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Interim Report - Report No 153, March 1976

Case No 786 (Uruguay) - Complaint date: 01-APR-74 - Closed

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  1. 157. Le Comité de la liberté syndicale a examiné plusieurs plaintes contenant des allégations relatives à la violation des droits syndicaux en Uruguay, présentées par la Fédération syndicale mondiale, la Confédération mondiale du travail, la Convention nationale des travailleurs (de l'Uruguay), la Centrale latino-américaine des travailleurs, l'Union internationale des syndicats des travailleurs du bâtiment, du bois et des matériaux de construction, l'Union internationale des syndicats des industries chimiques, du pétrole et similaires, l'Union internationale des syndicats des travailleurs de la fonction publique et assimilés, l'Union internationale des syndicats des industries métallurgiques, la Fédération internationale syndicale de l'enseignement, la Fédération latino-américaine du bâtiment, du bois et des matériaux de construction, la Fédération internationale des acteurs, le Syndicat des médecins de l'Uruguay et l'Organisation ouvrière de l'omnibus (Montevideo). Presque toutes ces plaintes sont réunies sous le cas no 763 au sujet duquel le comité a soumis au Conseil d'administration quatre rapports provisoires, qui figurent aux paragraphes 532 à 552 de son 139e rapport, aux paragraphes 191 à 221 de son 142e rapport, aux paragraphes 305 à 348 de son 147e rapport, et aux paragraphes 147 à 183 de son 149e rapport. Ces rapports ont été approuvés par le conseil d'administration, respectivement, à ses sessions de novembre 1973, de février-mars 1974, de novembre 1974 et de mars 1975.
  2. 158. Dans le dernier de ces rapports, le comité avait signalé qu'il se trouvait devant une situation soulevant des problèmes importants en rapport avec différents principes fondamentaux en matière de liberté syndicale et paraissant affecter une partie considérable du mouvement syndical uruguayen. Le comité avait également fait observer que de nouvelles plaintes continuaient d'être déposées à propos de la situation syndicale dans ce pays, et que les informations fournies par les plaignants et par le gouvernement étaient en bonne partie contradictoires. Dans ces conditions, le comité avait recommandé au Conseil d'administration de solliciter l'agrément du gouvernement pour que, conformément à la formule des contacts directs déjà utilisée dans le cas d'un autre pays, un représentant désigné par le Directeur général procède à un examen, en Uruguay, des faits se rapportant aux plaintes et informe le comité du résultat de sa mission. Cette recommandation ayant été adoptée par le Conseil d'administration, le gouvernement de l'Uruguay a donné son agrément dans des communications en date du 9 et du 15 mai 1975.
  3. 159. Le Directeur général a désigné M. Philippe Cahier, professeur à l'Institut universitaire de hautes études internationales de Genève, qui, accompagné d'un fonctionnaire du Bureau international du Travail, a effectué sa mission entre le 20 juin et le 1er juillet 1975.
  4. 160. Le comité a étudié le rapport présenté par le représentant du Directeur général et a pris note, en particulier, du fait qu'il a reçu toutes les facilités nécessaires pour l'exécution de sa mission en Uruguay, s'acquittant d'un programme bien rempli d'entrevues, notamment avec les autorités et les dirigeants des organisations de travailleurs et d'employeurs, ainsi qu'avec les dirigeants détenus. Avant de se rendre en Uruguay, le représentant du Directeur général s'était entretenu également avec les délégués gouvernementaux et les délégués des employeurs et des travailleurs de l'Uruguay à la 60e session de la Conférence internationale du Travail, ainsi qu'avec des dirigeants de la Convention nationale des travailleurs qui vivent en dehors de l'Uruguay.
  5. 161. Le comité a examiné les différentes plaintes, en gardant présent à l'esprit le rapport susmentionné et il tient à signaler que les informations obtenues par le représentant du Directeur général lui ont été d'une très grande utilité dans ce travail.
  6. 162. L'Uruguay a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. A. Allégations des organisations plaignantes

A. A. Allégations des organisations plaignantes
  • Historique
    1. 163 Les plaintes contiennent diverses allégations sur la répression du mouvement syndical en Uruguay après les événements de la fin de juin 1973 et se réfèrent notamment à la dissolution de la Convention nationale des travailleurs (CNT), à la restriction des droits syndicaux, à l'arrestation de dirigeants et de militants syndicaux ou au lancement de mandats d'arrêt contre eux, à la perquisition des locaux syndicaux et aux actes de discrimination antisyndicale.
    2. 164 Afin de mieux comprendre le contexte général dans lequel se situent ces allégations, le représentant du Directeur général a jugé opportun de présenter un résumé des événements, de nature essentiellement politique, qui ont précédé le changement de régime en Uruguay le 27 juin 1973, signalant à cet égard l'importance que tant le gouvernement que nombre de syndicalistes uruguayens et d'autres personnes attribuent aux facteurs politiques dans l'évolution de la situation syndicale ces dernières années.
    3. 165 Le rapport du représentant du Directeur général signale que, depuis 1967, on a assisté à une aggravation de la situation économique et à une détérioration du climat politique et social qui se sont accompagnées de nombreux arrêts de travail dans les secteurs public et privé. En 1969, 1970 et 1971, tout particulièrement, un mouvement insurrectionnel s'est développé, avec des prises d'otages, des agressions et des affrontements avec la police et l'armée. A partir de septembre 1971, la responsabilité de la lutte antisubversive a été confiée aux forces armées.
    4. 166 En avril 1972, 1"'état de guerre interne" a été déclaré et les libertés individuelles ont été suspendues pour trente jours. L "état de guerre interne" a été levé en juillet 1972; par contre, la suspension des libertés individuelles a été prorogée à diverses reprises. Le 5 juillet 1972, le pouvoir législatif a approuvé la loi no 14068 sur la sûreté de l'Etat et l'ordre public. Entre autres choses, cette loi introduit dans le Code pénal militaire un nouveau chapitre qui définit divers délits qualifiés de "lèse-nation", parmi lesquels les "associations subversives", l"'assistance à ces associations" et l"'assistance aux membres de ces associations", ce qui donne une latitude d'action plus grande aux forces de l'ordre et alourdit les sanctions applicables aux infractions à la sécurité publique.
    5. 167 Le rapport poursuit en déclarant que l'année 1972 a été caractérisée par la lutte contre le mouvement insurrectionnel. En même temps, le rôle des forces armées dans la vie politique est devenu de plus en plus grand.
    6. 168 En ce qui concerne particulièrement la CNT dans cette phase finale du processus, le rapport signale qu'elle a multiplié les manifestations et que, le 29 mars 1973, elle s'est jointe à une grande manifestation en faveur de "solutions nationales" aux problèmes du pays, en décidant un arrêt du travail avec occupation des lieux de travail. Le 1er mai, la CNT a revendiqué notamment des augmentations de salaire, la suppression de la Commission de la productivité, des prix et des revenus (COPRIN - organisme tripartite qui était chargé de fixer les barèmes de salaires), l'application pleine et entière des libertés syndicales et la rupture avec le Fonds monétaire international, appuyant certains objectifs de politique extérieure et réclamant la "démission immédiate" du Président de la République.
    7. 169 Le 15 mai, la CNT a convoqué une nouvelle manifestation des travailleurs pour rencontrer les parlementaires au Palais législatif. L'un des objectifs de cette action était d"'intensifier la mobilisation en faveur de la plate-forme du 1er mai, qui met l'accent sur la lutte pour l'augmentation des salaires, des traitements et des pensions de retraite, ainsi que sur le plan de solutions réclamées par le pays et le rejet catégorique des nouvelles tentatives de répression". De même, la CNT insistait pour que soient repoussées dans la pratique les tentatives de "réglementation antisyndicale" que le gouvernement avait l'intention d'appliquer.
    8. 170 Le rapport arrive enfin au sommet de la crise:
  • "Les mesures relatives à la suspension des libertés individuelles avaient été prorogées par le pouvoir législatif à fin mars 1973. Venues à expiration, elles n'avaient pas été prorogées faute d'approbation du Parlement. De ce fait, le 1er juin, le Président décrétait l'application des mesures d'urgence de sécurité. Dans un discours prononcé le même jour, il déclarait que le pouvoir législatif n'avait pas approuvé le projet de loi intitulé "d'état de danger", présenté par le pouvoir exécutif et destiné, selon lui, non pas à suspendre les libertés de l'ensemble des citoyens, mais à limiter uniquement, et au moyen d'une procédure judiciaire, les droits de ceux qui, pour une raison ou une autre, sont considérés comme pouvant attenter à la patrie. Il ajoutait que la durée de suspension des libertés individuelles décidée par le pouvoir législatif étant arrivée à expiration, et comme la sédition demeurait latente, il estimait avoir arrêté ladite mesure "comme un ultime recours constitutionnel". En même temps, face aux menaces de grève des syndicats pour protester contre le projet de réglementation syndicale, le gouvernement promulguait, le 15 juin, un décret conformément auquel chaque jour de grève des employés de l'Etat était sanctionné par la retenue de trois jours de salaire. De leur côté, les syndicats estimaient que l'augmentation de salaire de 25 pour cent, proposée par le gouvernement, était insuffisante étant donné l'augmentation du coût de la vie.
    1. Le 27 juin 1973, le Président a dissous les deux Chambres législatives, décidant que le pouvoir législatif serait exercé désormais par un Conseil d'état de vingt membres qui assumerait les fonctions législatives, serait habilité à contrôler les actes de l'exécutif et à préparer une réforme constitutionnelle "qui réaffirme les principes fondamentaux démocratiques et représentatifs". Ce même décret établit de nouvelles normes en matière d'information, la presse parlée et écrite se voyant interdire la diffusion de tout type d'informations et de commentaires qui pourraient porter préjudice au prestige du pouvoir exécutif ou aux forces armées, ou encore qui pourraient porter atteinte à la sécurité et à l'ordre public, ainsi que des informations sur les réunions de caractère politique qui pourraient avoir de tels effets. Le décret no 465, du même jour, rend obligatoire l'obtention d'une autorisation préalable pour les réunions ayant un caractère politique."
    2. 171 Cette dissolution des Chambres législatives a eu pour conséquence la grève générale décidée par la CNT et la dissolution de cette organisation par le gouvernement.
  • Allégations relatives à la dissolution de la Convention nationale des travailleurs
    1. 172 Plusieurs plaintes se réfèrent à la dissolution de la CNT, prononcée par décret, le 30 juin 1973, ainsi qu'à la confiscation de ses biens. Le décret fait état, à l'appui de cette mesure, de "l'attitude adoptée par les dirigeants de la CNT tendant à promouvoir la violence et à en faire l'apologie, incitant de petits groupes de travailleurs à occuper les lieux de travail, entravant le fonctionnement normal des services publics et l'approvisionnement indispensable de la population..." La CNT est accusée d'avoir persévéré dans cette conduite malgré les efforts du gouvernement pour résoudre le conflit, défiant ainsi le pouvoir légitime et prétendant l'empêcher de s'acquitter de ses fonctions. Il est également dit que de tels faits n'avaient pas de motifs syndicaux et avaient "un but notoirement politique, étant donné que les dirigeants intéressés prétendent utiliser les organisations syndicales à des fins étrangères à celles qui justifient leur existence...". Conformément au décret, une association peut être réputée illicite en vertu des dispositions de la Constitution nationale et de la loi de 1940 sur les associations illicites, lorsqu'elle use de la violence pour parvenir à ses fins. Par ailleurs, les considérants du décret font valoir l'obligation qu'a le gouvernement, "devant les troubles graves et imprévus occasionnés par les faits en question", de maintenir l'ordre, la tranquillité et la sécurité, ainsi que le bon fonctionnement des services publics et les approvisionnements de première nécessité, de protéger la liberté du travail et de défendre l'économie nationale.
    2. 173 Le représentant du Directeur général explique que, lors de son séjour, les autorités uruguayennes sont revenues sur ces arguments à plusieurs reprises.
  • "D'après le ministre de l'Intérieur, la CNT a été dissoute pour avoir mené des activités politiques et non syndicales. Ledit ministre a relevé que presque tous les dirigeants de la 'NT étaient membres du Comité central du parti communiste. Il a déclaré que la CNT et ses filiales avaient décidé la grève de la fin juin 1973 sur décision du comité directeur de la CNT, sans avoir consulté les travailleurs. Il a déclaré que l'on s'était équipé, dans certaines usines, en vue d'une résistance violente, par exemple avec des cocktails Molotov et des pointes pour crever les pneus. Le ministre du Travail et de la Sécurité sociale a, lui aussi, évoqué les activités politiques des dirigeants en question en soulignant que, dans les jours précédant la dissolution, les ministres du Travail et de l'Intérieur avaient fait d'actives démarches pour négocier avec la CNT qui, au dernier moment, avait pris une attitude intransigeante. Les deux ministres ont indiqué que l'arrêt de la grève avait été décidé en de nombreux secteurs par des consultations à l'occasion desquelles les travailleurs avaient pu s'exprimer librement. Les informations fournies par les représentants de la Chambre de commerce et par des dirigeants de syndicats affiliés à la CGTU (Confédération générale des travailleurs de l'Uruguay) indiquent qu'en effet, dans plusieurs entreprises, après plusieurs jours de grève, il y a eu des réunions lors desquelles des groupes plus ou moins importants de travailleurs ont décidé, par voie de scrutin secret, la reprise du travail. L'examen de la presse de l'époque montre que certaines consultations ont eu lieu et que de nombreuses entreprises ont convoqué leur personnel pour qu'il vienne voter. Pour d'autres syndicalistes, par contre, les consultations furent de peu d'importance; elles ne réunirent qu'un petit nombre de travailleurs et elles se déroulèrent, d'ailleurs, dans un climat tendu, avec occupation des lieux de travail par les forces armées. En fait, toujours d'après ces syndicalistes, la reprise du travail eut lieu après la promulgation du décret no 518, du 4 juillet 1973, qui déclarait ces grèves illicites et autorisait le licenciement des grévistes. De plus, le 12 juillet 1973, les dirigeants de la CNT, alors dans la clandestinité, décidaient de mettre fin à la grève générale.
  • Les autorités uruguayennes m'ont fourni divers documents en vue de prouver l'intervention de la CNT dans les questions politiques. Un de ceux-ci est le texte du programme en quatorze points publié par la CNT à la veille de la manifestation du 29 mars 1973. Le premier point demande la démission immédiate du Président de la République. Le programme réclame aussi l'ajustement des salaires et des retraites en fonction de la baisse du pouvoir d'achat; l'amélioration de la sécurité sociale, du logement, de l'enseignement et des services de santé; le plein respect des libertés démocratiques et syndicales; le rejet du projet de loi intitulé "état de danger"; la rupture avec le Fonds monétaire international et un moratoire sur la dette extérieure; la défense des régies autonomes d'Etat et des services décentralisés, avec représentation des travailleurs à leur direction; l'indépendance économique et la souveraineté nationale, et la nationalisation des banques, du commerce extérieur et des industries frigorifiques. Une déclaration du comité directeur de la CNT, en date du 1er juin 1973, souligne que, avec la mise en oeuvre des "mesures urgentes de sécurité", le Président de la République, qualifié de "représentant de la clique oligarchique", ne faisait qu'imiter son prédécesseur qui "avait déchaîné la répression la plus acharnée contre le mouvement ouvrier et populaire, emprisonnant, mobilisant, destituant et assassinant les travailleurs et les étudiants...". La même déclaration évoque les bénéfices qu'aurait valus à certaines entreprises la hausse des prix à l'exportation, proteste contre la baisse du niveau de vie de la population et les tortures dont auraient été victimes plusieurs travailleurs, et répète le programme précédemment exposé, y compris "le rejet inconditionnel des tentatives de réglementation antisyndicale".
  • En ce qui concerne plus particulièrement les conversations du 28 juin 1973 entre le ministre de l'Intérieur et les dirigeants de la CNT, cette dernière a rendu public le texte d'une communication qu'elle avait remise au ministre. A la fin de cette communication, la CNT déclarait que, à son sens, la situation exigeait l'adoption immédiate du programme suivant: réaffirmation de l'entier respect des garanties de l'activité syndicale et politique et de la liberté d'expression; rétablissement de toutes les garanties et droits constitutionnels; mesures immédiates d'assainissement économique et, notamment, nationalisation des banques, du commerce extérieur et de l'industrie frigorifique; relèvement du pouvoir d'achat des salaires et des retraites et contrôle des prix; "éradication des bandes de fascistes qui agissent impunément dans l'enseignement" et collaboration des enseignants, des parents et des élèves à la reprise des cours."
    1. 174 Dans les conversations que le représentant du Directeur général a eues avec certains dirigeants de syndicats autonomes ou affiliés à la Confédération générale des travailleurs de l'Uruguay (CGTU), ceux-ci lui ont déclaré qu'il y avait eu une politisation excessive chez certains dirigeants syndicaux qui avaient dépassé le domaine des revendications économiques et sociales des travailleurs. Le fait que la grève générale ait été au début si largement suivie s'expliquerait par les contraintes que ces dirigeants auraient exercées à l'avance sur les travailleurs.
    2. 175 De leur côté, les dirigeants qui ont participé à la déclaration de grève générale ont déclaré qu'elle avait pour but la défense de la Constitution et que la décision à cet égard était autorisée par les résolutions adoptées antérieurement par le Congrès de la CNT. Ils ont souligné aussi l'importance que le mouvement syndical attachait au rôle du Parlement et ils ont signalé que la CNT ne représentait pas un mouvement politique particulier, mais l'ensemble des travailleurs. Pour ce qui est de l'occupation des usines, ces mêmes milieux syndicaux (et certaines publications faites en Uruguay) affirment que cette forme de lutte syndicale n'était pas interdite par la législation et que l'on y avait recouru en d'autres occasions.
    3. 176 Il convient de signaler que la loi no 9936 de 1940 sur les associations illicites, citée dans le décret de dissolution de la CNT, autorise le pouvoir exécutif à dissoudre ces associations et prévoit que leurs dirigeants et adhérents qui participent à ces activités illégales seront mis à la disposition de la justice pénale. Il est possible de faire appel de la décision de dissolution au Conseil des ministres. En outre, on peut recourir contre un acte de l'administration devant le Tribunal du contentieux administratif. D'après certains avocats rencontrés par le représentant du Directeur général, cette loi n'a jamais été appliquée précédemment; la dissolution de la CNT (et, par la suite, d'autres organisations syndicales) est intervenue dans le cadre des mesures d'urgence de sécurité; or, d'après une jurisprudence, ancienne il est vrai, la justice se déclare incompétente pour contrôler les actions de l'administration prises dans le cadre de ces mesures.
    4. 177 D'après les informations dont on dispose, la profonde crise politique qui existait en Uruguay a atteint son point culminant avec la dissolution du Parlement par le Président de la République, le 27 juin 1973. Cette mesure a incité les dirigeants de la CNT, dont l'opposition au Président était manifeste, à déclarer une grève générale conformément aux résolutions adoptées antérieurement par le Congrès de cette organisation en prévision de situations de ce genre, dans le but de "défendre la Constitution". Il s'agissait donc d'une grève déclarée dans un contexte politique, ce qui a décidé le gouvernement à dissoudre la CNT. Il n'appartient pas au comité d'exprimer son avis sur les motifs ou la justification d'une grève de ce genre. Mais il doit signaler, comme il l'a déjà fait précédemment, que, à son avis, les grèves ayant un caractère essentiellement politique ne rentrent pas dans le champ d'application des principes de la liberté syndicale.
    5. 178 La décision du gouvernement de dissoudre par décret la CNT pose, en revanche, une question relative aux principes et aux normes en matière de liberté syndicale. En effet, toute mesure de dissolution d'une organisation syndicale devrait se fonder sur des actes illégaux spécifiés dans la législation comme motivant une dissolution. Il appartient normalement au juge de vérifier ces faits. Si, en Uruguay, la loi autorise en effet le pouvoir exécutif à prendre une mesure de ce genre, il semble qu'elle n'a jamais été appliquée précédemment. En réalité, la dissolution prononcée par le Pouvoir exécutif dans l'exercice de fonctions législatives, de même qu'une dissolution prononcée par voie administrative, ne permet pas d'assurer les droits de la défense qui ne peuvent être garantis que par une procédure judiciaire normale, procédure que le comité a toujours considérée comme ayant une importance primordiale. C'est également pour cette raison que la convention no 87 stipule, à l'article 4, que les organisations de travailleurs et d'employeurs ne sont pas sujettes à dissolution ou à suspension par voie administrative.
    6. 179 Le comité considère que le gouvernement uruguayen n'a pas observé cette disposition en prononçant, par décret, la dissolution de la CNT et, par conséquent, il recommande au Conseil d'administration d'appeler l'attention du gouvernement sur ce fait et de souligner l'importance qu'il attache au respect de la norme contenue à l'article 4 de la convention no 87, qui a été ratifiée par l'Uruguay.
  • Allégations relatives aux restrictions des droits syndicaux
    1. 180 Plusieurs plaintes se réfèrent à diverses restrictions des droits syndicaux après les événements survenus en juin 1973 et il est donc nécessaire d'examiner, d'une manière plus générale, la situation dans ce domaine.
    2. 181 Le décret no 622, qui réglemente les activités syndicales, porte la date du 1er août 1973. Ce texte, qui a déjà été examiné par le comité dans un cas antérieur et pour lequel il a formulé diverses observations, exige, pour la constitution d'un syndicat, que celui-ci soit inscrit sur le registre national des syndicats tenu par le ministère du Travail et de la Sécurité sociale. L'enregistrement confère automatiquement la personnalité juridique. L'enregistrement peut être refusé quand les statuts contiennent des dispositions contraires à la loi, à la morale, aux bonnes moeurs, à l'ordre public ou au système démocratique et républicain de gouvernement. Les syndicats ne peuvent intervenir dans les questions politiques.
    3. 182 Les syndicats sont autorisés à constituer des fédérations ou des confédérations soumises aux dispositions de ce décret. Cependant, une décision du ministère de l'Intérieur, du 10 septembre 1973, dont les considérants montrent qu'elle s'applique aux syndicats affiliés à la CNT, interdit les réunions intersyndicales tant que ces syndicats ne seront pas enregistrés et n'auront pas élu leurs autorités conformément au décret.
    4. 183 Le décret se réfère aux réunions syndicales et reconnaît aux syndicats le droit de tenir, en dehors des heures de travail, des assemblées dont la durée ne saurait dépasser cinq heures par jour. Il convient de signaler que le décret no 465, du 27 juin 1973, prévoyait la nécessité d'une autorisation pour toute réunion ayant un caractère politique et que cette autorisation semble avoir été étendue peu de temps après aux réunions syndicales. De l'avis du gouvernement, il s'agit d'une mesure générale appliquée à toutes les réunions qui pourraient se tenir dans le pays.
    5. 184 Les entreprises sont tenues, par le décret, de retenir sur les salaires des travailleurs qui en font la demande la cotisation syndicale telle qu'elle est déterminée conformément aux statuts du syndicat auquel ils appartiennent. Ces cotisations seront versées au syndicat par l'entreprise.
    6. 185 Le décret reconnaît aux syndicats le droit de conclure des conventions collectives et réglemente minutieusement le droit de grève. Pour être licite, la grève ne peut être déclarée qu'après que le syndicat a franchi un certain nombre d'étapes: pétition au ministère du Travail et conciliation. La grève doit être votée au scrutin secret par la majorité des travailleurs intéressés, le vote devant être répété chaque fois que le ministère propose des solutions concrètes. Lorsque la grève est licite, aucun licenciement pour cause de grève ne peut être prononcé. Par contre, en cas de grève illicite, le décret prévoit deux types de sanctions: le licenciement et, parfois, des peines de prison. Le dirigeant syndical qui, contrairement à ces dispositions, encourage la paralysie ou la perturbation des services ou des tâches ou la réduction du rendement se rend coupable d'un délit prévu par le code pénal. Une peine de prison sanctionne ceux qui se sont rendus coupables d'atteintes à la liberté du travail ou qui se livrent à des intimidations de quelque nature que ce soit, ainsi que les dirigeants syndicaux qui, lors d'un conflit collectif, usurpent ou incitent des tiers à usurper, avec ou sans violence, des biens mobiliers ou immobiliers appartenant à des personnes publiques ou privées. Cependant, tant que le Conseil d'Etat n'aura pas approuvé les articles prévoyant ces nouveaux délits, ceux-ci seront sanctionnés conformément aux mesures urgentes de sécurité. Enfin, la grève est interdite dans les services publics essentiels, c'est-à-dire ceux qui garantissent la sécurité, la tranquillité et l'ordre public, ou la vie des habitants, et tous ceux qui sont désignés par le pouvoir exécutif.
    7. 186 Comme le signale le représentant du Directeur général, bien que le décret no 622 et la législation d'application soient toujours en vigueur, ces textes n'ont eu qu'une application partielle. Ce point n'est d'ailleurs pas contesté par le gouvernement. Ce qui semble être appliqué, c'est la réglementation du droit de grève et l'interdiction pour les syndicats de se livrer à des activités politiques.
    8. 187 L'absence d'application de cette législation provient du fait que les syndicats n'ont pas pu obtenir leur inscription sur le registre bien que beaucoup d'entre eux aient rempli les formalités prévues. "De l'avis de plusieurs responsables syndicaux, déclare le représentant du Directeur général, une des raisons de la non-application du décret no 622 provient du fait que les travailleurs se sont réaffiliés en masse à leurs anciens syndicats, alors que le gouvernement escomptait un changement. Pour le gouvernement, il apparaît que le décret ne donnait pas entière satisfaction et qu'il convenait de le modifier, ce qu'il se propose de faire; en outre, la situation politique et économique rendait son application peu opportune. La période qui suit les événements de juin-juillet 1973 semble être considérée par le gouvernement comme une période de transition."
    9. 188 N'étant pas inscrits au registre, les syndicats ont une existence dé fait et non de droit, et cette situation a évidemment des conséquences sur leurs activités. Le rapport du représentant du Directeur général contient une description approfondie des différents problèmes qui se posent et qui sont résumés ci-dessous.
    10. 189 Si la CGTU et certains des syndicats qui lui sont affiliés ont pu élire leurs dirigeants, d'une manière générale les syndicats n'ont pu procéder à des élections. "Les dirigeants antérieurs continuent d'occuper leur charge, mais il n'existe pas de règle qui définisse la mesure dans laquelle ils peuvent exercer la représentation de leurs affiliés. Si quelques syndicats, particulièrement dans le secteur privé, ne se heurtent pas à des difficultés majeures dans leurs relations avec les employeurs ou avec l'administration, les dirigeants de nombreux autres ne sont reçus qu'à titre personnel, ou parfois ne sont pas reçus du tout. Dans un cas, les autorités d'un organisme du secteur public ont interdit expressément le maintien de relations avec une organisation de fonctionnaires."
    11. 190 L'absence de reconnaissance légale a causé des problèmes aux syndicats en ce qui concerne la perception des cotisations de leurs affiliés. Dans la plupart des cas, le prélèvement automatique des cotisations par l'employeur ou l'administration a été supprimé. Au dire du ministre du Travail, ce système a été supprimé parce qu'une partie des fonds avait été utilisée à des fins non professionnelles et parce qu'il n'y avait pas de contrôle officiel sur leur destination. Dans la pratique, il semble que la perception directe des cotisations par les syndicats ne puisse se faire dans certains lieux de travail, mais qu'elle ait lieu dans les locaux syndicaux.
    12. 191 Les réunions syndicales doivent être autorisées au préalable et, d'après le ministre de l'Intérieur, ces autorisations ne sont refusées que si l'on a des motifs de croire que l'on traitera dans ces réunions de sujets politiques. Les réunions des comités directeurs ont lieu, en pratique, sans autorisation, dans, les locaux syndicaux. La situation pour ce qui est de ces dernières réunions ne semble pas très claire en ce qui concerne la demande d'autorisation préalable. Quant aux assemblées, la situation change selon les syndicats. Alors que la CGTU et les syndicats qui lui sont affiliés ne semblent pas avoir de problèmes, les syndicats qui étaient affiliés à la CNT ont à maintes reprises vu leur demande d'autorisation repoussée. Selon le gouvernement, la raison en est que ces organisations s'occupent de questions politiques et débordent du cadre de leurs fonctions syndicales. On a déjà signalé que les réunions intersyndicales de ces organisations sont interdites parce qu'elles n'ont pas obtenu l'enregistrement légal
    13. 192 La situation n'est pas claire en ce qui concerne les publications syndicales. De l'avis du gouvernement, les syndicats sont libres de publier et de distribuer leurs bulletins ou leurs tracts dans la mesure ou le contenu n'en est pas politique et ne va pas à l'encontre des règles relatives à la sécurité de l'Etat. Dans ce dernier cas, en effet, les journaux sont saisis et les distributeurs et les rédacteurs peuvent être poursuivis. Ces mesures sont applicables à toute la presse du pays. Certains syndicats ont suspendu leurs publications pour des raisons d'économie ou parce qu'ils estiment ne pas avoir à procéder à une autocensure. Le représentant du Directeur général signale que le cas de l'Association des employés de banque est un peu spécial. "En effet, on lui a notifié, le 6 août 1974, l'interdiction de procéder à la publication de "tracts, périodiques, bulletins ayant un caractère, politique ou syndical". D'après le gouvernement, cette mesure, s'explique par le fait que les publications de ce syndicat ont été,: de manière réitérée, à l'encontre des règles relatives à la sécurité de l'Etat. L'examen du contenu de quelques bulletins publiés par cette association, en juin et juillet 1974, m'a montré que, dans l'ensemble, les thèmes traités concernaient essentiellement le problème de l'inflation, comparé à l'insuffisance de l'augmentation des traitements, celui de garderies d'enfants, d'horaires de travail, etc. Une publication de fin juillet 1974 examine de manière plus approfondie la situation financière et économique du pays de 1968 à 1973. Ses auteurs arrivent à la conclusion que, dans la période considérée, la politique gouvernementale a eu pour conséquences une baisse du niveau de vie, une augmentation du chômage et un nombre accru de personnes qui quittent le pays.
  • Les autres syndicats semblent continuer à éditer librement leurs bulletins. Cependant, au niveau de la distribution, des difficultés surviennent parfois. Il arrive que des exemplaires soient saisis et des distributeurs arrêtés."
    1. 193 En ce qui concerne les négociations collectives, il convient de rappeler que, depuis 1968, la détermination des rémunérations dans le secteur privé avait été confiée à la Commission de productivité, des prix et des revenus (COPRIN). Il y a eu, cependant, des négociations collectives portant sur d'autres aspects des conditions de travail, et les anciens accords existants semblent continuer à être appliqués dans leur majeure partie. En avril 1974, la représentation syndicale et patronale a été suspendue à la COPRIN, les autorités considérant que les syndicats ne représentaient ni légalement ni effectivement les intérêts des travailleurs. Depuis juin 1973, il ne semble pas qu'aient eu lieu des négociations proprement dites, mais plutôt des accords non formels quand les relations entre le syndicat et l'employeur le permettaient.
    2. 194 En ce qui concerne les conflits collectifs, le ministre du Travail a souligné l'importance de la procédure de conciliation prévue dans le décret no 622 qui a permis de résoudre sans grève 95 pour cent des conflits collectifs. Dans certains cas, semble-t-il, la grève a été autorisée et certains représentants de la CGTU ont signalé qu'une grève avait eu lieu en avril 1975 dans le secteur des transports urbains, et cela sans arrestations ni licenciements. Le représentant du Directeur général signale ne pas avoir trouvé la liste des grèves qui ont eu lieu ces derniers temps dans la documentation qui lui a été remise par les autorités. Pour les dirigeants d'un grand nombre de syndicats, toute grève semble inconcevable, car elle comporterait des représailles contre les travailleurs.
    3. 195 La description de la législation et des faits révèle non seulement l'existence de règles et de pratiques restrictives qui affectent les réunions des syndicats, la perception de leurs cotisations, leur liberté d'expression et la reconnaissance de leurs dirigeants par les autorités et par les employeurs, mais aussi, de manière plus générale, la situation irrégulière dans laquelle se trouvent ces organisations qui ne peuvent obtenir une existence légale et voient ainsi limitées leur gestion interne et leurs activités spécifiques pour la défense des intérêts des travailleurs.
    4. 196 Le comité estime qu'il est urgent que le gouvernement prenne toutes les mesures nécessaires pour éliminer les dispositions et pratiques restrictives en matière syndicale et recommande au Conseil d'administration de signaler au gouvernement l'importance qu'il attache à l'adoption et à l'application rapides d'une législation syndicale conforme aux règles de la convention no 87, en tenant particulièrement compte des observations formulées par le comité et par la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations en rapport avec le décret no 622 réglementant les activités syndicales.
  • Allégations relatives à la détention et aux mandats d'arrêt des dirigeants et militants syndicaux
    1. 197 De nombreuses plaintes contiennent des allégations relatives à la détention de syndicalistes ou se réfèrent aux mandats d'arrêt lancés contre des syndicalistes et, parmi ces derniers, les dirigeants de la CNT, MM. Enrique Pastorino, José d'Elia et Vladimir Turiansky. La position du gouvernement a toujours été qu'aucun travailleur n'a été arrêté en tant que syndicaliste ou pour avoir mené des activités syndicales; les détentions effectuées seraient dues à des motifs politiques ou à des activités considérées comme subversives.
    2. 198 D'après le rapport du représentant du Directeur général, les détentions des dirigeants ou des membres des syndicats ont été relativement nombreuses pendant la période qui a suivi les événements de 1973. Le gouvernement ne le conteste pas. A partir de 1974, le nombre de personnes arrêtées semble moins élevé. "C'est un fait, ajoute-t-il, que, lors de mon séjour, les dirigeants de la plupart des syndicats avec lesquels j'ai eu des contacts m'ont indiqué qu'aucun de leurs dirigeants ou militants ne se trouvait actuellement détenu pour des activités syndicales." De même, les dirigeants dont la détention avait été signalée au Comité de la liberté syndicale se trouvent pour la plupart actuellement en liberté et certains ont quitté le pays.
    3. 199 Les arrestations ont été effectuées soit en vertu des mesures de sécurité urgentes soit sur la base d'infractions présumées réprimées par le code pénal militaire de 1943 ou par la loi de 1972 sur la sûreté de l'Etat.
    4. 200 En ce qui concerne les arrestations effectuées au titre des mesures de sécurité urgentes, c'est-à-dire sans décision judiciaire préalable et sans que le détenu soit traduit en justice conformément à la procédure ordinaire, le représentant du Directeur général a été informé que le pouvoir exécutif rend compte au Conseil d'Etat des mesures prises dans le délai de vingt-quatre heures. "Il semble qu'il ne se soit produit aucun cas dans lequel le Conseil d'Etat ait objecté à l'une de ces mesures. En revanche, j'ai été informé de ce que le Conseil d'Etat intervient parfois, sur la demande d'un proche du détenu, pour déterminer les motifs ou le lieu de détention. En pareil cas, le Conseil d'Etat demande des informations au ministère de l'Intérieur ou de la Défense nationale; si la réponse indique que la détention a lieu au titre des mesures de sécurité urgentes, il n'est pris aucune autre mesure; s'il s'agit d'un délit présumé et si le détenu n'a pas été mis à la disposition de la justice dans les délais légaux de dix jours, le Conseil d'Etat demande à l'autorité responsable de le faire."
    5. 201 Dans les entrevues que le représentant du Directeur général a eues avec des dirigeants syndicaux, ceux-ci ont mentionné Plusieurs cas concrets d'arrestations effectuées en vertu des mesures de sécurité urgentes. Ces arrestations seraient dues, selon ces dirigeants, à des activités telles que la coordination intersyndicale, la perception des cotisations, les réunions dans des locaux syndicaux, les revendications dans l'entreprise ou devant les autorités, avec ou sans grève de soutien, les préparatifs du 1er mai et la distribution de matériel de propagande (parfois de publications clandestines de la CNT et de partis politiques dissous). Les périodes de détention semblent être très variables, allant de quelques heures à plusieurs jours. Les informations reçues du gouvernement confirment des cas particuliers de détention pour ce type d'activités.
    6. 202 Pour ce qui est des détentions effectuées en raison d'infractions présumées au code pénal militaire et à la loi de sûreté de l'Etat, le représentant du Directeur général communique les informations suivantes en relation avec la procédure devant la justice militaire et aux dispositions pénales qui semblent avoir été invoquées dans le cas de certains syndicalistes;
  • Cette procédure "se caractérise par plusieurs phases. La personne arrêtée est traduite devant un officier qui l'interroge et s'assure des preuves. Son dossier est ensuite passé au juge "sumariante", officier chargé à ce stade de l'enquête judiciaire. Elle doit être enfin traduite devant le juge d'instruction dans les dix jours qui suivent son arrestation. C'est à ce moment-là qu'intervient l'avocat défenseur. Si le juge d'instruction procède à son inculpation, la personne est alors soumise au juge militaire de première instance. Elle peut faire appel de la sentence au tribunal suprême militaire, cet appel est automatique si elle est condamnée à une peine supérieure à trois ans. Le condamné peut aussi introduire un recours en révision et cassation de la sentence devant la Cour suprême intégrée, dans ce cas, de deux juges militaires. L'inculpé peut aussi introduire un recours devant cette même cour contre l'acte d'inculpation du juge d'instruction. Enfin, la liberté provisoire peut être décidée soit par les tribunaux militaires, soit par la Cour suprême. Cette dernière peut aussi concéder la grâce.
  • Au cours des entrevues que j'ai eues, j'ai entendu des critiques sur l'excessive longueur des procédures. Les procureurs militaires avec lesquels je me suis entretenu, qui sont des juristes, m'ont déclaré que les arrestations sans procès - sauf les arrestations pour mesures urgentes de sécurité, qui ne relèvent pas de la justice - ne sont pas le cas normal et que les étapes successives de la procédure, fort semblables à celles de la justice pénale ordinaire, se déroulent dans les meilleures formes possible. Ils ont affirmé que les retards, lorsqu'ils se produisent, sont imputables au fait que les juges d'instruction militaires ne sont que six, au grand nombre d'inculpés et, dans certains cas, aux besoins de l'enquête. Il est certain, cependant, que les phases d'enquête et d'instruction semblent empreintes d'une assez grande lenteur. De plus, on ne saurait exclure que des personnes arrêtées en vertu des mesures de sécurité puissent être par la suite déférées à la justice militaire, ce qui rajoute à la période de détention.
  • Si l'on considère alors les dispositions pénales qui semblent avoir été invoquées contre certains dirigeants ou militants syndicaux, on constate qu'il s'agit de celles contenues dans le code pénal militaire de 1943, ou dans la loi de 1972 sur la sûreté de l'Etat. Par exemple, l'article 58 du code pénal militaire prévoit des peines de prison pour les actes définis comme "atteintes au moral" des forces armées, c'est-à-dire des actes tels que l'outrage public aux institutions constitutionnelles et la diffamation des forces armées. La simple critique peut être prise en considération lorsqu'elle a pour objet d'attaquer l'institution même, et non d'en corriger les défauts. On m'a signalé à cet égard le cas d'un dirigeant, responsable du bulletin de son syndicat, qui a été détenu plus d'un mois à cause d'une publication qui y avait paru, concernant la détention et la libération subséquentes d'un autre dirigeant. Il a toutefois été mis en liberté par la justice militaire. Un autre motif d'inculpation qui apparaît est celui introduit par la loi sur la sûreté de l'Etat qui interdit toute association visant à modifier la forme de gouvernement par des voies que n'admet pas le droit public uruguayen (associations subversives, art. 60, V, de la loi), ainsi que l'assistance prêtée à de telles associations ou à leurs membres (art: 60, VI et VII). Le délit d'atteinte à la Constitution est défini en termes similaires, mais ne suppose pas l'association (art. 60, T ) 11
    1. 203 Pour terminer avec ces précisions, il convient de signaler que, sous réserve de certains cas, la grande majorité des dirigeants ou militants syndicaux traduits devant la justice militaire ont été libérés par décision du juge d'instruction. De plus, il semble qu'aucune des personnes citées dans les plaintes ou mentionnées pendant la visite du représentant du Directeur général n'ait fait l'objet d'une condamnation définitive.
    2. 204 Le représentant du Directeur général a demandé et obtenu des informations du gouvernement sur la situation des syndicalistes mentionnés par les organisations plaignantes ou par certains dirigeants syndicaux en Uruguay. Selon ces informations, les personnes qui font l'objet d'un mandat d'arrêt, qui se trouvent effectivement en détention ou qui sont traduites devant la justice, sont celles qui sont indiquées aux paragraphes 205 à 208.
    3. 205 MM. Enrique Pastorino, José d'Elia et Vladimir Turiansky font l'objet d'un mandat d'arrêt en vertu du décret de dissolution de la CNT, qui disposait que les dirigeants ou membres de ladite organisation "qui se seraient rendus coupables de délits pénaux" devaient être soumis à l'autorité judiciaire pénale compétente. Le gouvernement indique qu'il en allait de même pour les dizaines d'autres dirigeants de la CNT qui ont été arrêtés dans la période qui a suivi la dissolution de cette organisation. Cependant, d'après le gouvernement, il s'agissait essentiellement d'éclaircir leur situation et, après une période de détention qui a permis le déroulement de l'enquête, ils ont tous été remis en liberté. Font également l'objet de mandats d'arrêt Mario Acosta Baladón, ancien dirigeant du Syndicat unique national de la construction et des activités annexes (SUNCA - actuellement dissous), soupçonné d'entretenir des relations avec des organisations séditieuses, León Duarte, du Syndicat autonome de l'entreprise FUNSA, pour son appartenance à une organisation séditieuse, Gheza Stari et Roque Faraone, dirigeants de la Fédération nationale des professeurs de l'enseignement secondaire, après la dissolution de cette organisation; Pedro Toledo, dirigeant de l'Union des cheminots (qui, selon les allégations les plus récentes, aurait été arrêté), était recherché par la police pour compléter certaines informations relatives aux activités d'un parti politique dissous.
    4. 206 Sont actuellement détenus: Francisco Pucci, dirigeant de l'Association odontologique de l'Uruguay; Victor Félix Semproni Robaina, militant de l'Association des employés de banque de l'Uruguay, pour avoir participé à des mouvements subversifs; Humberto de los Santos, du Syndicat des travailleurs portuaires, pour avoir fait partie de la direction d'un mouvement subversif.
    5. 207 Sont à la disposition de la justice militaire: Victor Cayota, Luis Güidotti et Omar Genovese, dirigeants de la Fédération nationale des professeurs de l'enseignement secondaire; les deux premiers ont eu des entrevues avec le représentant du Directeur général et ils sont tous accusés d'assistance à des associations subversives ou d'avoir aidé les adhérents de ces associations, parce qu'ils sont liés au Fonds de solidarité créé par ladite fédération. Beltrán Camilo, de l'industrie de la viande du département de Canelones, pour des activités clandestines en faveur d'un groupe réputé illégal et pour avoir obéi à des directives de la CNT; Ricardo Vilaro et Enrique Rubio, dirigeants de la fédération précitée des professeurs, et Héctor Rodríguez, ancien dirigeant du Congrès ouvrier textile; le premier et le troisième sont accusés du délit d'association subversive et le deuxième, d'atteinte à la Constitution sous la forme d'un délit de conspiration; Carlos Dionisio Coitiño Sebey, Freddy Delgado Larrosa et Carlos Fassano Martens, de l'Association des employés de banque, accusés, respectivement, d'avoir dirigé un groupe séditieux, distribué du matériel qui peut être considéré comme subversif, et de délit d'atteinte à la Constitution sous la forme de conspiration; Ciriaco Florentino Alzuera Mederos, militant de l'Union des travailleurs d'AMDET, accusé d'avoir distribué du matériel de propagande d'un parti proscrit.
    6. 208 Postérieurement à la demande d'informations présentée au gouvernement, le représentant du Directeur général a appris de source syndicale que Carlos Torres, Raúl Betarte, Enrique Caballero, Nelson Pellejero et Jacinto Galloso, dirigeants syndicaux du secteur de la construction, faisaient l'objet d'un mandat d'arrêt et que Luis Eduardo Franco et José Matos, de la Fédération des fonctionnaires du service des eaux de l'Etat, étaient détenus, respectivement, depuis mai et juin 1974.
    7. 209 Le représentant du Directeur général s'est également informé sur les allégations relatives aux mauvais traitements infligés aux détenus pendant les interrogatoires.
  • "De nombreux militants syndicaux avec lesquels je me suis entretenu, et qui déclarent avoir été arrêtés une ou plusieurs fois depuis juin 1973, m'ont dit que, personnellement, ils n'avaient pas subi de sévices physiques. D'autres, toutefois, ont affirmé qu'il y a eu des syndicalistes frappés, obligés de porter une cagoule ou de rester de longues heures debout ou assis, forcés de mettre la tête sous l'eau, ou encore obligés d'effacer des inscriptions sur les murs de la ville. Dans un cas, un dirigeant syndical m'a dit avoir été gravement battu et avoir subi d'autres formes de torture. Les deux dirigeants de la Fédération des professeurs de l'enseignement secondaire avec lesquels je me suis entretenu dans leur lieu de détention, en présence de représentants de l'autorité, m'ont déclaré avoir été correctement traités, sauf, pour l'un d'entre eux, lors de la première nuit passée après son arrestation. D'une façon générale, les informations que j'ai recueillies semblent indiquer que, ces temps derniers, le traitement des détenus s'est amélioré.
  • Les autorités uruguayennes, tout en niant l'existence de ces mauvais traitements, m'ont informé de ce que, en certaines occasions, elles avaient reçu des plaintes à ce sujet. Le ministre de l'Intérieur m'a déclaré que, dans l'un de ces cas, il était allé personnellement s'entretenir avec le détenu, qui lui avait assuré que la plainte n'était pas fondée. Il convient de signaler que la législation uruguayenne interdit et punit ce genre d'abus. Lors de mes contacts avec les procureurs militaires, il m'a été dit que si un accusé, déféré devant la justice militaire, déclare avoir subi de mauvais traitements, l'accusation demande au juge d'enquêter sur les faits ou de désigner une commission médicale. On m'a de même indiqué qu'il arrive qu'une personne arrêtée en flagrant délit s'avoue coupable sur le moment, mais revienne ensuite sur ses aveux en alléguant qu'ils lui ont été arrachés par la torture. En pareil cas, m'ont dit les procureurs, le juge enquête d'office sur la véracité de l'allégation."
    1. 210 Compte tenu de toutes ces informations, le comité considère pouvoir formuler, d'une manière synthétique, les conclusions suivantes:
      • - les autorités ont arrêté un bon nombre de syndicalistes, qui ont ensuite recouvré la liberté, pour avoir mené des activités de caractère syndical qui se trouvent interdites ou soumises à des restrictions en Uruguay;
      • - ces détentions, fréquentes en 1973, ont diminué en 1974 et en 1975 et, au moment de la visite du représentant du Directeur général, aucun dirigeant ou militant de la majorité des organisations avec lesquelles il a eu des entretiens ne se trouvait détenu en raison de ses activités syndicales;
      • - les dirigeants de la CNT, Enrique Pastorino et José d'Elia, ont fait l'objet de mandats d'arrêt depuis la dissolution de cette organisation en juin 1973; les autres dirigeants de cette organisation, qui avaient été arrêtés, ont recouvré la liberté une fois l'enquête terminée. Plus récemment, des mandats d'arrêt ont été décernés ou d'autres syndicalistes ont été détenus, dans certains cas parce qu'ils étaient considérés comme liés à des organisations séditieuses ou à des partis politiques dissous; dans d'autres cas, on ne dispose pas d'informations du gouvernement à ce sujet;
      • - plusieurs syndicalistes se trouvent à la disposition de la justice militaire, accusés qu'ils sont d'appartenir ou d'être liés à des organisations séditieuses ou de se vouer à des activités politiques interdites. La procédure suivie, semblable à celle de la justice pénale ordinaire, semble empreinte d'une grande lenteur, notamment dans les phases de l'enquête et de l'instruction; aucune condamnation n'a été prononcée dans les procès contre les syndicalistes cités dans les plaintes ou mentionnés pendant le séjour du représentant du Directeur général;
      • - selon les informations reçues, dont certaines proviennent des intéressés eux-mêmes, il y a eu des cas de mauvais traitements infligés aux détenus; les autorités nient l'existence de cas de ce genre, bien qu'elles reconnaissent avoir reçu des plaintes à ce sujet. Par ailleurs, de nombreux syndicalistes rencontrés et qui avaient été arrêtés ont déclaré ne pas avoir été soumis à ces pratiques. En général, il semblerait que, ces derniers temps, le traitement des détenus se soit amélioré.
    2. 211 Quant aux deux premiers points signalés dans le paragraphe précédent, le comité considère que, si les détentions de syndicalistes en rapport avec leurs activités de caractère syndical ont diminué, il s'agit ici d'un problème plus général étroitement lié à la législation et aux pratiques restrictives en la matière signalées antérieurement dans le présent rapport. Par conséquent, la solution de ce problème exige que l'on supprime ces restrictions et, à cet égard, le comité se réfère à ce qui a été exposé plus haut, dans les paragraphes 195 et 196. De plus, le comité souhaite insister sur le danger que représentent pour les droits syndicaux les détentions de syndicalistes contre lesquels, par la suite, il n'a pas été retenu de motif de condamnation; le gouvernement devrait prendre des dispositions à cet égard, afin que les autorités intéressées reçoivent des instructions appropriées visant à éliminer le danger de ces détentions injustifiées.
    3. 212 En ce qui concerne les autres questions mentionnées au paragraphe 210, le comité recommande au Conseil d'administration:
      • a) de prendre note de la libération des syndicalistes arrêtés, mentionnée au paragraphe 198;
      • b) en ce qui concerne MM. Enrique Pastorino et José d'Elia, étant donné le temps qui s'est écoulé depuis les événements qui ont motivé le mandat d'arrêt décerné contre eux et tenant compte du fait que les autres dirigeants de la CNT qui avaient été détenus en vertu de la même disposition ont tous été libérés, de demander au gouvernement de bien vouloir examiner la possibilité d'annuler cette mesure, contribuant ainsi à régler les problèmes existant en matière de liberté syndicale;
      • c) en ce qui concerne M. Vladimir Turiansky, de demander au gouvernement de bien vouloir fournir des informations sur sa situation légale et sur les mesures prises à son égard;
      • d) en ce qui concerne les syndicalistes encore détenus ou soumis à la justice militaire:
      • i) de réaffirmer le principe selon lequel, dans tous les cas, y compris lorsque des syndicalistes sont accusés de délits de caractère politique ou de droit commun que le gouvernement considère comme étrangers à leurs fonctions ou activités syndicales, les intéressés devraient être jugés dans le plus bref délai possible par une autorité judiciaire impartiale et indépendante;
      • ii) de demander au gouvernement de bien vouloir donner des informations sur la décision qui sera adoptée ou de transmettre, avec leurs attendus, le texte des jugements qui seront prononcés contre les syndicalistes mentionnés ci-dessus, au paragraphe 207;
      • iii) de demander au gouvernement d'envoyer des informations sur la situation des syndicalistes mentionnés au paragraphe 208;
      • e) en ce qui concerne les allégations relatives aux mauvais traitements, même si ceux-ci ont pu avoir un caractère exceptionnel, de signaler au gouvernement l'importance qu'il y a à prendre toutes les mesures qui s'avèrent nécessaires, y compris à donner des instructions spécifiques et à prendre des sanctions efficaces, pour s'assurer qu'aucun détenu ne soit soumis à de mauvais traitements.
    4. Allégations relatives à la dissolution d'autres organisations syndicales
    5. 213 Certaines plaintes se réfèrent à la dissolution, par décision du pouvoir exécutif, du Syndicat unique national de la construction et des activités annexes (SUNCA) et de la Fédération des professeurs de l'enseignement secondaire. Les deux organisations ont été dissoutes en vertu de la loi de 1940 sur les associations illicites et dans le cadre des mesures urgentes de sécurité.
    6. 214 Le décret portant dissolution du SUNCA, en date du 11 octobre 1974, ordonnait la fermeture de son siège, la saisie de ses biens et le retrait de sa personnalité juridique. Ces mesures ont été motivées par une grève déclarée illicite, en vertu du décret no 622, pour n'avoir pas suivi la procédure fixée dans ledit décret en cas de conflit collectif. Le décret de dissolution affirme que le SUNCA ne représente pas la majorité véritable des travailleurs du secteur considéré et que la grève faisait partie des activités des "associations politiques marxistes dissoutes par le décret no 1026 du 28 novembre 1973".
    7. 215 Les membres du syndicat et de la CNT, à laquelle il était affilié, ont indiqué que la grève avait pour origine le retard mis à verser aux travailleurs l'indemnité de congés payés de 1973. Les dirigeants syndicaux s'étaient adressés au ministre du Travail et à d'autres autorités pour trouver une solution au problème mais, au bout d'un mois et demi d'attente infructueuse, ils avaient alors décidé de recourir à l'action directe. Selon les autorités, en revanche, les dirigeants savaient que le paiement dudit salaire serait, comme l'année précédente, versé en octobre 1974. Le véritable motif de la grève aurait été que le syndicat s'opposait à ce que le gouvernement modifiât la loi dite d'unification des contributions sociales dans l'industrie de la construction. Ces contributions sont perçues à des fins de sécurité sociale, et la modification envisagée par le gouvernement avait pour objet d'abaisser les coûts des travaux et d'assainir l'administration des fonds. Les travailleurs de la construction proprement dite n'en ont pas subi le contrecoup, mais les travailleurs des entreprises fournissant les matériaux ont été assujettis à un autre régime.
    8. 216 La Fédération des professeurs de l'enseignement secondaire et toutes les organisations qui lui étaient affiliées ont été dissoutes par une décision du pouvoir exécutif en date du 15 avril 1975. Les considérants de cette décision indiquent que ces organisations étaient dépourvues de la personnalité juridique, qu'elles n'étaient pas reconnues officiellement en application du décret no 622 et qu'elles ne réunissaient pas la majorité du personnel enseignant. La décision mentionne également une perquisition effectuée le 21 mars 1975 par la police dans les locaux de la fédération celle-ci avait permis de découvrir une réunion de dirigeants de ces organisations et de la Fédération uruguayenne des instituteurs qui étaient membres de la direction de certains partis politiques dissous, ainsi que des publications clandestines du parti communiste et de la CNT. Certains documents qui se trouvaient là prouveraient le soutien financier apporté à des professeurs suspendus ou destitués pour sédition; de ces faits, d'après les considérants de la décision, il résulte que la réunion avait un caractère politique ayant pour but l'approbation de moyens illégaux de lutte syndicale. La décision indique que ces organisations sont en réalité de faux syndicats, car elles manquent de motivations professionnelles véritables et poursuivent des objectifs politiques antinationaux.
    9. 217 Pendant la visite du représentant du Directeur général, les autorités lui ont signalé que le secteur de l'enseignement était l'un de ceux où les éléments séditieux s'étaient le plus profondément infiltrés.
    10. 218 Se rapportant d'une manière plus concrète à certains des faits imputés à la fédération et à ses organisations affiliées, le représentant du Directeur général indique:
  • "L'examen de la documentation saisie, lors de cette perquisition ou au domicile des personnes arrêtées, montre qu'il s'y trouvait, entre autres, un exemplaire, publié dans la clandestinité, d'un journal du parti communiste, un document de la CNT qui, à côté de revendications syndicales, reprenait certains des thèmes indiqués ci-dessus [voir plus haut paragraphe 173] et prévoyait l'organisation de manifestations diverses durant l'année 1975, et notamment à l'occasion du 1er mai. Ce même document faisait état des contacts que la CNT a dans les milieux politiques en vue de réaliser des points d'entente pour la lutte contre le gouvernement. Dressant un bilan de la situation politique, il signalait la crise que traverse le capitalisme au point de vue économique et son affaiblissement provoqué par les luttes de libération nationale et les victoires de la classe ouvrière en France et en Italie. Un autre papier faisait état d'irrégularités dans la procédure de licenciement de professeurs. Enfin, d'autres documents émanaient d'organisations étrangères comme, par exemple, Amnesty International, la confédération syndicale mondiale de l'enseignement, etc.
  • Un des griefs formulé par le gouvernement, et cité dans la décision, concerne le fonds de solidarité créé en 1972 par la Fédération nationale des professeurs de l'enseignement secondaire. D'après les déclarations de représentants de ce syndicat, son but était d'aider les professeurs qui, pour une raison ou une autre, étaient privés de leur traitement. Toujours d'après eux, ce fonds, financé par les cotisations des membres du syndicat et par des donations, a toujours été très modeste et l'aide fournie limitée à de petites sommes. L'aide a été essentiellement accordée à des professeurs suspendus de leur charge ou licenciés pour des activités syndicales et sur la base de leur situation financière et familiale. Dans quelques cas, cependant, l'aide a été accordée à des personnes soumises à la justice militaire et accusées de délits contre la sûreté de l'Etat. Dans l'ensemble, les représentants du syndicat soulignent que l'aide était humanitaire et qu'elle ne signifiait aucunement une approbation de la cause politique défendue par ces personnes.
  • Pour le gouvernement, les membres de ce fonds ne pouvaient pas ignorer les motifs de licenciement ou de suspension puisqu'ils figuraient au Journal officiel. De plus, les autorités m'ont donné une liste de onze personnes soumises à la justice militaire pour activités subversives qui ont été aidées par ce fonds."
    1. 219 Le comité remarque que les motifs invoqués pour la dissolution des deux organisations syndicales sont liés à certaines activités considérées par le gouvernement comme des activités illégales de caractère politique. Comme il l'a signalé précédemment en rapport avec la dissolution de la CNT, le comité considère qu'il incombe normalement aux juges de décider si certains faits imputés à un syndicat doivent donner lieu à sa dissolution conformément aux dispositions de la législation. Dans le cas présent, les dissolutions des organisations citées ont été ordonnées en tant que mesures de sécurité urgentes qui ne permettent pas d'assurer les droits de la défense. Ces droits, comme l'a déjà signalé le comité, ne peuvent être garantis que par une procédure judiciaire normale. Par ailleurs et d'une manière plus générale, le comité considère, en raison des graves conséquences que la dissolution de leurs syndicats a pour la représentation professionnelle des travailleurs, qu'il semblerait préférable pour la conduite des relations professionnelles qu'une telle mesure soit prise en dernier recours seulement, après avoir épuisé d'autres moyens moins radicaux pour l'organisation dans son ensemble.
    2. 220 Le comité recommande au Conseil d'administration d'appeler l'attention du gouvernement sur le fait qu'il n'a pas observé l'article 4 de la convention no 87 en procédant à la dissolution des organisations mentionnées par décision du pouvoir exécutif.
  • Allégations relatives à la perquisition des locaux syndicaux
    1. 221 Plusieurs plaintes contiennent des allégations concernant la perquisition des locaux de diverses organisations syndicales; à ce sujet, le représentant du Directeur général déclare qu'il est certain, et le gouvernement le reconnaît, que, dans la période qui a suivi les événements de juin-juillet 1973, et tout particulièrement après la grève générale, de nombreux locaux ont fait l'objet de perquisitions et du matériel a été saisi (fichiers, publications, livres, machines à écrire et matériel de bureau). Les reçus que le représentant du Directeur général a pu consulter, quelques mois après, montrent que ce matériel ou une partie de celui-ci a été- rendu, tout au moins à certains syndicats (par exemple au Syndicat de la restauration et de la pâtisserie, à l'Association des fonctionnaires de AMDET, à la Fédération nationale des télécommunications, au Groupement des fonctionnaires de ANCAP). Cependant, plusieurs dirigeants syndicaux se sont plaints de ne pas avoir pu obtenir la restitution de la totalité du matériel saisi ou de n'avoir obtenu qu'une restitution partielle.
    2. 222 Le gouvernement justifie ces perquisitions par la situation politique du moment et par le fait que ces syndicats étaient étroitement liés à des mouvements politiques. Tous les locaux perquisitionnés appartenaient à des syndicats affiliés à la CNT, et les dirigeants des syndicats affiliés de la CGTU ont déclaré que leurs locaux n'avaient pas été l'objet de ces mesures de perquisition. Le représentant du Directeur général explique:
  • "L'argument politique est encore invoqué par le gouvernement pour expliquer les perquisitions qui ont eu lieu en 1974 et 1975. Bien qu'inférieures en nombre à celles de 1973, ces perquisitions semblent être encore relativement nombreuses. C'est ainsi que le gouvernement justifie la perquisition du siège de la Fédération des ouvriers de la laine, le 8 mars 1974, parce qu'il s'y tenait une réunion dont l'autorisation avait été expressément refusée. Dans le cas du Syndicat unique du transport maritime, dont le local a été perquisitionné le 28 mars 1974, il s'agissait d'une réunion de personnes ayant en leur possession des exemplaires d'une publication d'un parti politique dissous. Les locaux du Congrès ouvrier du textile et de l'Union nationale des travailleurs de la métallurgie et branches connexes ont été perquisitionnés, les 22 et 6 mars 1974, parce qu'on avait exposé sur la façade de ces immeubles des panneaux de propagande de l'ancienne CNT. Les dirigeants de l'Union de la métallurgie m'ont montré le panneau incriminé qui posait le problème de l'émigration des travailleurs uruguayens. Pour certains syndicalistes, les perquisitions ont pour objet d'intimider les syndicats et de créer un climat d'insécurité qui a pour conséquence que les membres des syndicats hésitent à fréquenter les locaux syndicaux."
    1. 223 Ces perquisitions sont parfois suivies de fermeture temporaire des locaux. Cependant, le local de la filiale du Groupement du personnel de l'électricité et des télécommunications de l'Etat (AUTE), département de Salto, est fermé depuis le 1er décembre 1973, sans que ce syndicat ait pu en connaître la raison. De même, le local de la Fédération des transports est fermé depuis le 6 juin 1975. Le motif indiqué est que, lors d'une perquisition, on a trouvé des publications de la CNT.
    2. 224 Le comité remarque que les perquisitions de locaux syndicaux, bien qu'elles aient diminué après la grève de 1973, continuent à être relativement fréquentes et à se rapporter, dans plusieurs cas, à des faits de nature politique. Ces perquisitions sont effectuées par la police qui n'a pas besoin actuellement d'un mandat judiciaire pour ce faire, en vertu du régime des mesures de sécurité urgentes.
    3. 225 Le comité désire faire observer les risques d'abus qui peuvent résulter d'une absence de contrôle judiciaire, soit antérieur soit postérieur, des mesures de perquisition. Si certaines perquisitions peuvent se justifier parce que l'on détient des indices sûrs de l'existence de preuves d'un délit prévu par la législation, dans d'autres cas il peut se produire des abus lorsque les autorités de police recourent à de telles mesures de leur propre chef et pour des faits qui ne constituent pas des délits, ne restituent pas les biens du syndicat ou maintiennent fermé un local syndical. Le principe général appliqué par le comité en ce qui concerne la perquisition des locaux syndicaux est que les syndicats, comme les autres associations ou les particuliers, ne peuvent se prévaloir d'aucune immunité contre une perquisition des locaux syndicaux; cependant, le comité a toujours signalé l'importance qu'il attache au principe selon lequel une telle intervention ne devrait se produire qu'à la suite de la délivrance d'un mandat par l'autorité judiciaire ordinaire, lorsque cette autorité est convaincue qu'il y a de solides raisons de supposer qu'on y trouvera les preuves nécessaires à la poursuite d'un délit conformément à la législation ordinaire et à la condition que la perquisition soit limitée aux objets qui ont motivé la délivrance du mandat.
    4. 226 Le comité recommande au Conseil d'administration de signaler à l'attention du gouvernement les considérations et le principe exposés dans le paragraphe précédent, afin qu'il prenne les mesures nécessaires pour éviter l'éventualité de perquisitions abusives des locaux syndicaux, pour restituer les biens syndicaux saisis et pour rouvrir les locaux fermés.
  • Allégations relatives à des actes de discrimination antisyndicale
    1. 227 Certaines plaintes se réfèrent au licenciement de syndicalistes en raison de leurs activités syndicales et les informations données par les organisations syndicales au représentant du Directeur général pendant sa visite indiquent que, principalement en raison de la grève de 1973, mais également pour d'autres motifs, de nombreux dirigeants et militants syndicaux ont perdu leur emploi dans le secteur privé ou bien, dans le secteur public, ont été destitués ou suspendus.
    2. 228 En ce qui concerne le secteur privé et les travailleurs licenciés en raison de la grève, il convient de signaler que le décret no 518, du 4 juillet 1973, dont l'application se limitait à ce mouvement, prévoyait que les grèves, arrêts de travail et toute autre forme irrégulière de travail constituaient une "mauvaise conduite notoire", autorisant le licenciement sans indemnisation. De nombreux cas de licenciements ont été signalés au représentant du Directeur général, notamment dans les secteurs du textile, de la métallurgie, des transports, du commerce et de la presse. En ce qui concerne M. Antonio Tamayo, président de l'Organisation ouvrière de l'omnibus (Montevideo), dont le licenciement a été allégué concrètement dans une plainte, les autorités ont indiqué qu'il s'était consacré à des activités politiques. Dans le secteur bancaire et dans d'autres secteurs, des sanctions sous forme d'amendes ont été appliquées. Les dirigeants des organisations patronales ont déclaré pour leur part que les dispositions du décret no 518 ont été rarement appliquées et que, en général, les entreprises ont versé des indemnités aux travailleurs licenciés, bien qu'elles n'aient eu aucune obligation de le faire.
    3. 229 Pour ce qui est des licenciements intervenus dans le secteur privé pour des causes autres que celles de la grève de 1973, le représentant du Directeur général a reçu des informations de la Fédération des ouvriers et employés de l'industrie des boissons selon lesquelles des dizaines de licenciements seraient intervenus pour des motifs syndicaux, sans préciser lesquels; la Fédération des ouvriers et employés des moulins a cité le licenciement de huit militants et dirigeants syndicaux, le 31 mars 1975, sans en fournir les motifs; le Congrès ouvrier du textile a signalé le licenciement d'un ouvrier arrêté, à l'occasion du 1er mai 1975, sous prétexte qu'il ne s'était pas présenté au travail pendant sa détention; le 2 décembre 1974, des ouvriers et des dirigeants qui avaient participé à une grève dans l'industrie frigorifique de Victoria, ont été licenciés; l'Union nationale des travailleurs de la métallurgie a fait état du licenciement de plusieurs travailleurs qui avaient protesté au sujet de leur emploi et avaient présenté des revendications professionnelles. De l'avis des représentants des organisations patronales, il n'y a pas de licenciement pour activités syndicales, à moins que celles-ci ne soient illicites. D'après le gouvernement, les abus en matière de licenciement sont réprimés par le ministère du Travail ou par les juridictions du travail. Le fonctionnement de ces juridictions a été rendu plus souple, comme le signalent également des dirigeants syndicaux et des avocats.
    4. 230 La législation applicable dans ces cas est, d'une part, le décret no 622 qui, outre qu'il prévoit d'une manière générale que les travailleurs jouissent d'une protection appropriée contre tout acte tendant à restreindre la liberté syndicale en relation avec leur emploi, contient une disposition concernant particulièrement les dirigeants syndicaux qui ne peuvent pas être licenciés pour leur participation à des activités syndicales effectuées en dehors des heures de travail ou pendant celles-ci avec le consentement des employeurs (article 8); d'autre part, la règle générale selon laquelle l'employeur doit verser une indemnité au travailleur licencié, sauf lorsque le licenciement a été prononcé pour un motif légitime. Il convient de rappeler de la même manière que le décret no 622 prévoit le licenciement pour participation à des grèves qui n'ont pas respecté les formalités légales.
    5. 231 Quant aux licenciements dans le secteur public motivés par la grève de 1973, le décret no 518 déjà mentionné disposait que les fonctionnaires qui se rendraient coupables de faits de grèves, d'arrêts de travail ou de toute autre forme irrégulière de travail devaient être révoqués de leurs obligations "pour négligence". Cette disposition ne dispensait toutefois pas d'obtenir, le cas échéant, l'autorisation du Conseil d'Etat et, en outre, la direction était tenue d'adresser une mise en demeure au travailleur avant de prendre des sanctions. En dehors de ce cas particulier, la règle générale est l'inamovibilité des fonctionnaires; avant de licencier un fonctionnaire, il est nécessaire de procéder à une enquête administrative, au cours de laquelle le fonctionnaire peut défendre son cas. Le fonctionnaire qui s'estime injustement sanctionné peut exercer un droit de recours en nullité contre cette décision devant le tribunal du contentieux administratif.
    6. 232 Le représentant du Directeur général déclare qu'il apparaît que les licenciements dans le secteur public ont été peu nombreux; il cite le cas de 23 fonctionnaires de l'Administration nationale des ports qui avaient été mis en disponibilité à la suite de la grève de 1973 et qui ont été licenciés en mars 1974 pour cause de "négligence".
    7. 233 Il semble pourtant que toute une série de procédures d'enquête administrative soit en cours. L'Union des cheminots signale que onze de ses membres font l'objet de cette procédure après avoir été détenus et libérés par le juge d'instruction militaire. Il en va de même de plusieurs membres du groupement AUTE (électricité et télécommunications).
    8. 234 C'est dans l'enseignement que les licenciements et les procédures d'enquête administrative apparaissent les plus nombreux. Le représentant du Directeur général déclare que:
  • A côté des révocations, on m'a cité le nombre de 400 instituteurs et professeurs qui, dans l'année 1974, ont fait l'objet de procédures d'enquête administrative et ont été suspendus parce qu'ils avaient été arrêtés en vertu des mesures de sécurité urgentes ou traduits en justice. Diverses décisions de ce type ont été publiées dans le Journal officiel du 30 mai 1975. Or il apparaît que, dès que ces professeurs sont suspendus, ils ne touchent, pour une période qui, selon le cas, va de un à trois mois, que 50 pour cent de leur traitement. Passée cette période, ils n'ont droit à aucun traitement. Cette suppression du salaire serait automatique dès que ces personnes sont traduites devant les tribunaux militaires. Parmi les personnes qui auraient été ainsi sanctionnées figurent des dirigeants de syndicats des instituteurs comme Didasko Pérez, qui a été révoqué, et Victor Brindisi, qui a été suspendu de ses fonctions pendant six mois. Tous deux sont actuellement en liberté. A l'université, certains licenciements prendraient la forme de mise à la retraite anticipée ou de non-renouvellement des contrats temporaires.
    1. 235 Dans certaines entreprises étatiques ou dans certains services de l'Etat, des mesures ont été adoptées qui ont pour résultat de tenir certains travailleurs éloignés de leur lieu de travail. Le représentant du Directeur général explique que:
  • La législation autorise les organismes de l'Etat à mettre en disponibilité les fonctionnaires qui apparaissent en nombre excédentaire. De l'avis du ministre du Travail, cela permet de les redistribuer selon les besoins d'autres services qui en font la demande. C'est donc dans un but de nationalisation des services que ces mesures seraient prises. Cela aurait de l'importance en Uruguay, pays qui compte un grand nombre d'agents de la fonction publique.
  • Selon des sources syndicales, à la suite de la grève générale de 1973, 85 travailleurs de la régie ANCAP, dont certains dirigeants et militants syndicaux, auraient été mis en disponibilité, quatre autres l'auraient été en novembre 1974. La Fédération des fonctionnaires du service des eaux de l'Etat (OSE) m'a donné une liste de onze dirigeants de ce syndicat qui se trouveraient dans cette situation. Il en irait de même pour 85 militants et dirigeants du Syndicat unitaire de l'Administration nationale des ports (SUANP). Toutes ces personnes continuent de percevoir leur rémunération, mais elles doivent rester chez elles pendant leurs heures de travail et il leur est interdit de pénétrer dans les lieux de travail. De l'avis de certains syndicalistes rencontrés, la mise en disponibilité a été employée pour écarter les dirigeants syndicaux des lieux de travail afin de les empêcher de se maintenir en contact avec les travailleurs. Toujours d'après ces mêmes sources, la preuve en serait donnée par le fait que les prescriptions de la loi en la matière n'auraient pas été respectées. Celles-ci, en effet, exigeraient une étude de la nationalisation des services, qui n'a pas été effectuée. De plus, tant que les fonctionnaires n'ont pas été affectés à d'autres fonctions, ils doivent continuer à prêter service dans leurs anciens lieux de travail.
    1. 236 En outre, certaines plaintes font état de l'obligation qui serait faite aux professeurs d'université de signer sous serment une déclaration d'adhésion au système démocratique de gouvernement, dans laquelle ils assureraient ne pas appartenir ni avoir appartenu aux organisations antinationales dissoutes. La loi no 14248, du 30 juillet 1974, prévoyait pour tous les fonctionnaires et agents de l'Etat un serment de fidélité au système républicain et représentatif de gouvernement. Des témoignages des personnes rencontrées par le représentant du Directeur général, il résulte qu'en dehors de l'université, cette obligation n'a pas eu d'application générale; dans le cadre de l'université, elle parait avoir perdu son caractère impératif. Il n'a pas été fait mention non plus de cas dans lesquels ces dispositions auraient été utilisées à des fins de discrimination antisyndicale.
    2. 237 Il résulte de l'ensemble des informations disponibles qu'à la suite de la grève de 1973, il y a eu un nombre important de licenciements dans le secteur privé et que de tels congédiements se sont également produits dans la période postérieure, encore que dans une plus faible mesure. La situation parait avoir été moins grave dans le secteur public, à l'exclusion de l'enseignement. Cependant, dans le secteur public, on a procédé à l'éloignement de certains travailleurs par voie de mise en disponibilité; ce système permet aux travailleurs mis en disponibilité de recevoir leur rémunération sans pouvoir accomplir leur tâche. Les causes des licenciements ont été nombreuses, y compris la participation à la grève générale, les détentions (malgré une libération ultérieure), la participation à des arrêts de travail, les revendications et les protestations. Au dire des employeurs, les activités syndicales ne donnent pas lieu à congédiement, à moins qu'elles ne soient illicites.
    3. 238 Dans le secteur privé, le travailleur licencié peut adresser un recours au ministère du Travail et aux juridictions du travail; s'il a été injustement licencié, il a droit à une indemnisation, et s'il était un dirigeant syndical, il semble qu'il pourrait demander l'annulation de cette mesure. Dans le secteur public, la règle générale veut que l'on procède à une enquête administrative avant le licenciement. Il ne semble pas exister de recours efficace contre une mise en disponibilité.
    4. 239 Parmi les travailleurs et fonctionnaires licenciés, soumis à une enquête administrative ou mis en disponibilité, figurent de nombreux dirigeants et militants syndicaux, en particulier des organisations qui étaient affiliées à la CNT; ce dernier élément a fort probablement influencé ou déterminé les mesures prises contre plusieurs de ceux-ci. En effet, au dire du représentant du Directeur général, les syndicats autonomes et ceux de la CGTU n'ont pas rencontré de véritables problèmes en matière de licenciement. Le représentant signale également que, selon les témoignages recueillis, il semble que des abus se soient produits dans le secteur privé et que certaines entreprises aient préféré payer des indemnités à certains dirigeants syndicaux plutôt que de les réintégrer.
    5. 240 Sur ce dernier point, le comité désire signaler, comme il l'a déjà fait à des occasions antérieures, qu'il n'apparaît pas qu'une protection suffisante contre les actes de discrimination antisyndicale visés par la convention no 98 soit accordée par une législation permettant en pratique aux employeurs, à condition qu'ils versent l'indemnité prévue par la loi pour tous les cas de licenciement injustifié, de congédier un travailleur, notamment lorsque le motif en est son affiliation ou son activité syndicale.
    6. 241 Un des principes fondamentaux de la liberté syndicale est que les travailleurs doivent bénéficier d'une protection adéquate contre tous actes de discrimination tendant à porter atteinte à la liberté syndicale en matière d'emploi - licenciement, transfert, rétrogradation et autres actes préjudiciables - et que cette protection est particulièrement nécessaire en ce qui concerne les délégués syndicaux, étant donné que, pour pouvoir remplir leurs fonctions syndicales en pleine indépendance, ceux-ci doivent avoir la garantie qu'ils ne subiront pas de préjudice en raison du mandat syndical qu'ils détiennent. En vertu de la convention no 98, un gouvernement doit, le cas échéant, prendre des mesures pour que la protection des travailleurs soit efficace, ce qui implique, bien entendu, que les autorités doivent s'abstenir de tout acte pouvant entraîner ou visant à entraîner une discrimination à l'emploi à l'égard d'un travailleur qui soit motivé par des raisons d'ordre syndical.
    7. 242 Par ailleurs, le comité désire également relever que le principe suivant lequel un travailleur ou un dirigeant syndical ne doit pas subir de préjudice en raison de ses activités syndicales n'implique pas nécessairement que le fait de détenir un mandat syndical doive conférer à son détenteur une immunité contre tout licenciement quelles que puissent être les circonstances de celui-ci.
    8. 243 Enfin, le comité considère que les plaintes en discrimination antisyndicale devraient être examinées normalement dans le pays intéressé, au moyen d'une procédure rapide, peu coûteuse et impartiale.
    9. 244 Le comité recommande au Conseil d'administration d'appeler l'attention sur les principes et les considérations exposés ci-dessus et d'inviter le gouvernement à prendre les mesures nécessaires, tant dans le secteur public que dans le secteur privé, pour veiller à ce que ne se produisent pas d'actes de discrimination antisyndicale et, en particulier, pour donner une pleine application aux dispositions pertinentes de la convention no 98, ratifiée par l'Uruguay.
  • Nouvelles allégations
    1. 245 Après la mission effectuée par le représentant du Directeur général, le Bureau international du Travail a reçu des communications de plusieurs organisations contenant de nouvelles allégations relatives à la violation de la liberté syndicale en Uruguay. Ces allégations se réfèrent principalement à la perquisition de deux locaux syndicaux et à la détention de dirigeants et militants syndicaux.
    2. 246 Les communications ont été envoyées par la CNT, la Fédération syndicale mondiale, l'Union internationale des syndicats des industries chimiques, du pétrole et similaires, l'Union internationale des syndicats des travailleurs des transports et la Confédération mondiale du travail, en date du 25 juillet et du 1er août, du 28 et du 30 juillet, des 14 et 12 août 1975, respectivement. Ces communications se réfèrent à la perquisition, à Montevideo, du local du Groupement du personnel des services de l'électricité et des télécommunications de l'Etat (AUTE), et à la détention de son président, J. Bentaberry, et de Carlos Garcia, Ramón Gutiérrez, Ismael Sena, Daniel González, Raúl Baccino, Pedro Ruiz, Milton González, Julio Lavecchia, Juan Diaz et Angel Cabrera. Elles donnent également des informations sur la détention de D. Baldassari, dirigeant des travailleurs du pétrole, P. Toledo dirigeant des cheminots, Guadil Guerra, de l'Administration nationale des ports, Henderson Cardozo, dirigeant du secteur de la construction et cinq autres travailleurs de ce secteur. Une communication de la CNT, datée du 10 juin mais reçue le 24 septembre 1975, signale la détention de Antonio Genta, employé de laboratoire et dirigeant syndical et une autre communication de la CNT, en date du 22 octobre 1975, se réfère à la perquisition des locaux du syndicat des travailleurs des ports et des marins et à la détention de plusieurs travailleurs parmi lesquels Juan Gómez, Juan Laino et Humberto Rodríguez.
    3. 247 Ces allégations ont été transmises au gouvernement qui n'a toutefois pas encore envoyé d'observations à ce sujet.
    4. 248 A la veille de la session du comité, le BIT a reçu une nouvelle communication de la Fédération syndicale mondiale, en date du 6 novembre 1975, dans laquelle il est allégué que Pedro Toledo ainsi que Vladimir Turiansky ont été arrêtés.

B. B. Conclusions du comité

B. B. Conclusions du comité
  • Conclusions du comité
    1. 249 La situation syndicale actuelle de l'Uruguay tire son origine de la crise économique, sociale et politique qui s'est développée dans ce pays au cours des années qui ont précédé les événements de juin 1973. En prononçant la dissolution du Parlement, le pouvoir exécutif a provoqué également la paralysie des activités politiques. La dissolution de la Convention nationale des travailleurs, qui regroupait la majorité des travailleurs syndiqués et qui avait adopté une position contraire au pouvoir exécutif, parait avoir eu pour objet principal d'éliminer une opposition organisée et virulente à sa politique, notamment dans le domaine économique. Si, d'une part, le gouvernement considère de première importance que les syndicats ne s'immiscent pas dans des questions politiques, il semble, d'autre part, considérer que la situation économique difficile ne permet pas encore le plein développement des organisations et des activités syndicales. Par conséquent, il a adopté une législation et des pratiques restrictives qui touchent les droits syndicaux et qui ont pour résultat, dans plusieurs cas, l'adoption de mesures très sévères contre les militants, les dirigeants et les organisations syndicales. Par ailleurs, il semble néanmoins probable que certains syndicalistes aient mené ou mènent en même temps des activités de type politique actuellement interdites, qui sont étrangères au domaine syndical ou qui vont au-delà des activités syndicales normales.
    2. 250 Le comité considère qu'il est important de distinguer ces deux questions et que, plus de deux années s'étant écoulées depuis les événements de juin 1973, il est urgent de normaliser la situation syndicale, tant dans la législation que dans la pratique. A cet égard, le comité prend note avec intérêt de la déclaration du représentant du Directeur général selon laquelle: "Des représentants d'organisations patronales m'ont d'ailleurs indiqué l'importance qu'ils attachaient à l'existence de syndicats. Le gouvernement semble d'ailleurs être conscient que la situation doit être régularisée d'une manière ou d'une autre. S'il ne l'a pas fait jusqu'ici, cela est dû, d'après lui, à la situation politique intérieure ainsi qu'à la situation économique qui est encore fort difficile. Un discours du 19 avril 1975 du Président de la République et une conférence de presse de l'actuel ministre du Travail, tenue le 18 juin 1975, indiquent que le gouvernement travaille à une nouvelle législation en la matière, mais qu'il importe que les syndicats ne soient pas utilisés ou manipulés par des groupes politiques ou subversifs en vue de la réalisation de buts qui n'ont rien de syndicaux, comme cela se serait produit dans le passé. J'ai attiré l'attention du ministre du Travail sur le caractère anormal de la situation actuelle. Il m'a répondu que le gouvernement espérait pouvoir présenter une nouvelle législation en la matière vers le fin de 1975 ou le début de 1976."
    3. 251 La régularisation de la situation syndicale ne pourra néanmoins intervenir pleinement que si les libertés civiles essentielles à l'exercice normal des droits syndicaux sont garanties. Par conséquent, le comité désire attirer l'attention sur les dispositions contenues dans la résolution concernant les droits syndicaux et leurs relations avec les libertés civiles de 1970, qui met un accent particulier sur le droit à la liberté et à la sûreté de la personne, ainsi qu'à la protection contre les arrestations et les détentions arbitraires, la liberté d'opinion et d'expression, la liberté de réunion, le droit à un jugement équitable par un tribunal indépendant et impartial et le droit à la protection des biens des syndicats.
    4. 252 Ayant analysé les informations disponibles à la suite de l'application de la procédure des contacts directs, le comité considère qu'il serait approprié et convenable, étant donné la nature de l'affaire, de poursuivre l'examen de l'évolution de la situation syndicale en Uruguay et de la suite donnée à ses recommandations, conformément aux dispositions de la procédure en vigueur. A ce sujet, le comité prend note, en particulier, du désir de coopération avec les instances appropriées de l'OIT exprimé par le ministre du Travail au représentant du Directeur général à la fin de la mission de ce dernier.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 253. Dans ces conditions, et pour ce qui est des cas considérés dans leur ensemble, le comité recommande au Conseil d'administration:
    • a) en ce qui concerne les allégations relatives aux restrictions des droits syndicaux, de signaler au gouvernement l'importance qu'il attache à l'adoption et l'application rapide d'une législation syndicale conforme aux normes de la convention no 87, tenant particulièrement compte à ce sujet des observations formulées par le comité et par la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations au sujet du décret no 622 qui réglemente les activités syndicales;
    • b) en ce qui concerne les allégations relatives à la dissolution de la Convention nationale des travailleurs, du Syndicat unique national de la construction et des activités annexes et de la Fédération des professeurs de l'enseignement secondaire, de signaler au gouvernement qu'en procédant à ladite dissolution par voie de décret ou de résolution, il n'a pas observé les dispositions de l'article 4 de la convention no 87, ratifiée par l'Uruguay, et d'appeler son attention sur l'importance que le comité attache au respect de cette règle;
    • c) en ce qui concerne les allégations relatives à la détention et aux mandats d'arrêt dont ont fait l'objet des dirigeants et militants syndicaux:
    • i) de prendre note de la libération des syndicalistes arrêtés, mentionnée au paragraphe 198;
    • ii) en ce qui concerne MM. Enrique Pastorino et José d'Elia, étant donné le délai qui s'est écoulé depuis les événements qui ont motivé le mandat d'arrêt décerné contre eux et tenant compte du fait que les autres dirigeants de la CNT qui avaient été arrêtés en vertu de la même disposition ont tous été libérés, de demander au gouvernement de bien vouloir examiner la possibilité d'annuler cette mesure, contribuant ainsi à régler les problèmes existants en matière de liberté syndicale;
    • iii) en ce qui concerne M. Vladimir Turiansky, de demander au gouvernement de bien vouloir fournir des informations sur la situation légale de celui-ci et les mesures prises à son égard;
    • iv) en ce qui concerne les syndicalistes encore détenus ou soumis à la justice militaire, de:
      • - réaffirmer le principe selon lequel, dans tous les cas, y compris lorsque des syndicalistes sont accusés de délits politiques ou criminels que le gouvernement considère comme étrangers à leurs fonctions ou à leurs activités syndicales, les personnes en question devraient être jugées promptement par une autorité judiciaire impartiale et indépendante;
      • - demander au gouvernement de bien vouloir donner des informations sur la décision qui sera adoptée ou de transmettre avec leurs attendus le texte des jugements qui seront prononcés contre les syndicalistes mentionnés plus haut, au paragraphe 207;
      • - demander au gouvernement de fournir des informations sur la situation des syndicalistes mentionnés au paragraphe 208;
    • v) au sujet des allégations concernant les mauvais traitements, même si ceux-ci ont pu avoir un caractère exceptionnel, de signaler au gouvernement l'importance qu'il y a à prendre les mesures qui s'avèrent nécessaires, notamment à donner des instructions spécifiques et à prendre des sanctions efficaces, pour s'assurer qu'aucun détenu ne soit soumis à de mauvais traitements;
    • d) en ce qui concerne les allégations relatives à la perquisition des locaux syndicaux, de signaler à l'attention du gouvernement les principes et les considérations exposés au paragraphe 225, afin qu'il prenne les mesures nécessaires pour éviter l'éventualité de perquisitions abusives des locaux syndicaux, pour restituer les biens syndicaux saisis et pour rouvrir les locaux fermés;
    • e) en ce qui concerne les allégations relatives à des actes de discrimination antisyndicale, d'appeler l'attention sur les principes et les considérations exposés aux paragraphes 240 à 243 et d'inviter le gouvernement à prendre les mesures nécessaires, tant dans le secteur public que dans le secteur privé, pour empêcher tous actes de discrimination antisyndicale et, en particulier, pour donner une pleine application aux dispositions pertinentes de la convention no 98, ratifiée par l'Uruguay;
    • f) d'inviter le gouvernement, conformément à ce qui a été signalé plus haut, au paragraphe 252, d'envoyer des informations complètes, avant la session du comité en février 1976, sur les mesures prises ou sur celles qu'il a l'intention de prendre pour donner suite aux recommandations formulées, ainsi que ses observations sur les questions et les allégations encore en suspens;
    • g) de prendre note du présent rapport intérimaire, étant entendu que le comité présentera un nouveau rapport au Conseil d'administration à sa prochaine session.
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