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- 191. Dans une lettre du 28 novembre 1986, une plainte a été déposée contre le gouvernement de la Norvège par la Fédération norvégienne des travailleurs du pétrole (OFS), alléguant la violation des droits syndicaux. La réponse du gouvernement figurait dans une lettre du 20 février 1987.
- 192. La Norvège a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations des plaignants
A. Allégations des plaignants
- 193. La plainte a trait à l'instauration de l'arbitrage obligatoire dans l'industrie du pétrole de la mer du Nord et, en particulier, à la législation promulguée le 5 mai 1986 en vertu de laquelle une grève a été interrompue et une revendication salariale a été renvoyée devant le Conseil national des salaires.
- 194. Le plaignant se réfère en premier lieu à des plaintes précédentes au sujet de circonstances analogues survenues antérieurement et dont le Comité avait traité en 1980, 1981, 1982 et 1984, ainsi qu'aux observations qu'il avait adressées à la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations en 1986. Il indique ensuite qu'il s'agit d'une association de quatre fédérations - la Fédération des opérateurs (OAF); la Fédération des travailleurs de la restauration (CAF); la Fédération des foreurs de pétrole (OBF); et le Syndicat des travailleurs du pétrole travaillant pour une société de transport maritime (ROF).
- 195. Le plaignant décrit ensuite les circonstances qui ont conduit à un différend ayant abouti à une grève et à un lock-out à partir du 6 avril 1986 et auxquels il a été mis fin par l'adoption d'une législation en vertu de laquelle le gouvernement a instauré l'arbitrage obligatoire d'un conseil des salaires. Selon le plaignant, les trois premières fédérations mentionnées ci-dessus ont engagé des négociations salariales avec deux fédérations d'employeurs (la NAF et la NOAF) à l'expiration des accords salariaux en vigueur, mais la CAF a rompu les négociations et, le 19 mars 1986, a adressé un préavis de grève de la part de ses membres; deux jours plus tard (le 21 mars), les fédérations d'employeurs ont adressé un préavis de lock-out des membres de l'OAF et de l'OBF. La grève comme le lock-out ont été interdits par le conciliateur national, le 22 mars, et, à la suite de cette interdiction, une procédure obligatoire de conciliation a été instituée, en deux occasions, les 25-26 mars et 4-5 avril 1986. La grève et le lock-out ont ensuite commencé le 6 avril (le 20 avril, l'OAF a élargi la grève à ses membres de la partie britannique du plateau continental) et ne se sont achevés qu'après que le ministre du Travail ait soumis au Cabinet un projet de loi sur l'instauration de l'arbitrage obligatoire d'un conseil des salaires; ce projet a été discuté au Parlement le 30 avril et adopté le 5 mai.
- 196. Toujours selon le plaignant, cette législation et l'ensemble du système d'arbitrage obligatoire, tel qu'il est appliqué dans l'industrie pétrolière de la mer du Nord, sont contraires aux garanties contenues dans la convention no 87, puisqu'ils privent les travailleurs de cette industrie du droit de grève et sapent la possibilité de négociations véritables entre les parties à des différends. Il ajoute que les raisons invoquées au cours de la discussion qui a eu lieu au Parlement sur la récente législation ne répondent pas aux critères de l'OIT en matière d'arbitrage obligatoire.
- 197. Le plaignant souligne que le système de l'arbitrage obligatoire existe depuis 1980 mais que, comme pour pouvoir y recourir en cas de différend il faut soit que le Parlement adopte une loi, soit que le Cabinet promulgue une ordonnance provisoire, en dehors des sessions parlementaires, le gouvernement a pu invoquer des arguments pour justifier les diverses mesures prises, rendant difficile la position de l'OFS au sujet du respect des obligations découlant des conventions de l'OIT. Le gouvernement a ainsi pu affirmer, à propos d'un différend du travail en cours, que le recours à l'arbitrage obligatoire du Conseil des salaires ne va pas à l'encontre de ces obligations. Le plaignant rappelle en particulier les arguments avancés par le gouvernement et par une commission du Parlement au sujet, tout d'abord, de la durée de la grève et des incidences économiques qu'elle aurait selon eux et, ensuite, des prétendus risques pour la vie, la sécurité ou la santé de la personne dans une partie ou dans l'ensemble de la population.
- 198. Pour ce qui est des incidences économiques, le plaignant estime que le fait que la grève ait pu durer vingt jours illustrait en soi le climat qui régnait alors et dans lequel les prix du pétrole avaient baissé, et la Norvège avait été critiquée par l'OPEP qui l'accusait de ne pas vouloir réduire sa production. Le plaignant déclare en outre qu'il est erroné de prétendre qu'une grève comme celle dont il est question entraîne une perte de recettes, car, en fait, elle n'a pour conséquence que de retarder l'entrée de ces recettes et que, quoi qu'il en soit, tout calcul des coûts doit forcément être fonction d'une estimation de ce que seront les prix du pétrole brut au siècle prochain. Toujours selon le plaignant, l'un des principaux motifs qui expliquent l'adoption de la législation était de caractère commercial, à savoir les répercussions qu'elle pourrait avoir sur la capacité du pays à respecter les obligations contractées en ce qui concerne la fourniture de gaz, comme le prouve le fait qu'il n'a jamais été envisagé d'adopter le système de l'arbitrage obligatoire jusqu'à l'implication dans le différend des travailleurs norvégiens de la partie britannique du gisement de gaz de Frigg.
- 199. Pour ce qui est des prétendus effets sur la sécurité en mer du Nord, le plaignant estime qu'il s'agit d'un faux prétexte. Il souligne que les travailleurs n'étaient pas opposés à la poursuite des travaux d'entretien durant la grève et qu'il est de leur intérêt que ces travaux soient assurés, dans la mesure où il y va de leur vie et de leur sécurité en mer du Nord. Aucun conflit avec les fédérations ne peut être invoqué sur ce point, le problème ne s'étant jamais posé entre les parties au différend du travail: il est seulement pris prétexte du souci de la sécurité pour répondre aux allégations relatives à la violation par la Norvège de la convention de l'OIT.
- 200. De l'avis du plaignant, l'argument avancé par le gouvernement devant le Parlement au sujet des risques en matière de sécurité est imprécis et relève de l'hypothèse, alors que l'OIT exige une relation plus directe entre le fait invoqué et la menace pour la vie ou la santé de certaines personnes ou de groupes de personnes dans la population que celle dont le gouvernement a fait état. La référence faite en particulier par le gouvernement aux dangers qui découlent d'un arrêt de travail prolongé sur le champ pétrolifère d'Ekofisk et aux travaux engagés pour résoudre les problèmes que pose l'affaissement des plates-formes ne justifie en rien, selon le plaignant, l'argument avancé sur ce point, étant donné que ni les autorités ni les employeurs n'ont demandé une dérogation aux dispositions de la convention; en outre, le renvoi de ces travaux durant les semaines, voire les mois de la durée d'une grève, n'entraînerait pas de risques du type envisagé par l'OIT comme motif valable pour interdire un arrêt de travail.
- 201. Le plaignant conclut en appelant l'attention, une fois encore, sur le recours constant, depuis 1980, à l'arbitrage obligatoire du Conseil des salaires contre les travailleurs du pétrole de la mer du Nord, soulignant qu'il ne s'agit pas là d'un incident isolé et que ce recours constant à l'arbitrage obligatoire est contraire à l'esprit de la convention.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement
- 202. Dans sa lettre du 20 février 1987, le gouvernement rappelle la rupture au printemps 1986 de négociations menées parallèlement au sujet de six conventions collectives concernant la mer du Nord, auxquelles participaient les organisations d'employeurs et de travailleurs mentionnées par le plaignant et, en outre, le Syndicat norvégien des travailleurs du pétrole et de la pétrochimie (NOPEF) qui fait partie, précise-t-il, de la Fédération norvégienne des syndicats et est partie dans trois conventions relatives, respectivement, au travail des opérateurs, au forage et à la restauration. En effet, le gouvernement confirme que, à la suite de la rupture des négociations et de l'impossibilité d'arriver à un règlement par le biais d'une médiation obligatoire, une action de grève et un lock-out ont été entrepris à partir du 5 avril 1986 et ont entraîné un arrêt total de la production de pétrole et de gaz sur le plateau norvégien.
- 203. Le gouvernement déclare ensuite que d'autres tentatives de médiation faites durant l'arrêt de travail n'avaient pas abouti elles non plus à de nouveaux accords salariaux et que l'impasse était totale au bout de trois semaines, malgré les efforts renouvelés déployés par le médiateur d'Etat. Le gouvernement affirme que le conflit risquait de durer très longtemps et qu'il avait alors soumis un projet de législation relative à l'arbitrage obligatoire au Parlement afin de renvoyer le différend devant le Conseil national des salaires après avoir étudié les incidences préjudiciables de l'arrêt de travail et examiné les incidences du conflit sur la sécurité.
- 204. Le gouvernement rappelle la complexité technique de l'exploitation pétrolière en mer et les risques qui en découlent pour la sécurité, qui, affirme-t-il, sont accrus par les facteurs climatiques et par l'arrêt du fonctionnement des équipements ou par la non-observation minutieuse de l'entretien des équipements destinés à fonctionner de façon continue. Les risques pour la sécurité, précise le gouvernement, sont beaucoup plus importants en cas d'arrêt complet des installations du plateau norvégien que dans les installations plus restreintes.
- 205. Le gouvernement estime que l'application des conventions doit être considérée par rapport au type d'activité en cause. Un arrêt de trois semaines est, de l'avis du gouvernement, un arrêt assez long, compte tenu de la nature de l'activité et de l'ampleur de l'arrêt. Il souligne que les risques encourus en matière de sécurité s'accroissent avec la prolongation de l'arrêt. Comme il est, en définitive, responsable de la sécurité dans le secteur pétrolier, le gouvernement, après avoir évalué la situation pendant près de trois semaines, a conclu que l'absence de toute perspective de solution négociée entre les parties au différend le contraignait à veiller à ce qu'il soit mis fin à ce conflit.
- 206. Le gouvernement déclare qu'il a pris dûment note des déclarations de l'OIT au sujet des infractions au droit de grève et indique, en particulier, qu'il émet certaines réserves quant aux dispositions des conventions concernant les circonstances ayant des effets évidents et imminents mettant en danger la vie, la santé et la sécurité de la personne dans une partie ou dans l'ensemble de la population. Il déclare que la question qui se pose est celle de savoir si les effets préjudiciables sont d'une ampleur telle et d'une nature telle qu'une infraction au droit de grève peut être considérée comme compatible avec les engagements qu'il a contractés conformément au droit international et qu'il s'efforce de respecter les obligations que les conventions de l'OIT imposent aux autorités des pays membres.
- 207. Le gouvernement estime que l'adoption de la mesure relative à l'arbitrage obligatoire en vue de mettre fin aux conflits du travail dans les installations en mer du Nord est compatible avec les conventions. Selon lui, s'il n'était pas possible d'adopter une telle mesure, il s'ensuivrait que, pour pouvoir respecter les dispositions des conventions, il faudrait affronter des risques en matière de sécurité durant les conflits du travail plus graves que dans d'autres situations. Un tel état de choses ne serait pas justifiable et serait difficile à comprendre.
- 208. Pour conclure, le gouvernement appelle l'attention sur ses rapports précédents relatifs à la situation syndicale dans les installations en mer du Nord et sur la place essentielle de l'industrie pétrolière dans l'économie norvégienne.
C. Conclusions du Comité
C. Conclusions du Comité
- 209. Il semble clair, au comité, que les circonstances décrites dans le présent cas et les problèmes posés sont de nature analogue à ceux qui ont été traités précédemment au sujet de la Norvège, à savoir les cas nos 1099 et 1255. (Voir 217e rapport du comité, approuvé par le Conseil d'administration à sa 220e session (mai-juin 1982), paragr. 449-470; et 234e rapport du comité, approuvé par le Conseil d'administration à sa 226e session (mai-juin 1984), paragr. 171-192.) Le comité attire donc à nouveau l'attention du gouvernement sur les principes selon lesquels le droit de grève ne peut être interdit ou restreint que dans la fonction publique ou dans les services essentiels au sens strict du terme, c'est-à-dire ceux dont l'interruption mettrait en danger la vie, la sécurité ou la santé de la personne dans tout ou partie de la population.
- 210. Le comité a également pris note du fait que la Commission d'experts pour l'application des Conventions et Recommendations a examiné certains aspects du présent cas en 1987.
- 211. Le comité relève que le gouvernement a, dans une très large mesure, axé sa réponse au sujet des allégations du plaignant (dont la réalité ne semble pas contestée) sur la question des effets possibles en matière de sécurité de la poursuite de l'action de grève dans les installations en mer du Nord. Il a noté en particulier la déclaration du gouvernement selon laquelle il a évalué de façon continue cet aspect de la question avant d'adopter la législation de 1986 sur l'arbitrage obligatoire qui a mis fin à la grève et a donné lieu à la plainte. Le comité est néanmoins conscient du fait que les informations fournies par le gouvernement dans sa réponse ont trait à des déclarations générales concernant les incidences des grèves prolongées sur les risques potentiels liés à l'exploration pétrolière en mer du Nord, plutôt qu'à des preuves concrètes, concernant le danger réel qu'a fait peser la grève de 1986 sur la sécurité d'une catégorie particulière de travailleurs des installations pétrolières ou sur toute autre partie de la population. Dans ces circonstances, le comité n'est pas convaincu que le risque qu'auraient entraîné des arrêts prolongés de travail dans ce secteur était tel qu'il répondait au critère établi par les principes de la liberté syndicale, c'est-à-dire l'existence d'une menace évidente et imminente pour la vie, la sécurité ou la santé de la personne dans tout ou partie de la population.
- 212. Le comité relève que , en invitant le gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour donner effet à la convention no 87, y compris l'abrogation ou la révision des dispositions de la législation qui ne tiennent pas compte du critère susmentionné pour l'arrêt des actions de grève. Le comité réitère ces observations et est convaincu qu'il sera possible au gouvernement de prendre les mesures requises pour donner pleinement effet aux principes de la liberté syndicale en question.
- 213. Le comité s'est également penché sur le caractère récurrent des problèmes qui semblent s'être posés durant la période 1980-1987, comme le montrent le présent cas et les cas précédents de même nature relatifs à la Norvège dont il a été saisi, ainsi que l'examen par la commission d'experts, dans ses rapports de ces dernières années, de certains aspects connexes de la question. Le temps écoulé depuis que ces questions se sont posées à des intervalles rapprochés conduit le comité à conclure que des difficultés semblent exister en matière de négociation collective dans l'industrie pétrolière en mer du Nord dont la nature peut influer sur le respect par le gouvernement des obligations découlant des principes énoncés dans la convention no 98. Le comité attire donc l'attention du gouvernement sur le fait que l'assistance consultative technique des services du Bureau international du Travail est à sa disposition.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 214. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver la recommandation suivante:
- Au sujet de l'utilisation de mesures législatives ou autres concernant le renvoi des conflits de l'industrie pétrolière de la mer du Nord, le gouvernement devrait pleinement tenir compte des principes de la liberté syndicale en matière de droit de grève et notamment du principe selon lequel toute restriction à ce droit devrait être strictement limitée aux services essentiels au sens strict du terme, à savoir les services dont l'interruption risquerait de comporter une menace claire et imminente pour la vie, la sécurité et la santé de la personne dans tout ou partie de la population.