un rapport provisoire le 2 novembre 2004. Le rapport stipulait que la GTUA était «le propriétaire légitime de ses biens, qu’il utilise conformément à la Constitution et aux lois de la Géorgie». Le directeur du Service des enquêtes n’était toutefois pas satisfait de cette conclusion et a demandé au tribunal de prolonger l’ordonnance qu’il avait émise le 9 août 2004 et de modifier la composition de la commission. Le tribunal de district a accordé cette requête le 11 novembre 2004 et l’expertise a continué. Les documents de base de la GTUA (dossiers, comptes, etc.) ont été saisis et mis sous scellés, et le bureau de Mme Londa Sikharulidze, la vice-présidente de la GTUA à l’époque, a également été mis sous scellés. Le 6 décembre 2004, le tribunal de district de Tbilissi a accordé une nouvelle requête d’expertise comptable de la structure économique de l’association récréative et de santé, la «Profkurort», qui gérait les installations de vacances de la GTUA. Tous les documents financiers pertinents ont été saisis, et le bureau du directeur de l’association a été fermé et mis sous scellés. Le 23 février 2005, le même tribunal a accordé une requête au directeur du Service des enquêtes sur les crimes graves du bureau du Procureur général en vue de la saisie des comptes de toutes les installations appartenant à la GTUA (sanatoriums, lieux de villégiature, centres sportifs et de vacances, notamment). Des documents ont été saisis dans 104 de ces installations. Selon la communication de la CISL, également datée de février, Mme Sikharulidze et le directeur du «Kurortinvest» ont été interrogés au bureau du Procureur général. La vice-présidente de la GTUA s’est fait dire clairement qu’elle pourrait être arrêtée la prochaine fois.
- 843. Toujours selon les plaignants, le Président de la Géorgie a déclaré à la télévision nationale que les syndicats étaient «des organisations mafieuses et inutiles» et a exigé qu’ils cèdent sans délai à l’Etat leurs biens, à défaut de quoi le Procureur général aurait instruction d’enquêter sur les activités de la GTUA et de son président. Selon les plaignants, le Président s’est exprimé ainsi: «Si les syndicats n’ont pas cédé leurs biens à Borzhomi – et partout ailleurs – d’ici une semaine, leurs dirigeants seront traînés menottes aux mains au bureau du Procureur». Selon l’organisation plaignante, les autorités ont adopté une attitude hostile et implacable envers les syndicats. Le gouvernement est resté sourd aux nombreux appels de la GTUA en faveur d’un dialogue et a opté plutôt pour les poursuites et le chantage.
- 844. Dans sa communication du 25 mars 2005, la CISL a affirmé que les lettres de solidarité internationale n’ont fait qu’alourdir la pression exercée par les pouvoirs publics sur les syndicats. Dans son évaluation de la situation, la CISL a indiqué que la GTUA était disposée à discuter de la question des actifs et à rendre la plupart d’entre eux, sous réserve que des négociations aient lieu à cet effet en toute légalité, honnêteté et responsabilité. Les mesures prises par les pouvoirs publics semblaient démontrer qu’ils jugeaient préférable de forcer les dirigeants de la GTUA à prendre des décisions contraires aux intérêts de la GTUA et à céder leurs biens plutôt qu’à atteindre un but commun par des négociations transparentes. La CISL mettait en doute le but ultime des attaques à l’endroit de la GTUA – qui, selon cette organisation, serait non pas tant de prendre possession des biens syndicaux, mais plutôt de discréditer la GTUA et de briser le mouvement syndical de l’intérieur.
- 845. Les plaignants ont également allégué que, le 12 février 2005, le ministre de l’Economie a convoqué M. Tugushi pour le sommer de céder tous les biens de la GTUA à l’Etat, à l’exception des bureaux de l’Union. La CISL a souligné à cet égard que le Palais de la culture, le siège des congrès et conseils syndicaux qui avait été rendu à la GTUA par décision du tribunal constitutionnel, figurait parmi les immobilisations à céder à l’Etat. Le ministre s’était persuadé que les biens de la GTUA avaient été acquis sous pression, les travailleurs ayant été forcés de se syndiquer sous le régime soviétique. Selon la CISL, il était clair que les normes internationales du travail, les droits de la personne et la primauté du droit avaient été sacrifiés selon toute apparence aux intérêts financiers de l’Etat.
- 846. Mises à part les expertises comptables et inspections incessantes, les pouvoirs publics ont fait pression par d’autres moyens sur les syndicats pour les forcer à céder leurs biens. Sachant que, s’il nationalisait les biens des syndicats, il serait obligé de verser une somme raisonnable en compensation, le gouvernement a cherché à se les approprier par d’autres moyens. Par ailleurs, comme la GTUA a tenté de défendre ses droits en saisissant la Cour suprême, le tribunal constitutionnel et le Comité de la liberté syndicale de l’OIT, les pouvoirs publics ont cherché à utiliser des méthodes que ces instances ne pourraient contester. Le 19 février 2005, le Comité parlementaire des affaires juridiques a rédigé un projet de loi modifiant la loi sur les syndicats, qui rendait obligatoire le réenregistrement des membres des syndicats d’ici au 15 mars 2005. Le projet de loi a été adopté en première lecture. Dans sa communication, la CISL a indiqué qu’au 14 mars 2005 la nouvelle loi n’était pas encore en vigueur mais que la GTUA s’était fait dire que le réenregistrement des membres des syndicats serait introduit d’une manière ou d’une autre, selon que la GTUA cédait ses biens à l’Etat ou non. Selon la CISL, le texte de l’amendement ne laissait aucun doute sur l’intention visée: intimider les syndicats et semer le désordre au sein de la GTUA. L’amendement ajouterait un nouveau chapitre à la toute fin de la loi sur les syndicats, comprenant une seule section intitulée «Disposition transitoire», laquelle se lirait comme suit: «(traduction) L’enregistrement des membres des syndicats doit se faire d’ici au 15 mars 2005.» Rien ne serait prévu concernant les formalités d’enregistrement, les entités ou institutions qui en seraient responsables, les dispositions autorisant le gouvernement ou une institution gouvernementale à émettre des règlements administratifs, la procédure à suivre pour contester les résultats du réenregistrement, la protection des renseignements personnels. La note de service explicative ne fournissait aucune raison justifiant le réenregistrement si ce n’est que, le nombre de fonctionnaires ayant augmenté, elle s’imposait pour la protection des membres des syndicats. Un autre projet de loi «sur les biens syndicaux», qui autoriserait la saisie de ces derniers, a également été rédigé.
- 847. Par ailleurs, faisant valoir l’absence de dialogue sur les questions socio-économiques, la CISL a indiqué que des modifications facilitant les licenciements ont été apportées aux lois sur le travail et adoptées en juin 2004 sans que la GTUA ait été consultée. Bien que des réunions concernant le nouveau Code du travail en préparation aient eu lieu au printemps de 2004, il était adopté en hâte sans le concours des syndicats. La CISL s’inquiétait du fait que les réformes de la législation du travail et des syndicats entreprises sans la participation des représentants des travailleurs pouvaient être inacceptables socialement et provoquer des désordres susceptibles de ralentir le développement du pays.
- 848. Le 19 février 2005, M. Lasha Chichinadze, vice-président de la GTUA, a été arrêté par la police financière et accusé d’une infraction criminelle en vertu de l’article 182 du Code pénal (appropriation de biens appartenant à une autre personne ou à d’autres personnes dans l’intention d’en prendre illégalement possession en recourant notamment à la fraude). Cet article prévoyait des amendes ou des périodes de service communautaire allant de 170 à 200 heures, ou une peine de travail correctif d’une durée maximale de deux ans, ou une période de détention préventive d’une durée maximale de trois mois, ou une peine d’emprisonnement d’une durée maximale de trois ans. Son appartement a été fouillé le même jour. Lors de la fouille, seuls des documents syndicaux ont été saisis, dont un inventaire de biens syndicaux. Selon les plaignants, il n’en fallait pas plus pour confirmer leurs soupçons: l’arrestation de M. Chichinadze était un acte de provocation délibéré visant à intimider les dirigeants de la GTUA et à forcer l’union à se défaire de ses biens.
- 849. Un enquêteur de la police financière du ministère des Finances a demandé à la Cour suprême d’autoriser la détention préventive de M. Chichinadze. Le 22 février 2005, une audience publique a eu lieu au cours de laquelle un juge de la Cour suprême a reconnu que, même si des éléments de preuve indiquaient qu’il y avait des motifs d’inculper M. Chichinadze, ils ne suffisaient pas à justifier la détention préventive. M. Chichinadze a été libéré. Toutefois, le Procureur en a appelé de cette décision à la Chambre criminelle de la Cour suprême. Le 25 février 2005, la décision du 22 février a été examinée. Le juge présidant a rejeté la décision rendue par la Cour suprême le 22 février et a ordonné que M. Chichinadze soit mis en détention préventive pendant trois mois.
- 850. Devant de telles pressions, le conseil de la GTUA s’est réuni le 25 février 2005. Le conseil s’est vu obligé de prendre une décision concernant la cession sans compensation de la plupart de ses installations sportives et de vacances. Le 27 février 2005, une entente à cet effet a été conclue avec le ministère du Développement économique. Aux termes de l’entente, environ 102 immobilisations appartenant à la GTUA (soit plus de 90 pour cent de ses actifs) ont été remises au gouvernement. L’entente comportait une clause excluant des biens cédés sept propriétés à Tbilissi et un certain nombre d’installations de vacances. Immédiatement après la signature de l’entente, toutes les inspections des entités cédées à l’Etat ont cessé. En revanche, les inspections d’entités et d’installations demeurant la propriété de la GTUA ont continué. Dans sa communication du 23 septembre 2005, la CISL allègue que, afin de renforcer ses droits sur les actifs confisqués, le ministère des Finances a présenté une requête au tribunal, le 1er mars 2005, afin qu’il soit confirmé que la GTUA n’avait pas respecté la procédure convenue pour le transfert des actifs à l’Etat, dont ce dernier est le propriétaire en droit. Une audience était prévue pour le 7 mars 2005, c’est-à-dire avant l’expiration de la période d’un mois précisée dans l’acte de cession des actifs. Consciente que le gouvernement obtiendrait l’ordonnance demandée, étant donné l’absence d’un système judiciaire indépendant, et craignant une condamnation aux dépens liés à l’exécution forcée du jugement (représentant 7 pour cent de la somme en litige, soit en l’espèce des millions de lari), la GTUA a été contrainte de conclure un règlement à l’amiable, confirmant ainsi la cession judiciaire des actifs.
- 851. Dans la même communication, la CISL déclare que, durant l’emprisonnement de M. Chichinadze, aucune enquête n’a été menée sur les accusations pesant contre lui. En fait, les enquêteurs n’ont jamais interrogé le prisonnier et ne lui ont jamais parlé. Un jour avant la fin des trois mois de détention préventive de M. Chichinadze, le procureur a demandé l’extension de la période de détention. Malgré l’intervention du président du Comité parlementaire des droits de la personne, qui avait attiré l’attention du Procureur général sur un certain nombre d’inexactitudes et d’allégations non corroborées dans l’affaire de M. Chichinadze, et, malgré les interventions du Commissaire aux droits de la personne de la Géorgie, du chef du Bureau du défenseur du peuple et de la GTUA, qui ont offert de cautionner M. Chichinadze pour un montant de 679 124 lari (377 300 dollars E.-U.), le 18 mai 2005, le tribunal a prolongé de deux mois la détention de M. Chichinadze. Le 23 mai 2005, la Cour suprême a confirmé cette décision.
- 852. Le même jour, le 23 mai 2005, le Président de la Géorgie, Mikhail Saakashvili, a fait une autre déclaration à la télévision nationale, exigeant que soit remis à l’Etat le centre sportif «Stormy Petrel» («Burevestnik») de Tbilissi, que les syndicats géorgiens n’avaient pas encore cédé.
- 853. Compte tenu de ces pressions, le conseil de la GTUA, réuni le 21 juin 2005, a voté en faveur de la cession du reste de ses actifs à l’Etat, mesure considérée comme le seul moyen de protéger les syndicats et leurs membres. La GTUA n’a pu conserver que quelques biens immobiliers. Elle devait également remettre à l’Etat l’immeuble de Tbilissi où étaient situés ses bureaux et ceux des syndicats sectoriels. Dans les jours suivant la décision de céder la deuxième partie des actifs syndicaux, toutes les enquêtes sur les affaires financières de la GTUA ont cessé. Les agents de la poursuite ont rendu les clés du bureau de M. Chichinadze, jusque-là gardées sous scellés, ainsi que tous les documents saisis dans son bureau.
- 854. Dans sa dernière communication, la CISL déclare également que M. Chichinadze a été libéré sous caution le 9 juillet 2005, deux semaines après la signature du contrat de cession des actifs. L’audience sur la demande de remise en liberté sous caution s’est tenue à huis clos un samedi matin, les journalistes et le public étant exclus de la salle. M. Chichinadze et ses avocats avaient été informés que le secret de l’audience constituait une condition préalable à sa libération. Selon la CISL, le fait que M. Chichinadze ait été rapidement libéré après la signature du contrat de cession complète des actifs de la GTUA au gouvernement de la Géorgie et le fait que le tribunal se soit contenté d’une caution négligeable (5 000 lari) pour la mise en liberté de M. Chichinadze confirment que les autorités ont utilisé sa détention pour exercer des pressions sur la GTUA afin qu’elle cède ses actifs à l’Etat. Le bureau du Procureur général ayant offert de classer le dossier, au motif que l’acte criminel n’était pas dangereux, M. Chichinadze a demandé que l’affaire soit renvoyée à la justice afin de déterminer s’il y avait eu acte criminel. Les procureurs de la poursuite se sont opposés à cette demande, puisque la constatation judiciaire d’une absence d’acte criminel aurait constitué une preuve indirecte que tous les accords avaient été signés sous la contrainte.
- 855. Selon la CISL, les autorités géorgiennes procèdent actuellement à la vente de tous les actifs cédés par la GTUA, trois établissements ayant déjà été vendus. Selon la GTUA, ils l’ont été à un prix largement inférieur à leur valeur marchande: ainsi, le centre de vacances «Batumi», pour lequel la GTUA avait reçu des offres de 3 millions de dollars, a été officiellement vendu pour 970 000 dollars.
- 856. Le 1er septembre 2005, M. Ugulava, maire de Tbilissi, a rencontré le président de la GTUA et lui a demandé de céder le Palais de la culture à la municipalité de Tbilissi. C’était le seul immeuble dont la GTUA restait propriétaire dans cette ville; elle avait prévu d’y déménager ses bureaux après avoir dû céder à l’Etat la Maison des syndicats (qui hébergeait auparavant la GTUA et les syndicats sectoriels). M. Ugulava a offert en échange à la GTUA deux immeubles dont la valeur totale représentait cependant moins de la moitié de la valeur du Palais de la culture, offre que la GTUA a déclinée.
- 857. Les plaignants ont également allégué que, le 4 novembre 2004, le ministre de la Défense a émis l’arrêté no 323 qui annulait un ordre émis en 1999 par lequel le ministère de la Défense attribuait des locaux au comité de la GTUA responsable du personnel des forces armées. Le 7 décembre 2004, le ministère de la Défense a demandé à la cour de Vakesaburtalin d’annuler l’enregistrement du syndicat représentant le personnel des forces armées. Les plaignants ont souligné que, aux termes de la Constitution géorgienne, chaque citoyen a le droit d’établir un syndicat. La GTUA a invoqué l’aide du Comité parlementaire de la défense et de la sécurité et du ministre de la Défense. Cet appel est resté sans réponse et l’affaire était toujours en instance au tribunal.
B. Conclusions du comité
B. Conclusions du comité- 858. Le comité regrette que, malgré le temps écoulé depuis le dépôt de la plainte, le gouvernement n’ait répondu à aucune des allégations des plaignants bien qu’il ait été invité à plusieurs reprises, notamment par un appel pressant, à formuler ses commentaires et observations sur l’affaire. Le comité prie avec insistance le gouvernement de se montrer plus coopératif à l’avenir.
- 859. Vu les circonstances et conformément aux règles de procédure applicables [voir 127e rapport, paragr. 17, approuvé par le Conseil d’administration à sa 184e session], le comité se voit obligé de présenter un rapport sur le fond de l’affaire sans le bénéfice de l’information qu’il avait espéré recevoir du gouvernement.
- 860. Le comité rappelle que l’ensemble de la procédure instituée par l’Organisation internationale du Travail pour l’examen d’allégations en violation de la liberté syndicale est d’assurer le respect de cette liberté, en droit comme en fait. Le comité demeure convaincu que, si la procédure protège les gouvernements contre les accusations déraisonnables, ceux-ci doivent à leur tour reconnaître l’importance qu’il y a pour leur propre réputation à ce qu’ils présentent, en vue d’un examen objectif, des réponses détaillées aux allégations formulées à leur encontre. [Voir premier rapport du comité, paragr. 31.]
- 861. Le comité note que les plaignants en l’espèce ont allégué que le gouvernement s’ingérait dans les affaires internes de la GTUA. Plus précisément selon eux, le gouvernement tentait de saisir des biens syndicaux. A cette fin, il a utilisé divers moyens de pression: déclarations intimidantes à l’endroit de la GTUA; rédaction de dispositions législatives violant les droits des syndicats; arrestation et détention de dirigeants de la GTUA; nombreuses expertises comptables visant la GTUA; et refus de toute forme de dialogue constructif avec la GTUA. Le comité rappelle que, lors de sa session de mars 2003, il a examiné le cas no 2144 concernant une plainte présentée par la même organisation syndicale. [Voir 330e rapport, paragr. 692-720.] Il était également question en l’espèce d’allégations de saisie de biens des syndicats et d’ingérence dans les affaires syndicales. Le comité regrette vivement que, depuis l’examen de cette affaire, le gouvernement n’a fourni aucune information sur les suites données aux recommandations du comité.
- 862. Le comité note également les allégations d’exclusion générale des syndicats de la rédaction du nouveau Code du travail. Concernant la rédaction du projet de loi modifiant la loi sur les syndicats, qui prévoyait le réenregistrement obligatoire des membres des syndicats, et le projet de loi sur les biens syndicaux, qui autoriserait la saisie de biens syndicaux, le comité note que non seulement ces dispositions législatives ont été rédigées sans consultation des syndicats, mais également que, dès l’instant où la GTUA a accepté de céder à l’Etat une part substantielle de ses biens, le travail de rédaction et de modification de dispositions législatives visant les syndicats a cessé. Vu les circonstances, le comité ne peut déclarer irrecevables les allégations des plaignants selon lesquelles les pouvoirs législatifs ont servi de moyen de pression pour régler la question des biens syndicaux. Le comité rappelle que, dans le cas no 2144, il avait souligné que l’article 3 de la convention no 87 stipulait que les organisations de travailleurs avaient le droit d’organiser leur administration et leurs activités et de formuler leurs programmes sans ingérence des autorités. Il a rappelé au gouvernement que, s’il entendait réexaminer la législation en vigueur, il devrait avoir des consultations approfondies et franches avec les partenaires sociaux. [Voir 330e rapport, paragr. 717.] Le comité demande une fois de plus au gouvernement de veiller à ce que ces principes soient respectés sans délai. Le comité demande également au gouvernement de le tenir informé de la situation actuelle des projets de loi précités et de toute modification apportée à la législation régissant les droits des syndicats et leurs activités.
- 863. Le comité note par ailleurs que des accusations au criminel ont été portées contre le président de la GTUA, M. I. Tugushi, et son vice-président, M. L. Chichinadze. En juillet 2004, M. Tugushi a été accusé de détournement de biens et de fonds, et les accusations étaient fondées sur l’enregistrement d’une émission de télévision datée de 1999, dont les réalisateurs ont admis plus tard publiquement qu’elle était biaisée. Dans les cas impliquant l’arrestation, la détention ou la condamnation d’un dirigeant syndical, le comité, rappelant que l’intéressé devrait bénéficier d’une présomption d’innocence, a considéré qu’il appartenait au gouvernement de montrer que les mesures prises par lui n’avaient pas leur origine dans les activités syndicales de la personne à laquelle lesdites mesures s’étaient appliquées. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, quatrième édition, 1996, paragr. 65.] Le comité demande donc au gouvernement soit de fournir des informations démontrant que les accusations portées contre M. Tugushi n’étaient pas dues à ses activités syndicales et de le traduire rapidement en justice, soit d’abandonner les accusations portées contre lui. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de l’évolution de la situation à cet égard.
- 864. Le comité note que M. Chichinadze a été accusé de fraude (art. 182 du Code pénal) et a passé cinq mois en détention préventive. Le comité note que le président du Comité parlementaire des droits de la personne et le Commissaire aux droits de la personne de la Géorgie ont souligné les inexactitudes et allégations non corroborées en l’espèce. Le comité note que, selon la communication de la CISL en date du 23 septembre 2005, M. Chichinadze a été libéré et le bureau du Procureur général a offert de classer le dossier, au motif que l’acte criminel n’était pas dangereux. Le comité note également que M. Chichinadze a demandé que l’affaire soit renvoyée à la justice afin qu’elle puisse déterminer si un acte criminel avait effectivement été commis, demande à laquelle la poursuite s’est opposée. Le comité souligne d’abord que, si le fait d’exercer une activité syndicale ou de détenir un mandat syndical n’implique aucune immunité vis-à-vis du droit pénal ordinaire, la détention prolongée de syndicalistes sans les faire passer en jugement peut constituer une sérieuse entrave à l’exercice des droits syndicaux. La détention prolongée de personnes sans les faire passer en jugement en raison de la difficulté de présenter des moyens de preuve selon la procédure normale implique un danger inhérent d’abus et est pour cette raison critiquable. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 87 et 90.] Deuxièmement, considérant qu’aucun dossier pénal ne devrait subsister contre M. Chichinadze dans ces circonstances, le comité demande au gouvernement d’indiquer si ce dernier a été acquitté de toutes les accusations de fraude portées contre lui et, sinon, de prendre immédiatement les mesures voulues pour classer l’affaire ou pour la porter devant la justice, comme l’a demandé M. Chichinadze. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé à cet égard.
- 865. Concernant les expertises comptables visant la GTUA, le comité note que, insatisfait des conclusions de la commission qui a effectué la première expertise, en août 2004, le gouvernement a demandé une deuxième expertise effectuée par une commission différente. Pour les besoins de la deuxième expertise, conduite en novembre 2004, les documents de la GTUA ont été saisis. Le bureau de la vice-présidente de l’Union à l’époque a été mis sous scellés. Le comité rappelle que l’occupation ou la mise sous scellés des locaux syndicaux devraient être soumises à un contrôle judiciaire indépendant avant d’être effectuées par les autorités, étant donné les risques importants de paralysie que ces mesures font peser sur les activités syndicales. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 183.] Le comité note qu’en décembre 2004 une autre expertise a porté sur l’association récréative et de santé «Profkurort» qui appartenait à la GTUA. Là encore, tous les documents pertinents ont été saisis, et le bureau du directeur de l’association gérant les installations récréatives et de santé de la GTUA a été mis sous scellés. Le 23 février 2005, une autre expertise de toutes les installations récréatives appartenant à la GTUA a été autorisée. Des documents ont été saisis dans 104 de ces installations. Vu les circonstances et vu le climat antisyndical actuel (comme en témoignent les menaces faites publiquement à l’endroit de la GTUA), conjugué au fait que le gouvernement n’a pas réfuté ces allégations, le comité ne peut que conclure que les nombreuses enquêtes financières ont été utilisées comme moyen de pression sur la GTUA afin qu’elle cède sa propriété à l’Etat. Le comité rappelle que, en ce qui concerne certaines mesures de contrôle administratif de la gestion, telles que les expertises comptables et les enquêtes, le comité estime que ces dispositions ne devraient être appliquées que dans des cas exceptionnels, lorsque des circonstances graves le justifient (par exemple en cas d’irrégularités présumées apparues dans les rapports financiers annuels ou à la suite de plaintes émanant de membres), et cela afin de parer au danger d’une intervention excessive des autorités qui risquerait d’entraver l’exercice du droit qu’ont les syndicats d’organiser librement leur gestion, et aussi pour éviter de porter préjudice aux syndicats par une publicité qui pourrait se révéler injustifiée et de divulguer des informations qui pourraient avoir un caractère confidentiel. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 444.] Le comité demande au gouvernement de veiller à l’application de ce principe. Notant que les documents saisis à la GTUA n’ont pas été restitués et qu’aucune accusation formelle n’a été portée contre la GTUA, le comité estime que les documents syndicaux en question devraient être rendus à la GTUA et demande au gouvernement de le tenir informé des mesures prises à cet effet.
- 866. Le comité note la déclaration de la CISL, selon laquelle les autorités géorgiennes procèdent actuellement à la vente des actifs cédés par la GTUA à un prix largement inférieur à leur valeur marchande. Le comité note également que les autorités ont récemment demandé à la GTUA de leur céder le Palais de la culture, le seul immeuble dont elle restait propriétaire dans cette ville et où elle avait prévu de déménager ses bureaux après avoir dû céder à l’Etat la Maison des syndicats. La GTUA s’est vu offrir en échange deux immeubles dont la valeur totale, selon l’organisation plaignante, représentait moins de la moitié de celle du Palais de la culture, offre que la GTUA a déclinée.
- 867. A l’examen de cette affaire de cession de biens syndicaux, que la GTUA a acquis comme successeur des syndicaux soviétiques, le comité est pleinement conscient de la grande complexité des questions soulevées. Complexité due à plusieurs facteurs: la diversité et l’origine des ressources détenues par les anciens syndicats géorgiens (subventions de l’Etat et cotisations de leurs membres), la nature des fonctions syndicales à l’ère postsoviétique et le processus de démocratisation. Le comité condamne néanmoins les tactiques antisyndicales, les pressions et les menaces auxquelles le gouvernement a choisi de recourir dans cette affaire. Le comité regrette que le gouvernement ait refusé jusqu’ici toute forme de dialogue avec la GTUA. Le comité fait valoir l’importance, pour la préservation de l’harmonie sociale en Géorgie, d’un dialogue constructif entre les pouvoirs publics et les organisations syndicales. Il exhorte donc le gouvernement à entreprendre des consultations avec les organisations syndicales concernées pour régler la question de la cession de biens. Il demande au gouvernement de fournir de l’information sur l’évolution de la situation et, en particulier, sur toute entente qui pourrait être conclue à cet effet.
- 868. Enfin, concernant le droit d’association des membres des forces armées, le comité note que les plaignants n’ont pas fourni d’information sur l’effectif du syndicat représentant le personnel des forces armées. Vu les circonstances, le comité rappelle que, si les forces armées peuvent être privées de leur droit d’association en vertu de l’article 9 de la convention no 87, les civils travaillant dans les services de l’armée devraient néanmoins avoir le droit de se syndiquer.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 869. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité regrette que, malgré le temps écoulé depuis le dépôt de la plainte, le gouvernement n’a répondu à aucune des allégations des plaignants. Le comité prie avec insistance le gouvernement de se montrer plus coopératif à l’avenir.
- b) Le comité souligne que, en vertu de l’article 3 de la convention no 87, les organisations de travailleurs ont le droit d’organiser leur gestion et leurs activités, et de formuler leur programme d’action sans intervention des autorités publiques. Il rappelle au gouvernement que, s’il a l’intention de réexaminer la législation en vigueur, il devrait tenir des consultations franches et complètes avec les partenaires sociaux. Le comité demande une fois de plus au gouvernement de veiller à ce que ces principes soient respectés sans délai. En outre, il demande au gouvernement de le tenir informé de la situation actuelle du projet de loi modifiant la loi sur les syndicats et du projet de loi sur les biens syndicaux, et de toute modification apportée à la législation régissant les droits des syndicats et leurs activités.
- c) S’agissant des accusations pénales portées contre les deux dirigeants syndicaux:
- - le comité demande au gouvernement soit de fournir des informations démontrant que les accusations portées contre M. Tugushi n’étaient pas dues à ses activités syndicales et de le traduire rapidement en justice, soit d’abandonner les accusations portées contre lui;
- - considérant qu’aucun dossier pénal ne devrait subsister contre M. Chichinadze, le comité demande au gouvernement d’indiquer si ce dernier a été acquitté de toutes les accusations de fraude portées contre lui et, sinon, de prendre immédiatement les mesures voulues pour classer l’affaire ou pour la porter devant la justice, comme l’a demandé M. Chichinadze;
- le comité demande au gouvernement de le tenir informé de l’évolution de la situation à cet égard.
- d) Le comité estime que les expertises comptables ne devraient être effectuées que dans des cas exceptionnels, lorsque des circonstances graves le justifient, afin de parer au danger d’une intervention excessive des autorités, qui risquerait d’entraver l’exercice du droit qu’ont les syndicats d’organiser librement leur gestion, et aussi pour éviter de porter préjudice aux syndicats par une publicité qui pourrait se révéler injustifiée et de divulguer des informations qui pourraient avoir un caractère confidentiel. Le comité demande au gouvernement de veiller à l’application de ce principe.
- e) Notant que les documents saisis à la GTUA n’ont pas été restitués et qu’aucune accusation formelle n’a été portée contre l’Union, le comité estime que les documents syndicaux en question devraient être rendus à la GTUA et demande au gouvernement de le tenir informé des mesures prises à cet effet.
- f) Le comité condamne les tactiques antisyndicales, les pressions et les menaces auxquelles le gouvernement a choisi de recourir dans cette affaire et regrette que le gouvernement ait refusé jusqu’ici toute forme de dialogue avec la GTUA. Le comité invite donc le gouvernement à entreprendre des consultations avec les organisations syndicales concernées pour régler la question de la cession de biens. Il demande au gouvernement de fournir de l’information sur l’évolution de la situation et, en particulier, sur toute entente qui pourrait être conclue en la matière.