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- 20. La plainte figure dans une communication en date du 18 mai 1967, adressée à l'O.I.T par le Congrès des syndicats canadiens. Le texte en a été communiqué au gouvernement par une lettre en date du 13 juin 1967.
- 21. Le gouvernement a fait part de ses observations dans une communication en date du 26 janvier 1968.
- 22. Le Canada n'a ratifié ni la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ni la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. A. Allégations des organisations plaignantes
A. A. Allégations des organisations plaignantes
- 23. Les plaignants allèguent que la promulgation de deux textes de loi, l'un dans la province de la Saskatchewan, l'autre dans celle de Terre-Neuve, menace directement la liberté syndicale des travailleurs de certaines branches d'activité et que l'adoption desdites dispositions est contraire aux principes de la Déclaration de Philadelphie et incompatible avec la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948.
- Allégations relatives à la loi d'urgence de 1966 sur les services essentiels (Saskatchewan)
- 24. Les plaignants allèguent que le Syndicat des travailleurs du pétrole, de l'industrie chimique et des installations atomiques, affilié au Congrès des syndicats canadiens, est l'agent agréé de négociation pour les travailleurs du gaz et pour les employés de bureau de la Saskatchewan Power Corporation, compagnie qui appartient au gouvernement. Selon les plaignants, au bout de six mois de négociations infructueuses, lesdits employés se sont mis en grève le 2 septembre 1966, après avoir rempli toutes les formalités légales. Le Premier ministre, poursuivent-ils, a convoqué une session spéciale de l'Assemblée législative pour faire adopter la loi d'urgence de 1966 sur les services essentiels.
- 25. Les plaignants citent le texte de l'article 3 de ladite loi, selon lequel le lieutenant gouverneur siégeant en Conseil peut, dans les circonstances définies par cet article et en ce qui concerne certains conflits, déclarer par proclamation que les procédures établies par la loi d'urgence remplaceront toutes les autres procédures et mesures prévues pour la solution desdits conflits. Les plaignants relèvent que, cette proclamation faite, on ne peut ni déclarer la grève ni poursuivre un mouvement de grève, le conflit devant être soumis à l'arbitrage obligatoire. Si, de l'avis du lieutenant-gouverneur siégeant en Conseil, le syndicat ou l'un quelconque de ses agents n'a pas fait alors tout ce qui est raisonnablement en son pouvoir pour mettre fin à la grève, le certificat d'enregistrement autorisant le syndicat à agir en qualité d'organe de négociation peut être suspendu pour une période de douze mois.
- 26. Les plaignants déclarent que, dès la promulgation de la loi, les travailleurs de la Saskatchewan Power Corporation ont repris le travail et se sont soumis à l'arbitrage obligatoire.
- 27. Dans sa réponse du 26 janvier 1968, le gouvernement du Canada transmet les informations et les observations du gouvernement de la Saskatchewan sur cet aspect de la plainte, ainsi que le texte des dispositions législatives pertinentes.
- 28. D'après les informations transmises par le gouvernement, il ressort, pour l'essentiel, que la convention collective en vigueur entre le Syndicat international des travailleurs du pétrole, de l'industrie chimique et des installations atomiques, d'une part, et la Saskatchewan Power Corporation, d'autre part, est arrivée à échéance le 31 mai 1966. Afin de conclure une nouvelle convention, les parties se sont réunies vingt-sept fois entre mars et septembre 1966. L'employeur proposait un relèvement des salaires de 4,5 pour cent tandis que le syndicat demandait une augmentation de 8 pour cent. Au début du mois d'août 1966, les négociations avaient abouti à une impasse. Le 2 septembre, mille trois cent soixante et un travailleurs quittèrent leur travail pour commencer la grève déclarée par le syndicat. Le Premier ministre de la Saskatchewan convoqua une session extraordinaire de l'Assemblée législative, et celle-ci adopta la loi d'urgence sur les services essentiels, qui fut promulguée le 8 septembre 1966. Le jour suivant, le Premier ministre proposa au syndicat une augmentation de salaire de 6 pour cent, qui fut refusée. Le 12 septembre, le gouverneur signa la proclamation qui remplaçait toutes les mesures ordinaires pour résoudre le conflit par les procédures d'urgence prévues par la nouvelle loi. Conformément aux dispositions de celle-ci, les grévistes reprirent le travail le jour même. Toujours aux termes de la même loi, un conseil d'arbitrage présidé par un juge fut constitué en octobre 1966. En mai 1967, le conseil rendit sa sentence, selon laquelle une augmentation générale de salaire de 5 pour cent était accordée à partir du 1er octobre 1966. Il concédait également une augmentation de 3 pour cent avec effet rétroactif à partir du 1er juin 1966.
- 29. Dans ses observations, le ministre du Travail de la Saskatchewan fait remarquer que la loi d'urgence de 1966 sur les services essentiels n'a qu'une portée limitée, car elle s'applique:
- a) aux travailleurs assurant le fonctionnement de tout système, installation ou équipement, destiné à la collectivité ou à une partie de celle-ci, pour la distribution d'eau, le chauffage, la fourniture d'électricité ou de gaz;
- b) aux travailleurs assurant le fonctionnement de services hospitaliers en un point quelconque de la province.
- 30. Le ministre signale aussi que l'hiver, dans la Saskatchewan, se caractérise par de longues périodes de froid intense. De ce fait, l'interruption des services susmentionnés peut avoir des conséquences tragiques. Les services hospitaliers revêtent également une importance vitale. Ce sont là les raisons pour lesquelles le gouvernement de la province a estimé nécessaire d'empêcher que des arrêts du travail ne viennent mettre gravement en danger la sécurité et la santé publique. D'autre part, les dispositions de la loi ne sont applicables que lorsque le Cabinet a décidé que la grève en cause a créé un état d'urgence. Il faut souligner - poursuit le ministre - que l'Assemblée fut convoquée pour se prononcer au sujet de la loi après plusieurs jours de grève dans l'usine d'électricité et de gaz la plus importante de la province.
- 31. Le comité remarque que la question soulevée se réfère, pour l'essentiel, à la promulgation de dispositions législatives qui restreignent le droit de grève dans certains services essentiels expressément désignés. Par conséquent, il estime qu'il convient d'examiner le cas à la lumière des principes qu'il a soutenus par le passé dans des occasions analogues.
- 32. Le comité a toujours affirmé que les allégations relatives à l'exercice du droit de grève n'échappent pas à sa compétence dans la mesure où elles affectent l'exercice des droits syndicaux. Il a indiqué également, dans de nombreux cas, que le droit de grève est normalement reconnu aux travailleurs et à leurs organisations comme moyen légitime de défense de leurs intérêts professionnels.
- 33. A cet égard, le comité a souligné l'importance qu'il attache, lorsque les grèves sont interdites ou soumises à des restrictions dans les services essentiels, à ce que soient établies des garanties suffisantes pour protéger les intérêts des travailleurs qui se trouvent ainsi privés d'un moyen fondamental de défendre leurs intérêts professionnels; en outre, il a déjà signalé qu'à ces restrictions devraient correspondre des procédures appropriées, impartiales et rapides de conciliation et d'arbitrage, à toutes les étapes desquelles les intéressés doivent pouvoir participer, les sentences arbitrales rendues ayant dans tous les cas force obligatoire pour les deux parties.
- 34. Or les informations fournies par les plaignants et par le gouvernement font apparaître que les dispositions de la loi d'urgence de 1966 de la Saskatchewan, établissant, entre autres mesures, l'arbitrage obligatoire et la suspension du droit de grève, s'appliquent aux conflits du travail qui surgissent dans certains secteurs définis limitativement, soit les services chargés de fournir à la collectivité eau, chauffage et gaz, ainsi qu'aux services hospitaliers, et cela non pas automatiquement, mais seulement une fois proclamé l'état d'urgence. Cette proclamation, pour sa part, est soumise à la condition que, de l'avis du lieutenant-gouverneur siégeant en Conseil de Cabinet, la vie, la santé ou la propriété des habitants se trouvent en danger (article 3 de la loi). Il se dégage aussi du texte de loi fourni par les plaignants que chacune des parties au conflit a le droit de désigner un membre du conseil d'arbitrage, les deux personnes ainsi nommées devant ensuite élire le troisième membre, qui sera un magistrat de l'ordre judiciaire. D'autre part, la sentence rendue par le conseil aura force obligatoire pour les deux parties (article 4). Ces dispositions ne semblent pas contraires au principe mentionné au paragraphe précédent.
- 35. Il ressort enfin des informations transmises par le gouvernement que le conflit au sein de la Saskatchewan Power Corporation, auquel les plaignants se réfèrent dans ce cas concret, a été résolu en mai 1967 par l'application de la procédure d'arbitrage décrite ci-dessus.
- 36. Dans ces conditions, pour les raisons indiquées aux paragraphes 31 à 35, le comité recommande au Conseil d'administration de décider que cet aspect du cas n'appelle pas de sa part un examen plus approfondi.
- Allégations relatives à la loi sur les conditions d'emploi du personnel des hôpitaux (Terre-Neuve), 1966-67
- 37. En second lieu, les plaignants déclarent qu'au printemps de 1966 le Syndicat canadien du personnel des entreprises publiques a organisé le personnel de l'hôpital central de Terre-Neuve, à Grand Falls, et que sa qualité d'agent de négociation a été reconnue en juillet 1966. Des négociations avec la Société de l'hôpital central de Terre-Neuve ont commencé en septembre de la même année et un accord est intervenu sur tous les points, sauf sur les aspects financiers et les questions de sécurité sociale. Le conseil de conciliation nommé aux termes de la loi sur les relations de travail présenta en décembre 1966 un rapport que les deux parties acceptèrent.
- 38. Pour pouvoir appliquer les décisions relatives aux augmentations de salaire, la société aurait demandé au Département de la santé de Terre-Neuve d'approuver une révision de son budget. Comme cette approbation n'était pas donnée, déclarent les plaignants, la section locale no 990 du Syndicat canadien du personnel des entreprises publiques procéda à un vote sur la question de la grève, fixant pour limite la date du 27 janvier 1967. Le 23 janvier, l'« état d'urgence » fut proclamé conformément à l'article 39 A de la loi sur les relations de travail et l'on déclara applicables les procédures d'urgence prévues dans ledit article. Le 24 janvier, la majorité du personnel de l'hôpital quitta son travail. Le 27 du même mois, l'Assemblée de Terre-Neuve adopta la loi sur les conditions d'emploi du personnel des hôpitaux, 1966-67. Les plaignants déclarent que ladite loi interdit la grève et le lock-out ainsi que tout ralentissement, restriction et limitation du travail dans les hôpitaux, asiles de vieillards, maternités et institutions similaires. Par conséquent, tous les employés de l'hôpital qui se trouvaient en grève durent reprendre le travail dans les soixante-douze heures, sous peine de sanctions applicables à la section locale et au syndicat lui-même, aux termes de la loi en question.
- 39. D'après les informations et les observations du gouvernement de Terre-Neuve, transmises par le gouvernement du Canada, il ressort, pour l'essentiel, que des négociations ont commencé en août 1966 en vue de conclure une convention collective entre la section locale no 990 du Syndicat canadien du personnel des entreprises publiques et la Société de l'hôpital central de Terre-Neuve. En novembre de la même année, à la demande du syndicat, un conseil de conciliation fut constitué et, dans le courant du mois, le gouverneur de Terre-Neuve, en son discours du trône, annonça que les ministres souhaitaient augmenter les salaires des infirmiers et de certains autres travailleurs des hôpitaux, ainsi que réduire la durée du travail hebdomadaire dans des établissements hospitaliers déterminés.
- 40. En janvier 1967, la Société de l'hôpital fit savoir qu'elle n'était pas en mesure d'appliquer les recommandations du conseil de conciliation. Le syndicat, qui les avait acceptées, vota un ordre de grève le 20 janvier 1967. Le 23, le gouverneur proclama l'état d'urgence dans la région de l'hôpital et ordonna d'appliquer à la solution du conflit, au lieu des dispositions et des procédures ordinaires, les procédures d'urgence établies à l'article 39 A de la loi sur les relations de travail. La proclamation fut notifiée le jour même au syndicat. Simultanément, celui-ci était informé de la désignation d'un conseil d'arbitrage dont les recommandations auraient force obligatoire pour les deux parties. Toujours selon ces informations de source gouvernementale, le syndicat aurait donné l'ordre de grève le 24 janvier, « en violation consciente et flagrante de la loi ». Le 27 janvier, la loi sur les conditions d'emploi du personnel des hôpitaux et l'amendement à la loi sur les relations de travail, 1966-67, étaient promulgués (d'après le texte de cet amendement, fourni par le gouvernement, il s'agissait d'une dérogation à l'article 39 A de la loi de Terre-Neuve sur les relations de travail, article qui prévoyait, après proclamation de l'état d'urgence, l'interdiction de la grève et l'arbitrage obligatoire dans les conflits du travail interrompant ou menaçant d'interrompre les services hospitaliers).
- 41. Dans leurs commentaires, les autorités de Terre-Neuve insistent sur l'illégalité de la grève déclarée par le syndicat et sur le fait que le gouvernement devait tenir compte de la situation des malades. Au moment où s'est produite cette grève illégale, poursuivent-elles, la loi de la province de Terre-Neuve contenait des dispositions pour le règlement des différends du travail dans les établissements hospitaliers, procédure qui prévoyait l'arbitrage légal et obligatoire.
- 42. Le comité se réfère de nouveau aux principes énoncés aux paragraphes 32 et 33 et prend note que, selon les informations du gouvernement, le conflit entre l'hôpital central de Terre-Neuve et le syndicat qui groupe son personnel a été résolu par la conclusion d'une convention collective.
- 43. Cependant, il estime nécessaire de relever que la loi (le la province de Terre-Neuve, sur les conditions d'emploi du personnel des hôpitaux, 1966-671, dispose que, dès son entrée en vigueur, le lock-out et les grèves seront interdits dans les hôpitaux (article 5). Ladite loi n'établit pas de procédure pour le règlement des conflits qui pourraient surgir dans ces établissements, comme le faisait l'article 39 A de la loi sur les relations de travail, lequel autorisait à interdire la grève après proclamation de l'état d'urgence et prévoyait un arbitrage ayant force obligatoire pour les deux parties. La loi sur les relations de travail contient des dispositions sur la conciliation, mais elle ne semble rien prévoir poux la solution des conflits lorsque, dans les activités où la grève a été interdite, les parties ne se sont pas mises d'accord au moyen de la procédure de conciliation.
- 44. Par conséquent, afin de pouvoir formuler ses conclusions en toute connaissance de cause, le comité recommande au Conseil d'administration de prier le gouvernement de bien vouloir préciser si, étant donné l'interdiction de la grève dans les hôpitaux, la législation de Terre-Neuve ou les conventions collectives prévoient, pour la solution des conflits du travail dans ces établissements, d'autres procédures qui offrent toutes les garanties auxquelles se réfère le principe énoncé au paragraphe 33.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 45. Dans ces conditions, en ce qui concerne le cas dans son ensemble, le comité recommande au Conseil d'administration:
- a) en ce qui concerne les allégations relatives à la loi d'urgence de 1966 sur les services essentiels (Saskatchewan), de décider, pour les motifs exposés aux paragraphes 31 à 35, que lesdites allégations n'appellent pas de sa part un examen plus approfondi;
- b) en ce qui concerne les allégations relatives à la loi de 1966-67 sur les conditions d'emploi du personnel hospitalier (Terre-Neuve), de prier le gouvernement de bien vouloir fournir l'information demandée au paragraphe 44;
- c) de prendre note du présent rapport intérimaire, étant entendu que le comité fera de nouveau rapport lorsqu'il sera en possession de l'information complémentaire sollicitée du gouvernement.
- Genève, 29 mai 1968. Roberto AGO, président.