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- 236. La plainte alléguant des violations de la liberté syndicale
- au Mali a
- été présentée dans des communications des 22 mars et 19
- avril 1988 par la
- section III du Syndicat national de l'éducation et de la culture
- (SNEC). Le
- gouvernement a envoyé ses observations et informations sur
- cette affaire dans
- une communication du 10 août 1988.
- 237. Le Mali a ratifié la convention (no 87) sur la liberté
- syndicale et la
- protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no
- 98) sur le
- droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations des plaignants
A. Allégations des plaignants
- 238. Dans leurs communications des 22 mars et 19 avril 1988
- et dans la
- documentation qu'ils ont jointe concernant cette affaire, le
- secrétaire
- général de la section III du SNEC du district de Bamako, M.
- Modibo Diara, et
- le secrétaire général adjoint de la section, M. Youssouf
- Ganaba, se plaignent
- de ce que le gouvernement aurait porté atteinte à leurs droits
- syndicaux à la
- suite d'une grève de leur section syndicale qui s'est déroulée
- du 15 au 20
- 239. Brossant un tableau de la législation syndicale au Mali,
- ils expliquent
- que la grève est autorisée aux termes de la Constitution et en
- application de
- la loi du 7 juillet 1987 (loi no 87-47/AN-RM). Or ils dénoncent
- les
- représailles dont ils ont été l'objet pour avoir manifesté leur
- mécontentement
- en recourant à la grève face à un retard d'au moins trois mois
- dans le
- versement de leurs salaires.
- 240. De manière plus détaillée, ils indiquent que, par une
- décision du 9
- décembre 1986, le ministre du Travail a muté, en pleine année
- scolaire, 84
- enseignants. Ils fournissent en annexe la décision no 25/60
- comprend les noms des enseignants mutés et leurs lieux
- d'affectation. Parmi
- ces enseignants figurent les deux signataires de la plainte. Les
- plaignants
- expliquent que les enseignants mutés étaient déjà confrontés
- au dénuement
- causé par un retard de trois mois dans le paiement de leurs
- salaires et qu'ils
- recevaient l'ordre de rejoindre des postes où leurs collègues
- n'avaient pas
- perçu de salaires depuis quatre ou cinq mois. Toujours d'après
- les plaignants,
- ces mutations auraient été arbitraires étant donné qu'elles
- n'auraient pas
- tenu compte des conditions sociales des personnes mutées
- (séparation de corps,
- perturbation dans les études des enfants, déplacement de
- femmes enceintes). En
- outre, les enseignants mutés n'auraient reçu aucune indemnité
- ni avance sur
- salaires pour leur permettre de rejoindre leurs postes, alors que
- de telles
- avances étaient prévues par la loi.
- 241. Par ailleurs, les deux signataires de la plainte ajoutent
- qu'eux-mêmes
- ont été licenciés pour un prétendu abandon de poste. Selon
- eux, cependant, les
- autorités nationales compétentes, à savoir le Service de
- transit, auraient
- estimé que la décision du 9 décembre 1986 les mutant dans
- un autre poste était
- caduque. Ce service aurait d'ailleurs demandé à ce que ladite
- décision de
- mutation soit réactualisée pour que les intéressés puissent
- recevoir une
- réquisition de transport leur permettant de rejoindre leurs
- postes. Toutefois,
- le ministre du Travail aurait refusé de réactualiser la décision
- de mutation
- et aurait insisté sur le fait que cette décision était toujours
- valable. Les
- deux signataires de la plainte admettent qu'ils n'ont pas rejoint
- leurs postes
- mais ils expliquent qu'ils ne pouvaient le faire puisqu'ils étaient
- confrontés
- au problème de la survie de leurs familles.
- 242. Les plaignants allèguent aussi le licenciement et la
- disparition de M.
- Issa N'Diaye, professeur de philosophie à l'Ecole normale
- supérieure, ainsi
- que la détention au camp no I de la gendarmerie de MM.
- Charles Danioko et
- Komakan Keita, respectivement professeur d'histoire et
- géographie et
- professeur de sociologie dans cette même école. Selon les
- plaignants, ces
- enseignants seraient accusés d'avoir été responsables de la
- marche des
- étudiants de leur établissement pour soutenir les professeurs.
- 243. Enfin, de la documentation jointe à la plainte il ressort
- que le bureau
- exécutif du Syndicat national de l'éducation et de la culture
- n'aurait pas
- apporté son appui aux syndicalistes grévistes dans leurs
- revendications pour
- obtenir le paiement de leurs arriérés de salaires mais qu'il
- aurait, au
- contraire, par décision du 10 mars 1988 communiquée le 14
- mars par le
- secrétaire général du SNEC, M. Simaga, suspendu l'un des
- plaignants dans cette
- affaire, à savoir M. Modibo Diara, secrétaire général de la
- section III, de
- toute activité syndicale et parasyndicale.
- 244. Dans une lettre ouverte adressée au secrétaire général
- du SNEC et
- jointe à la plainte, M. Modibo Diara, s'insurgeant contre sa
- suspension de
- "toute activité syndicale et parasyndicale" avec l'ordre formel
- de "s'abstenir
- de tout travail syndical du SNEC, et cela sur toute l'étendue du
- pays jusqu'au
- prochain congrès ordinaire de l'organisation", prononcée par le
- bureau
- exécutif du SNEC, indique que cette suspension est
- intervenue contrairement à
- la procédure qui découle des statuts et du règlement intérieur
- du SNEC. En
- effet, selon cette lettre ouverte, si le bureau exécutif ou toute
- autre
- instance peut suspendre un de ses membres, le bureau
- national ne peut
- suspendre individuellement le membre d'une autre instance
- (section, division,
- subdivision ou comité), car ce n'est pas lui qui a élu les
- membres des autres
- instances.
- 245. Revenant sur les faits dans cette lettre ouverte, le
- plaignant indique
- qu'alors qu'il était secrétaire général de la section III - SNEC,
- district de
- Bamako, sa section n'a eu pour tort que de rester fidèle à
- l'aspiration
- légitime de ses militants concernant le retard chronique dans le
- paiement des
- salaires et accessoires du salaire, avancements et
- reclassements des
- enseignants. Le plaignant cite à cet égard la résolution du
- congrès qui
- "engage le bureau exécutif national/du Syndicat national de
- l'éducation et de
- la culture à entreprendre, en collaboration avec les autres
- syndicats
- nationaux et l'Union nationale des travailleurs du Mali, la lutte
- pour
- l'obtention de nos droits atteints (salaires et accessoires,
- avancements,
- reclassements). A défaut, le congrès l'engage tout seul." Dans
- ses actions de
- lutte, poursuit le plaignant dans la lettre ouverte, la section III,
- de
- manière démocratique et légale, a entrepris en novembre
- 1986, après un retard
- chronique de trois mois dans le paiement des salaires, des
- démarches en vue de
- décider le bureau exécutif à une action commune, étant
- donné que la plupart
- des divisions et des sections demandaient au bureau exécutif
- de s'engager dans
- autre chose que l'éternelle négociation stérile. Or l'action du
- secrétaire
- général et de certains membres du bureau exécutif a été de
- tout faire pour
- briser cette grève légitime, faisant pire que l'employeur et
- agissant dans le
- but d'isoler la section III des autres sections de Bamako qui,
- pourtant,
- avaient le même problème. La grève de novembre 1986 de la
- section III a
- pourtant réussi et les autres sections ont compris qu'il fallait
- lutter; c'est
- la raison pour laquelle la grève nationale de décembre 1986 a
- eu lieu.
- 246. Toujours d'après cette lettre ouverte, en octobre 1987,
- le même
- problème des arriérés de salaires est à nouveau survenu et, en
- décembre 1987,
- la section III a voulu lancer un préavis de grève, lequel
- échoua quand le
- bureau exécutif du SNEC décida d'une action. En effet, après
- maintes
- hésitations, le bureau du SNEC avait décidé de déposer un
- préavis de grève,
- mais ce préavis fut levé moins de quarante-huit heures plus
- tard. La section
- III a été alors obligée de lever son propre préavis de grève.
- 247. Le plaignant indique encore qu'en février 1988 la
- situation demeurait
- la même; que la section III, fidèle aux aspirations de ses
- militants, avait
- déposé à nouveau un préavis pour une grève de cinq jours,
- du 15 au 20 février,
- et que, le mercredi 10 février, l'ensemble des représentants
- des comités de la
- ville de Bamako, convoqués par le Comité de coordination du
- district, avait
- soutenu la section III pour l'exécution de la grève, bien que les
- représentants des comités aient craint que le bureau exécutif
- ne fasse marche
- arrière. Cependant, d'après la lettre ouverte, la grève s'est
- déroulée avec
- succès puisque plus de 90 pour cent des enseignants y
- participèrent. Les
- conséquences immédiates de la grève ont été la mutation de
- 71 enseignants, de
- trois travailleurs de l'Ecole nationale d'instituteurs ainsi que du
- secrétaire
- général et du secrétaire général adjoint de la section III. Pour
- ces deux
- derniers, leur mutation a été effectuée en vertu de l'ancienne
- décision du 9
- décembre 1986 à laquelle était joint un bordereau d'envoi pour
- toute référence
- d'actualisation. Ce document avait cependant été déclaré
- illégal par le
- Service de transit et il ne pouvait pas procurer aux intéressés
- de réquisition
- de transport.
- 248. Selon la lettre ouverte, les mutations intervenues à titre
- de
- représailles avaient pour but de décourager toute autre grève
- et donc toute
- lutte ou action de revendication de salariés. C'est la raison
- pour laquelle la
- section III avait demandé aux enseignants de rester sur place
- non par bravade
- mais par souci de l'importance de l'enjeu. Il fallait en effet
- choisir entre
- la fermeté pour qu'à l'avenir le droit et la loi puissent être
- respectés ou le
- désistement par rapport aux droits acquis et le fait de plier
- devant
- l'illégalité et l'arbitraire des employeurs avec les conséquences
- très
- négatives que cela aurait eu pour le syndicalisme. Le
- désaccord était venu de
- la différence de points de vue entre la section III, qui soutenait
- la fermeté,
- et le secrétaire général du SNEC qui, selon cette lettre, aurait
- agi en
- briseur de grève auprès des enseignants mutés, usant de
- menaces,
- d'intimidations et même de corruption, cela non pas dans
- l'intérêt du
- mouvement syndical mais dans un esprit de collaboration avec
- l'employeur.
- B. Réponse du gouvernement
- 249. Dans sa communication du 10 août 1988, le
- gouvernement reconnaît à
- propos de l'exercice de la liberté syndicale et du droit de grève
- que les
- textes applicables sont en effet la Constitution du 2 juin 1974
- en son article
- 13, qui garantit à tous les citoyens dans le cadre de la loi la
- liberté de se
- grouper au sein d'organisations de leur choix pour la défense
- de leurs
- intérêts professionnels, et la loi no 87-47/AN-RM du 10 août
- 1987, qui fixe le
- cadre juridique de l'exercice du droit de grève dans les
- services publics,
- ainsi que les conventions nos 87 et 98 ratifiées par le Mali. Le
- gouvernement
- observe toutefois que l'article 8 de la convention no 87, tout
- en
- reconnaissant l'exercice des droits syndicaux aux
- organisations des
- travailleurs et des employeurs, leur fait obligation de respecter
- la légalité
- à l'instar des autres personnes ou collectivités organisées.
- 250. Or, explique le gouvernement, en matière de grève, la loi
- 87-47/AN-RM reste la loi fondamentale dans le pays. Ladite loi
- détermine les
- conditions d'exercice du droit de grève. Sous cet angle, elle
- prescrit
- l'obligation pour les grévistes d'évacuer les locaux et de ne
- pas porter
- atteinte à la liberté du travail (art. 11).
- 251. En l'espèce, poursuit le gouvernement, certains
- grévistes, dont les
- plaignants, se sont introduits dans les établissements scolaires
- et ont
- cherché manifestement à empêcher les fonctionnaires non
- grévistes de
- travailler. Les correspondances des directeurs des écoles en
- font foi. En
- agissant ainsi, les grévistes se sont placés hors des garanties
- légales et
- réglementaires auxquelles ils pouvaient prétendre en violant
- non seulement les
- dispositions de l'article 11 de la loi no 87-47/AN-RM mais aussi
- celles de
- l'article 8 de la convention no 87.
- 252. Le gouvernement explique, au sujet des 84 enseignants
- mutés dont les
- plaignants, qu'en application du Statut général des
- fonctionnaires la mutation
- d'un fonctionnaire peut intervenir à tout moment au cours de
- sa carrière. Dans
- le cas d'espèce, la mutation du personnel enseignant
- effectuée par la décision
- no 2560/MEN-DNEF du 9 décembre 1986 relevait de la
- volonté de redéploiement
- des effectifs du département dans le but de combler le
- manque d'enseignants à
- l'intérieur du pays. Cependant, sur l'intervention de la centrale
- syndicale,
- les cas sociaux ont trouvé une solution heureuse.
- 253. Toutefois, ajoute le gouvernement, jusqu'à la grève du
- 15 au 20 février
- 1988, certains enseignants, dont précisément les plaignants,
- n'ont pas rejoint
- leurs postes d'affectation, malgré les différentes notifications
- de mise en
- demeure pendant toute la période précédant la grève. Dans
- de tels cas, les
- textes législatifs et réglementaires en vigueur sont clairs. Aux
- termes de
- l'article 12 de la loi no 84-45/AN-RM du 9 juillet 1984,
- modifiant et
- complétant l'ordonnance no 77-71/CMLN du 26 décembre
- 1977 portant Statut
- général de la fonction publique, "le fonctionnaire a le devoir
- d'occuper le
- poste qui lui est confié". Il est tenu de respecter
- ponctuellement l'horaire
- de travail et d'accomplir personnellement et avec assiduité
- toutes les
- obligations que lui impose l'exercice de ses fonctions. La
- même loi, dans son
- article 2, ajoute à l'article 122 du Statut de la fonction publique
- un alinéa
- ainsi libellé: "est également licencié d'office le fonctionnaire qui
- abandonne
- son poste", en violation notamment des dispositions de l'article
- 12 ci-dessus.
- Par ailleurs, la circulaire no 7/MT-FP-CAB du 28 juillet 1984
- relative aux
- modalités d'application du licenciement pour abandon de
- poste, tel qu'il
- résulte de la loi précitée, retient comme cas habituels
- d'abandon de poste,
- les cas du fonctionnaire ne rejoignant pas l'affectation qui lui a
- été
- assignée ou qui, à l'issue d'un congé, ne reprend pas son
- service et, d'une
- manière générale, le fonctionnaire qui se trouve en situation
- irrégulière
- d'absence pour autant qu'il n'apporte pas la justification de
- cette absence
- irrégulière.
- 254. Le gouvernement indique que le fonctionnaire qui se
- trouve dans une des
- situations énumérées par la circulaire est licencié d'office en
- dehors de
- toute procédure disciplinaire, sous réserve d'une mise en
- demeure adressée à
- l'agent pour lui permettre de donner ses raisons et l'informer
- des sanctions
- auxquelles il est exposé. La mise en demeure est un préalable
- au licenciement
- pour abandon de poste; elle a donc été adressée aux deux
- plaignants ainsi que
- des précisions sur les conséquences qui pourraient résulter du
- prescriptions. Les plaignants, en refusant de déférer à la
- mutation dont ils
- étaient l'objet, se sont volontairement mis en porte-à-faux par
- rapport aux
- textes en vigueur.
- 255. De manière générale, le gouvernement souligne que les
- décisions
- exécutoires doivent s'appliquer immédiatement parce qu'elles
- sont présumées
- être conformes au droit et que, même si l'administré est
- persuadé de leur
- illégalité, il doit s'y conformer préalablement à toute vérification
- par le
- juge. Ce n'est qu'après avoir exécuté un ordre qu'il pourra
- s'adresser au juge
- s'il conteste les droits de l'autorité administrative.
- 256. En tout état de cause, le fait d'être en désaccord avec
- leur mutation
- ne pouvait justifier le refus des agents de rejoindre leurs postes
- d'affectation, quitte par la suite à se pourvoir devant l'autorité
- judiciaire
- compétente, estime le gouvernement. De surcroît, ils se sont
- évertués à
- empêcher le déroulement normal de la scolarité lors d'une
- grève qui a eu lieu
- quinze mois après que leur décision de mutation leur ait été
- notifiée. Le
- gouvernement ajoute, à toutes fins utiles, que les deux
- plaignants ont perçu
- leurs salaires jusqu'à leur radiation des effectifs de la fonction
- publique.
- 257. A propos de la validité du titre de transport, le
- gouvernement précise
- que la décision exécutoire a des effets dont la durée n'est pas
- fixée et que
- ces effets ne peuvent disparaître que par la volonté de
- l'administration
- abrogeant ou retirant la décision. En d'autres termes, la
- décision de mutation
- qui ouvrait droit à la délivrance du titre de transport par le
- Service de
- transit n'ayant pas été rapportée par le ministre de l'Education
- nationale,
- elle était demeurée valable tant que les personnes concernées
- n'avaient pas
- bénéficié du droit d'emprunter les moyens de l'Etat pour
- rejoindre leurs
- nouveaux postes. Selon le gouvernement, le Service de transit
- administratif ne
- pouvait, contrairement au dire des plaignants, s'opposer à
- l'exécution d'un
- tel acte. De fait, ce qui s'est passé c'est que les plaignants ne
- se sont
- adressés au Service de transit qu'une semaine après
- l'expiration du délai de
- mise en demeure, ce qui dénote de leur part une volonté non
- équivoque de ne
- pas s'exécuter.
- 258. A propos du cas de M. Issa N'Diaye, le gouvernement
- rétorque que c'est
- un cas particulier différent du cas des autres plaignants. En
- effet, M.
- N'Diaye a été muté d'un établissement scolaire dans un autre
- établissement de
- la même ville (Bamako). Préalablement consulté avant la prise
- de la décision
- de mutation, l'intéressé a refusé de rejoindre son nouveau
- poste, à savoir la
- Direction des études de l'Ecole nationale d'ingénieurs. Son
- refus de rejoindre
- son poste d'affectation, en dépit des mises en demeure qui lui
- avaient été
- adressées, constitue, au regard des textes relatifs à l'abandon
- de poste, une
- faute grave sanctionnée par le licenciement d'office. La
- mutation de
- l'intéressé opérée par la décision no 0084/MEN-DNESPS du
- 22 janvier 1988 est
- antérieure à la grève du 15 au 20 février 1988 à laquelle les
- plaignants
- semblent lier toutes les décisions administratives.
- 259. A propos des cas de MM. Charles Danioko et Komakan
- Keita, le
- gouvernement admet que les intéressés ont été arrêtés par les
- forces de
- l'ordre au cours d'une manifestation estudiantine, mais il
- explique qu'ils ont
- été appréhendés pour avoir incité les étudiants à faire une
- marche. Néanmoins,
- après les investigations et les démarches de l'Union nationale
- des
- travailleurs maliens et du Syndicat national de l'éducation et de
- la culture,
- ils ont été purement et simplement libérés.
- 260. En conclusion, le gouvernement estime que, à la lumière
- de tout ce qui
- précède, les plaignants, en subordonnant les décisions
- administratives à la
- grève, ont fait preuve d'une mauvaise foi manifeste, surtout
- que l'antériorité
- des actes administratifs par rapport à la grève ressort de tous
- les documents.
- De surcroît, non contents de bafouer le droit de leur pays, ils
- se sont
- appliqués à semer le désordre dans des établissements
- scolaires desquels ils
- ne font partie à aucun titre. Or, le gouvernement estime que le
- Mali est un
- Etat de droit qui a toujours appliqué de façon correcte les
- conventions qu'il
- a ratifiées et que, dans ce cadre, l'arsenal juridique national qui
- renferme
- les principes de ces instruments garantit aux citoyens les droits
- fondamentaux
- de l'homme, conformément aux objectifs de l'OIT.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
- 261. Le comité observe que la présente plainte porte sur des
- mesures de
- représailles à l'encontre de militants et de dirigeants syndicaux
- qui auraient
- été prises par le gouvernement à la suite de plusieurs
- mouvements de grève
- déclenchés par des enseignants du Mali motivés par des
- revendications
- économiques et sociales, à savoir des retards de plusieurs
- mois dans le
- paiement des salaires de ces enseignants en 1986, 1987 et
- 1988.
- 262. Le comité a pris note des explications détaillées fournies
- tant par les
- plaignants que par le gouvernement sur cette affaire. Il
- observe en premier
- lieu qu'aux termes de la législation du Mali la grève est
- autorisée dans le
- secteur de l'enseignement après le dépôt d'un préavis,
- conformément aux
- principes généralement admis en matière de liberté syndicale.
- 263. En second lieu cependant, il semble d'après les
- plaignants que, si les
- grévistes ont bien déposé un préavis de grève, le bureau
- exécutif du SNEC
- aurait cherché à briser la grève en faisant marche arrière et en
- levant le
- préavis. Toutefois, toujours d'après les plaignants, 90 pour
- cent des
- enseignants auraient participé au mouvement revendicatif.
- 264. En revanche, d'après le gouvernement, les grévistes ont
- porté atteinte
- à la liberté du travail des non-grévistes. Le gouvernement
- admet que les deux
- dirigeants syndicaux plaignants dans cette affaire ont été
- mutés puis
- licenciés après les mouvements de grève, mais il déclare que
- les licenciements
- sont intervenus parce que les intéressés avaient refusé de
- rejoindre leur
- poste. Il déclare aussi qu'un autre enseignant muté avant la
- grève de février
- 1988 a aussi été licencié pour refus de rejoindre son poste.
- Enfin, il
- confirme l'arrestation de deux enseignants appréhendés au
- cours d'une
- manifestation estudiantine, mais il assure que les deux
- intéressés ont été
- libérés par la suite, après que les organisations syndicales
- nationales
- fussent intervenues en leur faveur.
- 265. Dans des cas analogues concernant des entraves à
- l'exercice du droit de
- grève, le comité a indiqué, à maintes reprises, que la grève est
- un moyen
- essentiel dont doivent pouvoir disposer les travailleurs, y
- compris les
- travailleurs de l'enseignement pour la promotion et la défense
- de leurs
- intérêts professionnels, et que l'interdiction des piquets de
- grève ne se
- justifie que si la grève perd son caractère pacifique. (Voir
- notamment 211e
- rapport, cas no 1089, Haute-Volta, paragr. 240.)
- 266. Le comité rappelle également l'importance qu'il attache
- au principe
- selon lequel nul ne devrait faire l'objet de discrimination dans
- l'emploi en
- raison de son affiliation ou de ses activités syndicales
- légitimes, y compris
- l'exercice du droit de grève pour la résolution de conflits
- collectifs
- concernant des revendications de nature économique et
- sociale.
- 267. En effet, un des principes fondamentaux de la liberté
- syndicale est que
- les travailleurs doivent bénéficier d'une protection adéquate
- contre tous
- actes de discrimination tendant à porter atteinte à la liberté
- syndicale en
- matière d'emploi - licenciement, transfert, rétrogradation et
- autres actes
- préjudiciables -, et que cette protection est particulièrement
- souhaitable en
- ce qui concerne les délégués syndicaux, étant donné que,
- pour pouvoir remplir
- leurs fonctions syndicales en pleine indépendance, ceux-ci
- doivent avoir la
- garantie qu'ils ne subiront pas de préjudice en raison du
- mandat syndical
- qu'ils détiennent. Le comité a estimé que la garantie d'une
- semblable
- protection dans le cas de dirigeants syndicaux est en outre
- nécessaire pour
- assurer le respect du principe fondamental selon lequel les
- organisations de
- travailleurs ont le droit d'élire librement leurs représentants.
- 268. Dans le cas d'espèce, le comité observe que, dans un
- premier temps, le
- gouvernement a procédé à de nombreuses mutations en cours
- d'année scolaire, à
- la suite d'une première grève en décembre 1986, puis à de
- nouvelles mutations
- et à des licenciements et arrestations, à la suite du mouvement
- de grève de
- février 1988. Dans ces conditions, le comité ne peut se
- satisfaire des
- indications du gouvernement selon lesquelles la grève portait
- atteinte à la
- liberté du travail des non-grévistes, d'autant que le
- gouvernement ne nie pas
- que les enseignants n'avaient pas perçu leurs salaires depuis
- plusieurs mois.
- 269. Le comité estime que les mutations et les licenciements
- intervenus dans
- le présent cas constituent des atteintes à la liberté syndicale,
- et il demande
- au gouvernement d'obtenir la réintégration dans leur emploi
- des enseignants
- licenciés, y compris MM. Modibo Diara et Youssouf Ganaba.
- 270. Au sujet de l'arrestation de MM. Charles Danioko et
- Komakan Keita
- survenue alors qu'ils étaient responsables d'une marche des
- étudiants de leur
- établissement pour soutenir les professeurs, le comité, tout en
- notant avec
- préoccupation que le gouvernement lui-même admet que les
- intéressés ont été
- appréhendés par les forces de l'ordre pour avoir incité les
- étudiants à faire
- une marche, observe que ces deux enseignants ont été
- libérés à la suite de
- l'intervention d'organisations syndicales nationales.
- 271. De l'avis du comité, de même que le droit de grève,
- celui d'organiser
- des réunions syndicales ou, dans le cas d'espèce, des
- marches de solidarité
- est un élément essentiel du droit syndical, et les mesures prises
- par les
- autorités pour faire respecter la légalité ne devraient donc pas
- avoir pour
- effet d'empêcher les syndicalistes d'organiser des réunions à
- l'occasion de
- conflits du travail. (Voir 2e rapport, cas no 28, paragr. 68,
- Royaume-Uni/Jamaïque; 22e rapport, cas no 148, paragr.
- 102, Pologne; et 71e
- rapport, cas no 273, paragr. 75, Argentine, notamment.)
- 272. En effet, comme il est souligné dans la résolution
- concernant les
- droits syndicaux et leurs relations avec les libertés civiles
- adoptées par la
- Conférence internationale du Travail en 1970, l'absence de
- libertés civiles
- enlève toute signification au concept des droits syndicaux, et
- les droits
- conférés aux organisations de travailleurs et d'employeurs
- doivent se fonder
- sur le respect des libertés civiles.
- 273. Dans le présent cas, le comité note que la marche des
- étudiants et des
- professeurs avait pour origine des revendications de nature
- économique et
- sociale, à savoir un retard important dans le paiement des
- salaires des
- enseignants. Dans ces conditions, le comité estime que
- l'arrestation de
- syndicalistes pour le seul fait d'avoir organisé une marche
- pacifique de
- revendications économiques et sociales constitue une
- violation de la liberté
- syndicale.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 274. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le
- Conseil
- d'administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité rappelle que le droit de grève est un des
- moyens essentiels
- dont doivent pouvoir disposer les travailleurs et leurs
- organisations, y
- compris les travailleurs de l'enseignement, pour promouvoir et
- défendre
- leurs intérêts professionnels.
- b) Le comité rappelle aussi que, de même que le droit de
- grève, le droit
- d'organiser des réunions syndicales ou des marches de
- solidarité est un
- élément essentiel du droit syndical.
- c) Le comité estime que les mesures de représailles
- antisyndicales, et en
- particulier les mutations, licenciements et arrestations de
- syndicalistes,
- décidées par le gouvernement du Mali à la suite de
- mouvements de grève des
- enseignants motivés par des retards de plusieurs mois dans le
- paiement des
- salaires entre 1986 et 1988 constituent des atteintes à la
- liberté syndicale
- de ces enseignants.
- d) Le comité demande au gouvernement d'assurer la
- réintégration des
- travailleurs licenciés à leur poste de travail, à la suite
- d'activités
- syndicales légitimes, y compris celles de MM. Modibo Diara et
- Youssouf Ganaba,
- dirigeants de la section III du SNEC du district de Bamako, et
- de le tenir
- informé des mesures prises à cet égard.