Allégations: Les organisations plaignantes dénoncent un processus de détermination de la représentativité syndicale dans les secteurs privé et public, en partie via des élections sociales, engagé par le gouvernement en violation des textes légaux et sans leur participation
- 336. Dans une communication en date du 21 août 2015, l’Organisation nationale des syndicats libres de Guinée (ONSLG), l’Union générale des travailleurs de Guinée (UGTG), la Confédération guinéenne des syndicats libres (CGSL), la Confédération syndicale autonome des travailleurs et retraités de Guinée (COSATREG), la Confédération générale des travailleurs de Guinée (CGTG), l’Union démocratique des travailleurs de Guinée (UDTG) et la Confédération générale des forces ouvrières de Guinée (CGFOG) ont présenté une plainte en violation de la liberté syndicale contre le gouvernement de la Guinée.
- 337. Dans une communication du 24 décembre 2015, le gouvernement a présenté des observations et contesté les faits évoqués par les organisations plaignantes.
- 338. La Guinée a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations des organisations plaignantes
A. Allégations des organisations plaignantes- 339. Les organisations plaignantes dénoncent un processus de détermination de la représentativité syndicale dans les secteurs privé et public, engagé par le gouvernement en violation des textes légaux et sans leur participation. Elles estiment que le vide juridique sur l’organisation d’élections sociales dans le Code du travail et le statut de la fonction publique guinéenne ont conduit à l’immixtion du gouvernement dans les affaires syndicales par la prise d’un décret réglementant l’organisation d’élections sociales, ce qui constituerait une violation de la convention no 87 de l’OIT.
- 340. Selon les organisations plaignantes, le Code du travail ne régule pas l’organisation d’élections sociales, qui ne relèvent que de la volonté des organisations d’employeurs et de travailleurs. Le ministre du Travail avait mis en place une commission de réflexion pour préparer les élections sociales, mais le protocole d’accord proposé par le gouvernement comme base de discussion avait été rejeté par les syndicats. L’inspection générale du travail avait été chargée de dresser le procès-verbal de cette réunion lorsque le décret no D/2014/257/PRG/SGG, du 18 décembre 2014, portant réglementation des élections sociales dans les secteurs public, parapublic et privé, fut émis par le Président de la République, avant la finalisation des travaux. Les organisations plaignantes indiquent que ce décret a fait l’objet de dénonciation auprès de la juridiction nationale et joignent la copie d’un mémoire soumis à la Cour suprême à ce sujet.
- 341. Elles dénoncent le fait que, du 30 mars au 7 juillet 2015, le gouvernement, à travers l’Inspection générale du travail et l’Inspection générale de l’administration publique, a entrepris l’organisation d’évaluations/élections sociales des organisations de travailleurs dans les secteurs public, parapublic et privé en excluant unilatéralement le secteur informel malgré son poids dans l’économie nationale. Elles allèguent que, sur plus de 2 000 entreprises, seulement 150 ont été contactées par le ministère en charge du travail. Une réunion de restitution des résultats, présidée par les ministres en charge du travail et de la fonction publique, aurait eu lieu le 8 juillet 2015 sans la participation des centrales syndicales, puis, le 22 juillet 2015, un courrier aurait été adressé à toutes les organisations syndicales, auquel les organisations plaignantes ont répondu par lettre du 4 août 2015, jointe à la plainte. Les organisations plaignantes allèguent aussi que le ministre en charge du travail et son homologue de la fonction publique ont transmis à la présidence de la république les résultats contestés de cinq communes sur 38 afin de nommer les représentants des salariés au sein du Conseil économique et social. En conséquence, les organisations plaignantes rejettent les décisions issues de ces opérations et allèguent la violation de la loi no L/91/004/CTRN du 23 septembre 1991 portant composition et fonctionnement du Conseil économique et social.
- 342. Les organisations plaignantes joignent à leur plainte des copies du décret no D/2014/257/PRG/SGG, du 18 décembre 2014, de la loi no L/91/004/CTRN du 23 septembre 1991 et du décret no D/2015/145/PRG/SGG du 24 juillet 2015, portant nomination des membres du Conseil économique et social. Elles transmettent également un document contenant le résultat définitif de l’évaluation du niveau de représentativité des organisations syndicales nationales et une lettre du cabinet du Président de la République du 13 juillet 2015 sur la désignation des délégués des centrales syndicales les plus représentatives au Conseil économique et social.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 343. Dans sa communication en date du 24 décembre 2015, le gouvernement a présenté ses observations et a nié les faits évoqués par les organisations plaignantes, tout en réaffirmant sa volonté de respecter la liberté syndicale.
- 344. Selon le gouvernement, le processus d’organisation des élections sociales et de l’évaluation de la représentativité des organisations syndicales a été mené en respectant le tripartisme et en associant toutes les organisations patronales et syndicales à la décision finale. Celles-ci ont été invitées à une réunion tripartite où le projet de décret a été examiné. La réunion, présidée par le représentant des employeurs, a eu comme vice-président un représentant des syndicats – un membre de la COSATREG, une des organisations plaignantes. Si au départ le principe d’un arrêté avait été évoqué, au cours de la réunion, la décision de prendre un décret a été adoptée à la majorité des membres présents, car seul cet acte permettait de couvrir en même temps le secteur privé et le secteur public. Le gouvernement indique que certaines centrales syndicales ont contesté le décret et qu’il a été informé que la Cour suprême avait été saisie d’un recours, bien qu’il n’ait pas encore été interpelé sur le sujet par une instance judiciaire.
- 345. Le gouvernement affirme que, loin d’être une mesure d’exclusion, l’évaluation de la représentativité syndicale a été menée pour respecter les dispositions du Code du travail et des autres textes légaux et réglementaires qui exigent cette donnée. La campagne d’évaluation a été lancée par l’inspection du travail qui a invité les employeurs à procéder aux élections des délégués syndicaux là où cela était nécessaire, notamment pour les cas de mandats expirés. Ces élections se sont déroulées au sein des entreprises sans que le gouvernement n’intervienne. La suite n’a consisté qu’en un décompte arithmétique du nombre d’adhérents par centrales syndicales.
- 346. Le gouvernement souligne le fait que le processus d’évaluation donne une tendance très claire de la représentativité syndicale dans le secteur formel. Il a été indiqué aux centrales syndicales que la difficulté à évaluer le secteur informel exigeait plus de préparation pour en apprécier ses acteurs, les critères de prise en compte et les modalités d’évaluation, et qu’elle se ferait ultérieurement. La restitution des résultats s’est faite le 8 juillet 2015 en présence de toutes les organisations syndicales et du représentant du patronat, qui ont félicité l’initiative et demandé que le processus soit amélioré. A cette occasion, puis par courrier, il a été demandé aux centrales syndicales de désigner des membres à la commission tripartite chargée des réclamations issues des élections sociales. Le gouvernement s’interroge sur le fait que la plainte ne fasse aucune allusion au fait que plusieurs centrales, y compris les organisations plaignantes, ont désigné leur représentant à cette commission. Les observations et réclamations adressées à la commission ont toutes été traitées et sont consignées dans le rapport d’évaluation final adressé à l’ensemble des partenaires sociaux.
- 347. Le gouvernement estime que le décret n’est pas en contradiction et ne remplace aucune disposition du Code du travail ou de la convention no 87 de l’OIT; au contraire, il vient combler un vide juridique sur l’organisation d’élections sociales dans le Code du travail et le statut de la fonction publique guinéenne. Il a également rappelé qu’il se plierait à toute décision des tribunaux guinéens qui, saisis conformément à l’article 521.1 du Code du travail, remettraient en cause le processus d’évaluation et ses résultats.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 348. Le comité note les allégations des organisations plaignantes, selon lesquelles le vide juridique sur l’organisation d’élections sociales dans le Code du travail et le statut de la fonction publique guinéenne ont conduit à l’ingérence du gouvernement dans les affaires syndicales par la prise d’un décret réglementant l’organisation d’élections sociales, ce qui constituerait une violation de la convention no 87 de l’OIT, alors que le gouvernement considère que, loin d’être une mesure d’exclusion, l’évaluation de la représentativité syndicale a été menée pour respecter les dispositions du Code du travail et des autres textes légaux et réglementaires qui exigent cette donnée.
- 349. Le comité estime utile de rappeler en premier lieu que, à plusieurs reprises, et notamment à propos de la discussion du projet de convention sur le droit d’organisation et de négociation collective, la Conférence internationale du Travail a évoqué la question du caractère représentatif des syndicats, et elle a admis dans une certaine mesure la distinction opérée parfois entre les divers syndicats en présence, selon leur degré de représentativité. De son côté, l’article 3, paragraphe 5, de la Constitution de l’OIT consacre la notion d’«organisations professionnelles les plus représentatives». Par conséquent, le comité a estimé que le simple fait que la législation d’un pays donné établit une distinction entre les organisations syndicales les plus représentatives et les autres organisations syndicales, en soi, ne saurait prêter à critique. Encore faut-il que la détermination de l’organisation la plus représentative se fasse d’après des critères objectifs, préétablis et précis, de façon à éviter toute possibilité de partialité ou d’abus, et que les avantages se limitent généralement à la reconnaissance de certains droits préférentiels, par exemple aux fins telles que la négociation collective, la consultation par les autorités ou la désignation de délégués auprès d’organismes internationaux. Le comité rappelle aussi que les systèmes dans lesquels la représentation syndicale conditionnant l’exercice des droits syndicaux collectifs se fonde sur le nombre d’adhérents des syndicats, de même que ceux dans lesquels la représentation syndicale dépend d’une élection générale où votent tous les travailleurs ou fonctionnaires et, enfin, ceux qui reposent sur une combinaison de ces deux mécanismes, sont compatibles avec les conventions nos 87 et 98. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 346, 349 et 354.]
- 350. Le comité observe que les organisations plaignantes soutiennent que le gouvernement a engagé le processus de détermination de la représentativité syndicale dans les secteurs privé et public et adopté un décret à ce sujet sans leur participation, lequel a fait l’objet de dénonciation auprès de la juridiction nationale. Le comité prend note de la réponse du gouvernement qui conteste ces allégations et indique que les centrales syndicales ont été invitées à une réunion tripartite dont le vice-président était un représentant de la COSATREG, une des organisations plaignantes, pendant laquelle le projet de décret a été examiné et adopté à la majorité des membres présents. Par ailleurs, le gouvernement indique n’avoir pas encore été interpelé par une instance judiciaire à ce sujet. Le comité souligne l’intérêt d’une consultation des organisations d’employeurs et de travailleurs lors de la préparation et de la mise en œuvre d’une législation touchant leurs intérêts.
- 351. A la lumière des indications fournies par les organisations plaignantes et le gouvernement, le comité constate que l’évaluation de la représentativité des organisations de travailleurs dans les secteurs public, parapublic et privé a eu lieu du 30 mars au 7 juillet 2015 et que le secteur informel a été exclu malgré son poids dans l’économie nationale. Rappelant que, d’après la recommandation (no 204) sur la transition de l’économie informelle vers l’économie formelle, 2015, lorsqu’il élabore, met en œuvre et évalue des politiques et des programmes concernant l’économie informelle, et notamment sa formalisation, le gouvernement devrait consulter les organisations d’employeurs et de travailleurs les plus représentatives et promouvoir la participation active de ces organisations qui devraient compter dans leurs rangs, conformément à la pratique nationale, les représentants d’organisations représentatives dont les membres sont des travailleurs et des unités économiques de l’économie informelle, le comité prend note de la réponse du gouvernement selon laquelle il a été indiqué aux centrales syndicales que la difficulté à évaluer le secteur informel exigeait plus de préparation pour en apprécier ses acteurs, les critères de prise en compte et les modalités d’évaluation, et qu’elle se ferait ultérieurement. Le comité invite le gouvernement à recourir à l’assistance technique du BIT à cet égard s’il le souhaite.
- 352. Le comité observe que, d’après les organisations plaignantes, sur plus de 2 000 entreprises, seulement 150 auraient été contactées par le ministère en charge du travail et que le ministre en charge du travail et son homologue de la fonction publique auraient transmis à la présidence de la République les résultats contestés de cinq communes sur 38 afin de nommer les représentants des salariés au sein du Conseil économique et social, en violation de la loi no L/91/004/CTRN du 23 septembre 1991. Le comité note la réponse du gouvernement selon laquelle une campagne d’évaluation a été lancée par l’inspection du travail qui a invité les employeurs à procéder aux élections des délégués syndicaux là où cela était nécessaire, notamment pour les cas de mandats expirés, que ces élections se sont déroulées au sein des entreprises sans que le gouvernement n’intervienne et que la suite n’a consisté qu’en un décompte arithmétique du nombre d’adhérents par centrales syndicales. Le comité constate aussi que, selon les documents joints par le gouvernement, les élections sociales ont eu lieu dans le secteur privé et mixte dans un échantillon de 153 entreprises. Puisque les élections syndicales ont été faites pour déterminer la représentativité syndicale au niveau national, le comité prie le gouvernement d’indiquer si le choix des entreprises où les élections se sont déroulées a fait l’objet de consultation avec les partenaires sociaux et d’en indiquer les critères.
- 353. En outre, le comité observe que la loi no L/91/004/CTRN du 23 septembre 1991, portant composition et fonctionnement du Conseil économique et social, prévoit la nomination de 12 membres représentant les salariés des secteurs public et privé, désignés par leurs organisations syndicales les plus représentatives de leurs branches d’activité, et que la désignation de ces membres par le décret no D/2015/145/PRG/SGG du 24 juillet 2015, portant nomination des membres du Conseil économique et social, a été faite conformément aux résultats étayés dans le document portant les résultats définitifs de l’évaluation du niveau de représentativité joint par les organisations plaignantes. Le comité rappelle qu’il a considéré à propos d’une loi instituant un système de représentativité que le fait d’octroyer aux seules organisations syndicales les plus représentatives au regard de cette loi le droit de faire partie du Conseil économique et social ne semble pas influencer indûment les travailleurs dans le choix des organisations auxquelles ils souhaitent s’affilier ni empêcher les organisations jouissant d’une moindre représentativité de défendre les intérêts de leurs membres, d’organiser leurs activités et de formuler leur programme d’action. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 357.]
- 354. Le comité note par ailleurs que le gouvernement indique que la restitution des résultats a été faite le 8 juillet 2015 en présence de toutes les organisations syndicales et du représentant du patronat, qui ont félicité l’initiative et demandé que le processus soit amélioré, que plusieurs centrales, y compris les organisations plaignantes, ont désigné leur représentant à la commission tripartite chargée des réclamations issues des élections sociales, laquelle a traité toutes les observations et réclamations qui lui ont été adressées et qui sont consignées dans le rapport d’évaluation final adressé à l’ensemble des partenaires sociaux.
- 355. Le comité observe aussi que le gouvernement déclare qu’il se plierait à toute décision des tribunaux guinéens qui remettrait en cause le processus d’évaluation et ses résultats. Le comité prie le gouvernement et les organisations plaignantes de le tenir informé de tout recours administratif ou judiciaire intenté par celles-ci qui remettrait en cause le décret susmentionné, le processus d’évaluation ou ses résultats, de transmettre copie des jugements rendus et de faire état des suites données à ces jugements.
Recommandations du comité
Recommandations du comité- 356. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Dans la mesure où les élections syndicales ont été faites pour déterminer la représentativité syndicale au niveau national, le comité prie le gouvernement d’indiquer si le choix des entreprises où les élections se sont déroulées a fait l’objet de consultation avec les partenaires sociaux et d’en indiquer les critères.
- b) Le comité prie le gouvernement et les organisations plaignantes de le tenir informé de tout recours administratif ou judiciaire intenté par celles-ci qui remettrait en cause le décret no D/2014/257/PRG/SGG du 18 décembre 2014, le processus d’évaluation ou ses résultats, de transmettre copie des jugements rendus et de faire état des suites données à ces jugements.