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- 168. Le 5 février 1958, la Confédération internationale des syndicats chrétiens a adressé une lettre au Directeur général du B.I.T contenant des allégations selon lesquelles il aurait été porté atteinte à l'exercice des droits syndicaux, en Argentine, à l'occasion de la grève des banques qui a eu lieu aux mois de février et mars 1958. Cette plainte a été communiquée au gouvernement le 17 février 1958.
- 169. En date du 30 janvier 1958, l'organisation appelée Action syndicale argentine (A.S.A.) a présenté une série d'allégations relatives à cette même grève, allégations qui ont été communiquées au gouvernement le 21 février 1958. L'Action syndicale argentine a complété sa plainte par une lettre en date du 16 mars 1958.
- 170. Le 3 mars 1958, l'Internationale du personnel des postes, télégraphes et téléphones a présenté une volumineuse documentation contenant des allégations selon lesquelles il aurait été porté atteinte à l'exercice des droits syndicaux à l'occasion des conflits qui ont éclaté dans les professions de télégraphiste et téléphoniste au cours des mois de septembre, octobre et novembre 1957. Cette plainte a été communiquée au gouvernement par une lettre en date du 7 mars 1958.
- 171. Par une communication en date du 22 octobre 1958, le gouvernement de la République argentine a présenté ses observations sur les diverses plaintes qui lui avaient été communiquées.
Grève du personnel des téléphones et télégraphes
Grève du personnel des téléphones et télégraphes- 172. A la date du 3 mars 1958, l'Internationale du personnel des postes, télégraphes et téléphones a envoyé une vaste documentation consistant en des rapports établis par diverses organisations syndicales concernant les circonstances qui ont amené la grève et les mesures impliquant les violations des droits syndicaux qui auraient été prises à cette occasion il est allégué que, lors du conflit affectant le personnel des postes et des télégraphes qui a éclaté en septembre 1957, les syndicats se virent retirer leur personnalité juridique et que, même lorsque le conflit fut terminé et que les syndicats eurent recouvré leur personnalité juridique, les employeurs ont continué à refuser toute sorte d'audience aux dirigeants syndicaux.
- 173. Parmi les rapports contenus dans la documentation, celui de l'Association argentine des télégraphistes, radiotélégraphistes et professions connexes (A.A.T.R.A) allègue que le syndicat avait demandé une augmentation massive des salaires et était entré en négociation avec les employeurs, constitués par des autorités publiques et par des entreprises privées. Devant l'attitude négative du côté patronal, le syndicat a décidé que les employés cesseraient « la collaboration extraordinaire » qu'ils apportaient jusque-là et que, dorénavant, ils accompliraient leur travail selon la loi sur les télégraphes (décret 14324/46). Etant donné que cette méthode de travail provoquait d'importants retards dans le service, elle fut déclarée illégale par le ministère du Travail et de la Prévoyance sociale. De même, une mesure fut prise pour augmenter le nombre de mots que devraient recevoir et transmettre les télégraphistes. Cette mesure ne fut pas respectée par le syndicat pour la raison qu'il serait impossible de s'y conformer, à la suite de quoi le président et le secrétaire de l'organisation furent inculpés du délit prévu par l'article 230, paragraphes 2 et 20, du Code pénal. En signe de protestation, le personnel eut recours à des grèves partielles, qui furent déclarées illégales en vertu de l'article 8 du décret 10796/57. De même, par une décision du directeur national du Travail et de la Prévoyance sociale, la personnalité syndicale de l'association a été suspendue, de telle sorte que toute action à l'égard des autorités lui fut rendue impossible. On en vint finalement à déclarer la grève générale, qui se termina le 26 septembre 1957 après avoir duré quarante jours.
- 174. Dans un autre des rapports contenus dans la documentation, celui de la Fédération des ouvriers et employés de la République argentine (F.O.E.T.R.A), il est déclaré qu'après que les grèves partielles eurent été déclarées illégales, le 11 septembre 1957, les employés furent délogés de leurs bureaux, qui furent occupés par l'armée. Environ cent quatre-vingts dirigeants et délégués auraient été arrêtés le 18 septembre sur dénonciation de l'entreprise; ceux qui ne furent pas arrêtés furent l'objet d'une surveillance policière dans leur domicile pendant une semaine. Le juge qui connut de l'affaire rapporta, au bout de trois jours, qu'il n'existait aucun motif à leur détention. Ces arrestations eurent comme conséquence la déclaration de la grève générale, la personnalité syndicale de la F.O.E.T.R.A ayant été suspendue. Le rapport signale que de nombreuses arrestations des syndicalistes les plus actifs continuèrent de se produire. La personnalité syndicale ayant été retirée au syndicat, celui-ci put seulement négocier de manière extra-officielle avec l'entreprise, la tenue d'assemblées de ses adhérents lui étant aussi interdite. Enfin, par l'effet des persécutions policières et acculés par la faim, les employés des téléphones décidèrent de reprendre le travail à la date du 7 novembre 1957.
- 175. Dans une communication du 22 octobre 1958, le gouvernement, après avoir présenté certaines considérations générales sur la situation régnant dans le pays à cette époque (voir paragraphe 197 ci-dessous) déclare qu'en ce qui concerne les allégations formulées dans le rapport de l'A.A.T.R.A, aucune preuve n'existe quant à la prohibition d'une assemblée de ce syndicat à la fin d'août 1957, étant donné qu'il s'était agi d'une procédure d'exception. Le gouvernement déclare que la poursuite judiciaire du président et du secrétaire de l'A.A.T.R.A fut fondée sur ce qu'expose la résolution no 104, suspendant l'inscription syndicale de l'Association. Le gouvernement reconnaît que les grèves effectuées par les travailleurs furent déclarées illégales et fait observer que la grève générale s'est terminée le 24 octobre en raison de l'approbation imminente par le pouvoir exécutif de la nouvelle échelle des salaires, ainsi que par l'adoption d'autres mesures favorables au personnel. En ce qui concerne le différend intéressant le personnel des téléphones, le gouvernement signale que les arrestations opérées le 18 septembre furent ordonnées sur la demande du directeur de l'Entreprise nationale des télécommunications. Le juge saisi de l'affaire mit en liberté les personnes arrêtées au bout de trois jours. La note fait allusion à l'origine du différend, provoqué par des demandes d'augmentation de salaires de la part des travailleurs, ainsi qu'au développement du conflit, au cours duquel se produisirent des grèves partielles qui se transformèrent en une grève générale. La situation anormale s'est étendue du 27 août au 7 septembre 1957, moment auquel la grève se termina à la suite des améliorations obtenues.
- Allégations relatives à l'illégalité de la grève
- 176. La plainte et les observations du gouvernement font ressortir que les grèves du personnel des télégraphes et téléphones furent déclarées illégales. Les exposés des motifs des décrets en cause (nos 11090/57 et 10882/57) font allusion au décret-loi 879/57 en vertu duquel les conflits du travail dans les entreprises étatiques doivent être portés devant les ministères intéressés. Les articles 2 et 3 du décret-loi 879 disposent que, si les parties en conflit ne parviennent pas à un accord direct, ce conflit sera réglé par le pouvoir exécutif, après audition préalable du ministère du Travail. Avant de porter l'affaire devant le pouvoir exécutif, les parties peuvent présenter un mémoire exposant leurs droits.
- 177. Les exposés des motifs des décrets 11090 et 10822 ajoutent aussi, comme motifs pour déclarer l'illégalité des grèves, «la nécessité de rétablir le fonctionnement normal du service public ».
- 178. Ainsi que le Comité l'a constaté à plusieurs reprises, le droit de grève est normalement reconnu aux travailleurs et à leurs organisations comme moyen légitime de défense de leurs intérêts professionnels. Comme le Comité l'a constaté à propos de divers cas, ce principe général souffre des restrictions, soit dans les services essentiels, soit dans la fonction publique. A l'égard de tels cas, le Comité a signalé l'importance qu'il attache à l'existence de procédures susceptibles de garantir la solution pacifique de conflits de cet ordre, de telle sorte que les travailleurs qui se voient privés du moyen essentiel de défense de leurs intérêts professionnels que constitue la grève légale puissent compter sur des garanties appropriées.
- 179. En ce qui concerne la nature de ces garanties appropriées, le Comité, dans le cas no 60 (Japon), est parvenu à la conclusion que des allégations sur le refus du droit de grève n'appelaient pas un examen plus approfondi, après avoir observé qu'il se trouvait assorti de « certaines garanties destinées à sauvegarder les intérêts des travailleurs: interdiction correspondante du droit de lock-out, établissement d'une procédure paritaire de conciliation et, seulement lorsque ces méthodes de conciliation échouent, institution d'une procédure paritaire d'arbitrage». En ce qui concerne les caractères d'un tel système, le Comité a signalé que la limitation du droit de grève « devrait s'accompagner de procédures de conciliation et d'arbitrage appropriées, impartiales et expéditives, aux diverses étapes desquelles les intéressés devraient pouvoir participer».
- 180. Compte tenu du fait que, selon le décret 879/57, c'est le pouvoir exécutif qui a la charge de résoudre, en définitive, les conflits survenus dans les entreprises de l'Etat, le Comité voudra sans doute considérer que les conditions énumérées aux paragraphes précédents ne se trouvent probablement pas pleinement réunies dans le cas présent. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration de signaler au gouvernement argentin qu'il conviendrait d'envisager la possibilité de porter à un niveau plus satisfaisant le système en vigueur pour la solution des conflits dans les entreprises étatiques et de garantir les procédures de conciliation et d'arbitrage appropriées, impartiales et expéditives aux diverses étapes desquelles les intéressés devraient pouvoir participer.
- Allégations relatives à la suspension de l'inscription syndicale
- 181. Ainsi que l'indiquent les plaignants et la documentation adressée par le gouvernement, les inscriptions syndicales de l'A.A.T.R.A et de la F.O.E.T.R.A ont été suspendues en vertu des décisions nos 104 et 105 du directeur national du Travail et de la Prévoyance sociale. Il ressort de l'exposé des motifs des deux décrets que ces mesures furent prises en raison de la violation par les organisations syndicales de l'article 28 du décret no 9270 de 1956. L'exposé des motifs de la décision no 104 indique que l'A.A.T.R.A a refusé de se conformer au décret-loi 10774/57; les considérants de la décision no 105 indiquent que la F.O.E.T.R.A a passé outre aux remontrances et aux dispositions prises par le ministère du Travail, perturbant gravement le fonctionnement d'un service public. Ces deux décisions furent annulées postérieurement, comme l'indique la documentation adressée par le gouvernement.
- 182. Le Comité a observé que l'article 28 du décret-loi 9270/56 dispose:
- Le ministère du Travail et de la Prévoyance sociale, ou l'autorité qui agit en son nom, pourra suspendre ou déclarer sans effet l'inscription d'une association professionnelle, fédération ou confédération de travailleurs pour violation des dispositions légales ou statutaires. L'association professionnelle, fédération ou confédération intéressée, pourra exercer un recours devant l'autorité judiciaire compétente à l'encontre de la mesure suspendant ou déclarant sans effet son inscription.
- 183. Le Comité a observé également qu'en vertu de l'article 16 du décret-loi 9270/56, les syndicats inscrits jouissaient des droits suivants: représenter les intérêts professionnels collectifs ou individuels de leurs associés devant l'Etat, les employeurs et les tribunaux; participer à des négociations collectives; imposer des cotisations à leurs adhérents; tenir des réunions et des assemblées dans un local privé, sans autorisation préalable, etc.
- 184. Le Comité a constaté que les organisations professionnelles inscrites jouissaient des principaux droits syndicaux. Il en résultait qu'une fois leur inscription suspendue, les syndicats perdaient leurs droits et ne pouvaient plus exercer les fonctions appropriées d'une organisation syndicale. Dans le cas présent, précisément, il est allégué, d'une part, qu'en raison de l'application d'une telle mesure, la F.O.E.T.R.A n'a pu tenir une assemblée de ses adhérents et, d'autre part, que l'employeur a refusé d'avoir des entrevues officielles avec les dirigeants de cette fédération.
- 185. Le Comité a observé, en ce qui concerne ces deux allégations: a) qu'il a signalé à propos de divers cas que «le droit des syndicats d'organiser librement des réunions dans leurs propres locaux, sans nécessité d'une autorisation préalable et sans contrôle de la part des autorités publiques, constitue un élément fondamental de la liberté syndicale »; b) qu'« il a fait ressortir l'importance qu'il attache aux principes selon lesquels les employeurs, y compris les autorités gouvernementales agissant en tant qu'employeurs, devaient reconnaître, aux fins de négociations collectives, les organisations représentatives des travailleurs intéressés ».
- 186. En ce qui concerne la suspension de l'inscription syndicale, mesure dont la gravité pratique a pu être constatée dans le cas présent, le Comité, en examinant le cas no 11 (Brésil) dans son sixième rapport, était parvenu, au paragraphe 64, à la conclusion suivante: estimant qu'un principe généralement accepté exige que la suspension ou la dissolution d'une organisation d'employeurs ou de travailleurs ne soit prononcée que par les tribunaux, le Comité, tout en notant que, dans le cas considéré, en définitive, la dissolution avait été prononcée par le tribunal compétent, recommandait au Conseil d'administration d'attirer l'attention du gouvernement sur le fait que, dans le cas où des mesures de suspension sont prises par une autorité administrative, il pourrait y avoir un danger que ces mesures ne paraissent être arbitraires, même si elles sont provisoires et limitées dans le temps et si elles sont suivies d'une action judiciaire. Dans ce dernier cas, en accord avec la législation en vigueur, la mesure administrative n'avait qu'un caractère préalable, enjoignant au ministère public de requérir la dissolution de l'organisation syndicale par le tribunal compétent; dans le cas présent, toutefois, conformément aux dispositions légales précitées, il appartenait au syndicat intéressé d'attaquer en justice la décision qui suspendait son inscription.
- 187. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration de signaler au gouvernement l'importance qu'il attache au droit de réunion et au principe de la reconnaissance, aux fins de négociations collectives, des organisations représentatives de travailleurs, et d'appeler son attention sur le danger que comporte la suspension d'un syndicat par mesure administrative, ce qui est contraire à l'un des principes fondamentaux de la liberté syndicale.
- Allégations relatives à la poursuite en justice de syndicalistes
- 188. Le rapport de l'A.A.T.R.A allègue que le président et le secrétaire de l'organisation furent arrêtés sous l'inculpation du délit prévu à l'article 230, paragraphes 2 et 20, du Code pénal, et le gouvernement signale dans sa réponse que la poursuite des deux dirigeants syndicaux était fondée sur ce qui est dit dans la résolution no 104 du directeur national du Travail et de la Prévoyance sociale.
- 189. Comme l'indique l'exposé des motifs de cette résolution no 104, l'A.A.T.R.A avait établi des circulaires dans lesquelles elle rejetait la modification apportée au décret 14954/46 (loi sur les télégraphes) par le décret-loi 10774/57, et décidait, en retour, de travailler dorénavant conformément au texte primitif de cette loi sur les télégraphes. Le Comité a remarqué également que le rapport de l'A.A.T.R.A indique que le syndicat avait décidé de ne pas reconnaître le décret 10774/57, « en raison de l'impossibilité de s'y conformer ». L'exposé des motifs de la résolution no 104 affirme que l'attitude adoptée par l'A.A.T.R.A impliquait une méconnaissance et une révolte totales à l'égard de dispositions de caractère légal prises par l'autorité compétente.
- 190. L'article 230 du Code pénal, qui fait partie du chapitre consacré à la «sédition», dispose à cet égard:
- Seront punis d'un emprisonnement d'un mois à deux ans:
- ......................................................................................................................................................
- 2) ceux qui se révolteront publiquement pour entraver l'exécution des lois nationales ou provinciales ou des décisions des fonctionnaires publics, nationaux ou provinciaux, à moins que ce fait ne constitue un délit plus sévèrement réprimé par le présent Code.
- L'article 20 concerne seulement l'incapacité spéciale qui peut frapper les personnes condamnées pour certains délits.
- 191. Le Comité a remarqué que l'issue du procès intenté aux deux dirigeants syndicaux ne ressort pas de la documentation dont il dispose.
- 192. Le Comité a toujours eu pour usage de ne pas procéder à l'examen de questions faisant l'objet ou dépendant d'actions judiciaires, à condition que ces actions soient assorties des garanties appropriées de légalité, étant donné que l'instance judiciaire en cours est susceptible de fournir des indications pouvant aider le Comité dans l'appréciation du bien-fondé des arguments présentés. Dans ces conditions, étant donné qu'il peut exister un procès en cours à l'encontre des deux dirigeants syndicaux, le Comité a ajourné la poursuite de l'examen de cet aspect du cas et demandé au Directeur général de bien vouloir solliciter du gouvernement argentin des informations relatives aux résultats des actions judiciaires.
- Allégations relatives à la détention de syndicalistes
- 193. Le rapport de la F.O.E.T.R.A allègue qu'environ cent quatre-vingt dirigeants et délégués syndicaux furent arrêtés le 18 septembre 1957 sur dénonciation de l'employeur; ceux qui ne furent pas arrêtés firent l'objet d'une surveillance policière à leur domicile pendant une semaine. Le juge qui eut à connaître de ces arrestations a conclu au bout de trois jours que l'arrestation était dépourvue de motif. Le gouvernement reconnaît ces faits dans sa réponse. Le rapport signale également qu'à la suite de la suspension de la personnalité syndicale de la F.O.E.T.R.A, de nombreuses arrestations furent opérées. Le gouvernement ne fait aucune allusion à cette allégation.
- 194. A certains égards, ces allégations sont similaires à celles présentées dans le cas no 133 (Pays-Bas-Antilles néerlandaises), dans lequel le Comité a constaté qu'aussitôt après l'arrestation de divers syndicalistes sous certaines inculpations, le juge qui connut de l'affaire avait rendu un non-lieu. Le Comité a considéré à cette occasion que l'arrestation et la poursuite avaient constitué des actes arbitraires et qu'elles devaient avoir été liées à l'activité syndicale des personnes arrêtées. Aussi bien dans ce dernier cas que dans celui qui est actuellement examiné, les personnes arrêtées furent remises en liberté, le différend qui avait donné lieu aux grèves dont il s'agissait ayant en même temps trouvé une solution. En conséquence, le Comité recommande au Conseil d'administration d'appeler l'attention du gouvernement sur l'importance qu'il attache au principe selon lequel les pouvoirs publics doivent s'abstenir de toute intervention susceptible de limiter les droits syndicaux ou d'entraver leur exercice légal, mais de décider, étant donné que le juge a estimé qu'il n'y avait pas lieu à détention et que les intéressés ont été relâchés au bout de trois jours, qu'il serait sans objet de poursuivre l'examen de cet aspect du cas.
- 195. En ce qui concerne les autres arrestations qui font l'objet des allégations des plaignants, faute de tout commentaire du gouvernement à cet égard, le Comité a chargé le Directeur général de demander au gouvernement de bien vouloir fournir des informations sur cet aspect du cas, sur l'appréciation duquel le Comité fera de nouveau rapport lorsque le gouvernement aura fourni les informations demandées.
- Grèves des employés de banque
- 196. La Confédération internationale des syndicats chrétiens et l'Action syndicale argentine ont présenté, aux dates du 5 février, du 30 janvier et du 16 mars 1958, des allégations selon lesquelles il aurait été porté atteinte à la liberté syndicale, à l'occasion de la grève des employés de banque survenue en janvier 1958, à la suite du refus de négocier qu'auraient opposé les autorités compétentes au sujet des revendications relatives aux salaires. Il est allégué qu'à l'occasion de la grève, plus de cinq cents personnes, tant militants que dirigeants syndicaux, furent arrêtées le 29 janvier 1958 dans le local de leur organisation. Le local syndical fut fermé, les dirigeants de l'Association bancaire argentine, organisation des employés de banque, furent destitués, après quoi le ministère du Travail refusa toute négociation avec les autorités légitimes du syndicat. L'administrateur désigna une commission des salaires qui, néanmoins, ne fut pas considérée comme représentative par une partie des employeurs et qui n'obtint pas non plus l'appui des travailleurs eux-mêmes. A l'occasion du conflit, la police a perquisitionné dans le local syndical de l'A.S.A. et a procédé à l'arrestation d'un certain nombre de syndicalistes. Elle a procédé aussi à des arrestations en raison de manifestations effectuées à cette occasion. Devant l'ampleur de la grève, le gouvernement mobilisa le personnel bancaire, à la suite de quoi des milliers d'employés de banque furent mis en caserne. La grève fut déclarée illégale, et le droit de grève, consacré par la réforme constitutionnelle de 1957 et par les conventions internationales ratifiées par le gouvernement, se trouva ainsi suspendu, selon les allégations des plaignants. Le droit de grève a été également violé par l'arrestation de nombreux dirigeants syndicaux et par mobilisation du personnel des banques; enfin, il y aurait eu aussi violation du droit de grève du fait d'un décret édicté à cette époque, en vertu duquel toute résistance corporative à l'appui de revendications ouvrières fut prohibé pour une période de quarante jours.
- 197. Par lettre en date du 22 octobre 1958, le gouvernement argentin a présenté ses observations au sujet des allégations ci-dessus. Il invoque les circonstances particulières que traversait le pays à l'époque où se sont produits ces événements. Ces derniers ont eu lieu en pleine période préélectorale. En effet, les autorités provisoires qui se trouvaient à la tête du pays à la suite de la révolution de 1955 organisèrent des élections générales pour le 23 février 1958. Le gouvernement reconnaît qu'il existait une situation économique susceptible de justifier les demandes d'augmentation de salaires, mais il ajoute que d'autres éléments étrangers au mouvement ouvrier tentaient de donner une coloration politique au malaise des travailleurs. C'est ce qui entraîna l'adoption du décret 934/58, qui suspendit le droit de grève pour une durée de quarante jours. On essaya de cette manière de tourner les manoeuvres de certaines personnes qui désiraient entraver la normalisation de la situation institutionnelle du pays. Le décret 2638/58, en vertu duquel le personnel des banques fut mobilisé, répondait au même but. Le gouvernement signale que, de cette façon, la crise a pu être surmontée et que les autorités actuelles ont apporté des solutions à tous les conflits auxquels la plainte fait allusion.
- 198. En ce qui concerne les allégations spécifiques, le gouvernement déclare que les arrestations effectuées le 29 janvier 1958 furent faites sur la base du décret précité et qu'il fut procédé à l'arrestation de quatre-vingt-deux personnes, qui furent remises en liberté après quelques heures. Le même décret 934/58 a constitué la base des arrestations effectuées le 3 février dans le local de l'A.S.A. et dans le voisinage du ministère du Travail. Les personnes arrêtées ont été remises en liberté, soit le jour même, soit le 5 février. La mobilisation générale du personnel des banques fut ordonnée le 7 mars. Cette mesure fut annulée le 18 mars, une fois la grève terminée. Depuis ces événements, la Commission interministérielle, dont le secrétaire s'était effectivement refusé auparavant à négocier toute augmentation de salaire, s'est réunie de nouveau, et elle est parvenue à un accord concrétisé dans divers décrets du pouvoir exécutif, qui donnèrent satisfaction aux revendications des employés des banques. Les grévistes furent réintégrés et les salaires correspondant aux journées de grève leur furent payés.
- Allégations relatives à la désignation d'un contrôleur administratif, à l'arrestation de syndicalistes et à l'illégalité de la grève
- 199. D'après les données exposées tant par les organisations plaignantes que par le gouvernement, le Comité a noté qu'il s'agit d'un conflit entre employés de banque et leurs employeurs, apparemment suscité par une demande d'augmentation de salaires, que le secrétaire de la Commission interministérielle créée pour étudier les problèmes du personnel des banques n'avait pas voulu prendre en considération. Ce conflit a trouvé son point culminant dans un mouvement de grève qui se déroulait pendant une période où se trouvait en vigueur le décret 934/58, qui suspendait le droit de grève pour une durée de quarante jours. Ainsi que l'indique le gouvernement dans sa réponse, le pays se trouvait dans une période préélectorale, et bien que les circonstances économiques aient justifié une demande d'augmentation de salaires, certains éléments étrangers au mouvement ouvrier profitaient du malaise des travailleurs pour lui donner une coloration politique, essayant d'entraver le retour de la République à une situation institutionnelle normale.
- 200. Le Comité a observé également que le droit de grève se trouve garanti en Argentine par la réforme constitutionnelle de 1957. Néanmoins, bien que le décret 934/58 ait suspendu ce droit, il existe certains facteurs qui doivent être pris en considération pour nuancer la portée de ce décret: la décision n'a été mise en vigueur que pour quarante jours seulement, ayant été abrogée le 24 février 1958, c'est-à-dire le jour qui a suivi les élections générales dans le pays. L'article 2 du décret prohibait l'adoption de sanctions disciplinaires qui comporteraient un licenciement ou un déplacement du personnel; enfin, l'interdiction de la grève n'était pas dirigée contre le mouvement syndical, mais elle avait pour objectif d'empêcher des éléments politiques de rendre difficile le retour du pays à une situation institutionnelle normale.
- 201. D'après les faits exposés et d'après ce qui résulte des dispositions légales applicables en cette affaire, le Comité a conclu que c'est en conséquence de la violation du décret 934/58, du 21 janvier 1958, que le gouvernement argentin a adopté les mesures dont se plaignent les organisations intéressées. En effet, le Comité a noté que l'exposé des motifs du décret 987/58, contre lequel est intervenue l'Association bancaire, organisation syndicale du personnel des banques, fait allusion à la violation du décret 934 par les autorités du syndicat; l'arrestation des personnes auxquelles la plainte fait allusion fut effectuée en application de l'article 3 du décret 934, en vertu duquel ceux qui participent à une cessation du travail ou qui y contribuent sont passibles des peines prévues par l'article 7 de la loi 13/985; la déclaration de l'illégalité de la grève aurait été obligatoire sous le régime du décret 934.
- 202. Le Comité a indiqué déjà à propos d'autres cas que, dans la plupart des pays, les grèves sont reconnues comme une arme légitime entre les mains des syndicats pour la défense des intérêts de leurs membres, à condition que ce droit soit exercé pacifiquement et sous réserve des restrictions temporaires qui pourraient lui être apportées. De même, dans de nombreux cas où il s'agissait de plaintes relatives à de prétendues violations de la liberté syndicale exercées sous un régime d'état de siège ou d'exception, ou mieux encore en vertu d'une loi sur la sécurité de l'Etat, le Comité - tout en indiquant qu'il n'était pas appelé à se prononcer sur la nécessité ou l'opportunité d'une telle législation, question qui relève entièrement de l'ordre politique - a toujours maintenu le point de vue qu'il lui appartenait d'examiner les répercussions qu'une telle législation pouvait avoir sur les droits syndicaux. En d'autres termes, le Comité a, d'une part, signalé les restrictions temporaires qui pouvaient être apportées au droit de grève, et, d'autre part, il a soutenu qu'il ne lui appartenait pas de se prononcer sur l'opportunité d'une législation d'exception, sauf, toutefois, en ce qui concerne les répercussions de cette dernière sur les droits syndicaux.
- 203. Dans le cas présent, les droits syndicaux ont fait l'objet de restrictions dans le cadre d'une mesure exceptionnelle et temporaire qui avait seulement pour objectif d'empêcher les manoeuvres d'ordre politique, c'est-à-dire qui n'était pas dirigée contre l'exercice de la liberté syndicale en tant que telle. D'autre part, ainsi que l'indique le gouvernement, les mesures adoptées sur la base du décret 934/58 ont été abrogées en ce qui concerne la détention de syndicalistes, tous les grévistes ayant été également réintégrés par suite de la fin de la grève. Il ne ressert pas clairement de la documentation dont dispose le Comité que le contrôle administratif de l'Association bancaire ait été levé.
- 204. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration:
- a) de décider, en ce qui concerne les allégations relatives aux arrestations de syndicalistes et à l'illégalité de la grève des employés de banque, d'exprimer l'espoir que le gouvernement, soucieux de voir les rapports de travail se développer dans une atmosphère de confiance mutuelle, aura recours, pour faire face aux conséquences résultant d'une grève ou d'un lock-out, à des mesures prévues par le droit commun plutôt qu'à des mesures d'exception qui risquent de comporter, de par leur nature même, certaines restrictions à des droits fondamentaux;
- b) de décider, en ce qui concerne la nomination d'un administrateur à l'Association bancaire argentine, d'attirer l'attention du gouvernement sur l'importance qu'il attache au principe généralement admis que les pouvoirs publics doivent s'abstenir de toute intervention susceptible de limiter le droit, pour les organisations des travailleurs, d'élire librement leurs représentants et d'organiser leur gestion et leurs activités, et d'obtenir du gouvernement un supplément d'information sur le point de savoir si la nomination d'un administrateur à cette organisation professionnelle a été abrogée, étant entendu que le Comité fera un nouveau rapport sur cet aspect du cas, une fois que les observations du gouvernement à cet égard auront été reçues.
- Allégations relatives à la mobilisation du personnel bancaire
- 205. Selon les déclarations des organisations plaignantes et du gouvernement, le personnel bancaire a été mobilisé par le décret-loi no 2638/58 du 7 mars 1958. L'exposé des motifs du décret fait allusion au préjudice très grave qui résultait de la grève des banques pour l'économie nationale et affirme que la situation d'exception ainsi créée exigeait une solution immédiate susceptible d'assurer le fonctionnement des services indispensables pour l'accomplissement régulier des tâches de l'Etat et pour le développement adéquat des activités de tous les habitants du pays. L'article premier du décret-loi spécifie que le personnel des banques serait mobilisé conformément aux articles 27 et 28 de la loi 13234 sur l'organisation générale de la nation pour le temps de guerre.
- 206. Dans le cas présent, le gouvernement argentin indique que la cause de la mesure a été l'existence d'une situation d'exception, ainsi que la nécessité de faire fonctionner à nouveau les services indispensables pour l'accomplissement régulier des tâches de l'Etat. Le gouvernement a eu recours, en vue de la mobilisation, à la loi sur l'organisation générale de la nation pour le temps de guerre, dont l'article 27 déclare:
- La mobilisation du service civil pourra seulement être décrétée par le pouvoir exécutif lorsqu'elle sera nécessaire aux fins de la défense nationale et dans le cas de catastrophe ou d'urgence grave qui affecteraient des parties importantes du territoire national ou de ses populations.
- D'autre part, l'article 3 du décret-loi de mobilisation dispose que le personnel mobilisé est soumis aux dispositions du Code militaire et au régime administratif disciplinaire en vigueur.
- 207. Le Comité a remarqué que, bien que la mesure adoptée par le gouvernement argentin n'ait pas été destinée à restreindre les droits syndicaux en tant que tels, mais qu'elle a été motivée par la situation d'exception créée par la grève des banques, dans la pratique ces droits se sont trouvés affectés. Dans ces conditions, étant donné que la mobilisation décidée dans le but de briser un mouvement de grève peut comporter des conséquences graves pour les travailleurs et pour l'exercice de leurs droits syndicaux, le Comité recommande au Conseil d'administration d'attirer l'attention du gouvernement sur la possibilité d'abus que renferme la mobilisation de travailleurs lors de conflits du travail et de souligner l'inopportunité qu'il y a d'avoir recours à de semblables mesures si ce n'est afin de permettre le fonctionnement des services essentiels dans des circonstances de la plus haute gravité.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 208. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration:
- a) de décider, en ce qui concerne les allégations relatives à l'illégalité de la grève des employés des télégraphes et téléphones et à ses effets sur les droits syndicaux, d'attirer l'attention du gouvernement sur l'opportunité qu'il y aurait d'envisager la possibilité d'améliorer le système en vigueur pour le règlement des conflits intéressant les entreprises étatiques, en prévoyant les garanties de procédures de conciliation et d'arbitrage appropriées, impartiales et expéditives, aux diverses étapes desquelles les intéressés devraient pouvoir participer;
- b) de décider, en ce qui concerne la suspension de l'inscription syndicale, d'attirer l'attention du gouvernement sur l'importance qu'il attache au droit de réunion et au principe de la reconnaissance, aux fins de négociations collectives, des organisations représentatives des travailleurs; d'appeler son attention sur le fait que la suspension d'un syndicat par voie administrative est contraire à l'un des principes fondamentaux de la liberté syndicale;
- c) de décider, en ce qui concerne les allégations relatives à l'arrestation de syndicalistes, d'appeler l'attention du gouvernement sur l'importance qu'il attache au principe selon lequel les pouvoirs publics doivent s'abstenir de toute intervention susceptible de limiter les droits syndicaux ou d'en entraver l'exercice légal, mais qu'étant donné que le juge a estimé qu'il n'y avait pas lieu à détention et que les personnes intéressées ont été relâchées au bout de trois jours, il serait sans objet de poursuivre plus avant l'examen de cet aspect du cas;
- d) de décider, en ce qui concerne les allégations relatives à l'arrestation de syndicalistes et à l'illégalité de la grève des employés de banque, d'exprimer l'espoir que le gouvernement, désireux de voir les rapports de travail se développer dans une atmosphère de confiance mutuelle, aura recours, pour faire face aux conséquences résultant d'une grève ou d'un lock-out, à des mesures prévues par le droit commun plutôt qu'à des mesures d'exception, qui risquent de comporter, de par leur nature même, certaines restrictions aux droits fondamentaux;
- e) de décider, en ce qui concerne la désignation d'un administrateur de l'association des employés de banque, d'attirer l'attention du gouvernement sur l'importance qu'il attache au principe généralement reconnu selon lequel les pouvoirs publics doivent s'abstenir de toute intervention susceptible de limiter le droit des organisations de travailleurs d'élire leurs représentants en toute liberté et d'organiser leur gestion et leurs activités, et de demander au gouvernement de fournir des informations sur le point de savoir si la désignation d'un administrateur au syndicat en question n'a pas été annulée;
- f) de décider, en ce qui concerne la mobilisation du personnel des banques, étant donné les graves conséquences qu'une mesure de cet ordre risque de comporter pour les travailleurs et leurs droits syndicaux, d'attirer l'attention du gouvernement sur la possibilité d'abus que comporte la mobilisation de travailleurs lors de conflits du travail et de souligner l'inopportunité d'avoir recours à de semblables mesures, si ce n'est afin de permettre le fonctionnement des services essentiels dans des circonstances de la plus haute gravité;
- g) de prendre note du présent rapport intérimaire, étant entendu que le Comité fera à nouveau rapport sur les allégations restées en suspens lorsqu'il sera en possession des informations sollicitées du gouvernement.