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1. La commission a pris note des rapports du gouvernement sur l’application de la convention. En examinant l’effet donné aux recommandations de la Commission d’enquête chargée d’examiner l’exécution par le Myanmar de la convention (nº 29) sur le travail forcé, 1930, la commission a en outre pris note:
- des informations soumises à la Conférence internationale du Travail à sa 89e session (juin 2001) et des débats qui ont suivi (Compte rendu provisoire no 19, Partie III);
- des informations présentées au Conseil d’administration du BIT à sa 280e session en mars 2001 et des débats qui ont suivi (reproduites dans le Compte rendu provisoire no 19, Partie III, de la 89e session de la Conférence internationale du Travail);
- des informations présentées au Conseil d’administration du BIT à sa 282e session en novembre 2001, et notamment du rapport de la Mission de haut niveau sur des «faits nouveaux concernant la question de l’exécution par le gouvernement du Myanmar de la convention (nº 29) sur le travail forcé, 1930» (doc. GB.282/4 et annexes), de l’intervention du représentant du gouvernement et des conclusions du Conseil d’administration (doc. GB.282/4/2);
- de la résolution adoptée par la Commission de l’ONU des droits de l’homme à sa 57e session (mars-avril 2001) sur la situation des droits de l’homme au Myanmar (document des Nations Unies E/CN.4/RES/2001/15);
- du rapport intérimaire, en date du 20 août 2001, élaboré par Paulo Sergio Pinheiro, Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme au Myanmar (document des Nations Unies A/56/312), et de son intervention orale faite le 9 novembre 2001 à la 56e session de l’Assemblée générale;
- d’une séance d’information, tenue le 19 novembre 2001 par le ministère des Affaires étrangères du Myanmar au sujet de la réunion du Conseil d’administration du BIT de novembre 2001, et reflétée le lendemain dans le «New Light of Myanmar» et par l’agence «Reuter»;
- d’une communication datée du 29 novembre 2001 de la Confédération internationale des syndicats libres, présentant à l’OIT une documentation récente se référant à la persistance, sur une large échelle, du recours au travail forcé par les autorités militaires au Myanmar, dont copie a été transmise au gouvernement pour tout commentaire qu’il souhaiterait présenter au sujet des questions qui y sont soulevées.
2. Les informations disponibles sur l’exécution de la convention par le gouvernement du Myanmar sont, cette fois encore, exposées en trois parties: i) l’amendement de la législation; ii) toutes mesures prises par le gouvernement pour mettre un terme à l’imposition, dans la pratique, du travail forcé ou obligatoire, et les informations disponibles sur la pratique actuelle; et iii) l’application de sanctions qui peuvent être imposées en vertu du Code pénal pour le fait d’exiger un travail forcé ou obligatoire.
3. Au paragraphe 470 de son rapport du 2 juillet 1998, la commission d’enquête avait noté:
… qu’aux termes de l’article 11 d), lu conjointement avec l’article 8, paragraphe 1 g), n) et o), de la loi sur les villages, ainsi que de l’article 9 b) de la loi sur les villes, du travail ou des services peuvent être imposés à toute personne résidant dans un arrondissement rural ou urbain, c’est-à-dire un travail ou des services pour lesquels l’intéressé ne s’est pas offert de plein gré et que la non-obtempération à une réquisition faite en application de l’article 11 d) de la loi sur les villages ou de l’article 9 b) de la loi sur les villes est passible des sanctions pénales prévues à l’article 12 de la loi sur les villages ou de l’article 9 a) de la loi sur les villes. Ainsi, ces lois prévoient l’imposition d’un «travail forcé ou obligatoire» relevant de la définition de l’article 2, paragraphe 1, de la convention.
La commission d’enquête avait noté en outre que les larges pouvoirs de réquisition de main-d’oeuvre pour du travail et des services énoncés dans ces lois ne sont pas compris dans les exceptions énumérées à l’article 2, paragraphe 2, de la convention et qu’ils sont entièrement incompatibles avec la convention. Rappelant que le gouvernement promettait depuis plus de trente ans de modifier les dispositions de ces lois, la commission avait exhorté le gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour assurer que la loi sur les villages et la loi sur les villes soient mises sans délai en conformité avec la convention, au plus tard le 1er mai 1999 (paragr. 539 a) du rapport de la commission).
4. La commission observe que, fin novembre 2001, la modification de la loi sur les villages et de la loi sur les villes, que la commission d’enquête et elle-même ont demandée et que le gouvernement promet depuis des années, n’a pas encore été effectuée et qu’aucun projet de loi proposé ou envisagéà cet effet n’a été portéà la connaissance de la commission. La commission note au paragraphe 47 du rapport de la Mission de haut niveau que des pouvoirs législatifs ont été exercés par le gouvernement en juin 2000 et février 2001 lors de l’adoption de la «loi judiciaire, 2000» et de la «loi du ministère de la Justice, 2001». La commission exprime de nouveau l’espoir que la loi sur les villages et la loi sur les villes seront enfin rendues conformes à la convention.
5. Dans son observation précédente, la commission a noté que, bien que la loi sur les villages et la loi sur les villes appellent toujours les amendements nécessaires, un «arrêté [anglais: Order, souvent traduit par «ordonnance» dans le rapport de la Mission de haut niveau, tel que cité plus loin] (no 1/99) ordonnant de ne pas exercer les pouvoirs conférés par certaines dispositions de la loi de 1907 sur les villes et de la loi de 1907 sur les villages», tel que modifié par un «arrêté complétant l’arrêté no 1/99» pris le 27 octobre 2000, pourrait constituer une base juridique suffisante pour assurer le respect de la convention dans la pratique -à condition d’être de bonne foi traduit dans les actes non seulement par les autorités locales habilitées à réquisitionner des personnes pour un travail au titre de la loi sur les villages et de la loi sur les villes, mais aussi par les autorités civiles et militaires habilitées à demander l’assistance des autorités locales en vertu des lois susmentionnées. De l’avis de la commission, cela demandait l’adoption de mesures supplémentaires telles qu’indiquées par la commission d’enquête dans ses recommandations qui figurent au paragraphe 539 b) de son rapport.
6. Dans ses recommandations qui figurent au paragraphe 539 b) de son rapport, la commission d’enquête avait indiqué que les mesures nécessaires pour assurer que, dans la pratique, aucun travail forcé ou obligatoire ne soit plus imposé par les autorités, et notamment par les militaires, étaient:
… d’autant plus important[es] que le pouvoir d’imposer du travail obligatoire paraît être tenu pour acquis sans aucune référence à la loi sur les villages ou à la loi sur les villes. En conséquence, au-delà des modifications législatives, des mesures concrètes doivent être prises immédiatement pour chacun des nombreux domaines dans lesquels du travail forcé a été relevé aux chapitres 12 et 13 [du rapport de la commission], afin d’arrêter la pratique actuelle. Ceci ne doit pas être fait au moyen de directives secrètes, qui sont contraires à un état de droit et ont été inefficaces, mais par des actes publics du pouvoir exécutif promulgués et diffusés à tous les niveaux de la hiérarchie militaire et dans l’ensemble de la population. Aussi, les mesures à prendre ne doivent pas se limiter à la question du versement d’un salaire; elles doivent assurer que personne ne soit contraint de travailler contre son gré. Néanmoins, il faudra également prévoir au budget les moyens financiers nécessaires pour engager une main-d’oeuvre salariée travaillant librement aux activités relevant du domaine public qui sont actuellement exécutées au moyen de travail forcé et non rémunéré…
7. Absence d’instructions spécifiques et concrètes. Dans son observation précédente, la commission a noté qu’en l’absence d’instructions spécifiques et concrètes adressées aux autorités civiles et militaires et décrivant les diverses formes et modalités de réquisition de travail forcé, l’application des dispositions adoptées jusqu’à maintenant dépend de l’interprétation de la notion de «travail forcé». Cette notion ne va pas de soi, comme le montrent les divers termes birmans utilisés de cas en cas pour qualifier un travail exigé de la population - entre autres, «loh ah pay», travail «bénévole» ou «offert». Le manque de clarté sur ce point est aggravé par les tentatives périodiques du gouvernement d’expliquer le recours généraliséà l’exaction de travail et de services, notamment par les autorités militaires, par le mérite qui peut être acquis dans la religion bouddhiste à ceux qui offrent spontanément une aide. La commission d’enquête a rappelé, au paragraphe 539 c) de son rapport, que «l’absence de délimitations nettes entre travail obligatoire et travail volontaire, qui apparaissait tout au long des déclarations du gouvernement» risquait «encore de marquer le recrutement effectué par les responsables locaux ou militaires».
8. Dans son rapport sur l’application de la convention, le gouvernement ne se réfère qu’à une directive émise le 1er novembre 2000 par le Conseil d’Etat pour la paix et le développement ordonnant à toutes les autorités concernées de se conformer strictement aux arrêtés pris par le ministère de l’Intérieur, c’est-à-dire l’arrêté no 1/99 et l’arrêté le complétant, mentionnés au paragraphe 5 ci-dessus. La commission note l’indication de la Mission de haut niveau dans son rapport selon laquelle elle:
… a demandéà diverses reprises qu’on lui fournisse des traductions exactes de toutes instructions supplémentaires adressés à toutes autorités, y compris à l’armée. A la date de rédaction de son rapport en octobre 2001 la mission n’avait reçu que trois instructions en birman adressées par divers commandants militaires aux unités placées sous leurs ordres. Des traductions officielles de ces instructions ont été demandées, mais elles n’ont pas encore été reçues. Se fondant sur des traductions officieuses, la Mission de haut niveau a cru comprendre que deux de ces instructions reprenaient simplement le texte de l’ordonnance émise par le Secrétaire 1 le 1er novembre 2000. Elles ne précisaient ni les types de tâches pour lesquelles la réquisition de main-d’oeuvre était interdite, ni la manière dont ces tâches devaient être effectuées désormais. La troisième instruction émise par la NaSaKa le 22 juillet 2001 réaffirmait l’interdiction générale de la réquisition de travail forcé contenue dans les arrêtés, mais ajoutait que, si le recours au travail forcéétait nécessaire, un paiement devrait être effectué en conséquence. Il apparaîtrait ainsi, sur la base des informations reçues jusqu’ici, que les autorités n’ont pas accordéà cet aspect de la question l’attention qu’il méritait.
La troisième instruction fournit ainsi un nouvel exemple de l’absence de délimitation nette entre travail obligatoire et travail volontaire, à laquelle il est fait référence au paragraphe 7 ci-dessus, et l’exemple d’une mesure qui se limite en dernier ressort à la question du paiement d’un salaire, contrairement aux indications spécifiques figurant au paragraphe 539 b) du rapport de la commission d’enquête, cité plus haut au paragraphe 6.
9. Par conséquent, il reste toujours le besoin d’instructions claires indiquant à tous les fonctionnaires intéressés, y compris les militaires à tous les niveaux des forces armées, les types de tâches pour lesquelles il est interdit de réquisitionner des personnes, ainsi que la manière dont ces tâches doivent être effectuées à l’avenir. La commission espère que les instructions détaillées nécessaires seront bientôt émises et qu’elles couvriront entre autres chacun des domaines suivants:
- portage pour les militaires (ou d’autres groupes paramilitaires/militaires, pour des campagnes militaires ou pour des patrouilles régulières);
- construction ou réparation d’installations/camps militaires;
- autres formes d’appui à ces camps (guides, estafettes, cuisiniers, nettoyeurs, etc.);
- génération de revenus par des particuliers ou des groupes (y compris travail dans des projets agricoles ou industriels dont l’armée est propriétaire);
- projets d’infrastructure nationaux ou locaux (routes, voies ferrées, barrages, etc.);
- nettoyage/embellissement des zones rurales ou urbaines;
- fourniture de matériaux ou provisions, de quelque nature qu’ils soient. L’interdiction de la réquisition doit aussi s’appliquer aux demandes d’argent (sauf quand il est dûà l’Etat ou à une municipalité, aux termes d’une loi correspondante) puisque dans la pratique des militaires les demandes d’argent ou de services sont souvent interchangeables.
10. Publicité des arrêtés. Si les instructions spécifiques et concrètes jugées nécessaires par la commission d’enquête ne semblent pas encore avoir étéémises, le gouvernement indique dans son rapport que l’arrêté no 1/99 et l’ordre le complétant et la directive du 1er novembre 2000 du Conseil d’Etat pour la paix et le développement (voir, plus haut, paragraphes 5 et 8) ont été distribués à tous les organes et ministères de l’Etat, y compris le ministère de la Défense, et à toutes les autorités administratives locales jusqu’aux conseils pour la paix et le développement des quartiers et des arrondissements ruraux, et que les arrêtés ont également fait l’objet d’une circulation publique dans la Gazette du Myanmar, mensuelle, afin d’informer toute la population de manière formelle, ce qui est la procédure normale au Myanmar pour toutes les lois et tous les décrets, arrêtés, etc. pris par le gouvernement.
11. Il ressort du rapport de la Mission de haut niveau que l’arrêté no 1/99 et l’arrêté le complétant, mentionnés plus haut au paragraphe 5 [et souvent désignés dans la version française du rapport de la mission comme «ordonnances»], ont fait l’objet d’une considérable publicité dans la période précédant la visite de la mission, et qu’ils étaient affichés en anglais et en birman sur le panneau d’affichage des bureaux des conseils pour la paix et le développement des arrondissements ruraux et d’autres bureaux publics et ont fait l’objet de très nombreuses réunions organisées par diverses autorités pour informer à la fois la population et les responsables administratifs de leur teneur. La mission a toutefois noté qu’il existait des différences géographiques considérables dans la diffusion des textes ainsi que dans les délais dans lesquels cette diffusion s’était produite. Dans de nombreux cas, les personnes rencontrées ont déclaré qu’elles en avaient été informées par des radios étrangères, et non par les autorités. La mission a également noté que les textes n’avaient pas du tout été diffusés dans les moyens de communication avec le grand public ni dans d’autres langues que l’anglais et le birman, et qu’en particulier ils n’avaient pas été traduits dans l’une quelconque des autres principales langues ethniques parlées dans le pays. Des habitants de différentes parties du pays ont informé la mission qu’ils n’étaient pas en mesure de comprendre les textes affichés dans leur région parce qu’ils ne connaissaient pas suffisamment le birman. En outre, la mission a noté que les textes n’avaient pas été toujours diffusés ensemble, alors qu’ils doivent être lus conjointement.
12. La commission note aussi l’allégation formulée par la CISL dans sa communication datée du 29 novembre 2001 selon laquelle:
En effet, de nombreux rapports ci-joints confirment que, dans certaines parties du pays du moins, l’arrêté no 1/99 et l’arrêté le complétant et d’autres textes applicables en la matière ont fait l’objet d’une large publicité. De nombreux rapports figurant dans la documentation de la CISL font état de réunions organisées à cet effet par les autorités dans les villages avant la visite de l’OIT. Fréquemment, elles avaient été dirigées par des fonctionnaires supérieurs du Conseil d’Etat pour la paix et le développement envoyés par le commandement régional ou même depuis Rangoon.
En réalité, les villageois ont dû souvent - si ce n’est toujours - payer les frais de ces «réunions d’information», et notamment l’essence ou la nourriture et la boisson pour les fonctionnaires en visite du Conseil d’Etat pour la paix et le développement. Quant aux arrêtés eux-mêmes, une publicité leur a été faite, assez cyniquement, par ce qu’on ne peut désigner que comme une «distribution forcée» du «livre vert» publié par les autorités à cet effet, qui devait être acheté au prix de 1 000 kyats ou davantage l’exemplaire; en règle générale, chaque village se voyait forcé d’acheter un à huit exemplaires, et les villageois étaient également contraints d’acheter les tableaux d’affichage où les arrêtés devaient être affichés.
Le gouvernement voudra peut-être faire des commentaires sur cette allégation.
13. La question des ressources budgétaires. La commission note que la question de l’affectation de ressources budgétaires suffisantes au recrutement de main-d’oeuvre salariée volontaire pour les activités publiques ayant fait appel au travail forcé et non rémunéré a été soulevée par la Mission de haut niveau dans ses entretiens avec les autorités du Myanmar. En un certain nombre d’occasions au cours de ses déplacements sur le terrain et à Yangon, la mission a demandé des précisions sur les autres moyens d’obtenir le travail ou les services demandés, maintenant que le travail forcé a été interdit. La mission a également demandé s’il y avait des changements dans les dispositions budgétaires. Au moment de la rédaction finale du rapport (le 29 octobre 2001), la mission n’avait pas reçu d’informations lui permettant de conclure que les autorités avaient bien prévu le remplacement de la main-d’oeuvre forcée et gratuite exigée pour le soutien de l’armée ou les projets de travaux publics.
14. Mécanismes de contrôle. Dans son rapport, le gouvernement mentionne la création d’un comité au niveau ministériel et d’un comité de mise en oeuvre au niveau national qui doivent non seulement suivre le respect de la légalité par les autorités locales, les membres des forces armées et d’autres personnels du service public, mais encore assurer que les autorités locales et la population sont pleinement au fait des arrêtés susmentionnés dans toute la nation. Aussi, des équipes d’observation sur le terrain, sous la direction de chefs de départements relevant du ministère du Travail et comptant des membres exerçant des responsabilités dans le département d’administration générale, la force de police du Myanmar et le département du travail, ont été envoyées dans différentes régions pour enquêter sur la situation concernant la pratique du travail forcé et pour observer dans quelle mesure le public est au courant de ces arrêtés. Ces équipes feront de fréquentes visites à toutes les parties du pays. Il s’agit là d’exemples des efforts du gouvernement pour abolir la pratique du travail forcé dans tout le pays. La commission note ces indications qui doivent, toutefois, être placées dans le contexte, déjà examiné plus haut, de l’absence d’instructions spécifiques et concrètes aussi bien que de dispositions budgétaires pour le remplacement de la main-d’oeuvre forcée et non payée. Les informations disponibles sur la pratique effective seront examinées aux paragraphes 15 à 22 ci-après, et la punition de ceux qui exigent du travail forcé, aux paragraphes 23 et suivants.
15. La perception du gouvernement. Dans son rapport sur l’application de la convention transmis le 30 septembre 2001, le gouvernement se réfère à ses «efforts pour abolir la pratique du travail forcé dans tout le pays», mais ne donne pas d’indications sur les résultats obtenus jusque-là. Lors d’une séance d’informations tenue le 19 octobre 2001 par le ministère des Affaires étrangères du Myanmar à l’intention des chefs de missions étrangères à Yangon au sujet de la session de novembre 2001 du Conseil d’administration du BIT, le vice-ministre des Affaires étrangères, Khin Maung Win, a déclaré, selon ce qu’ont rapporté le lendemain le «New Light of Myanmar» et l’agence «Reuter», qu’«à la suite de la transmission par la Mission de haut niveau de quelques plaintes concernant du travail forcé, les autorités concernées ont lancé des enquêtes approfondies; et ces enquêtes ont montré que les allégations étaient non fondées et fausses, et les autorités ont répondu à l’OIT en ce sens».
16. Conclusions de la Mission de haut niveau. Des conclusions «relatives à l’impact sur les réalités du travail forcé des mesures prises pour mettre en oeuvre les arrêtés» sont formulées par la Mission de haut niveau aux paragraphes 54 à 58 de son rapport dans les termes suivants:
54. Comme le président de la mission l’a expliqué le 5 octobre 2001 au général en chef Than Shwe, Président du SPDC, les membres de la mission ont accueilli avec scepticisme dès le départ les conclusions optimistes qui avaient été tirées officiellement de l’absence de violations constatées et de toutes poursuites pénales relatives à de telles violations. De fait, les déplacements de la mission sur le terrain et les entretiens menés par-delà la frontière justifient amplement ce scepticisme.
55. Après trois semaines d’interviews et de visites au Myanmar, la mission a abouti à la conclusion provisoire que la situation évoluait de manière très modérément positive. Les deux groupes de la mission se sont accordés à penser que, au-delà de l’effort évident mais inégal pour diffuser les ordonnances, l’imposition de travail forcé avait diminué dans une certaine mesure, mesure qu’il était difficile d’évaluer avec précision. En revanche, la mission a des doutes quant à la viabilité de ce processus et note avec préoccupation des différences géographiques dans les progrès accomplis, en raison du fait qu’un volume considérable de travail forcé persiste dans certaines zones, particulièrement lorsque l’armée est présente, et plus particulièrement encore dans les régions isolées.
56. La situation qui ressort des discussions et des interviews menées par-delà les frontières, qui portaient essentiellement sur le cas des groupes ethniques, est encore plus préoccupante. En fait, elle n’est guère différente de la situation présentée dans le rapport de la commission d’enquête. Il semble que le travail forcé persiste sous la plupart des formes relevées antérieurement, particulièrement dans les villages qui sont proches d’un camp militaire. Bien souvent, hélas, ce travail forcé s’accompagne d’actes de cruauté.
57. … Une évaluation équilibrée de l’évolution du travail forcé doit refléter les pratiques générales et établir une distinction entre les différents types de situation. Les deux pratiques générales ci-après semblent apparaître:
a) par contraste avec la situation décrite en 1998 par la commission d’enquête, la mission n’a trouvé aucun signe d’un recours actuel au travail forcé pour les projets d’infrastructure civile;
b) dans toutes les zones pour lesquelles la mission disposait d’informations, il apparaît qu’il existe une forte corrélation entre la présence de camps militaires et la pratique du travail forcé, que les troupes en question participent ou non à des activités militaires (voir paragr. 61 et 62 ci-dessous).
Cependant, il est important de faire les distinctions suivantes:
c) dans de nombreuses zones, certains signes montrent que la situation s’est améliorée, malgré le maintien du travail forcé par suite d’une présence militaire. La viabilité de cette amélioration est difficile àévaluer, car elle dépend de la volonté des commandants militaires locaux de continuer à moins recourir au travail forcé;
d) dans certaines autres zones, particulièrement dans le sud de l’Etat de Shan et les parties orientales de l’Etat de Kayin, près de la frontière thaïlandaise, la situation apparaît particulièrement grave. Cela peut s’expliquer en partie par la présence militaire plus forte dans ces zones ainsi que par le caractère isolé de celles-ci, mais il apparaît également que la répression est plus intense à l’encontre de ces populations par suite de la rébellion permanente qui s’y déroule. Contrairement aux assertions des autorités de Yangon, aucun signe n’indique que le portage a diminué d’une façon notable dans ces zones par suite d’un recours accru aux mulets ou d’une amélioration du réseau routier;
e) la situation est aussi très grave dans le nord de l’Etat de Rakhine, qui est aussi une zone isolée où l’armée est fortement présente. La population musulmane de cette zone est plus que proportionnellement touchée par le travail forcé, ce qui traduit une discrimination à son égard, discrimination qui prend également la forme, entre autres, de restrictions au droit d’aller et venir.
58. Certains signes indiquent que l’armée recourt à d’autres méthodes pour obtenir du travail ou des services, comme la réquisition de véhicules et de leurs conducteurs. La mission a également rencontré en Thaïlande trois porteurs qui avaient fui. L’un a affirmé avoir été arrêté au sujet d’une question administrative (il n’avait pas acquitté intégralement la taxe sur le riz), et les deux autres ont déclaré avoir été incarcérés arbitrairement. Tous avaient été livrés par la police à l’armée et utilisés comme porteurs, sans même avoir été inculpés officiellement ou être apparus devant un juge. L’armée leur avait enlevé leurs vêtements et les avait contraints à porter un uniforme bleu de forçat.
17. Analyse de la Mission de haut niveau. En recensant les obstacles à une éradication plus efficace du travail forcé, la mission s’est notamment référée à la politique d’«autonomie» de l’armée, à l’incertitude relative aux dispositions de substitution financières et pratiques (voir paragr. 13 ci-dessus) et à des obstacles institutionnels. Aux paragraphes 59 à 62 de son rapport, la mission décrit la politique d’«autonomie» de l’armée et son incidence sur la pratique du travail forcé dans les termes suivants:
59. Il semble évident que la non-application des ordonnances par l’armée ne peut guère être attribuée à l’ignorance. Comme on l’a noté plus haut, ces ordonnances semblent bien avoir fait l’objet d’une diffusion fort large - quoique inégale -à tous les niveaux de la hiérarchie militaire. Ce qui est troublant, c’est qu’elles ne semblent pas être respectées par l’armée au niveau local et qu’on ne semble pas demander de comptes à ceux qui commettent des infractions. ...
60. Cette attitude semble reposer moins sur l’indiscipline individuelle que sur une politique d’autonomie menée dans le cadre de la lutte contre les mouvements de rébellion ethnique qui ont, selon certains, des racines profondes dans l’histoire militaire du pays. Mais elle repose aussi sur des raisons pratiques et logistiques évidentes. L’armée ne dispose pas de matériel moderne et n’a pas même toujours des ressources suffisantes pour assurer l’alimentation de l’ensemble des soldats. … 61. Cependant, cette politique d’autonomie présente un aspect complètement différent qui concerne également la question. Au cours de la dernière décennie, l’armée s’est énormément développée, passant de 120 000 à plus de 350 000 hommes selon des officiers des renseignements militaires. Il y a dix ans, elle était déjà censée participer à la construction des chemins de fer. Cependant, sa taille n’a pas diminué proportionnellement aux progrès largement proclamés de la pacification. En raison des contraintes budgétaires persistantes, la pratique suivante s’est mise en place: les soldats qui ne combattent pas continuent à recevoir leur solde, mais doivent se livrer à des activités agricoles ou à d’autres activités productives sur les terres qui leur ont été attribuées. Tout excédent par rapport à ce dont ils ont besoin pour leur subsistance doit être vendu sur le marchéà un prix inférieur au prix normal afin de lutter contre l’inflation. …
62. On a donc tout lieu de soupçonner que cette forme de reconversion des soldats dans des activités économiques pour lesquelles ils ne sont pas toujours bien qualifiés ou préparés est non seulement contestable du point de vue de l’efficacité productive, mais aussi risque d’inciter en permanence des soldats qui ne sont guère portés aux travaux agricoles à continuer à exploiter les villageois. Toutefois, cela ne signifie pas que les ordonnances ne peuvent avoir d’effet positif sur la situation du travail forcé. Il semble au contraire ressortir clairement de divers témoignages que les villageois sont de moins en moins disposés à accepter la situation actuelle. Ainsi, dans un cas précis, ils ont envisagé concrètement d’envoyer une pétition aux autorités en se fondant sur ces ordonnances.
18. La communication de la CISL. Dans sa communication datée du 29 novembre 2001, la CISL indique que:
En dépit de leurs démentis, efforts supposés pour supprimer la pratique, professions de bonne volonté et esprit de coopération avec l’OIT, les autorités militaires de la Birmanie ont continuéà recourir au travail forcé sur une très grande échelle. Des officiers de l’armée de grade supérieur, moyen et inférieur et de simples soldats, de même que les autorités civiles n’ont cessé d’imposer du travail forcé dans tous les domaines d’activité précédemment recensés par l’OIT. A l’appui de ses allégations, la CISL joint quelque 30 rapports et autres documents, en tout plus de 100 pages. Ils fournissent des indices détaillés, provenant des mêmes sources et ayant la même qualité que les centaines de rapports examinés au cours des cinq dernières années par l’OIT et jugés crédibles et authentiques.
Les annexes à cette lettre indiquent de nombreux et récents exemples de travail forcé, y compris le portage forcé pour l’armée, souvent au combat, menant souvent à la mort de porteurs par épuisement, maladie, manque de nourriture, d’eau, de repos et de soins médicaux ou par assassinat direct. Elles décrivent également le travail forcé pour dégager les routes et la construction et le maintien d’installations militaires, la confiscation de terres et du travail agricole forcé sur ces terres au profit de l’armée, des fournitures obligatoires de matériaux de construction, de nourriture (entre autres riz, viande, poisson, légumes et fruits) et d’alcool, du travail forcé dans des briqueteries de l’armée et la fourniture forcée de bois de chauffage pour celles-ci, l’imposition fortuite et arbitraire de taxes de toutes sortes et beaucoup d’autres.
La commission note que les documents annexés à la communication de la CISL couvrent la période de janvier à novembre 2001. Tout en correspondant avec les conclusions de la Mission de haut niveau pour ce qui est de la forte corrélation entre la présence de camps militaires et la pratique du travail forcé, ils dénoncent également le recours actuel au travail forcé pour des projets d’infrastructure civils, aussi bien avant qu’après la visite de la mission, et comportent souvent des indications précises de temps et de lieux, de bataillons ou compagnies militaires impliqués et des noms des commandants.
19. Les allégations de travail forcé pour des projets d’infrastructure civils incluses dans la documentation de la CISL se réfèrent à la fourniture et au transport de ballast et de traverses en bois pour le chemin de fer de Ye à Tavoy en septembre 2001 à Natkyizin, circonscription de Yebyu, et aux deux exemples suivants, tels que résumés par la CISL:
- travail forcé sur un chemin de fer au sud de l’Etat Shan, en octobre dernier (des centaines de civils mobilisés pour travailler sur une nouvelle ligne de chemin de fer en construction de la capitale de l’Etat Taung-gyi au centre administratif de circonscription de Namzang; 240 personnes de la seule circonscription de Namzang, forcés à dégager le terrain pour le chemin de fer, sous la surveillance du capitaine Than Naing Oo, bataillon d’infanterie no 66, assisté par du personnel de la compagnie nationale du chemin de fer);
- du travail forcé pour la réparation d’une route locale dans la circonscription de Kyaikmayaw (Etat Mon), début octobre, afin d’améliorer la route avant une visite du général de brigade Myint Swe (commandant en chef, commandement militaire du sud-est) au village de Tarana; les villageois étaient contraints à réparer la route carrossable pendant neuf jours (6-14 octobre); la visite du général de brigade Myint Swe (c’est-à-dire la raison qui a provoqué le travail forcé en question) a eu lieu peu après sa rencontre avec la Mission de haut niveau de l’OIT, à Mawlamyine, les 25 et 27 septembre 2001 (voir document GB.282/4/annexe VI, p. 4); selon les villageois locaux, le travail forcé dans la région a été interrompu pendant la présence de la Mission de haut niveau de l’OIT dans le pays, et repris par la suite.
20. D’autres allégations de travail forcé imposé aux villageois concernent des projets d’infrastructure à caractère moins civil, tels que la construction d’une route reliant des villages à des bases militaires sur l’île de Kalargote, de mi-octobre jusqu’à la première semaine de novembre; le nettoyage forcé d’une route infestée de mines terrestres entre Mawchi (Etat Kayah) et Taungoo (Division de Bago) en septembre dernier; le débroussaillage le long de chemins de fer et de routes carrossables dans la circonscription de Ye en octobre 2001; et le dégagement de toutes les routes sortant de la ville de Lai-kha sur une distance d’environ 30 km, en juin 2001.
21. Le plus grand nombre d’indications de travail forcé communiquées par la CISL concernent les services fournis aux militaires, tels que la réquisition de 250 porteurs civils, y compris 108 femmes et enfants depuis l’âge de huit ans, le 13 juin 2001 aux abord de la ville de Murng-Kerng par une patrouille de troupes du bataillon d’infanterie légère 514 conduite par un capitaine (nommé) sous les ordres du commandant (nommé) du bataillon. Il est indiqué que ces villageois ont été relâchés le 28 juin 2001 après 16 jours de service non rémunéré pendant lesquels les femmes porteurs âgées de plus de 15 ans ont été violées par les soldats. Et cinq ou six jours plus tard, les mêmes troupes ont ordonné aux chefs de villages dans la région de fournir 10 à 15 porteurs civils de chaque village. Des allégations de précision similaire pour la période de juin à octobre 2001 concernent le travail forcé pour la coupe de bambous et la fabrication de clôtures et de parois en bambous pour les baraques; la réparation de baraques, le nettoyage de conduits de drainage dans les bases et des tranchées et abris autour d’elles, et le débroussaillage; le creusement de canaux lors duquel un travailleur lent a été tué et son village a dû payer 3 000 kyats pour le rapatriement de son corps; l’imposition de services pour porter des messages, couper et porter du bois de chauffage, cuisiner, porter de l’eau et faire des commissions; l’imposition de la culture de riz sur les champs confisqués aux travailleurs forcés; et l’ordre donné le 18 septembre 2001 par le nouveau commandant (nommé) du BIL no 65 à des villageois de fournir 4 000 feuilles de matériel de couverture pour le toit d’une nouvelle usine d’amphétamine en construction à 14 lieues de Mong Ton sur la route de Mong Ton à Mong Hsat (Etat Shan).
22. La commission espère que le gouvernement examinera les indications données par la CISL et qu’il fournira des informations détaillées sur toutes mesures prises à la suite de ces indications, de même qu’à la suite du rapport de la mission de haut niveau, afin d’engager des poursuites contre toutes personnes trouvées responsables d’avoir ordonné du travail forcé et, le cas échéant, de crimes concomitants. Plus fondamentalement, la commission espère que les instructions spécifiques et concrètes et les dispositions budgétaires qui sont nécessaires pour l’éradication effective du travail forcé, telles qu’indiquées par la commission d’enquête au paragraphe 539 b) de son rapport et de nouveau mentionnées plus haut, aux paragraphes 9 et 13, seront enfin adoptées, et que le gouvernement fournira des informations complètes sur l’action entreprise.
23. Au paragraphe 539 c) de ses recommandations, la commission d’enquête a exhorté le gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour assurer:
… que les sanctions qui peuvent être imposées en vertu de l’article 374 du Code pénal pour le fait d’exiger du travail forcé ou obligatoire soient strictement appliquées, conformément à l’article 25 de la convention. Ceci demande de la rigueur dans les enquêtes et poursuites et l’application de sanctions efficaces à ceux reconnus coupables.
24. Comme la commission l’a noté dans son observation précédente, la directive datée du 1er novembre 2000 du Conseil d’Etat pour la paix et le développement, adressée à tous les conseils pour la paix et le développement des Etats et des divisions (voir paragr. 8 ci-dessus), prévoit au point 4 que les «responsables» de réquisition de travail forcé seront poursuivis en vertu de l’article 374 du Code pénal, et une disposition analogue figure au point 3 d’une instruction datée du 27 octobre 2000 adressée par le directeur général des forces de police à toutes les unités des forces de police. De plus, les points 4 à 6 de l’instruction datée du 27 octobre 2000 prévoient ce qui suit:
4. Si une personne porte plainte auprès de la police, oralement ou par écrit, parce qu’elle a été forcée de fournir un travail, la police enregistrera sa plainte sur les formulaires A et B et fera poursuivre l’accusé en vertu de l’article 374 du Code pénal.
5. Il est demandé par la présente que les commissariats et autres unités de police concernés, aux différents niveaux, reçoivent l’instruction d’assurer la stricte application de l’ordonnance précitée et de veiller à ce que personne ne soit réquisitionné pour un travail forcé. Le texte de l’arrêté complétant l’arrêté no 1/99, prise par le ministre de l’Intérieur le 27 octobre 2000, figure en annexe.
6. Les destinataires de cette directive sont priés d’en accuser réception et de rendre compte des mesures prises dans le domaine considéré.
25. Se référant au point 4 de l’instruction datée du 27 octobre 2000, la commission a exprimé l’espoir que les poursuites en vertu de l’article 374 du Code pénal seraient engagées d’office par les autorités compétentes à leur propre initiative, sans attendre le dépôt d’une plainte, les victimes pouvant trouver imprudent de dénoncer les «responsables»à la police. La commission avait espéré que le gouvernement, en commentant les indications selon lesquelles l’exaction de travail forcé a continué au-delà d’octobre 2000, ferait également état des actions concrètes engagées au titre de l’article 374 du Code pénal.
26. Aucune suite n’a encore été donnée à ces préoccupations. Dans son rapport, le gouvernement répète:
… que les mécanismes nécessaires ont également été mis en place pour entamer, à l’encontre des autorités locales qui manquent de se conformer aux arrêtés, des actions en vertu de l’article 374 du Code pénal ou de toute autre loi en vigueur. Et toute personne souhaitant déposer plainte pour avoir été soumise à l’exaction de travail forcé peut le faire à la Cour de circonscription, aux postes de police et aux conseils de paix et développement des circonscriptions urbaines ou rurales respectifs. Donc, les moyens appropriés pour donner suite à de telles plaintes sont déjà en place.
Aucune action en vertu de l’article 374 du Code pénal n’a été portée à la connaissance de la commission.
27. Aux paragraphes 52 et 53 de son rapport, la mission de haut niveau décrit «les réalités de la mise en application» dans les termes suivants:
52. La mission a également eu connaissance d’un document établi par le ministère de l’Intérieur et intitulé«Mesures prises au sujet des cas relatifs au non-respect de l’ordonnance no 1/99 et de son ordonnance supplémentaire, émis par le ministère de l’Intérieur». Il a été mentionné que 38 procédures avaient été déclenchées à ce sujet. Une réunion a été organisée spécialement le dernier jour de la visite de la mission dans le pays pour obtenir davantage de précisions sur les cas mentionnés dans ce document. Il apparaît que toutes les procédures entreprises ont un caractère administratif. Elles vont du simple avertissement au licenciement ou au renvoi de l’intéressé. Aucune ne vise l’article 374 du Code pénal, comme prévu par les ordonnances. La mission a été informée que des «commissions d’enquête» avaient autorité pour décider des mesures à prendre en cas de violations de ces ordonnances. A ce jour, les commissions d’enquête en question ont préféré traiter les violations alléguées des ordonnances d’un point de vue administratif, plutôt que de déclencher des poursuites pénales. Dix des trente-huit cas ont eu lieu avant mai 1999, et ne sont donc pas couverts par les ordonnances. Tous les cas ont mis en cause des responsables de TPDC ou de VPDC [autorités civiles au niveau des villes et villages] … La mission considère que ce document constitue une réponse totalement insuffisante à toute demande portant sur les mesures à prendre pour donner effet aux ordonnances; cependant, aucune autre réponse n’a été faite et, semble-il, ne pouvait l’être.
53. La plupart des habitants du pays avec lesquels la mission s’est entretenue au cours de sa visite ont déclaré qu’ils ne recourraient pas à la procédure de plainte prévue par les ordonnances (par le biais des tribunaux de la police). Ils sont davantage enclins à s’adresser au VPDC ou au TPDC. Nombre d’entre eux craignent les représailles. A ce sujet, on a rapportéà la mission différents cas de personnes ayant été battues, détenues ou punies d’une autre façon pour avoir porté plainte antérieurement à ce sujet ou à d’autres sujet. …
La mission note encore, au paragraphe 68 de son rapport:
… que la réticence à recourir aux procédures expressément prévues par la loi est due pour une large part au manque de confiance dans la police et le système judiciaire, en l’absence d’une garantie constitutionnelle de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la justice.
28. La CISL souligne, dans sa communication datée du 29 novembre:
… que, dans de nombreux cas, des autorités tant militaires que civiles ont de manière flagrante repoussé les objections que villageois et chefs de village ont tenté d’opposer aux réquisitions de travail forcé en faisant valoir leurs droits aux termes de l’arrêté no 1/99, tel que complété. Les exemples vont d’un chef de village puni par deux fois quand ses villageois, invoquant les «ordres» du lieutenant général Khin Nyunt, ont refusé d’accomplir du travail forcé (en septembre dernier à Kawkareik, Etat Karen), à des officiers du Tadmadaw enfreignant ouvertement ces arrêtés ou même menaçant d’abattre toute personne refusant de les servir, comme dans l’exemple qui suit.
En août 2001, des villageois de la circonscription de Kyar Inn Seikky (Etat Karen) se sont plaints à des officiers de l’armée sur place des demandes de travail forcé. Ils avaient été publiquement informés par des fonctionnaires du Conseil d’Etat pour la paix et le développement venant de Rangoon au sujet de l’«ordre» et forcés à acheter des exemplaires du «livre vert»à des prix allant de 500 à 3 000 kyats. En réponse, le lieutenant-colonel Win Myint, commandant du bataillon d’infanterie (BI) 232, au camp de Taung Tee, a dit que l’«ordre»émanait de Rangoon et déployait ses efforts à Rangoon. Dans cette partie du pays, «il»était le commandant de district envoyé par Rangoon et ils devaient obéir à ses instructions. S’ils voulaient que l’arrêté 1/99 soit appliqué dans leur district ils devaient «déménager à Rangoon et rester avec Khin Nyunt»…
La documentation transmise par la CISL:
… comprend également un récit détaillé de portage obligatoire pour un peloton de huit soldats de l’armée, conduits par un sous-lieutenant, Tin Myo Win, bataillon d’infanterie (BI) 266, baséà Hakha (Etat Chin, sur la frontière indobirmane).
La colonne de l’armée est basée au camp de l’armée de Sa-Baung-Tha. Un groupe de 54 villageois devait servir de porteurs pour l’armée pendant huit jours. Comme ils n’ont reçu aucune rémunération pour le travail, plusieurs présidents de conseils de paix et développement de villages (autorités municipales), invoquant l’«ordre» du général Khin Nyunt, ont demandé les salaires correspondants au sous-lieutenant Tin Myo Win. Selon le rapport, «le sous-lieutenant Tin Myo Win a répondu que quiconque oserait demander une rémunération la prochaine fois serait immédiatement abattu et tué. Ils étaient tellement terrifiés que personne n’osait plus demander une rémunération»…
La CISL place ce cas «dans le contexte de l’incident dramatique rapporté par la mission de haut niveau au lieutenant-général Khin Nyunt» et mentionné aux paragraphes 28 et 53 et à l’annexe XI de son rapport, de même que de la détention alléguée d’un témoin qui a parléà la mission de haut niveau lors de sa visite à l’Etat d’Arakan, et dont l’existence même a été, par la suite, niée par les autorités. La CISL note encore que «d’autres cas de harcèlement, y compris de détention, de témoins ayant parléà la mission de haut niveau» ont fait l’objet de rapports et se réfère à deux incidents relevant de cette catégorie qui auraient eu lieu dans le district de Pa-an en octobre 2001. Le gouvernement voudra peut-être formuler des commentaires sur ces affaires, en indiquant notamment la manière dont toutes investigations menées à la suite des allégations ont été conduites, par les militaires eux-mêmes ou par les autorités judiciaires, et toutes mesures prises pour protéger contre les représailles tant les témoins ayant parlé que les victimes de travail forcé demandant une réparation.
* * *
29. En bref, la commission note qu’aucune des trois recommandations formulées par la commission d’enquête et acceptées par le gouvernement n’a encore été mise en oeuvre. En dépit de promesses faites de longue date, aussi bien que des assurances de bonne volonté du gouvernement, la loi sur les villages et la loi sur les villes n’ont pas encore été amendées. Si l’arrêté no 1/99, tel que complété, a reçu une large publicité et peut momentanément avoir affecté certains projets d’infrastructure civile, l’arrêté n’a pas de lui-même mis un terme à l’exaction de travail forcé, notamment par les militaires. Il n’y a pas d’indications selon lesquelles les instructions spécifiques et concrètes et les dispositions budgétaires qui font défaut auraient été adoptées, ou du moins préparées, en vue de remplacer effectivement le recours au travail forcé par une offre de salaires et de conditions d’emploi décents, permettant d’attirer librement la main-d’oeuvre nécessaire. Enfin, rien n’indique que des personnes responsables de l’exaction de travail forcé et, souvent, de crimes concomitants aient été condamnées, ou du moins inculpées, en vertu de l’article 374 du Code pénal ou de toute autre disposition, conformément à l’article 25 de la convention.
30. Des personnes rencontrées par la mission de haut niveau «ont indiqué qu’il ne servait à rien de se plaindre auprès des autorités, puisque ce sont celles-là mêmes qui imposent le travail forcé» (paragr. 53 du rapport). Tant que le gouvernement permet que ceux qui exploitent le travail forcé soient perçus comme représentant l’autorité de l’Etat, il prolonge la validité de l’observation finale de la commission d’enquête indiquant:
… que l’impunité avec laquelle les fonctionnaires du gouvernement, et en particulier les membres des forces armées, traitent la population civile comme une réserve illimitée de travailleurs forcés non rémunérés et de serviteurs à leur disposition fait partie d’un système politique fondé sur l’utilisation de la force et de l’intimidation pour dénier au peuple du Myanmar la démocratie et le respect du droit.
[Le gouvernement est prié de fournir des données complètes à la Conférence à sa 90e session.]