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- 219. Le Comité des organisations syndicales (COS) a présenté une plainte pour violation des droits syndicaux dans une communication en date du 13 août 1987. Le 4 octobre 1987, la Confédération mondiale du travail (CMT) a fait savoir qu'elle appuyait la plainte. Le gouvernement a transmis certaines observations concernant la plainte dans des communications en date des 9 février et 30 septembre 1988.
- 220. Les Etats-Unis n'ont ratifié ni la convention (no 84) sur le droit d'association (territoires non métropolitains), 1947, ni la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical (1948), ni encore la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations de l'organisation plaignante
A. Allégations de l'organisation plaignante
- 221. Dans sa lettre du 13 août 1987, le COS déclare être un organe qui groupe plus de 50 syndicats ayant des opinions syndicales et politiques diverses et qui a pour but d'accomplir certaines tâches et de traiter des problèmes communs. Selon ses allégations, il ressort à l'évidence d'articles de presse (dont il a joint des copies) que le gouvernement - par le truchement de la division des renseignements de la police - a dressé et tient à jour des listes d'individus et de syndicats qu'il qualifie de "séparatistes et subversifs", ainsi que des dossiers les concernant. D'après le syndicat plaignant, environ 40 dirigeants syndicaux, 4 organisations de travailleurs, la personne chargée de promouvoir la cause des travailleurs auprès des parlementaires ("Labour Lobbyist"), 4 responsables du COS et 20 avocats syndicaux figurent sur ces listes.
- 222. La tenue de ces dossiers ne porterait pas à conséquence, déclare le COS, si le gouvernement s'en servait exclusivement pour des analyses internes ou en tant que matériel de référence politique; toutefois, ils ont été et sont employés pour établir une discrimination et pour empêcher, injustement et anticonstitutionnellement, les individus visés d'obtenir et de conserver des emplois ainsi que d'autres avantages découlant de l'emploi. Pour ce qui est des organisations syndicales, le COS allègue qu'elles y sont décrites comme étant hors la loi, ce qui donne lieu à des enquêtes malveillantes et tendancieuses, ainsi qu'à une persécution et à une coercition systématiques. Tout cela est contraire au droit d'association que l'OIT a entériné dans ses conventions.
- 223. L'organisation plaignante explique que, dans la situation coloniale du moment, beaucoup d'individus et d'organisations de Porto Rico réclament leur droit à l'autodétermination. En conséquence, des activités et des efforts sont déployés dans des organes internationaux en vue de remédier à la situation. Le gouvernement des Etats-Unis et le gouvernement de Porto Rico qualifient ces activités de subversives, bien que les constitutions des deux pays reconnaissent l'exercice de ces activités comme étant un droit légitime, et interdisent les pratiques discriminatoires susmentionnées. L'organisation plaignante allègue que les mécanismes répressifs du gouvernement des Etats-Unis, tels que le Bureau fédéral des investigations et la Division des renseignements de la police portoricaine, ont donné naissance à une opération mettant en oeuvre de nombreux types de répression - s'étendant de l'infiltration d'agents de la police secrète dans les syndicats à des actes de sabotage attribués ensuite aux syndicats, et à l'enlèvement et l'assassinat de dirigeants ou de militants syndicaux.
- 224. Selon le COS, il y a eu une telle escalade de cette persécution du syndicalisme et de l'empressement à qualifier de criminelles les actions légitimes des travailleurs que, on l'a appris récemment, la police portoricaine s'est dotée d'une unité dite "unité des travailleurs-employeurs" ayant pour objet - comme ses membres l'ont reconnu lors d'audiences publiques devant la Commission des libertés civiles de Porto Rico - de poursuivre en justice et de contrôler les activités du mouvement syndical.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement
- 225. Dans sa lettre du 9 février 1988, le gouvernement déclare avoir reçu des autorités du Commonwealth de Porto Rico les observations initiales suivantes: un procès civil est actuellement en cours devant la Cour suprême du Commonwealth; il porte sur les listes des personnes séparatistes et subversives mentionnées dans le cas dont le BIT est saisi; des observations ne sauraient donc être transmises tant que le cas est en instance de jugement. Ces listes ont été mises sous scellés, par injonction de la Cour suprême jusqu'à l'issue du procès et, en conséquence, ne sont pas accessibles au public.
- 226. Dans sa communication en date du 30 septembre 1988, le gouvernement fournit des informations sur le cas en instance devant la Cour suprême. Le procès a été intenté, d'une part, par un député du Parlement portoricain (M. David Noriega Rodríguez) qui a demandé que le chef de la police de Porto Rico soit enjoint de prendre des mesures pour mettre sous scellés certains dossiers concernant des individus et des organisations, dossiers se trouvant aux mains de la police et qui auraient été ouverts en raison des convictions politiques des intéressés. D'autre part, un citoyen (Graciani Miranda Marchand) a demandé qu'une décision soit rendue déclarant l'anticonstitutionnalité de la pratique consistant à tenir des listes d'individus qui ne font pas l'objet d'une instruction pénale régulière et à établir des dossiers les concernant, et exigeant la remise de tout document le concernant. Le gouvernement du Commonwealth de Porto Rico est défendeur dans les deux procès qui ont été réunis le 20 juillet 1987.
- 227. D'après la communication, le Commonwealth a reconnu l'anticonstitutionnalité de telles pratiques et le gouverneur de Porto Rico a, le 21 juillet 1987, émis l'arrêté exécutif no 4920-A portant críation d'un conseil chargé de protéger le droit des citoyens au respect de leur vie privée en vue d'empêcher à l'avenir le rassemblement et la compilation d'informations de ce genre pour des motifs exclusivement politiques, et instituant une procédure assurant la restitution aux individus ou aux groupes intéressés des informations obtenues à leur sujet. Il ressort d'une copie de l'arrêté exécutif fournie par le gouvernement que le conseil est un organe permanent présidé par le Secrétaire à la justice et comprenant le chef de la police et trois juges retraités de la Cour suprême (article premier). Le conseil a notamment pour mission: a) d'établir des directives spécifiques devant être respectées dans le cadre du programme interne de sécurité de manière à atteindre les buts du conseil; b) d'examiner les dossiers tenus par la police et le Bureau spécial d'investigation du département de la justice et, en cas de violation des directives, de notifier les personnes intéressées et de leur offrir l'occasion de consulter leur dossier, ce qui peut en définitive déboucher sur la destruction du dossier incriminé; c) d'instaurer une coordination adéquate avec toutes agences fédérales susceptibles de fournir les moyens de renforcer l'action du programme, telles que les services secrets, les gardes-côtes, le service des douanes et le Bureau fédéral d'investigation. A la suite de l'émission de cet arrêté exécutif, l'ordre a été donné de remettre le dossier concernant M. Miranda Marchand au conseil dont ces questions relevaient dès lors au premier chef.
- 228. Le 31 juillet 1987, le "tribunal supérieur" de Porto Rico a rendu un jugement partiel sur le cas (celui-ci ayant été tranché définitivement le 14 septembre 1987), qui a clarifié les quatre points suivants: 1) la pratique consistant à établir des dossiers sur des individus et des organisations exclusivement en raison de leurs convictions politiques et idéologiques, sans aucune preuve réelle permettant de lier ces personnes à l'accomplissement ou à une tentative d'accomplissement de délits, est illégale et anticonstitutionnelle; 2) l'Etat doit restituer à M. Miranda Marchand et aux diverses personnes intéressées, y compris les groupes de personnes qui ne sont pas parties dans le cas considéré, tout document se trouvant aux mains de la police dans des dossiers établis exclusivement en raison des convictions politiques et idéologiques de ces autres personnes; 3) toute disposition de l'arrêté exécutif no 4920-A qui serait contraire à la décision du tribunal doit être abrogée; 4) la série de règles établies dans le jugement rendu doit être respectée pour la restitution des dossiers considérés aux personnes en cause qui ne sont pas parties au procès. Entre-temps, la liste de personnes et d'organisations citées devait être remise au tribunal dans une enveloppe scellée. Le 14 octobre 1987, l'Etat s'est pourvu contre cette décision dans la mesure où elle était applicable à des tiers étrangers au cas, et a contesté la procédure établie concernant ces personnes ainsi que la déclaration d'anticonstitutionnalité partielle de l'arrêté exécutif. Le 5 novembre 1987, la Cour suprême a émis une résolution acceptant le recours et, le 10 décembre - le demandeur lui ayant demandé une injonction à cet effet -, elle a ordonné la suspension des mesures énoncées dans le jugement du tribunal supérieur. Le gouvernement a fourni une copie de tous ces documents.
- 229. Le gouvernement poursuit en décrivant la série de procédures judiciaires engagées par M. Noriega Rodríguez et qui ont amené, en date du 10 février 1988, la Cour suprême à réviser sa décision du 10 décembre 1987. En effet, la Cour suprême a donné ordre aux autorités du Commonwealth de prendre des mesures pour protéger les dossiers en question et de remettre au tribunal supérieur, sous enveloppe scellée, les listes de personnes et organisations mentionnées dans les dossiers policiers en cause. Cela fut fait le 25 février 1988; il semble qu'en effet quatre boîtes scellées constituant une sorte de table des matières de 4.570 pages concernant les personnes et les organisations en cause ont été déposées. L'Etat a présenté ses conclusions finales à la Cour suprême en date du 11 mars 1988, et la décision définitive sur le cas est attendue.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
- 230. Le comité note que le présent cas se rapporte à des allégations graves selon lesquelles la police de Porto Rico prépare et tient à jour des listes concernant des syndicalistes et des organisations de travailleurs, non pas dans le cadre d'une enquête pénale quelconque mais pour servir à des pratiques discriminatoires antisyndicales. L'organisation plaignante ne donne pas d'autres précisions sur ces pratiques dans le cadre desquelles, d'après les allégations, figurent notamment des mesures tendant à empêcher les syndicalistes inscrits sur la liste d'obtenir et de conserver des emplois, une persécution systématique, ainsi que l'enlèvement et l'assassinat de dirigeants et de militants syndicaux; par ailleurs, elle n'a fourni aucune preuve démontrant que les listes étaient effectivement utilisées contre des syndicalistes. Toutefois, grâce à la documentation volumineuse fournie par le gouvernement, le comité observe que les autorités publiques ont reconnu l'existence de ces listes et dossiers policiers illégaux et que les listes contiennent des milliers de noms.
- 231. Le comité note également que, dans sa réponse, le gouvernement se concentre sur un cas soumis au tribunal supérieur de Porto Rico qui a été tranché partiellement le 31 juillet et de manière définitive le 14 septembre 1987 et contre lequel le Commonwealth de Porto Rico s'est pourvu le 14 octobre 1987. En mars 1988, les conclusions finales dans ce recours ont été présentées à la Cour suprême dont la décision est attendue.
- 232. Tout en reconnaissant que la décision de la Cour suprême sera utile puisqu'elle fournira des précisions supplémentaires sur le présent cas, le comité note, à partir des documents fournis, que le pourvoi ne porte pas sur la question essentielle tranchée par le tribunal supérieur, à savoir la déclaration selon laquelle la pratique de la police consistant à rassembler des informations et à tenir des listes et des dossiers quand il n'y a pas d'enquête pénale est illégale et anticonstitutionnelle. En fait, le recours met en cause la tentative faite par l'instance inférieure d'ordonner la restitution des dossiers considérés même à des personnes qui ne sont pas parties à la demande initiale - laquelle, il convient de le faire observer, n'était pas un recours collectif intenté au nom de la totalité des individus et des organisations nommés dans les dossiers de la police - et l'annulation partielle de l'arrêté exécutif émis par le gouverneur. (Il semblerait que seul l'article 3 b) ait été abrogé par la décision du tribunal supérieur.) En d'autres mots, le recours vise les mesures de redressement - et leurs modalités d'application fondées sur l'argument de la séparation des pouvoirs - décidées par l'instance inférieure pour protéger toutes les victimes des pratiques illégales et anticonstitutionnelles du département de la police, et non pas la déclaration d'illégalité elle-même.
- 233. Le comité a examiné l'importante documentation envoyée par le gouvernement et par l'organisation plaignante et, en particulier, le texte des diverses décisions judiciaires et des documents qui confirment l'illégalité des pratiques policières faisant l'objet de la plainte du COS dans le présent cas, mais qui attendent une décision de la Cour suprême concernant la manière de disposer des dossiers et documents connexes incriminés. Dans de telles circonstances, le comité relève avec intérêt la condamnation de ces pratiques de la police. Dans le passé, il a déclaré que toutes les pratiques de "listes noires" de dirigeants syndicaux mettent gravement en péril le libre exercice des droits syndicaux et que, d'une manière générale, les gouvernements devraient prendre des mesures sévères à l'égard de telles pratiques. (Voir, par exemple, 177e rapport, cas no 844 (El Salvador), paragr. 276.)
- 234. Conformément au principe général de la liberté syndicale selon lequel nul ne devrait faire l'objet de discrimination dans l'emploi en raison de son affiliation ou de ses activités syndicales légitimes, le comité rappelle en particulier que, lorsqu'un gouvernement s'est engagé à garantir, par des mesures appropriées, le libre exercice des droits syndicaux, cette garantie, pour être réellement efficace, devrait, s'il est besoin, être assortie notamment de mesures comportant la protection des travailleurs contre les actes de discrimination antisyndicale en matière d'emploi. (Voir 14e rapport, cas no 105 (Grèce), paragr. 137.)Dans le présent cas, le comité se réjouit de constater que les dossiers et listes incriminés sont pour le moment mis sous scellés, sous protection judiciaire. Sur la base de la documentation qui lui a été soumise, le comité espère que la Cour suprême portoricaine instaurera les mesures appropriées de réparation des torts commis, et il prie le gouvernement de le tenir informé de la décision que ce tribunal rendra sous peu et de lui en fournir le texte.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 235. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité note avec intérêt que les tribunaux ont condamné la pratique de la police portoricaine qui consiste à compiler des listes noires sur lesquelles figurent des syndicalistes et des organisations de travailleurs n'étant aucunement liés, de quelque façon que ce soit, à des enquêtes pénales. Il rappelle que les pratiques de "listes noires" de dirigeants syndicaux mettent gravement en péril le libre exercice des droits syndicaux.
- b) Tout en attendant que le gouvernement lui transmette le texte de la décision définitive qui sera rendue dans l'action civile intentée devant la Cour suprême de Porto Rico concernant les moyens de remédier à cette pratique illégale et anticonstitutionnelle, le comité veut croire qu'un remède approprié sera trouvé pour garantir efficacement aux syndicalistes portoricains une protection contre des mesures antisyndicales de ce genre.