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Interim Report - Report No 370, October 2013

Case No 2994 (Tunisia) - Complaint date: 04-JUN-12 - Closed

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Allégations: L’organisation plaignante dénonce des actes d’ingérence dans ses affaires internes, le fait d’être privée des cotisations de ses membres et d’être exclue des consultations tripartites en vue de l’élaboration d’un contrat social national. En outre, elle dénonce des actes de discrimination antisyndicale à l’encontre de ses membres par la compagnie de transport aérien TUNIS AIR

  1. 721. La plainte figure dans une communication de la Confédération générale tunisienne du travail (CGTT) en date du 4 juin 2012.
  2. 722. Le gouvernement n’ayant pas répondu, le comité a dû ajourner l’examen du cas à deux reprises. A sa réunion de juin 2013 [voir 368e rapport, paragr. 5], le comité a lancé un appel pressant au gouvernement indiquant que, conformément à la règle de procédure établie au paragraphe 17 de son 127e rapport, approuvé par le Conseil d’administration à sa 184e session, il pourrait présenter un rapport sur le fond de l’affaire à sa prochaine réunion, même si les informations ou observations demandées n’étaient pas reçues à temps. A ce jour, le gouvernement n’a envoyé aucune information.
  3. 723. La Tunisie a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, ainsi que la convention (no 135) concernant les représentants des travailleurs, 1971.

A. Allégations de l’organisation plaignante

A. Allégations de l’organisation plaignante
  1. 724. Dans une communication en date du 4 juin 2012, la Confédération générale tunisienne du travail (CGTT) indique que, bien que la reconnaissance légale de l’organisation ait été obtenue le 1er février 2011, la majorité de ses syndicats affiliés se voient dénier le droit d’exercer librement leurs activités dans les entreprises. L’organisation plaignante regrette que, malgré le fait que la Tunisie ait ratifié la convention (no 135) concernant les représentants des travailleurs, 1971, les autorités n’aient pas encore pris d’arrêté qui permettrait le libre exercice du droit syndical dans les entreprises et, notamment, de reconnaître le pluralisme syndical afin de protéger tous les représentants des travailleurs. Aussi, l’organisation plaignante dénonce les violences antisyndicales dont sont victimes de nombreux militants, et ce dans tous les secteurs économiques (santé, banque, transport, énergie, etc.). L’organisation plaignante regrette que les services d’inspection du travail soient incapables de faire respecter le droit syndical dans les entreprises.
  2. 725. A titre d’exemple des actes antisyndicaux subis par ses militants, l’organisation plaignante se réfère à la situation au sein de la compagnie nationale de transport aérien, TUNIS AIR. A cet égard, conformément à la législation en vigueur, la CGTT avait déposé un préavis de grève pour les 22 et 23 mai 2012, à savoir quinze jours avant le déclenchement de la grève alors que l’article 376 bis du Code du travail prévoit un minimum de dix jours de préavis. Les autorités ont ignoré le préavis en violation de l’article 380 du Code du travail qui les oblige à réunir la Commission centrale de conciliation pour trouver une solution à l’amiable au conflit collectif objet du préavis de grève. La situation s’est donc aggravée et la grève s’est poursuivie jusqu’au 24 mai 2012. Selon l’organisation plaignante, la grève a été dénoncée dans les médias nationaux tant par la direction de la compagnie aérienne que par le ministre des Affaires sociales. Des responsables syndicaux de la CGTT ont été suspendus de leurs fonctions et ont fait l’objet de poursuites judiciaires. Il s’agit nommément des dirigeants suivants: Belgacem Aouina, Adnane Jemaiel, Faouzi Belam, Imed Hannachi, Walid Ben Abdellatif et Nabil Ayed. En outre, l’organisation plaignante allègue faire l’objet d’une campagne de dénigrement à travers les médias.
  3. 726. Par ailleurs, l’organisation plaignante dénonce le refus du gouvernement d’établir des critères objectifs de la représentativité syndicale tant au niveau de l’entreprise qu’aux niveaux sectoriel et national, ceci au mépris des dispositions du Code du travail. A cet égard, l’organisation plaignante rappelle qu’aux termes de l’article 39 du Code du travail, relatif aux conventions collectives, «au cas d’un différend au sujet de la représentativité d’une ou de plusieurs organisations, un arrêté du ministre des Affaires sociales, pris après avis de la Commission nationale du dialogue social, déterminera celles de ces organisations…». Or, selon l’organisation plaignante, cette commission prévue par l’article 335 du Code du travail n’a jamais vu le jour.
  4. 727. L’organisation plaignante dénonce le fait que le gouvernement tirerait avantage de cette situation afin de justifier l’exclusivité de la représentativité d’une autre organisation faîtière, nommément l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), dans les consultations tripartites. L’organisation plaignante, qui déclare pâtir de cette situation, considère que la Commission nationale du dialogue social serait le cadre approprié pour gérer la nouvelle situation de pluralisme syndical qui est une réalité depuis le printemps 2011. A titre d’exemple de son exclusion de toutes consultations tripartites, la CGTT dénonce son exclusion des concertations nationales organisées par le ministère des Affaires sociales en vue de l’élaboration d’un contrat social national signé en janvier 2013.
  5. 728. Enfin, l’organisation plaignante dénonce des actes graves d’ingérence dans ses affaires. Ainsi, rappelant que la liberté syndicale implique que les autorités publiques fassent preuve de retenue s’agissant du fonctionnement interne des syndicats, l’organisation plaignante regrette que le gouvernement, à travers le ministre des Affaires sociales, se soit permis d’intervenir dans les médias nationaux pour s’interroger sur la situation interne de la CGTT, en faisant des insinuations sur le nombre réel de ses adhérents ou en faisant état d’une éventuelle affaire devant la justice. Par ailleurs, l’organisation plaignante déclare avoir été privée des cotisations syndicales de ses adhérents dans le secteur public pour l’année 2012, et ce sans aucune raison valable, alors qu’elle les avait normalement reçues pour l’année 2011 en vertu d’une circulaire du Premier ministre du 13 août 2011. Par ailleurs, la CGTT n’a toujours pas reçu le montant qui lui revient du Fonds public de développement économique, au même titre que les autres organisations syndicales et patronales.

B. Conclusions du comité

B. Conclusions du comité
  1. 729. Le comité regrette que, malgré le temps écoulé depuis la présentation de la plainte, le gouvernement n’ait pas répondu aux allégations de l’organisation plaignante, alors qu’il a été invité à plusieurs reprises, y compris par un appel pressant, à présenter ses commentaires et observations sur ce cas. Le comité prie instamment le gouvernement de faire preuve de plus de coopération à l’avenir.
  2. 730. Dans ces conditions, conformément à la règle de procédure applicable [voir 127e rapport, paragr. 17, approuvé par le Conseil d’administration à sa 184e session], le comité se voit dans l’obligation de présenter un rapport sur le fond de l’affaire sans pouvoir tenir compte des informations qu’il espérait recevoir du gouvernement.
  3. 731. Le comité rappelle au gouvernement que l’ensemble de la procédure instituée par l’Organisation internationale du Travail pour l’examen d’allégations en violation de la liberté syndicale vise à assurer le respect de cette liberté en droit comme en fait. Le comité demeure convaincu que, si la procédure protège les gouvernements contre les accusations déraisonnables, ceux-ci doivent à leur tour reconnaître l’importance de présenter, en vue d’un examen objectif, des réponses détaillées aux allégations formulées à leur encontre. [Voir premier rapport du comité, paragr. 31.]
  4. 732. Le comité note que, dans le présent cas, les allégations de l’organisation plaignante, la Confédération générale tunisienne du travail (CGTT), ont trait à des actes d’ingérence des autorités dans ses affaires, à son exclusion de toutes les consultations tripartites nationales et à des actes antisyndicaux de certaines entreprises à l’égard de ses dirigeants sans que l’inspection du travail ne puisse les sanctionner.
  5. 733. De manière liminaire, le comité observe que le dernier cas qu’il a examiné concernant la Tunisie en mars 2010 concernait déjà la situation de la CGTT, et en particulier le refus des autorités d’enregistrer légalement sa constitution. [Voir 356e rapport, cas no 2672, paragr. 1263-1280.] A cette occasion, tout en regrettant le laps de temps écoulé depuis la demande initiale d’enregistrement, le comité avait demandé aux autorités de reconnaître rapidement la personnalité juridique de la CGTT dès lors que cette dernière se conformerait aux formalités prescrites dans le Code du travail. Le comité avait en outre demandé au gouvernement de le tenir informé du processus d’élaboration supposé en cours des critères objectifs et préétablis pour déterminer la représentativité des partenaires sociaux en application de l’article 39 du Code du travail. Le comité constate avec regret que la CGTT semble rencontrer encore des difficultés pour développer ses activités syndicales malgré son enregistrement il y a plus de deux ans.
  6. 734. Le comité note que, selon l’organisation plaignante, malgré sa reconnaissance légale en février 2011, la majorité de ses syndicats affiliés se voient dénier le droit d’exercer librement leurs activités dans les entreprises. Le comité note avec préoccupation les allégations d’ordre général de violences antisyndicales dont seraient victimes de nombreux militants, et ce dans tous les secteurs économiques (santé, banque, transport, énergie, etc.). Il note en particulier la situation décrite au sein de la compagnie nationale de transport aérien, TUNIS AIR où, suite au dépôt d’un préavis de grève resté sans suite en violation du Code du travail – alors que l’article 380 du Code du travail oblige les autorités publiques à réunir la Commission centrale de conciliation pour trouver une solution à l’amiable au conflit collectif objet du préavis de grève –, la grève qui s’est déroulée aurait été dénoncée dans les médias nationaux tant par la direction de la compagnie aérienne que par les autorités. Des responsables syndicaux de la CGTT, nommément Belgacem Aouina, Adnane Jemaiel, Faouzi Belam, Imed Hannachi, Walid Ben Abdellatif et Nabil Ayed, auraient été suspendus de leurs fonctions et feraient l’objet de poursuites judiciaires.
  7. 735. Le comité souhaite rappeler, concernant l’exercice du droit de grève, qu’il a toujours reconnu aux travailleurs et à leurs organisations un tel droit comme moyen légitime de défense de leurs intérêts économiques et sociaux, et que nul ne devrait faire l’objet de sanctions pour avoir déclenché ou tenté de déclencher une grève légitime. Et, à cet égard, la décision de déclarer la grève illégale ne devrait pas appartenir au gouvernement mais à un organe indépendant des parties et jouissant de leur confiance. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 521, 628 et 660.] Le comité prie le gouvernement de transmettre sans délai ses observations concernant la grève intervenue du 22 au 24 mai 2012 à la compagnie TUNIS AIR, d’indiquer en particulier les raisons de la suspension des dirigeants syndicaux de la CGTT suite à celle-ci et de faire état de la situation des recours judiciaires intentés, notamment de toute décision rendue dans ces affaires.
  8. 736. Par ailleurs, le comité prend note avec préoccupation des allégations de l’organisation plaignante concernant des actes d’ingérence dans ses affaires, notamment les déclarations du gouvernement dans les médias nationaux concernant la situation interne de la CGTT. A cet égard, le comité est d’avis que le droit des organisations d’exercer librement leurs activités et de formuler leur programme d’action implique que les pouvoirs publics s’abstiennent de commenter ou d’intervenir dans le fonctionnement de ces organisations, cela dans l’intérêt du développement normal du mouvement syndical et de relations professionnelles harmonieuses.
  9. 737. Notant les allégations de l’organisation plaignante concernant les cotisations syndicales de ses adhérents dans le secteur public pour l’année 2012 qui ne lui auraient pas été versées, et ce sans aucune raison valable, alors qu’elle les avait normalement reçues pour l’année 2011 en vertu d’une circulaire du Premier ministre du 13 août 2011, le comité prie le gouvernement de fournir sans délai des observations à cet égard. Le comité rappelle sur ce point qu’il considère que les cotisations syndicales retenues à la source sur les salaires de fonctionnaires n’appartiennent pas aux autorités et ne constituent pas des fonds publics; il s’agit de sommes que les autorités ont en dépôt, mais dont elles ne peuvent disposer sous aucun prétexte autre que celui de les remettre sans délai à l’organisation concernée. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 479.]
  10. 738. Enfin, le comité prend note avec préoccupation des allégations concernant le fait que le gouvernement n’a pas encore établi des critères objectifs de la représentativité syndicale tant au niveau de l’entreprise qu’aux niveaux sectoriel et national. L’organisation plaignante, qui déclare pâtir de cette situation, dénonce le fait que cette situation a permis son exclusion des concertations nationales organisées par le ministère des Affaires sociales en vue de l’élaboration du contrat social national signé en janvier 2013. Le comité rappelle qu’il ne lui appartient pas de se prononcer sur la représentativité d’une quelconque structure syndicale, que ce soit au niveau de l’entreprise, sectoriel ou national. Néanmoins, le comité est d’avis qu’il importe que la détermination de la représentativité des syndicats aux fins de négociation collective à tous les niveaux soit fondée sur des critères objectifs et préétablis afin d’éviter toute possibilité de partialité ou d’abus. Le comité rappelle que, dans un précédent cas examiné en mars 2010, il avait déjà demandé au gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour les fixer en consultation avec les partenaires sociaux. Le comité constate avec préoccupation qu’aucun progrès ne semble avoir été accompli à cet égard. Le comité se voit contraint de réitérer avec fermeté sa recommandation et de demander au gouvernement de le tenir informé de tout fait nouveau à cet égard. Le comité rappelle au gouvernement qu’il peut se prévaloir, s’il le souhaite, de l’assistance technique du Bureau.

Recommandations du comité

Recommandations du comité
  1. 739. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité demande au Conseil d’administration d’approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité regrette que, malgré le temps écoulé depuis la présentation de la plainte, le gouvernement n’ait pas répondu aux allégations de l’organisation plaignante, alors qu’il a été invité à plusieurs reprises, y compris par un appel pressant, à présenter ses commentaires et observations sur ce cas. Le comité prie instamment le gouvernement de faire preuve de plus de coopération à l’avenir.
    • b) Le comité prie le gouvernement de transmettre sans délai ses observations concernant la grève intervenue du 22 au 24 mai 2012 à la compagnie TUNIS AIR, d’indiquer en particulier les raisons de la suspension des dirigeants syndicaux de la CGTT suite à celle-ci (nommément Belgacem Aouina, Adnane Jemaiel, Faouzi Belam, Imed Hannachi, Walid Ben Abdellatif et Nabil Ayed) et de faire état de la situation des recours judiciaires intentés, notamment de toute décision rendue dans ces affaires.
    • c) Le comité prie le gouvernement de fournir sans délai ses observations en réponse aux allégations de la CGTT concernant les cotisations syndicales de ses adhérents dans le secteur public pour l’année 2012 qui ne lui auraient pas été versées.
    • d) Rappelant qu’il importe que la détermination de la représentativité des syndicats aux fins de négociation collective à tous les niveaux soit fondée sur des critères objectifs et préétablis afin d’éviter toute possibilité de partialité ou d’abus, le comité se voit contraint de réitérer avec fermeté sa recommandation faite en 2010 dans un cas précédent au gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour fixer de tels critères en consultation avec les partenaires sociaux et de le tenir informé de tout fait nouveau à cet égard. Le comité rappelle au gouvernement qu’il peut se prévaloir, s’il le souhaite, de l’assistance technique du Bureau.
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