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- 128. Par un télégramme du 2 septembre 1986, la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) a présenté une plainte contre le gouvernement bolivien en violation des conventions nos 87 et 98 de l'OIT. La Fédération syndicale mondiale (FSM) et la Confédération mondiale du travail (CMT) ont envoyé des allégations sur des violations de la liberté syndicale en Bolivie par des communications datées respectivement des 1er et 5 septembre 1986. Dans une communication complémentaire du 22 septembre 1986, la CISL a transmis d'autres informations. Le gouvernement a répondu aux allégations par des lettres du 18 septembre et du 7 octobre 1986.
- 129. La Bolivie a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations des plaignants
A. Allégations des plaignants
- 130. Dans son télégramme du 2 septembre 1986, la CISL déclare avoir été informée par la "Central Obrera Boliviana" (COB) de l'adoption le 28 août par le gouvernement bolivien de graves mesures à l'encontre des travailleurs boliviens, à savoir la mise en application de l'état de siège pour une période de quatre-vingt-dix jours, supprimant ainsi les libertés et les droits syndicaux. Les mesures ont été prises préalablement à une marche des mineurs vers la capitale du pays, La Paz, pour protester contre les projets du gouvernement de fermer certains centres miniers et de privatiser d'autres. La COB a décrété une grève générale contre ces mesures, grève interdite par le gouvernement qui a alors arrêté 162 dirigeants, pour la plupart dirigeants syndicaux, déportés par la suite dans d'autres localités du pays (Puerto Rico, San Joaquín et Magdalena).
- 131. La lettre de la FSM datée du 1er septembre 1986 fait état des conséquences sociales en Bolivie de la politique du Fonds monétaire international (FMI) qui a récemment envoyé une délégation en Bolivie afin d'analyser la politique économique du gouvernement. La stricte application de sévères mesures d'austérité a été la condition de l'octroi par le FMI d'un prêt de 75 millions de dollars E.-U., destiné à couvrir le déficit de la balance des paiements du pays. Le gouvernement bolivien a donc pris des dispositions pour fermer des entreprises déclarées non rentables, en particulier deux mines d'étain dans l'Oruro, et pour suspendre le fonctionnement normal de cinq autres mines d'étain dans le Potosí; de ce fait, 20.000 travailleurs environ ont été licenciés. Dans le même temps, il a été décidé que l'industrie minière serait privatisée. Devant la perspective de perdre leur emploi, plus de 5.000 mineurs de l'Oruro et du Potosí se sont mis en grève pour demander la poursuite de la gestion des mines par l'Etat et pour protester contre les mesures gouvernementales d'austérité. Dans ce contexte, le gouvernement a déclaré l'état de siège et a détenu plus de 200 des organisateurs de la grève des mineurs, laquelle, selon la FSM, était largement soutenue par les organisations populaires et syndicales. La FSM ajoute qu'une centaine de ces personnes ont été déplacées dans des contrées inhospitalières, ce qui constitue une restriction à la liberté de mouvement incompatible avec le libre exercice des droits syndicaux. L'organisation syndicale mentionne, en outre, que parmi les détenus se trouvent M. José Maria Palacios, M. Aldo Flores et M. Felipe Tapia, dirigeants de la COB, ainsi que M. Andres Soliz Rada, Secrétaire exécutif de la Fédération des travailleurs de la presse bolivienne (FTPB). De l'avis de la FSM, le gouvernement a déclaré l'état de siège sous le prétexte que la grève des mineurs avait pour but, par un projet insurrectionnel d'extrême gauche, de renverser le gouvernement actuel de M. Victor Paz Estenssoro. Le droit de grève et le droit d'association ont été abolis; le droit à l'inviolabilité du domicile a été suspendu.
- 132. Dans sa communication du 5 septembre 1986, la CMT souligne quant à elle que le gouvernement bolivien a instauré l'état de siège en réponse à la grève et à la manifestation pacifique des membres du syndicat COB défendant les intérêts légitimes des travailleurs.
- 133. En annexe à une communication du 22 septembre, la CISL a envoyé une analyse juridique de la COB sur les différentes transgressions aux lois et à la Constitution politique de l'Etat par le gouvernement bolivien, en particulier par les décrets nos 21060 et 21137 qu'il a émis, analyse datant de janvier 1986. La CISL fait valoir que, dans l'état actuel des choses, 1.500 mineurs environ font la grève de la faim pour protester contre la fermeture des divers centres miniers et le licenciement de centaines de travailleurs. L'organisation plaignante ajoute que l'état de siège limite considérablement la liberté et les droits syndicaux.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement
- 134. Le 18 septembre 1986, la mission permanente de Bolivie à Genève a transmis une réponse du ministre conseiller chargé des négociations, à laquelle était joint un accord daté du 13 septembre passé entre le gouvernement et la Fédération syndicale des travailleurs des mines de Bolivie (FSTMB). Dans cette communication, il est indiqué que l'état de siège a été décrété le 27 août 1986 par le gouvernement bolivien en conformité avec les normes constitutionnelles d'exception, pour remédier à une situation délicate de troubles internes mettant en danger le système démocratique représentatif et pluraliste en Bolivie; le 13 septembre 1986, le gouvernement a libéré les 162 dirigeants syndicaux mis en détention préventive dans le cadre juridique de l'application de l'état d'exception prévu par la Constitution politique de Bolivie. Des négociations ont été entamées, avec la médiation de la plus haute hiérarchie de l'Eglise catholique, entre le gouvernement et la Fédération syndicale des travailleurs des mines de Bolivie et ont abouti à un accord de base sur la mise en application d'un système de décentralisation de la corporation minière de Bolivie (COMIBOL), principale société autonome de production minière en Bolivie.
- 135. Dans une seconde communication datée du 7 octobre 1986, le ministre conseiller chargé des négociations a fourni des précisions complémentaires. Il est indiqué que le décret suprême no 21377 du 25 août 1986 a été adopté afin d'établir un système de décentralisation avec participation des travailleurs des mines, dans le but d'atténuer les déficits des mines d'Etat. L'industrie minière de Bolivie se trouvant dans une crise structurelle aggravée par l'instabilité du marché international de l'étain, alors que cette matière première est la principale ressource minière d'exportation du pays, il devenait nécessaire de la sauvegarder. Des mesures prises à cet effet ont provoqué une réaction de la Fédération syndicale des travailleurs des mines de Bolivie qui a organisé une marche des travailleurs des mines en direction de La Paz, violant ainsi l'ordre juridique national, y compris les conventions nos 87 et 98; toujours selon le gouvernement, cette manifestation, dès qu'elle a été déclenchée, est allée au-delà des objectifs d'une simple marche syndicale légitime de protestation pour se convertir en un événement visant à provoquer un choc social susceptible de déstabiliser le gouvernement de Bolivie et donc d'interrompre le processus démocratique du pays qui, depuis 1982, a consenti tant de sacrifices pour le peuple bolivien. Cette marche syndicale de protestation s'est transformée en une manifestation anticonstitutionnelle grave contre l'ordre public et a conduit le gouvernement bolivien à instituer l'état de siège par le décret suprême no 21378 du 27 août 1986, conformément à la Constitution. Vu la situation d'urgence, le gouvernement a entamé un dialogue avec la FSTMB, grâce à la médiation de la Conférence épiscopale bolivienne, et un accord a été signé afin de procéder à la décentralisation, qui avait été ordonnée, de l'entreprise minière d'Etat, la COMIBOL.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
- 136. Le comité note que la présente affaire concerne principalement l'adoption, le 27 août 1986, par le gouvernement bolivien, de l'état de siège, entraînant des mesures d'exception qui affectent les droits syndicaux des travailleurs. Le comité relève la déclaration du gouvernement selon laquelle l'état de siège a été mis en vigueur conformément à la Constitution, en vue de mettre fin aux troubles internes. Il apparaît au comité que le chapitre IV de la Constitution politique de l'Etat de Bolivie, relatif à la préservation de l'ordre public, habilite le chef du pouvoir exécutif, après accord du Conseil des ministres, à déclarer l'état de siège en cas de troubles internes ou de guerre internationale, pour une période de quatre-vingt-dix jours (art. 111). L'état de siège n'entraîne pas la suspension de fait de toutes les garanties constitutionnelles, mais permet seulement que les personnes étant l'objet d'accusations fondées de complot contre l'ordre public (art. 112, paragr. 3), soient arrêtées ou amenées à comparaître pour une période de quarante-huit heures, ou soient déplacées dans des départements où elles ne risquent pas de troubler l'ordre public (art. 112, paragr. 4).
- 137. Lesdites mesures ont fait suite à une grève et à une manifestation dont le caractère pacifique évoqué par les plaignants n'a pas été contesté par le gouvernement, grève et manifestation organisées par les travailleurs pour défendre leurs emplois menacés par la décision du gouvernement bolivien de fermer des mines d'étain afin de répondre aux instances du FMI. Le comité déplore que ces événements pacifiques aient donné lieu à des arrestations de dirigeants syndicaux ou à leur relégation étant donné que les travailleurs doivent pouvoir exercer leurs activités syndicales librement. Pour ce qui concerne les arrestations, le comité note toutefois que, selon le gouvernement, les personnes détenues ou reléguées ont toutes été remises en liberté totale.
- 138. Tout en constatant que les mesures d'exception prises par le gouvernement bolivien en vue de remédier à une situation temporaire difficile l'ont été en conformité avec la Constitution de la Bolivie, le comité souligne que l'exercice pacifique (grève et manifestation) de droits syndicaux par les travailleurs ne devrait pas conduire à des arrestations et à des déportations. Toutefois, le comité doit reconnaître qu'il lui est difficile en l'espèce, au vu des informations dont il dispose, de se forger une opinion sur les intentions des travailleurs participant à la marche de protestation vers La Paz; si, comme l'affirme le gouvernement, la manifestation avait pour but de déstabiliser la démocratie bolivienne et le gouvernement du Président Estenssoro, ou uniquement d'exprimer les revendications légitimes des travailleurs décidés à défendre leur emploi. Le comité rappelle qu'il a toujours considéré que la détention de dirigeants syndicaux pour activités liées à l'exercice de leurs droits syndicaux est contraire aux principes de la liberté syndicale. Cependant, le comité note que peu après lesdits événements un accord sur les mines d'étain a pu être trouvé entre les autorités gouvernementales et la Fédération syndicale des travailleurs des mines de Bolivie, pour régler par la négociation les problèmes concernant ce secteur (fermeture des mines, décisions sur la gestion pouvant affecter les travailleurs, réintégrations, mise en coopératives des mines, restructuration de l'emploi). Aux termes de cet accord, il a été mis fin à la détention et au confinement des citoyens arrêtés ou assignés à résidence, tandis que la fédération syndicale a levé l'ordre de grève générale et de grèves de la faim relatives au conflit. Il semble au comité qu'un climat de négociation s'instaure entre les parties et puisse ainsi désamorcer les tensions sociales.
- 139. Bien qu'il n'appartienne pas au comité de se prononcer sur les mesures économiques qu'un gouvernement peut juger utiles de prendre dans une situation difficile pour le pays et qui suit en cela les recommandations expresses du Fonds monétaire international, le comité considère, toutefois, que des décisions entraînant la perte de leur emploi pour un nombre important de travailleurs devraient être assorties de consultations avec les organisations syndicales intéressées, afin de planifier l'avenir professionnel de ces travailleurs selon les possibilités du pays.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 140. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration d'approuver le présent rapport et, en particulier, les conclusions suivantes:
- a) En ce qui concerne l'état de siège, le comité, tout en déplorant l'existence d'une telle situation, note qu'elle ne devrait pas aller au-delà de quatre-vingt-dix jours selon les termes de la Constitution bolivienne.
- b) Le comité déplore que, en vertu des mesures d'exception prévues par la Constitution, de nombreux dirigeants syndicaux aient été emprisonnés ou confinés dans des régions hostiles pour avoir exercé pacifiquement des activités syndicales (grève et marche de protestation), ce qui est contraire aux principes de la liberté syndicale. Le comité note que ces personnes jouissent à l'heure actuelle d'une totale liberté.
- c) Le comité relève qu'un accord a été passé entre les autorités gouvernementales et la Fédération syndicale des travailleurs des mines de Bolivie, dans le but de régler par la négociation ou en consultation avec les travailleurs les difficultés afférentes à la situation économique du secteur minier et de procéder à la décentralisation de la COMIBOL.
- d) Le comité souhaite toutefois que les négociations entamées se poursuivent activement et que dans le cas présent, où de nombreux emplois sont menacés, les organisations syndicales soient consultées sur les possibilités de régler les difficultés dans les mines d'étain et participent aux décisions économiques affectant directement les travailleurs dans leur emploi.