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- 105. La plainte de la Confédération uruguayenne des travailleurs est contenue dans une communication en date du 9 octobre 1973 adressée au Directeur général du BIT et elle a été complétée par des informations fournies dans une lettre datée du 5 novembre 1973. Ces communications ont été transmises au gouvernement qui a fait parvenir ses observations le 16 janvier 1974.
- 106. L'Uruguay a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, de même que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. A. Allégations des organisations plaignantes
A. A. Allégations des organisations plaignantes
- 107. Dans sa plainte, la Confédération uruguayenne des travailleurs allègue que le décret no 622/973, promulguant la loi qui réglemente la création et le fonctionnement des syndicats, et notamment les articles 2, 5, 7, 9, 10, 12, 17, 20-24, 26, 29 et 31 de cette loi sont contraires aux termes de la convention (no 87.
108. Le comité a examiné les articles en question et il est d'avis que les dispositions suivantes, notamment, appellent certains commentaires à la lumière des principes et des normes contenus dans la convention.
108. Le comité a examiné les articles en question et il est d'avis que les dispositions suivantes, notamment, appellent certains commentaires à la lumière des principes et des normes contenus dans la convention.- 109. L'article 2 prévoit que seuls les travailleurs qui exercent la même profession ou des professions analogues ou apparentées, ou qui travaillent dans les mêmes établissements, ont le droit d'adhérer à un syndicat. Un syndicat ne peut se constituer s'il ne réunit pas au moins 10 pour cent des travailleurs de la profession ou de l'établissement, le nombre total de ses membres devant être au minimum de 15. Le gouvernement déclare que l'article 2 donne aux travailleurs d'une profession ou d'une entreprise déterminée la possibilité de constituer un ou plusieurs syndicats. Tout en veillant à ce que les syndicats soient l'expression naturelle de la volonté des travailleurs d'être représentés, cet article, selon le gouvernement, garantit une représentation syndicale véritable en évitant l'anarchie qu'entraînerait dans ce domaine l'existence de syndicats de moins de 15 membres, trop faibles de toute façon pour défendre les intérêts de leurs membres.
- 110. En ce qui concerne le nombre minimum de travailleurs requis, le comité note que celui-ci peut être bien supérieur à 15 dans le cas où la profession considérée compte un très grand nombre de travailleurs puisque alors ce minimum n'est pas de 15 personnes, ce qui ne serait pas excessif, mais doit représenter 10 pour cent de tous les travailleurs de la profession. A cet égard, le comité rappelle l'avis qu'il a déjà exprimé, selon lequel la création d'un syndicat peut être considérablement gênée ou même rendue impossible lorsque la législation fixe le nombre minimum des membres d'un syndicat à un niveau manifestement trop élevé et il estime que les dispositions de ce genre ne sont pas conformes aux articles 2 et 11 de la convention no 87.
- 111. L'article 7 de la loi énonce les conditions à remplir pour devenir dirigeant syndical: être âgé de vingt-cinq ans au moins, être de nationalité uruguayenne, exercer depuis trois ans la profession considérée (sauf dans le cas de professions ou d'entreprises nouvelles) et continuer à exercer la profession pendant toute la durée du mandat syndical il est interdit également d'occuper des fonctions syndicales dans plus d'un syndicat et toutes ces fonctions doivent être bénévoles.
- 112. Le gouvernement commente cet article en expliquant que les exigences d'un âge minimum et de trois années d'emploi dans la profession constituent une garantie des capacités, de la maturité et du sens des responsabilités des dirigeants syndicaux dans l'exercice de leurs tâches, ce qui peut également avoir un effet décisif au niveau général de l'économie nationale considérée dans son ensemble. Les autres dispositions, qui interdisent d'occuper un peste de responsabilité dans plus d'un syndicat ou après avoir quitté la profession, sont destinées, selon le gouvernement, à améliorer la vie syndicale en Uruguay et à empêcher la "professionnalisation" de la fonction de dirigeant syndical, qui va à l'encontre des intérêts des syndicats eux-mêmes et qui favorise les infiltrations et les manoeuvres d'agitateurs politiques.
- 113. Le comité a déjà déclaré en de précédentes occasions que, si la législation nationale prévoit que tous les dirigeants syndicaux doivent appartenir à la profession dans laquelle l'organisation exerce son activité, les garanties contenues dans la convention no 87 risquent d'être mises en cause. En effet, dans de tels cas, le licenciement d'un travailleur dirigeant syndical peut, en lui faisant perdre ainsi sa qualité de dirigeant syndical, porter atteinte à la liberté d'action de l'organisation et à son droit d'élire librement ses représentants et, même, favoriser des actes d'ingérence de la part de l'employeur.
- 114. En outre, le comité tient à souligner qu'une disposition qui interdit qu'un dirigeant syndical reçoive une rémunération quelconque, de même que l'obligation faite aux dirigeants syndicaux de continuer à exercer leur profession pendant toute la durée de leur mandat syndical, rend impossible l'exercice à plein temps de fonctions syndicales. Ces dispositions peuvent elles aussi être extrêmement préjudiciables aux intérêts des syndicats, notamment de ceux dont la taille ou l'étendue géographique nécessite un apport considérable de temps de la part de leurs dirigeants. Le comité estime donc que ces dispositions entravent le libre fonctionnement des syndicats et ne sont donc pas conformes aux exigences de l'article 3 de la convention.
- 115. L'article 20 de la loi concerne l'élection des dirigeants syndicaux. Il exige que les membres du syndicat élisent à la fois un comité exécutif et un comité financier, dont les mandats ne pourront être d'une durée inférieure à deux ans ou supérieure à trois ans et les dirigeants syndicaux ne pourront être réélus qu'une seule fois. Chaque membre du syndicat doit obligatoirement participer au vote secret sous peine d'une amende d'un montant équivalant à cinq jours de paie (article 28). Les dirigeants syndicaux sont élus à la majorité simple. Le tribunal électoral de l'Uruguay est chargé de régler et de contrôler toutes les élections syndicales et c'est devant ce tribunal qu'il convient de faire appel en cas de contestation des résultats. Provisoirement, cependant, et jusqu'à ce que le Conseil d'Etat approuve le mandat donné au tribunal électoral, ces fonctions doivent être exercées par le ministère du Travail et de la Sécurité sociale (article 2 du décret).
- 116. Le gouvernement souligne que cet article fournit toutes les garanties nécessaires pour assurer des élections libres et démocratiques. Cette obligation de vote existe aussi dans le pays pour les élections publiques et privées, et permet d'avoir la certitude qu'elles expriment les véritables voeux de la majorité.
- 117. Le comité a souvent attiré l'attention sur le principe établi par l'article 3 de la convention no 87, selon lequel les organisations de travailleurs devraient avoir le droit d'élire librement leurs représentants. A cet égard, il a estimé que des dispositions législatives qui réglementent minutieusement les procédures d'élection interne des syndicats sont incompatibles avec les droits reconnus aux syndicats par la convention. Il a également exprimé l'opinion que c'est aux syndicats eux-mêmes qu'il appartient de se prononcer sur des questions telles que les majorités requises pour l'élection des dirigeants syndicaux et que l'interdiction de la réélection des dirigeants syndicaux n'est pas compatible avec la convention. Le comité considère également qu'une loi qui condamne à des amendes les travailleurs qui ne participent pas aux élections n'est pas en harmonie avec les dispositions de la convention. En outre, le comité est d'avis que le contrôle des élections syndicales, en attendant l'approbation du mandat donné au tribunal électoral, devrait être confié aux autorités judiciaires. Le comité a indiqué que les principes établis par l'article 3 de la convention n'interdisent pas le contrôle des décisions de gestion interne du syndicat lorsque celles-ci constituent une infraction à des dispositions législatives ou réglementaires. Cependant, le contrôle devrait être exercé par l'autorité judiciaire compétente de façon à garantir l'impartialité et l'objectivité de la procédure.
- 118. L'organisation plaignante proteste contre les articles 9, 23 et 31, ainsi que contre les articles 17 et 26 auxquels ils se réfèrent. L'article 17 prévoit, notamment:
- "17. Il est spécialement interdit aux syndicats:
- A) d'intervenir directement ou indirectement dans des questions politiques et religieuses, ou dans des activités contraires à notre système démocratique républicain;
- ......................................................................................................................................................
- C) de porter atteinte à la liberté syndicale ou de recourir à la violence physique ou morale contre les travailleurs, affiliés ou non, au mépris du droit fondamental à la liberté du travail consacré dans l'article 36 de la Constitution de la République;
- D) de compromettre l'harmonie sociale en incitant à la lutte des classes."
- Et l'article 26 déclare, entre autres:
- "26. Les syndicats, fédérations et confédérations, selon le cas, seront dissous et leur enregistrement annulé:
- ......................................................................................................................................................
- C) s'ils violent des dispositions et interdictions imposées par l'article 17 de la présente loi;
- D) s'ils participent à des activités antinationales ou contraires à la sécurité de l'Etat ou sont intervenus dans d'autres actes délictueux."
- 119. Les dispositions des articles 9, 23 et 31 se référent aux articles 17 et 26 dans les termes suivants: l'article 9 prévoit qu'un membre d'un syndicat ayant contrevenu aux dispositions de l'article 17 (C) peut être expulsé du syndicat par un vote des deux tiers des membres du comité exécutif. L'article 23 déclare que les syndicats et les fédérations ou confédérations nationales n'ont pas le droit de nouer des liens avec des fédérations ou des confédérations internationales qui, par leurs actes, violent les normes établies dans les articles 17 et 26 de la loi ou de prendre des engagements à leur égard; dans de tels cas, leur enregistrement sera annulé. L'article 31 demande à tous les syndicats d'expulser ceux de leurs membres qui auraient enfreint les dispositions des articles 17 (C) ou 26 (D). A ce propos, mais en termes plus généraux, l'article 29, contre lequel s'élève également l'organisation plaignante, prévoit que les syndicats qui transgressent l'une quelconque des dispositions de la loi seront condamnés à des peines d'amende prononcées par le ministère du Travail et de la Sécurité sociale.
- 120. Le gouvernement déclare que les interdictions énoncées dans les articles 17 et 26 ne portent atteinte en aucune façon aux droits syndicaux mais que, bien au contraire, elles les protègent en délimitant clairement le domaine dans lequel ces droits doivent s'exercer et en définissant les tâches spécifiques des syndicats conformément aux termes mêmes de la convention no 87. Il ajoute que les articles 23, 24 et 26 imposent aux fédérations et aux confédérations les mêmes normes qu'aux simples syndicats, et interdisent aux fédérations de maintenir des liens avec les fédérations ou confédérations internationales qui participent à des activités antinationales ou contraires à la sécurité de l'Etat ou qui interviennent dans d'autres actes délictueux. Il est naturel, déclare le gouvernement, qu'un Etat qui est soucieux d'assurer la sécurité et la liberté d'action des syndicats défende de la même manière sa propre sécurité et sa propre liberté d'action.
- 121. Le comité note que certaines de ces dispositions posent des problèmes liés au droit des syndicats d'organiser leurs activités, et notamment leurs activités politiques, et de s'affilier à des organisations internationales de travailleurs. Une interdiction générale de toute activité politique ne semble pas compatible avec les principes et les garanties établis par la convention ni très réaliste du point de vue des possibilités d'application pratique. Ainsi, les syndicats peuvent souhaiter exposer au grand jour leur position sur des questions de politique économique et sociale qui affectent leurs membres. En ce qui concerne le droit des syndicats de s'affilier à des fédérations ou à des confédérations internationales, il est clairement établi dans l'article 5 de la convention. En ce qui concerne les articles 17 (A) (interdiction générale de toute activité politique), 17 (D) (atteinte à l'harmonie sociale en incitant à la lutte des classes) et 26 (C) et (D) (dissolution des syndicats pour violation de l'article 17 ou pour participation à des activités antinationales), le comité est d'avis que ces dispositions peuvent soulever des difficultés en raison du fait que l'interprétation qui leur est donnée en pratique peut changer à tout moment et restreindre considérablement la possibilité d'action des organisations syndicales. Ainsi, des dispositions telles que celles qui interdisent "de compromettre l'harmonie sociale en incitant à la lutte des classes" et "de participer à des activités antinationales" ne fournissent aucun critère précis sur lequel une éventuelle décision judiciaire puisse se fonder. En ce qui concerne plus particulièrement les activités politiques, le comité a souvent déclaré par le passé que les Etats devraient pouvoir, sans pour autant interdire de manière générale toute activité politique aux organisations professionnelles, laisser aux autorités judiciaires le soin de réprimer les abus qui pourraient, le cas échéant, être commis par des organisations qui auraient perdu de vue leur objectif fondamental, qui doit être le progrès économique et social de leurs membres.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 122. Compte tenu de toutes ces circonstances, le comité recommande au Conseil d'administration d'attirer l'attention du gouvernement sur les principes et les considérations exprimés aux paragraphes 110, 113, 114, 117 et 121 en vue d'introduire dans la législation les amendements nécessaires et d'attirer l'attention de la commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations sur ce cas à l'occasion de l'examen des rapports présentés par le gouvernement au titre de l'article 22 de la Constitution de l'OIT.