ILO-en-strap
NORMLEX
Information System on International Labour Standards

Definitive Report - Report No 292, March 1994

Case No 1684 (Argentina) - Complaint date: 16-NOV-92 - Closed

Display in: English - Spanish

  1. 101. La plainte qui fait l'objet du présent cas figure dans une communication de la Confédération générale du travail de la République argentine (CGT) datée du 16 novembre 1992. Par une communication du 25 novembre 1992, la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) s'est associée à la plainte de la CGT. Le gouvernement a adressé ses observations dans une communication datée du 29 janvier 1994.
  2. 102. L'Argentine a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations des organisations plaignantes

A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 103. Dans sa communication du 16 novembre 1992, la Confédération générale du travail de la République argentine (CGT) critique les dispositions du décret no 817/92 portant déréglementation des activités portuaires et celles du décret no 1264/92, qui affectent le secteur du transport maritime, fluvial et lacustre, du transport de voyageurs, de marchandises et de la pêche, ainsi que toutes les activités portuaires d'une manière générale. L'organisation plaignante déclare que ces décrets ont suspendu 62 conventions collectives en vigueur dans le secteur, qui devront être renégociées sur une base très inférieure à celle établie dans les textes abrogés, car elles seront soumises au critère de la productivité.
  2. 104. Les dispositions pertinentes des deux décrets sont les suivantes:
  3. Décret no 817/92
  4. Article 37 (dernier paragraphe): "... les conventions collectives, procès-verbaux d'accords ou sentences arbitrales énumérés dans l'annexe III du présent décret sont suspendus."
  5. Article 35: "A titre transitoire, jusqu'à la conclusion des nouvelles conventions dont il est question dans l'article suivant, les dispositions des conventions, procès-verbaux, accords ou de tout texte normatif établissant des conditions de travail qui contreviennent à la productivité ou qui empêchent ou entravent la direction et l'administration de l'entreprise seront suspendues, conformément aux dispositions des articles 64 et 65 de la loi sur les contrats de travail, notamment:
  6. a) les clauses d'ajustement automatique des salaires ou des indemnités;
  7. b) les dispositions prévoyant le versement de contributions et d'allocations à des fins sociales non prévues par les lois en vigueur;
  8. c) les normes imposant le maintien d'effectifs minima;
  9. d) les dispositions limitant le recrutement ou les promotions ou les assujettissant à des conditions sans rapport avec les aptitudes, la compétence ou les qualifications des travailleurs;
  10. e) les régimes de stabilité de l'emploi;
  11. f) les dispositions prévoyant des intervalles de paiement des salaires inférieurs à la quinzaine;
  12. g) les normes imposant le recrutement de nationaux;
  13. h) l'obligation de recruter indirectement;
  14. i) le recrutement obligatoire de délégués syndicaux ou la présence obligatoire de tels délégués au sein du personnel;
  15. j) le recrutement de personnel spécialisé lorsque cela n'est pas nécessaire;
  16. k) les conditions s'écartant des conditions minima prévues par la loi sur les contrats de travail en ce qui concerne les rémunérations, les congés, la durée de la journée de travail, les périodes de repos, le licenciement et le gain annuel complémentaire, et en ce qui concerne la législation générale relative aux accidents du travail;
  17. l) les dispositions accordant la priorité à une catégorie donnée de travailleurs;
  18. m) toute norme compromettant l'amélioration de l'efficacité et de la productivité du travail."
  19. Article 36: "Le ministère du Travail et de la Sécurité sociale convoquera, dans les dix jours suivant l'entrée en vigueur du présent décret, les commissions de négociation des conventions collectives qui régiront les relations de travail des travailleurs visés par le présent décret, afin de les conformer aux dispositions en vigueur à compter de la promulgation du présent décret."
  20. Décret no 1264/92
  21. Article 1: "Le dernier paragraphe de l'article 37 du chapitre V du décret no 817/92 est remplacé par le texte ci-après: "les conventions collectives, procès-verbaux d'accords ou sentences arbitrales énumérés dans l'annexe III du présent décret sont suspendus"."
  22. Article 2: "L'annexe III du décret no 817/92 est remplacée par l'annexe I du présent décret." (La nouvelle annexe contient une liste de 62 conventions collectives.)
  23. B. Réponse du gouvernement
  24. 105. Dans sa communication du 29 janvier 1994, le gouvernement déclare que, compte tenu du véritable bouleversement qui s'opère sur les plans économique et social au niveau mondial, l'Administration doit susciter, par ses lois et actes de gouvernement, une nouvelle formulation du rapport entre le capital et le travail. Les agissements du gouvernement, si on les rapporte aux normes internationales du travail, n'engendrent à aucun moment de perturbations telles que les principes garantis par la liberté syndicale s'en trouvent affectés.
  25. 106. Le gouvernement ajoute que, dès lors que le droit subjectif à l'intangibilité des dispositions conventionnelles cède lorsqu'il se heurte à l'état de la conjoncture dans laquelle ces dispositions doivent être appliquées, on observe que non seulement ces dispositions ne sont plus d'actualité, mais qu'elles sont devenues un véritable facteur de distorsion de la relation de travail à laquelle elles sont censées s'appliquer; en effet, en devenant inadaptées à la modernité, elles font peser une véritable menace sur l'existence même des sources de travail dans les secteurs en cause. Les réalités dont il convient de tenir compte pour l'analyse des dispositions des décrets contestés sont non seulement la grave crise économique que le pays a connue, et qui a donné lieu à l'adoption par le Congrès national de la loi sur la réorganisation administrative et de la loi d'urgence économique (nos 23.696 et 23.697), mais aussi la nécessité d'adapter les structures économiques et l'appareil productif du pays aux nouvelles caractéristiques qu'imposent à la nation l'intensification de la concurrence internationale et son insertion récente dans un cadre d'intégration régionale. Ce sont tous ces facteurs, sur lesquels les pouvoirs publics ne peuvent agir à leur gré, qui ont rendu nécessaire la transformation des structures existantes dans le pays, non seulement dans les activités maritimes et portuaires, mais aussi, de façon générale, dans toutes les activités économiques.
  26. 107. Le gouvernement déclare que l'organisation plaignante critique les décrets nos 817/92 et 1264/92, alors qu'elle ne se sent pas lésée par les lois nos 23.696, 23.697 et 23.928, qui en constituent pourtant le fondement. Dans les considérants du décret no 817/92, il est expressément indiqué que le pouvoir législatif a mis en marche un processus de transformation de l'économie, pour l'accomplissement duquel il a habilité le pouvoir exécutif national à prendre des décisions devant assurer la mise en oeuvre des principes directeurs établis par le décret, notamment ceux qui procèdent du Traité d'Asunci6n en ce qui concerne la libre circulation des biens, des services et des facteurs de production entre les parties signataires. Dans le cadre de ce système d'intégration régionale s'inscrit un processus de déréglementation, notamment du transport maritime et fluvial et de l'activité portuaire, qui appelle une décentralisation de l'administration de ces services par le biais d'un transfert aux provinces, aux municipalités ou au secteur privé par voie de concessions. Le propos annoncé dans les considérations qui précèdent les dispositions du décret - au sujet du système de relations professionnelles lié aux activités portuaires en général - est d'adapter les régimes existants aux modifications visées, sans que - cela est expressément indiqué - le travailleur se trouve pour autant privé de protection.
  27. 108. La loi no 23.696, en particulier, met en place un véritable dispositif conçu pour faire face à la situation d'urgence en engageant un processus de transformation de l'Etat et de son administration publique, avec - en tant qu'élément clé - une politique de privatisation, décidée et élaborée par le législateur. Cette loi se présente donc comme un règlement pour les privatisations. Elle dispose que le décret du pouvoir exécutif national pourra au besoin disposer l'exclusion de tous les privilèges, clauses de monopole ou interdictions discriminatoires, quand bien même ils découleraient de normes légales dont le maintien fait obstacle à la privatisation ou empêche le démantèlement des monopoles ou la déréglementation du service en cause; la loi no 23.697 est encore plus précise, car elle habilite le pouvoir exécutif national à réviser les régimes de l'emploi afin de corriger les facteurs pouvant nuire à l'efficacité et à la productivité.
  28. 109. Le gouvernement ajoute que, en marge des aspects économiques ponctuels, les normes soumises à l'examen tiennent compte d'un autre élément marquant qui revêt une importance cruciale, à savoir l'accord d'intégration régionale (Marché commun du Sud - MERCOSUR), qui a été ratifié par le Congrès national au moyen de la loi no 23.981. Dans l'objectif final d'accélérer leur développement économique dans la justice sociale, les Etats parties ont ainsi arrêté - entre autres buts - la libre circulation des biens, des services et des facteurs de production, et la coordination des politiques macro- économiques en ce qui concerne notamment les douanes, les transports et les communications.
  29. 110. Le décret en question est donc un texte réglementaire qui assure l'application de différentes lois dans les domaines voulus par le Congrès et qui trouve son fondement constitutionnel dans le jeu harmonieux du paragraphe 28 de l'article 67 - faculté du Congrès d'accorder des compétences à l'exécutif - et du paragraphe 2 de l'article 86 de la Constitution.
  30. 111. Par ailleurs, le gouvernement fait observer que, dans le cas présent, la situation est analogue à celle exposée dans d'autres cas que le Comité de la liberté syndicale a eu l'occasion d'analyser à propos de la République argentine, à savoir les cas nos 1560, 1567 et 1639, où étaient également en cause des actes de l'Administration suscités par la même urgence économique que celle qui a été à l'origine de l'adoption des décrets contestés. Le gouvernement cite les conclusions formulées par le comité dans les cas nos 1560 et 1567 relatifs au décret no 1757/90, au moyen duquel certaines dispositions conventionnelles affectant la productivité et l'efficacité des entreprises du secteur public ont aussi été suspendues jusqu'à la renégociation et la conclusion de nouvelles conventions collectives devant remplacer les conventions existantes.
  31. 112. En ce qui concerne la situation d'urgence économique et les raisons impérieuses ou exceptionnelles qui ont conduit à convoquer les partenaires sociaux de ce secteur d'activité afin qu'ils engagent un dialogue, le gouvernement déclare que les décrets nos 817/92 et 1264/92 et les lois nos 23.696, 23.697 et 23.928 ont été promulgués dans un contexte assez particulier dû à l'hyperflation avec laquelle le pays se trouvait aux prises, et qu'ils visaient essentiellement à assainir l'économie nationale ainsi plongée dans un véritable chaos. Par ailleurs, la question de l'intégration régionale (MERCOSUR) engendre aussi des circonstances particulières, qui permettent d'affirmer que le pays s'est trouvé face à une conjoncture économique et politico-sociale unique dans son histoire.
  32. 113. Dans ces conditions, les décrets nos 817/92 et 1264/92 revêtent une importance primordiale, car ils réglementent des activités sensibles à la situation économique et à l'intégration régionale dans le Marché commun du Sud, touchées par une restructuration complète de l'activité portuaire. Sur le plan économique, le transport par voie d'eau et les services portuaires sont un des secteurs actuellement les plus réglementés. C'est dans ce contexte de nécessité impérieuse que l'Etat s'est vu pressé de prendre des mesures propices à l'assainissement de l'économie et à la préservation des sources de travail.
  33. 114. Le gouvernement explique qu'on ne peut guère améliorer les conditions de vie des travailleurs si l'on ne déclenche pas les mécanismes propres à augmenter l'activité commerciale des ports, et qu'il se heurte à des circonstances exceptionnelles qui rendent nécessaire l'adoption de mesures décisives. En effet, qu'est-ce qui est plus lié au commerce international que les ports d'un pays, lorsque la solution, pour les compagnies de transport - si des mesures d'assainissement efficaces n'étaient pas prises -, consisterait, à moyen terme, à choisir d'autres ports, ce qui entraînerait une baisse de l'activité et tarirait les sources de travail. Rappelons simplement que de nombreux transporteurs internationaux préfèrent débarquer leurs marchandises dans les ports de pays voisins et les acheminer par voie terrestre en Argentine, cela étant moins onéreux que de supporter les frais imposés par les ports argentins pendant la durée du séjour du bateau dans le port. Dans ce contexte, le gouvernement argentin a pris le parti non pas d'annuler des conventions collectives, mais de convoquer les partenaires sociaux afin qu'ils engagent un véritable dialogue, en vue de renégocier les dispositions conventionnelles en vigueur en les adaptant à la nouvelle réalité, afin de préserver, au bout du compte, les activités économiques touchées et, partant, les sources de travail en jeu. Il convient de signaler que les raisons extraordinaires et impérieuses reconnues par le comité sont sans conteste présentes dans le contexte actuel, ce que démontrent les paragraphes qui précèdent, surtout si l'on est conscient que l'intégration régionale d'une part, et le chaos économique de l'autre, qui ont affecté le pays se sont produits en moins d'une demi-décennie, et qu'il ne paraît guère qu'un autre pays ait eu à affronter les mêmes circonstances.
  34. 115. En outre, le gouvernement indique que si l'on examine les dispositions des décrets nos 817/92 et 1264/92, on ne constate aucune vulnérabilité des droits subjectifs, car il n'est nullement question dans ces textes de dérogation. De même, l'article 36 dispose que le ministère du Travail et de la Sécurité sociale convoquera, dans les dix jours suivant l'entrée en vigueur du décret, les commissions chargées de négocier les conventions collectives en vue de les adapter aux dispositions en vigueur à compter de la promulgation du décret. Il est clair qu'en l'occurrence il ne s'est pas agi d'une dérogation à des dispositions conventionnelles, mais de la suspension temporaire de ces dispositions jusqu'à ce que de nouveaux accords soient conclus. Cette suspension n'est que provisoire, et elle est pleinement justifiée par la politique de lutte contre l'inflation et de stabilisation menée par le gouvernement. Le ministère du Travail, par l'arrêté no 489/92, a convoqué les parties intéressées et leur a imposé un délai impératif de dix jours pour commencer le processus de négociation.
  35. 116. Les fondements dudit arrêté, qui sont mentionnés dans les considérants, ont en outre une relation précise avec les questions et les problèmes que nous avons évoqués, à savoir: a) la prise en compte dans les négociations de la nécessité de transformer l'économie, déjà largement commentée; b) la nécessité d'accorder la primauté à l'intérêt général sur les intérêts sectoriels; c) la mise en place d'un dispositif normatif harmonieux qui permette de faire face à la crise économique.
  36. 117. Malheureusement, outre certaines contingences tenant au fonctionnement des commissions paritaires appelées à négocier, le manque d'intérêt des milieux syndicaux a eu pour effet qu'une seule convention a jusqu'ici été conclue, homologuée par le ministère du Travail et mise en vigueur. Les autres commissions de négociation ont néanmoins été maintenues ouvertes, le gouvernement étant convaincu qu'à la longue les parties intéressées devront engager des négociations et qu'elles parviendront à des accords.
  37. 118. Sur un autre plan, toujours dans le cadre de la question qui nous occupe, il convient de souligner ce qui, dans les textes contestés, vise à préserver les principes de la liberté syndicale. Le décret no 827/92 n'a jamais eu pour fin d'affecter ces principes, mais simplement de limiter temporairement certaines facultés, pour ensuite mettre en oeuvre les moyens permettant de susciter efficacement le dialogue, les parties étant sur un plan d'égalité et leurs droits étant préservés.
  38. 119. L'article 36 du décret no 817/92 vise uniquement, en tant qu'objectif fondamental, à amener les parties signataires des conventions suspendues à en renégocier les dispositions, afin "... de les adapter aux dispositions en vigueur à compter de la promulgation du présent décret ...". Les "dispositions en vigueur" ne sont pas les normes minima énoncées dans la loi sur les contrats de travail, mais les lignes directrices et les principes qui se dégagent du nouveau cadre économique en place dans le pays depuis l'adoption des lois nos 23.696 et 23.697.
  39. 120. Le fait que, aux termes de l'article 35 du décret, certaines conditions de travail doivent, parce qu'elles contreviennent à la productivité (alinéas a) à m)), être suspendues jusqu'à leur renégociation n'autorise pas à conclure que les négociations doivent être confinées dans des limites strictes ou minimales. Les textes législatifs à l'examen prévoient seulement que les dispositions conventionnelles seront renégociées afin d'être adaptées à la nouvelle réalité économique et au cadre régional qui prédominent, mais qu'elles peuvent demeurer en vigueur si les coûts sont absorbés. Si l'article 36 convoque les partenaires sociaux afin qu'ils renégocient les dispositions conventionnelles, c'est parce que la portée des nouvelles conditions de travail qui émergeront de ces dispositions est laissée à leur appréciation, même si la libre volonté des négociateurs est circonscrite dans les limites du cadre qui s'impose à tous, y compris à l'Administration, à savoir les nouvelles réalités évoquées plus haut.
  40. 121. En conclusion, les modalités des négociations, telles qu'elles découlent des textes législatifs objet de nos commentaires, sont adaptées aux principes énoncés à plusieurs reprises par le Comité de la liberté syndicale.
  41. 122. C'est précisément pour ces raisons que l'on recherche une marge de négociation dans le cadre plus large de la région. On parle de l'élaboration d'une convention collective au niveau régional par les soins du sous-groupe de travail no 11 du Marché commun du Sud (commission no 7), au sein duquel les chefs d'entreprise et les travailleurs de la région s'accordent sur la nécessité d'élaborer des instruments propres à modifier le rapport entre les deux facteurs de production.
  42. 123. Enfin, le gouvernement déclare qu'il s'est trouvé acculé à opter soit pour la réduction progressive des sources de travail dans le secteur, soit pour l'ouverture d'office de la renégociation des conditions de travail qui y sont en vigueur, et que la suspension temporaire des dispositions conventionnelles existantes lui a paru adaptée à la gravité de la crise structurelle à laquelle il a dû faire face. Le gouvernement considère que les décrets incriminés sont conformes aux dispositions de la convention no 98, et il demande que la plainte soit rejetée.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 124. Le comité observe que les allégations formulées dans le présent cas ont trait à la promulgation du décret no 817/92 portant déréglementation des activités portuaires et du décret no 1264/92, qui affectent le secteur du transport maritime, fluvial et lacustre, du transport de voyageurs, de marchandises et de la pêche, ainsi que toutes les activités portuaires. Concrètement, les allégations ont trait 1) à la suspension de 62 conventions collectives en vigueur dans ce secteur, et 2) à l'obligation de renégocier les conventions collectives, notamment les dispositions des conventions, procès-verbaux, accords, ou de tout texte normatif du secteur établissant des conditions de travail qui contreviennent à la productivité ou qui empêchent ou entravent la direction et l'administration de l'entreprise.
  2. 125. Le comité note que pour justifier les décrets en cause le gouvernement indique: 1) que les autorités se sont trouvées acculées à opter soit pour la réduction progressive des sources de travail dans le secteur, soit pour l'ouverture d'office de la renégociation des conditions de travail qui y sont en vigueur; 2) qu'en vertu de lois antérieures aux décrets incriminés, sur lesquelles ces derniers sont fondés, le transport par voie d'eau et les services portuaires ont été soumis à un processus de privatisation ou de décentralisation par le biais d'un transfert aux provinces, aux communes ou au secteur privé par voie de concessions (décret no 817/92); 3) qu'il est indispensable d'adapter les structures économiques et l'appareil productif du pays - et pas seulement le secteur maritime, fluvial, lacustre et portuaire, objet de la présente plainte - aux nouvelles caractéristiques qu'impose au pays l'intensification de la concurrence internationale; 4) que de nombreux transporteurs internationaux préfèrent débarquer leurs marchandises dans les ports de pays voisins et les acheminer par voie terrestre en Argentine, cela étant moins onéreux; 5) que l'économie argentine s'est récemment insérée dans un cadre d'intégration régionale (le Marché commun du Sud) qui exige la libre circulation des biens, des services et des facteurs de production entre les parties signataires (décret no 817/92).
  3. 126. Dans le cas présent, au-delà de 1 'ampleur des exigences économiques invoquées par le gouvernement, le comité tient à faire observer qu'en d'autres occasions (voir, par exemple, 281e rapport, cas no 1586 (Nicaragua), paragr. 434), ayant eu à examiner des allégations relatives à l'annulation et à la renégociation forcée de conventions collectives en raison d'une crise économique, le comité a considéré "que la renégociation imposée de conventions collectives en vigueur en vertu d'une loi est contraire aux principes de la libre négociation collective volontaire consacrés par la convention no 98", et insisté sur le fait que le gouvernement "aurait dû s'efforcer de faire en sorte que la renégociation des conventions collectives en vigueur soit décidée en vertu d'un accord entre les parties".
  4. 127. A cet égard, le comité tient à souligner que la suspension des 62 conventions collectives en question, assortie de l'obligation de les renégocier, équivaut de fait à une dérogation, et qu'elle a en outre été imposée par voie de décret. Dans ces conditions, compte tenu du principe énoncé dans le paragraphe précédent, le comité ne peut accepter la dérogation - sans l'accord des parties - de ces conventions collectives librement conclues, et il considère que ces mesures sont contraires aux principes de la libre négociation collective volontaire consacrés par l'article 4 de la convention no 98. En conséquence, il demande au gouvernement de respecter pleinement à l'avenir les principes susmentionnés.
  5. 128. Le comité demande au gouvernement s'il souhaite que les dispositions d'une convention collective soient adaptées à la politique économique du pays et à l'exigence de son intégration dans un marché commun international, d'amener les parties à prendre en compte volontairement ces considérations, sans leur imposer la renégociation des conventions collectives en vigueur.
  6. 129. En ce qui concerne la nécessité que les conventions collectives futures soient conformes à des critères de productivité, le comité s'est déjà prononcé à ce sujet dans un cas antérieur soumis par la CGT, l'organisation plaignante dans le présent cas (voir 286e rapport, cas no 1639 (Argentine), paragr. 90, 91 et 92), et il s'en remet par conséquent aux conclusions et à la recommandation qu'il avait formulées à cette occasion:
    • Le comité est conscient qu'à certaines époques, pour assainir l'économie en général et juguler l'inflation en particulier, les gouvernements peuvent adopter des mesures qui entraînent des restrictions à la détermination des échelles de salaires dans les conventions collectives. A cet égard, le comité souhaite signaler qu'il a déjà eu l'occasion de se prononcer sur des allégations similaires de subordination de la négociation collective à la politique économique du gouvernement en Argentine et, concrètement, à des critères de productivité. (Voir 279e rapport, cas nos 1560 et 1567 (Argentine), paragr. 680 à 716.) En effet, en novembre 1991, le comité, lorsqu'il a examiné ces cas, s'est penché sur un décret (no 1757/90) en vertu duquel l'autorité administrative dans le cadre du secteur public pouvait suspendre "les dispositions conventionnelles ... si elles contreviennent à la productivité et empêchent ou entravent l'administration de l'entreprise". (Voir 279e rapport, paragr. 707.)
    • Dans ces conditions, le comité réitère les conclusions qu'il a formulées à sa session de novembre 1991, où il rappelait que lui-même ainsi que la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations avaient souligné que "si, au nom d'une politique de stabilisation, un gouvernement considère que, pour des raisons impérieuses, le taux des salaires ne peut être fixé librement" (dans le présent cas, la détermination de ce taux exclut l'indexation et doit tenir compte des indices d'augmentation de la productivité) "par voie de négociation collective, une telle restriction devrait être appliquée comme une mesure d'exception, limitée à l'indispensable, ne devrait pas excéder une période raisonnable et devrait être accompagnée de garanties appropriées en vue de protéger le niveau de vie des travailleurs. Il convient d'attacher d'autant plus d'importance à ce principe que, par suite de limitations successives, on aboutit parfois à une suspension de longue durée des négociations salariales contraire à la promotion de la négociation collective volontaire." (Voir 279e rapport du comité, cas nos 1560 et 1567 (Argentine), paragr. 714, Etude d'ensemble de la commission d'experts sur la liberté syndicale et la négociation collective, 1983, paragr. 315; et 233e rapport, cas nos 1183 et 1205 (Chili), paragr. 482.)
    • Par conséquent, tenant compte des particularités du système de négociation collective en Argentine et constatant que les limitations à la négociation collective vont au-delà d'une période raisonnable, le comité exprime l'espoir que le gouvernement pourra atteindre aussitôt que possible les objectifs de son plan économique de manière à pouvoir rétablir pleinement le droit de négociation collective.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 130. Vu les conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à adopter les recommandations suivantes:
    • a) Le comité demande au gouvernement de respecter pleinement à l'avenir les principes en matière de négociation collective libre et volontaire.
    • b) Le comité demande au gouvernement, s'il souhaite que les dispositions d'une convention collective soient adaptées à la politique économique du pays et aux exigences de son intégration dans un marché commun international, d'amener les parties à prendre en compte volontairement ces considérations, sans leur imposer la renégociation des conventions collectives en vigueur.
© Copyright and permissions 1996-2024 International Labour Organization (ILO) | Privacy policy | Disclaimer