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Informe provisional - Informe núm. 285, Noviembre 1992

Caso núm. 1594 (Côte d'Ivoire) - Fecha de presentación de la queja:: 22-FEB-91 - Cerrado

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  1. 2. Le comité est saisi d'une plainte en violation des droits syndicaux en Côte d'Ivoire, présentée par la Confédération mondiale du Travail (CMT), et d'une plainte concernant l'observation par la Côte d'Ivoire de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, présentée par deux délégués travailleurs à la 79e session (1992) de la Conférence internationale du Travail en vertu de l'article 26 de la Constitution de l'OIT.
  2. 3. Le comité soumet à l'approbation du Conseil d'administration un rapport sur ce cas et sur la plainte présentée en vertu de l'article 26 de la Constitution.
  3. 4. Le comité a examiné une plainte en violation des droits syndicaux contre le gouvernement de Côte d'Ivoire à sa réunion d'octobre-novembre 1991 où il a présenté des conclusions intérimaires qui ont été approuvées par le Conseil d'administration lors de sa 251e session (novembre 1991). (Voir 279e rapport, paragr. 717-739.)
  4. 5. Ultérieurement, dans une communication datée du 20 février 1992, la Confédération mondiale du travail (CMT) a présenté de nouvelles allégations relatives à ce cas.
  5. 6. Depuis lors, par des lettres datées des 12 et 18 juin 1992, adressées au Directeur général du BIT, M. José E. Pinzon et M. Willy Peirens, respectivement délégués travailleurs du Guatemala et de la Belgique à la 79e session de la Conférence internationale du Travail, ont déposé une plainte en vertu de l'article 26 de la Constitution contre le gouvernement de la Côte d'Ivoire pour violation de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948. Dans une communication datée du 30 juin 1992, l'Union internationale des travailleurs de l'alimentation et des branches connexes (UITA) s'est associée à cette plainte.
  6. 7. Dans des communications des 20 mai, 1er juin et 7 août 1992, le gouvernement a envoyé ses observations sur ce cas.
  7. 8. La Côte d'Ivoire a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Examen antérieur du cas

A. Examen antérieur du cas
  1. 9. Dans des communications des 22 février et 17 juillet 1991, la CMT avait allégué que le gouvernement faisait entrave à la reconnaissance de la centrale syndicale "Dignité" et s'était livré à diverses mesures d'intimidation et de discrimination antisyndicale contre des dirigeants syndicaux de cette organisation. Dans une première réponse, le gouvernement avait soutenu que ces allégations étaient nullement fondées et que le Code du travail constitue la base juridique de la création des "unions de syndicats". Le gouvernement avait reconnu que les statuts de la centrale "Dignité" avaient été déposés, mais il avait fait remarquer qu'il ne pouvait pas la considérer comme une fédération car les différents syndicats de base qui la constituaient n'étaient pas mentionnés dans ces statuts. Il avait par ailleurs soutenu que les mesures disciplinaires prises à l'encontre de certains agents étaient conformes au statut général de la fonction publique qui régit l'ensemble des fonctionnaires de Côte d'Ivoire et qu'il ne s'agissait aucunement de mesures discriminatoires à l'encontre d'adhérents d'une quelconque organisation syndicale.
  2. 10. A sa session de novembre 1991, le Conseil d'administration avait approuvé les recommandations suivantes:
    • a) Le comité invite le gouvernement à respecter le principe selon lequel les travailleurs doivent pouvoir effectivement former en toute liberté des organisations de leur choix et y adhérer librement, quelle que soit la dénomination de ces organisations, pour la défense de leurs intérêts professionnels. Le comité demande en conséquence au gouvernement d'indiquer si la fédération syndicale "Dignité" a été enregistrée et, dans la négative, de procéder à son enregistrement dans les meilleurs délais et de le tenir informé à cet égard.
    • b) Le comité invite également le gouvernement à assurer qu'aucune mesure ne soit prise à l'encontre des travailleurs ayant voulu constituer des organisations de travailleurs en marge de l'organisation syndicale existante.
    • c) Le comité demande, en outre, au gouvernement d'indiquer les raisons précises de l'arrestation et de la détention pendant douze jours de 29 militants syndicaux de la fédération syndicale "Dignité" qui, selon la confédération plaignante, auraient participé à une manifestation de revendications économiques et sociales.
    • d) Le comité demande enfin au gouvernement d'indiquer les raisons précises du tranfert à l'intérieur du pays de trois enseignants qui, d'après la confédération plaignante, ont simplement voulu fonder la fédération syndicale "Dignité".

B. Nouvelles allégations de la confédération plaignante

B. Nouvelles allégations de la confédération plaignante
  1. 11. Dans une lettre datée du 20 février 1992, la confédération plaignante explique que le gouvernement avait décidé unilatéralement, le 15 mars 1990, de réduire les salaires du secteur public de 15 à 40 pour cent et de prélever une contribution de "solidarité" de 10 pour cent dans le secteur privé. Le 26 mars, pendant une manifestation pacifique de protestation contre la baisse des salaires de la fonction publique, des chercheurs et enseignants du Syndicat national de la recherche et de l'enseignement supérieur (SYNARES) avaient été arrêtés. La CMT cite parmi ceux-ci M. Marcel Ette, secrétaire général du Syndicat des enseignants du supérieur, le professeur Francis Wodie et le maître Emile Boga, enseignant à la faculté de droit.
  2. 12. Suite à la grève entamée parallèlement par les médecins, le gouvernement avait réquisitionné, le 27 mars, les médecins en grève d'avertissement de quarante-huit heures, alors qu'un service minimal était assuré dans les centres hospitaliers, et interpellé et détenu certains grévistes dont le docteur Richard Kodjo, secrétaire général du Syndicat des cadres supérieurs de la santé (SYNACASSCI), et l'un de ses collaborateurs, le docteur Assoua Adou. Le lendemain, plusieurs personnes avaient également été arrêtées alors qu'elles manifestaient pour obtenir la libération des syndicalistes.
  3. 13. La CMT indique que, le 29 mars 1990, un appel à une grève générale et à une marche de protestation pour le 2 avril avait été lancé pour exiger la libération des syndicalistes détenus et l'annulation des mesures relatives à l'abattement des salaires. Le lendemain, les personnes arrêtées les 27 et 28 mars avaient été libérées. Le 2 avril, alors que la marche pacifique de protestation allait débuter, les forces de l'ordre étaient intervenues et avaient arrêté 29 militants de "Dignité", qui avaient été retenus pendant douze jours. Parmi eux se trouvaient les enseignants MM. N'cho Aké, Gouali Gnonka et Zouzoua Kalou Prosper.
  4. 14. Le jour même, les établissements scolaires, lycées et collèges étaient censés rouvrir leurs portes après avoir été fermés pendant un mois. Cependant, compte tenu du refus des enseignants de donner leurs cours pour manifester leur mécontentement face aux réductions de salaires annoncées par le gouvernement, les établissements publics du quartier résidentiel de Cocody (près de 10.000 élèves) avaient à nouveau été fermés. Les trois enseignants cités plus haut avaient vu leurs salaires suspendus aux termes de la décision no 0184/MEP/DP du 4 avril 1990 pour le motif qu'ils avaient été absents de leur travail depuis le 2 avril. La CMT explique qu'ils n'auraient pas pu être présents puisqu'ils avaient été arrêtés le 2 avril et détenus durant douze jours. Devant cette situation sociale, politique et économique critique, le 7 avril, le gouvernement avait décidé la fermeture des établissements scolaires dans tout le pays suite à la poursuite des grèves et manifestations. Sous la pression de la population, le pouvoir avait autorisé à la fin du mois d'avril le multipartisme et le pluralisme syndical. Toutefois, selon l'organisation plaignante, lorsque la centrale syndicale "Dignité" avait voulu fêter le 1er mai, les autorités s'y étaient opposées.
  5. 15. La CMT revient sur la situation des enseignants, MM. Aké, Gouali et Zouzoua, pour expliquer qu'ils avaient été affectés à l'intérieur du pays avec suspension de leurs salaires dans le but de les écarter et de les intimider, car ils militent pour la centrale syndicale "Dignité". Après la proposition des autorités de rétablir leurs salaires à condition qu'ils démissionnent de la centrale syndicale "Dignité" et rejoignent l'Union générale des travailleurs de Côte d'Ivoire (UGTCI), et après de multiples pressions, MM. Gouali et Zouzoua avaient réintégré ce syndicat et accepté leur nouvelle affectation. Seul M. Aké avait résisté aux pressions. Il avait rejoint, de septembre 1990 à juillet 1991, son ancien poste sans recevoir de salaire, ce qui l'avait mis, ainsi que sa famille, dans une situation dramatique.
  6. 16. La CMT ajoute qu'après le dépôt de sa plainte devant le BIT le 17 juillet 1991 les autorités avaient réagi en convoquant, le 24 juillet 1991, M. Aké devant le conseil de discipline. Or, ce dernier n'avait pas pu s'y rendre pour des raisons de famille. A son retour en Côte d'Ivoire, après un cours de formation syndicale organisé au niveau international, il avait appris qu'il était suspendu de ses fonctions du 15 août 1991 au 3 février 1992. Ceci prouve, selon la CMT, que les autorités avaient clairement l'intention de nuire à ceux qui étaient membres de la centrale syndicale "Dignité" et de porter atteinte à l'existence et le développement de cette centrale. Preuve en est également que les membres affiliés à l'UGTCI ayant manifesté et pris part à la grève n'avaient subi aucune mesure de représailles.
  7. 17. La CMT formule ensuite ses commentaires sur la réponse du gouvernement concernant les formalités à accomplir pour la constitution d'une centrale syndicale. La confédération plaignante rappelle qu'il n'existe aucune obligation dans la législation de citer dans les statuts d'une centrale syndicale les syndicats qui la composent, et que dans les statuts déposés figure la structure de la centrale sous la rubrique "Constitution: les membres". La CMT indique que, lorsque "Dignité" a déposé ses statuts constitutifs le 25 avril 1990, neuf syndicats de base et trois coopératives lui étaient affiliés, et que ce fait était connu par le gouvernement puisque les statuts avaient été déposés.
  8. 18. L'organisation estime qu'en réalité le gouvernement refuse l'existence de "Dignité" pour des prétextes fallacieux tels que "Dignité" n'aurait pas de boîte postale et que le gouvernement ne connaîtrait pas la dénomination exacte de l'organisation ni les noms des organisations affiliées. Pourtant tous ces renseignements ont été portés à la connaissance du ministère du Travail, du Procureur général et du ministère de l'Intérieur en mai 1991. La CMT cite à l'appui de ses assertions différentes lettres et correspondances concernant la reconnaissance de "Dignité" et de ses syndicats affiliés, établies par des maires, le ministre de l'Intérieur, différents directeurs d'entreprise et par l'UGTCI, qui témoignent de la volonté des autorités de ne pas reconnaître "Dignité", de créer des obstacles à son fonctionnement et à ses activités et de barrer le chemin du pluralisme syndical.
  9. 19. La CMT fait également état d'autres mesures d'intimidation et de "chasse à l'homme" à l'encontre des adhérents et représentants de "Dignité". Plusieurs entreprises se sont ralliées aux positions des autorités ivoiriennes pour ne pas reconnaître les syndicats affiliés à "Dignité" et, de ce fait, pour n'admettre que le syndicat de l'UGTCI. Elle cite l'arrestation et la détention arbitraires pendant un mois et une semaine de M. Ourega Ballie Ambroise et M. Gahuidis Gbogro, planteurs du Département de Gagnoa et membres du syndicat de base de "Dignité". Le préfet de ce département refuse l'installation de ce syndicat dans son département sans une reconnaissance légale délivrée par le ministre de l'Intérieur et de la Sécurité. La même position a été prise par le directeur général de la SOTRA, qui en plus s'oppose à toute activité d'information syndicale de "Dignité".
  10. 20. Plusieurs employeurs prélèvent à la source, sur les salaires, la cotisation syndicale en faveur de l'UGTCI, malgré les lettres des travailleurs informant la direction et les chefs du personnel qu'ils se sont désaffiliés de ce syndicat. Dans la sociéte SOCOPAO, les travailleurs se sont opposés à cette pratique par lettre, à laquelle le chef du personnel a répondu qu'"en Côte d'Ivoire, la seule centrale syndicale est l'UGTCI qui, elle même, regroupe tous les syndicats de base". La CMT indique que, selon la législation nationale, l'employeur a le pouvoir de prélever à la source les cotisations syndicales, mais qu'aucun moyen de pression ne doit être exercé à l'encontre du salarié qui refuserait de cotiser, celui-ci ayant la faculté de notifier à son employeur son refus de prélèvement à la source.
  11. 21. Concernant les mesures d'intimidation contre les adhérents et les représentants de "Dignité" dans diverses entreprises, dont certaines ont opéré des licenciements pour des motifs fallacieux, l'organisation plaignante cite le cas de M. Grape Eugène. Ce vieux travailleur modèle, qui a toujours donné satisfaction à son employeur, s'est vu licencié pour "insuffisance d'acuité visuelle", et ce depuis qu'il était membre du syndicat "Dignité". Des licenciements ont également été effectués à l'encontre de travailleurs du Port d'Abidjan et de Côte d'Ivoire adhérant au Syndicat libre des dockers des ports autonomes de Côte d'Ivoire (SYLIDOPACI), lequel est affilié à "Dignité" (MM. Oule Bernard, Kesse Tia Norbert, Ba Ba Joseph, Kaza Ouapo et Beseh Jean-Baptiste), ainsi qu'à l'encontre de MM. Blai David et Konhon Dieudonné, travailleurs à COSMIVOIRE. Dans l'entreprise de parfumerie Gandou-CI, les travailleurs affiliés au Syndicat des travailleurs des parfumeries et cosmétiques de Côte d'Ivoire (SYTRAPACOCI) ont été congédiés en raison de leur action syndicale. A l'usine Blohorn SA-HSL (Unilever), des licenciements de représentants du syndicat "Dignité" ont été opérés au motif fallacieux d'"appel à la révolte". Il s'agit de MM. Gnahore Théophile, Gnago N'guessan et Assiri Etienne. En réalité, le problème dans cette usine se pose en termes de revendications de l'ensemble du personnel qui s'est mis en grève après l'échec des pourparlers avec la direction. Dans l'entreprise Abidjan CATERING, des dirigeants et des membres du syndicat SYTAC, affilié à "Dignité" ont été licenciés (MM. Diaith Essan Prosper, secrétaire général de SYTAC, Kouko Zouzouko Emmanuel, secrétaire général adjoint, Goyele Lori, Boudoua Begnana, Kore Yazet Philippe, Sahi Kla Mamadou, Yomi Paul et Aboua Marcellin), et d'autres membres ont subi de nombreuses intimidations. L'organisation plaignante joint en annexe des lettres et des documents relatifs à toutes ces allégations.
  12. 22. Selon la confédération plaignante, il est indéniable que la liberté syndicale n'existe pas en Côte d'Ivoire. Le gouvernement, l'UGTCI et les entreprises s'allient pour barrer la route à l'émergence de la centrale syndicale "Dignité" et de ses syndicats de base par des suspensions de salaire, des arrestations et des licenciements des membres de "Dignité". Elle demande en conséquence au comité de faire les recommandations les plus appropriées afin que la liberté syndicale soit respectée en Côte d'Ivoire.

C. Plainte déposée en vertu de l'article 26 de la Constitution

C. Plainte déposée en vertu de l'article 26 de la Constitution
  1. 23. Dans leur plainte des 12 et 18 juin 1992, MM. Peirens et Pinzon déclarent que, malgré les recommandations du Comité de la liberté syndicale, aucune amélioration n'a eu lieu et que d'autres violations flagrantes se sont produites.
  2. 24. Les plaignants allèguent qu'après des manoeuvres dilatoires évoquées dans la plainte no 1594 le ministre de l'Intérieur, M. Constant Bombé, a fait savoir qu'il était d'accord de délivrer un document d'enregistrement. Cependant, à maintes reprises, le secrétaire général de "Dignité" s'est vu refuser la délivrance dudit document par les autorités compétentes sans explication ou justification.
    • - Avant le départ du secrétaire général de "Dignité" pour la Conférence internationale du Travail, pendant un entretien au ministère de l'Intérieur, le document en question lui a été montré à distance avec la promesse qu'il serait remis à un représentant de "Dignité" le lundi 8 juin 1991. Jusqu'à ce jour, rien ne s'est passé.
    • - Les employeurs exigent une reconnaissance officielle de "Dignité" avant d'autoriser "Dignité" à participer aux élections sociales et à percevoir les cotisations syndicales de ses membres.
    • - L'UGTCI se permet de déposer des listes de délégués du personnel, sans organisation préalable d'élections sociales, dans les entreprises où "Dignité" est majoritaire (par exemple, SCAF à Bassam).
    • - Certaines autorités menacent de prendre des mesures de répression si "Dignité" agit sans "autorisation" (par exemple collecte ou perception des cotisations, organisations de réunions syndicales ou de meetings, etc.).
  3. 25. La vague de licenciements pour cause syndicale continue également. Ainsi, parmi les fonctionnaires et enseignants, des suspensions de traitements ou affectations abusives sont fréquentes à l'encontre des responsables ou militants de "Dignité". En outre, des arrestations et détentions arbitraires sont à signaler. Dans tous les cas, il s'agit d'une répression dont la seule justification est l'activité syndicale des personnes visées.
  4. 26. D'après les plaignants, l'UGTCI et l'UPACI (association des employeurs), avec la complicité du gouvernement, retiennent les cotisations syndicales à la source de manière non discriminée (y compris celles des membres de "Dignité"). Il y a là appropriation injustifiée des cotisations des travailleurs qui n'optent pas pour l'affiliation à l'UGTCI. D'autre part, il s'agit d'une mesure coercitive, dans la mesure où cela oblige les "opposants" à s'identifier, s'exposant ainsi aux pratiques mentionnées au point précédent.
  5. 27. Les plaignants font également état d'une circulaire du ministère des Affaires étrangères de Côte d'Ivoire, adressée à toutes les missions diplomatiques accréditées en Côte d'Ivoire, qui stipule que toute demande de financement de projet qui leur est soumise par les différents groupements et associations ivoiriens, y compris les syndicats et les partis politiques, doit faire l'objet d'une approbation préalable par les autorités administratives locales. Les plaignants sont d'avis qu'il s'agit d'une intimidation visant à entraver le développement de la liberté syndicale et d'une mesure qui risque de remettre en question non seulement la coopération bilatérale, mais également la coopération multilatérale, y compris la coopération technique de l'OIT.
  6. 28. Compte tenu de ces éléments, les plaignants demandent la formation d'une commission d'enquête afin d'assurer l'observation effective par le gouvernement de Côte d'Ivoire de la convention no 87, qu'il a ratifiée, et se réservent le droit de fournir par la suite tout autre élément à l'appui de la présente demande.
  7. 29. A sa session de juin 1992, le Conseil d'administration, sur proposition de son bureau, a pris les décisions suivantes au sujet de la plainte en question:
    • a) Le gouvernement de Côte d'Ivoire devrait être invité par le Directeur général à lui communiquer ses observations sur la plainte pour le 10 septembre 1992 au plus tard.
    • b) Conformément au paragraphe 5 de l'article 26 de la Constitution, le Conseil d'administration devrait inviter le gouvernement de la Côte d'Ivoire à désigner un délégué pour prendre part aux délibérations du Conseil relatives à cette affaire lors de sessions ultérieures. En adressant cette invitation au gouvernement de Côte d'Ivoire, le Directeur général devrait lui faire savoir que le Conseil d'administration envisage de procéder à ces discussions à sa 254e session, qui se tiendra à Genève en novembre 1992.
    • c) A sa 254e session, le Conseil d'administration devrait déterminer si, à la lumière des recommandations du Comité de la liberté syndicale au sujet de la plainte reçue et des informations qui pourraient être fournies par le gouvernement de Côte d'Ivoire, ainsi que des recommandations du Comité de la liberté syndicale sur le cas dont il est saisi, la plainte doit être renvoyée à une commission d'enquête.

D. Réponse du gouvernement

D. Réponse du gouvernement
  1. 30. Dans une lettre du 20 mai 1992, le gouvernement affirme à nouveau que le principe selon lequel les travailleurs doivent pouvoir effectivement former en toute liberté des organisations de leur choix et y adhérer librement, quelle que soit la dénomination de ces organisations, pour la défense de leurs intérêts professionnels, est respecté en Côte d'Ivoire. En effet, aux termes de l'article 3 du Code du travail, "les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l'étude et la défense des intérêts économiques, industriels, commerciaux, agricoles et artisanaux". L'article 4 du même code précise que "Les personnes exerçant la même profession, des métiers similaires ou des professions connexes concourant à l'établissement de produits déterminés ou la même profession libérale peuvent constituer librement un syndicat professionnel. Tout travailleur ou employeur peut adhérer librement à un syndicat de son choix dans le cadre de sa profession." L'exercice de cette liberté syndicale est également mentionné à l'article 9 de la Convention collective interprofessionnelle du 20 juillet 1977.
  2. 31. Le gouvernement poursuit en donnant l'assurance qu'aucune mesure n'a été prise à l'encontre des travailleurs ayant voulu constituer des organisations de travailleurs en marge de l'organisation syndicale existante, et ce conformément à l'article 4, alinéa premier, du Code du travail, qui dispose que les personnes qui exercent la même profession peuvent constituer librement un syndicat professionnel d'organisation de travailleurs. Selon le gouvernement, aucun obstacle n'est mis à la constitution d'une organisation syndicale en marge d'autres organisations similaires existantes. Par ailleurs, il précise qu'aux termes de l'alinéa 2 de l'article 4 "il est interdit à tout employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en ce qui concerne notamment l'embauche, la conduite et la répartition du travail ...". Le gouvernement affirme qu'eu égard à tout ce qui précède il demeure qu'aucun travailleur n'est menacé par une quelconque mesure de coercition.
  3. 32. S'agissant des raisons précises de l'arrestation et de la détention pendant douze jours de 29 militants syndicaux de "Dignité" qui, selon la confédération plaignante, auraient participé à une manifestation de revendications économiques et sociales, le gouvernement estime que ces assertions appellent une vérification; mais la confédération devrait fournir de plus amples renseignements et des preuves se rapportant à cette affaire pour permettre au gouvernement de procéder auxdites vérifications.
  4. 33. Concernant la situation des trois enseignants auxquels la confédération plaignante a fait allusion, le gouvernement se contente de renvoyer aux explications qu'il a fournies dans sa communication du 25 septembre 1991 sur le statut général de la fonction publique.
  5. 34. Quant au prélèvement des cotisations syndicales à la source, le gouvernement explique que ce prélèvement relève de l'application d'une disposition conventionnelle (article 12) et non légale. Par conséquent, il appartient aux parties signataires de dénoncer cette disposition conformément à la procédure définie à l'article 6 de ladite convention. Le gouvernement, quant à lui, procède à la révision générale du Code du travail afin de tenir compte actuellement du nouveau contexte socio-économique.
  6. 35. S'agissant du licenciement des travailleurs, le gouvernement, rappelant les dispositions de l'article 4 (nouveau) ci-dessus cité, déclare que tout travailleur qui estime être victime d'un tel licenciement doit s'adresser à la juridiction compétente qui appréciera les causes et les circonstances d'une telle rupture de contrat.
  7. 36. Enfin, le gouvernement affirme qu'il n'a jamais eu l'intention d'utiliser des manoeuvres dilatoires dans le but de retarder ou d'éviter la reconnaissance d'un quelconque syndicat, en l'occurence "Dignité". Les autorités administratives ont simplement invité les membres de la direction dudit syndicat à modifier certaines dispositions de ses statuts afin de les rendre conformes aux lois et textes en vigueur. Le gouvernement rappelle à cet égard qu'il agit conformément au contenu de la convention no 87, en son article 8, lorsqu'elle affirme que "dans l'exercice des droits qui leur sont reconnus par la présente convention, les travailleurs, les employeurs et leurs organisations sont tenus, à l'instar des autres personnes ou collectivités organisées, de respecter la légalité".
  8. 37. Dans une autre lettre du 1er juin 1992, le gouvernement indique que des directives appropriées ont été données aux autorités ivoiriennes compétentes en vue de la régularisation de la situation juridique de la centrale syndicale "Dignité".
  9. 38. Dans une communication ultérieure, datée du 7 août 1992, le gouvernement déclare qu'il comprend difficilement le procès d'intention fait à son pays sur la base d'allégations sans aucune consistance et il voudrait mettre cela sur le compte de la méconnaissance des dirigeants de "Dignité" de la législation nationale relative aux syndicats et autres associations.
  10. 39. En ce qui concerne le récépissé de déclaration qui doit être délivré à la centrale syndicale "Dignité", le gouvernement indique qu'en vertu des textes législatifs en vigueur "Dignité" est tenue de suivre la procédure d'enregistrement prévue aux articles 5 et 25 du Code du travail et 7, 8, 9 et 13 de la loi du 21 septembre 1960 relative aux associations. Le gouvernement explique que l'intervention du ministère de l'Intérieur dans cette procédure se justifie par le rôle de tuteur des collectivités locales que celui-ci joue et notamment par celui de conseiller juridique, à travers ses services compétents, auprès des mairies. Pour ce qui est du retard pris pour délivrer le document nécessaire à "Dignité", le gouvernement estime qu'il est causé par "Dignité" elle-même, étant donné qu'au départ elle n'avait pas joint à ses statuts les pièces justificatives relatives à ses syndicats adhérents comme l'exige la loi. Selon le gouvernement, il n'y a jamais eu de manoeuvre dilatoire de la part des autorités administratives contre "Dignité". Il informe qu'en date du 7 juin 1992 le récépissé de dépôt de statuts de "Dignité" a été délivré. Il ajoute que, conformément à l'article 4, alinéa 3, du Code du travail, "Dignité" n'avait pas besoin d'une quelconque reconnaissance de la part des employeurs pour commencer ses activités dans les entreprises; en vertu de l'article 9 de la loi sur les associations, elle devait attendre pendant deux mois à compter du dépôt de la déclaration avant de commencer l'exercice de ses activités, ce qu'elle a fait, selon le gouvernement.
  11. 40. En ce qui concerne les élections des délégués du personnel dans les entreprises, le gouvernement fait observer que le fait qu'elle n'est pas souvent représentée dans les entreprises en question en raison d'absence de syndicats de base constitue un problème pour "Dignité". Il indique également, en se référant à l'article 136, alinéa 4, du Code du travail que, selon la procédure prévue, il n'est pas nécessaire d'appartenir dans l'entreprise à un syndicat de base pour être délégué du personnel, puisqu'au deuxième tour de scrutin des candidatures individuelles sont recevables. Contrairement aux allégations de "Dignité", la désignation des délégués du personnel dans les entreprises se déroule conformément aux dispositions du Code du travail qui prévoient un recours aux organes judiciaires compétents en cas de toute anomalie constatée (article 137 du Code du travail).
  12. 41. Quant à l'allégation selon laquelle certaines autorités menacent de prendre des mesures de répression si "Dignité" agit sans autorisation, le gouvernement déclare qu'il ne lui est pas possible d'apporter les éclaircissements nécessaires étant donné que la plainte de MM. Pinzon et Peirens ne désigne pas nommément les autorités concernées et ne précise pas les mesures alléguées.
  13. 42. Pour ce qui est de l'allégation selon laquelle la vague de licenciements pour motifs syndicaux continue, le gouvernement indique qu'hormis les cas précédents ayant fait l'objet de la première plainte de "Dignité", et pour lesquels il a déjà apporté des éclaircissements, aucun autre cas de licenciement n'a été porté à la connaissance des autorités compétentes. Il en est de même pour les fonctionnaires et enseignants auxquels il est fait allusion dans la plainte déposée en vertu de l'article 26 de la Constitution.
  14. 43. Le gouvernement déclare, en ce qui concerne le recouvrement des cotisations syndicales en général ou celui opéré à la source, qu'aucun texte législatif ne les consacre. Le système de prélèvement de la cotisation syndicale sur le salaire du travailleur syndiqué par les soins de l'employeur dépend d'une disposition conventionnelle. En 1977, l'UGTCI et l'Union patronale de Côte d'Ivoire (UPACI) ont conclu un accord prévoyant la retenue à la source et ce principe a été repris à l'article 12 de la Convention collective interprofessionnelle. Il explique que, étant de création récente, "Dignité" n'est pas partie à cette convention et n'y a pas adhéré et que, de ce fait, elle ne peut exiger de l'UPACI l'application en sa faveur des clauses de l'article 12 de la convention collective précitée. Néanmoins, avec l'avènement du pluralisme syndical, l'UPACI, par note no 91-06 du 22 janvier 1991, a recommandé à ses adhérents "de respecter le principe selon lequel l'accord préalable du travailleur est indispensable avant toute retenue sur son salaire".
  15. 44. Le gouvernement explique que, dans la pratique et en conformité avec l'article 12 de la convention collective, l'UGTCI dépose la liste de ses membres auprès de l'employeur. Elle a proposé à "Dignité" de lui communiquer la liste de ses adhérents pour lesquels elle aurait perçu indûment les cotisations afin que celles-ci soient restituées à "Dignité", ce qui fut refusé par "Dignité" parce que "les opposants seraient obligés de s'identifier", comme si ce syndicat fonctionnait dans la clandestinité, ajoute le gouvernement.
  16. 45. Le gouvernement conclut en rappelant que plus de 160 syndicats existent en Côte d'Ivoire, dont certains sont affiliés à l'UGTCI, d'autres non, et en déclarant que les représentants ivoiriens ont toujours apporté la preuve de leur coopération à la consolidation des objectifs de l'organisation.

E. Conclusions du comité

E. Conclusions du comité
  1. 46. Le comité note que les allégations restées en instance après l'examen du présent cas lors de sa session d'octobre-novembre 1991, ainsi que les nouvelles allégations présentées depuis lors, portent sur des mesures de répression des autorités ivoiriennes à l'encontre de fondateurs et autres membres de la centrale syndicale "Dignité", sur le refus des autorités de reconnaître officiellement cette centrale, sur des mesures de discrimination antisyndicale frappant les affiliés de cette centrale et sur des actes d'ingérence de la part des employeurs et des autorités vis-à-vis de "Dignité" et ses syndicats de base.
  2. 47. Le comité note tout d'abord avec intérêt que, d'après la réponse du gouvernement, le récépissé de dépôt des statuts de "Dignité" a été délivré et que cette organisation est maintenant officiellement reconnue par les autorités ivoiriennes en tant que centrale syndicale. Il note également que le gouvernement déclare que le retard pris pour délivrer le récépissé de dépôt des statuts de la centrale a été causé par "Dignité" elle-même parce qu'elle n'avait pas joint à ses statuts les pièces justificatives exigées par la loi. Toutefois, le comité, compte tenu des délais particulièrement longs qui ont été nécessaires pour que le récépissé de dépôts des statuts soit délivré à "Dignité", doit souligner que les formalités prescrites par la loi pour créer un syndicat ne doivent pas être appliquées de manière à retarder ou à empêcher la formation des organisations syndicales. Considérant que tout retard provoqué par les autorités dans l'enregistrement d'un syndicat constitue une violation de l'article 2 de la convention no 87, le comité veut croire que, dans le futur, le gouvernement s'efforcera de garantir le plein respect de l'article 2 de la convention no 87 selon lequel tous les travailleurs, sans distinction d'aucune sorte, ont le droit, sans autorisation préalable, de constituer les organisations de leur choix, ainsi que de s'affilier à ces organisations.
  3. 48. En ce qui concerne les fondateurs et autres membres de "Dignité" qui auraient été arrêtés et détenus, le comité note qu'il s'agit des personnes suivantes: i) M. Marcel Ette, secrétaire général du Syndicat des enseignants du supérieur, le professeur Francis Wodie et le maître Emile Boga, enseignant à la faculté de droit, qui ont été arrêtés le 26 mars, pendant une manifestation pacifique de protestation contre la baisse des salaires de la fonction publique; ii) le docteur Richard Kodjo, secrétaire général du Syndicat des cadres supérieurs de la santé (SYNACASSCI), le docteur Assoua Adou, ainsi que d'autres personnes, arrêtés et détenus les 27 et 28 mars et lors d'une grève d'avertissement de quarante-huit heures, alors qu'un service minimum était assuré dans les centres hospitaliers, et libérés en date du 30 mars; iii) 29 militants syndicaux de la centrale syndicale "Dignité", arrêtés le 2 avril pour avoir participé à une manifestation de revendications économiques et sociales et détenus pendant douze jours; et iv) M. Ourega Ballie Ambroise et M. Gahuidis Gbogro, planteurs du département de Gagnoa et membres du syndicat de base de "Dignité", arrêtés et détenus pendant un mois et une semaine. Selon les plaignants, cette vague d'arrestations continue toujours. Le comité regrette que, dans ses réponses, le gouvernement se borne à déclarer, en ce qui concerne les raisons précises de l'arrestation et de la détention de 29 militants de "Dignité" le 2 avril 1990, que ces assertions appellent une vérification mais qu'il appartient à la confédération plaignante de fournir de plus amples renseignements. Dans ces conditions, constatant que les plaignants ont déjà indiqué dans quelles circonstances ces arrestations ont eu lieu, le comité demande à nouveau au gouvernement de lui indiquer les raisons précises de l'arrestation et de la détention de toutes les personnes susmentionnées qui, selon la confédération plaignante, auraient subi ces mesures en raison de leur affiliation à la centrale syndicale "Dignité".
  4. 49. En ce qui concerne les trois enseignants qui, d'après les allégations, ont été affectés à l'intérieur du pays avec suspension de leurs salaires dans le but de les écarter et de les intimider, le comité note que, selon la confédération plaignante, deux d'entre eux, MM. Gouali et Zouzoua ont réintégré l'Union générale des travailleurs de Côte d'Ivoire (UGTCI) et accepté leur nouvelle affectation, après la proposition des autorités de rétablir leurs salaires à condition qu'ils démissionnent de "Dignité". Le comité note que le troisième enseignant concerné, M. Aké, aurait résisté aux pressions, ce qui l'a mis dans une situation dramatique, étant donné qu'il a été suspendu de ses fonctions du 15 août 1991 au 3 février 1992. Le comité regrette également que le gouvernement se contente de renvoyer aux explications fournies dans une communication antérieure selon lesquelles les mesures disciplinaires prises à l'encontre de certains agents étaient conformes au statut général de la fonction publique qui régit l'ensemble des fonctionnaires de Côte d'Ivoire et qu'il ne s'agissait aucunement de mesures discriminatoires à l'encontre d'adhérents d'une quelconque formation syndicale. Le comité constate également que le gouvernement n'apporte pas de réponse substantielle aux allégations selon lesquelles les suspensions de traitements ou affectations abusives à l'encontre des responsables ou militants de "Dignité" continuent à être opérées. Le comité invite à nouveau le gouvernement à indiquer les raisons précises du transfert à l'intérieur du pays de ces trois enseignants. Rappelant que nul ne devrait faire l'objet de discrimination dans l'emploi en raison de son affiliation ou de ses activités syndicales légitimes, il lui demande également de prendre les mesures nécessaires afin d'éclaircir les raisons pour lesquelles M. Aké a été suspendu avec perte de salaire et de rétablir sa situation antérieure s'il s'avère qu'il a été sanctionné en raison de son appartenance à "Dignité".
  5. 50. En ce qui concerne les allégations de licenciement d'un grand nombre de dirigeants et membres de la centrale syndicale "Dignité", le comité note que les plaignants sont d'avis qu'il s'agit de mesures de discrimination antisyndicale. Il note que, selon les plaignants, les personnes suivantes, parmi d'autres, auraient été victimes de licenciements abusifs: M. Grape Eugène; MM. Oule Bernard, Kesse Tia Norbert, Ba Ba Joseph, Kaza Ouapo et Beseh Jean-Baptiste, membres du Syndicat libre des dockers des ports autonomes de Côte d'Ivoire (SYLIDOPACI) lequel est affilié à "Dignité"; MM. Blai David et Konhon Dieudonné, travailleurs à COSMIVOIRE; les travailleurs affiliés au Syndicat des travailleurs des parfumeries et cosmétiques de Côte d'Ivoire (SYTRAPACOCI); MM. Gnahore Théophile, Gnago N'guessan et Assiri Etienne, travailleurs à l'usine Blohorn-SAHSL (Unilever); et MM. Diaith Essan Prosper, Koukoo Zouzouko Emmanuel, Goyele Lori, Boudoua Begnana, Kore Yazet Philippe, Sahi Kla Mamadou, Yomi Paul et Aboua Marcellin, dirigeants et membres du syndicat SYTAC, affilié à "Dignité". Le comité observe que le gouvernement, pour sa part, donne l'assurance qu'aucune mesure n'a été prise à l'encontre des travailleurs ayant voulu constituer des organisations de travailleurs en marge de l'organisation syndicale existante, et ceci en vertu du Code du travail qui protège les travailleurs contre les actes de discrimination antisyndicale, et que tout travailleur qui estime être victime d'un licenciement pour des raisons syndicales peut s'adresser à une juridiction compétente. A la lumière des allégations en question, qui portent sur un grand nombre de licenciements de dirigeants syndicaux et d'autres syndicalistes qui sont tous membres de la même centrale syndicale, le comité rappelle l'importance qu'il attache à l'application de l'article 1 de la convention no 98, selon lequel les travailleurs doivent bénéficier d'une protection adéquate contre tous actes de discrimination tendant à porter atteinte à la liberté syndicale en matière d'emploi. Il estime qu'il serait approprié qu'une enquête soit menée par le gouvernement en vue d'établir les véritables motifs des mesures prises à l'encontre des personnes citées par la confédération plaignante et, dans le cas où l'enquête démontre que ces motifs sont de nature antisyndicale, de prendre les mesures nécessaires afin de réintégrer dans leurs postes les personnes concernées.
  6. 51. En ce qui concerne le refus allégué des autorités de reconnaître l'existence de la centrale syndicale "Dignité" et de ses syndicats de base aux fins de l'exercice de leurs activités syndicales légitimes ainsi que les menaces des autorités de prendre des mesures de répression si "Dignité" agit sans "autorisation" (par exemple collecte ou perception des cotisations, organisation de réunions syndicales ou de meetings, etc.), le comité observe que le gouvernement déclare qu'il ne lui est pas possible d'apporter les éclaircissements nécessaires étant donné que les allégations ne précisent pas les autorités et les mesures concernées. Le comité rappelle qu'en vertu de l'article 3 de la convention no 87 les syndicats doivent avoir le droit d'élaborer leurs statuts et règlements administratifs, d'élire librement leurs représentants, d'organiser leur gestion et leur activité et de formuler leur programme, et les autorités publiques doivent s'abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l'exercice légal. Il demande par conséquent au gouvernement de prendre les mesures nécessaires afin d'établir si la centrale syndicale "Dignité", et notamment au niveau local ses syndicats de base, font réellement l'objet d'actes d'ingérence et de menaces de la part des autorités et, si tel est le cas, de prendre les mesures nécessaires afin de mettre un terme à ces actes et afin de prévenir leur répétition.
  7. 52. En ce qui concerne les allégations relatives à des actes d'ingérence à l'égard des syndicats de base de "Dignité", le comité observe que les plaignants se réfèrent plus particulièrement: i) au dépôt des listes de délégués du personnel par l'UGTCI, sans organisation préalable d'élections sociales, dans les entreprises où "Dignité" est majoritaire; ii) au prélèvement à la source, sur les salaires, de la cotisation syndicale en faveur de l'UGTCI, et iii) à l'opposition de certains employeurs aux activités syndicales de "Dignité" dans l'entreprise.
  8. 53. Pour ce qui est des élections des délégués du personnel, le comité note que le gouvernement fait observer que "Dignité" n'est pas souvent représentée dans les entreprises en question en raison de l'absence de syndicats de base et que cela est un problème auquel elle est confrontée. Il observe également qu'en vertu de l'article 136, alinéa 4, du Code du travail il n'est pas nécessaire d'appartenir à un syndicat de base dans l'entreprise pour être délégué du personnel, puisqu'au deuxième tour de scrutin des candidatures individuelles sont recevables. Le gouvernement déclare que, contrairement aux allégations de "Dignité", la désignation des délégués du personnel dans les entreprises se déroule conformément aux dispositions du Code du travail qui prévoient un recours aux organes judiciaires compétents si quelque anomalie est constatée (article 137 du Code du travail).
  9. 54. En ce qui concerne le recouvrement des cotisations syndicales, le comité note que, selon les plaignants, plusieurs employeurs prélèvent à la source, sur les salaires, la cotisation syndicale en faveur de l'UGTCI, malgré les lettres des travailleurs informant la direction et les chefs du personnel qu'ils se sont désaffiliés de ce syndicat. Il observe également qu'aucun texte législatif ne consacre le recouvrement des cotisations syndicales, mais qu'il dépend d'une disposition conventionnelle, et qu'en 1977 l'UGTCI et l'Union patronale de Côte d'Ivoire (UPACI) ont conclu un accord prévoyant la retenue à la source, ce principe ayant été repris à l'article 12 de la Convention collective interprofessionnelle. Il observe que, d'après le gouvernement, "Dignité", étant de création récente, n'est pas partie à cette convention et n'y a pas adhéré et que, de ce fait, elle ne peut exiger de l'UPACI l'application en sa faveur des clauses de l'article 12 de la convention collective précitée. Toujours d'après le gouvernement, avec l'avènement du pluralisme syndical, l'UPACI, par note no 91-06 du 22 janvier 1991, a recommandé à ses adhérents "de respecter le principe selon lequel l'accord préalable du travailleur est indispensable avant toute retenue sur son salaire". L'UGTCI aurait proposé à "Dignité" de lui communiquer la liste de ses adhérents pour lesquels elle aurait perçu indûment les cotisations afin que celles-ci soient restituées à "Dignité", ce qui fut refusé par "Dignité" parce que "les opposants seraient obligés de s'identifier".
  10. 55. Pour ce qui est du refus de certains employeurs de reconnaître les syndicats de base de "Dignité" et leur opposition à toute activité syndicale de "Dignité" dans les entreprises, le comité note que le gouvernement indique que, conformément à l'article 4, alinéa 3, du Code du travail, "Dignité" n'avait pas besoin d'une quelconque reconnaissance de la part des employeurs pour commencer ses activités dans les entreprises; en vertu de l'article 9 de la loi sur les associations, elle devait seulement attendre pendant deux mois à compter du dépôt de la déclaration avant de commencer l'exercice de ses activités, ce qu'elle aurait fait.
  11. 56. Devant le caractère contradictoire des informations relatives à cette série d'allégations, le comité ne peut que rappeler que, conformément aux principes de la liberté syndicale, les travailleurs doivent avoir le droit de constituer les organisations de leur choix et de s'y affilier. Pour leur part, les organisations doivent avoir le droit d'élire leurs représentants, d'organiser leur gestion, y compris le système de prélèvement des cotisations syndicales, et d'exercer leurs activités syndicales, en toute liberté et sans ingérence de la part des autorités ou des employeurs.
  12. 57. Toutefois, pour ce qui est des élections des délégués du personnel, le comité estime que le gouvernement devrait s'assurer que toutes les organisations syndicales reconnues, y compris "Dignité", puissent présenter des candidats aux élections des délégués du personnel dans toutes les entreprises où un syndicat de base existe, et ceci à partir du premier tour de scrutin. En ce qui concerne le recouvrement des cotisations syndicales, le comité est d'avis que le gouvernement et les partenaires sociaux devraient examiner quelles conséquences il convient de tirer de la nouvelle situation de pluralisme syndical dans le pays, afin que les différents syndicats soient traités sur un pied d'égalité. Enfin, en ce qui concerne les allégations d'ingérence des employeurs dans les activités syndicales, le comité doit rappeler les termes de l'article 2 de la convention no 98, selon lequel "les organisations de travailleurs et d'employeurs doivent bénéficier d'une protection adéquate contre tous actes d'ingérence des unes à l'égard des autres, soit directement, soit par leurs agents ou membres, dans leur formation, leur fonctionnement et leur administration".
  13. 58. En ce qui concerne la circulaire du ministère des Affaires étrangères, adressée à toutes les missions diplomatiques accréditées en Côte d'Ivoire et qui stipule que tout dossier de financement de projet soumis à elles par les différents groupements et associations ivoiriens, y compris les syndicats et les partis politiques, doit faire l'objet d'une approbation préalable du projet par les autorités administratives locales, le comité estime qu'il conviendrait de s'assurer que ces dispositions n'empêchent pas les organisations syndicales de recevoir des fonds en provenance de l'étranger, et notamment d'organisations internationales de travailleurs, en vue d'objectifs syndicaux normaux et licites. Le comité demande par conséquent au gouvernement de clarifier le contenu de la circulaire en question afin de garantir aux syndicats le droit d'organiser librement leur gestion, conformément à l'article 3 de la convention no 87.
  14. 59. A la lumière des conclusions qu'il vient de formuler, le comité observe que la situation de la centrale syndicale "Dignité" et de ses syndicats de base pose des problèmes en relation avec plusieurs principes fondamentaux en matière de liberté syndicale. Il estime donc que le gouvernement doit prendre, dans les meilleurs délais, des mesures concrètes pour assurer pleinement la protection des droits garantis par les conventions sur la liberté syndicale qu'il a ratifiées. Tenant compte du fait que la centrale syndicale "Dignité" est actuellement officiellement reconnue en Côte d'Ivoire ainsi que du nouveau contexte socio-économique et de l'existence du pluralisme syndical, auxquels se réfère le gouvernement, le comité estime que le gouvernement devrait accorder une attention prioritaire au renforcement des procédures et mécanismes visant à assurer une meilleure protection des droits syndicaux de toutes les organisations professionnelles et de tous les adhérents de celles-ci. L'existence de normes législatives interdisant les actes de discrimination antisyndicale ou les actes d'ingérence de la part des autorités, ou encore de la part des organisations de travailleurs et d'employeurs les unes vis-à-vis des autres, est insuffisante si celles-ci ne s'accompagnent pas de procédures efficaces qui assurent leur application dans la pratique.
  15. 60. Saisi dans le présent cas d'une plainte déposée en vertu de l'article 26 de la Constitution, le comité doit se prononcer sur l'opportunité de constituer une commission d'enquête pour examiner la présente affaire. Compte tenu de ce que le gouvernement doit fournir de nouvelles informations sur différents aspects du cas, le comité se propose de revenir sur cette question lors de son prochain examen, à la lumière des observations qui lui seront parvenues.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 61. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité note avec intérêt que "Dignité" est actuellement officiellement reconnue par les autorités ivoiriennes en tant que centrale syndicale. Il rappelle toutefois que tout retard provoqué par les autorités dans l'enregistrement d'un syndicat constitue une violation de l'article 2 de la convention no 87. Il veut croire que, dans le futur, le gouvernement s'efforcera de garantir le plein respect de l'article 2 de la convention no 87 selon lequel tous les travailleurs, sans distinction d'aucune sorte, ont le droit, sans autorisation préalable, de constituer les organisations de leur choix, ainsi que de s'affilier à ces organisations.
    • b) Le comité demande à nouveau au gouvernement de lui indiquer les raisons précises de l'arrestation et de la détention des personnes mentionnées ci-après: M. Marcel Ette, le professeur Francis Wodie, le maître Emile Boga, le docteur Richard Kodjo, le docteur Assoua Adou, les 29 militants syndicaux de la centrale syndicale "Dignité", arrêtés le 2 avril 1990, et MM. Ourega Ballie Ambroise, Gahuidis Gbogro.
    • c) Le comité invite à nouveau le gouvernement à indiquer les raisons précises du transfert à l'intérieur du pays des trois enseignants mentionnés dans la plainte. Il lui demande en particulier de prendre les mesures nécessaires afin d'éclaircir les raisons pour lesquelles M. Aké a été suspendu avec perte de salaire et de rétablir sa situation antérieure s'il s'avère qu'il a été sanctionné en raison de son appartenance à "Dignité".
    • d) En ce qui concerne les allégations concernant un grand nombre de licenciements de dirigeants syndicaux et d'autres syndicalistes en raison de leurs activités syndicales, le comité demande au gouvernement de mener une enquête en vue d'établir les véritables motifs des mesures prises à l'encontre des personnes citées par la confédération plaignante et, dans le cas ou l'enquête démontre que ces motifs ont été de nature antisyndicale, de prendre les mesures nécessaires afin de réintégrer dans leurs postes les personnes concernées.
    • e) Le comité demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires afin d'établir si la centrale syndicale "Dignité" et en particulier au niveau local ses syndicats de base font réellement l'objet d'actes d'ingérence et de ménace de la part des autorités et, si tel est le cas, de prendre les mesures nécessaires afin de mettre un terme à ces actes et afin de prévenir leur répétition.
    • f) Pour ce qui est des élections des délégués du personnel, le comité estime que le gouvernement devrait s'assurer que toutes les organisations syndicales reconnues, y compris "Dignité", puissent présenter des candidats aux élections des délégués du personnel dans toutes les entreprises où un syndicat de base existe, et ceci à partir du premier tour de scrutin. En ce qui concerne le recouvrement des cotisations syndicales, le comité est d'avis que le gouvernement et les partenaires sociaux devraient examiner quelles conséquences il convient de tirer de la nouvelle situation de pluralisme syndical dans le pays afin que les différents syndicats soient traités sur un pied d'égalité. En ce qui concerne les allégations relatives à des actes d'ingérence des employeurs dans les activités syndicales, le comité rappelle les termes de l'article 2 de la convention no 98, selon lequel les organisations de travailleurs et d'employeurs doivent bénéficier d'une protection contre tous actes d'ingérence des unes à l'égard des autres.
    • g) En ce qui concerne la circulaire du ministère des Affaires étrangères, visant à contrôler la gestion financière des syndicats, le comité demande au gouvernement de clarifier le contenu de la circulaire en question afin de garantir aux syndicats le droit d'organiser librement leur gestion, conformément à l'article 3 de la convention no 87.
    • h) Le comité, observant que la situation de la centrale syndicale "Dignité" et de ses syndicats de base pose des problèmes en relation avec plusieurs principes fondamentaux en matière de liberté syndicale, demande au gouvernement de prendre dans les meilleurs délais des mesures concrètes pour assurer pleinement la protection des droits garantis par les conventions sur la liberté syndicale qu'il a ratifiées.
    • i) Le comité prie instamment le gouvernement de l'informer de façon détaillée sur tous les points mentionnés ci-dessus.
    • j) Le comité se propose d'examiner la question concernant la constitution d'une commission d'enquête lors de son prochain examen du cas, à la lumière des observations qui lui seront parvenues.
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