ILO-en-strap
NORMLEX
Information System on International Labour Standards

Interim Report - Report No 149, November 1975

Case No 763 (Uruguay) - Complaint date: 03-JUL-73 - Closed

Display in: English - Spanish

  1. 147. Le comité a déjà examiné ce cas, à la suite de plaintes déposées par de nombreuses organisations syndicales, à ses sessions de novembre 1973, février 1974 et novembre 1974 et a; chaque fois, présenté au Conseil d'administration un rapport intérimaire. Ces rapports figurent aux paragraphes 532 à 552 de son 139e rapport, 191 à 221 de son 142e rapport et 305 à 348 de son 147e rapport et ont été adoptés par le Conseil d'administration, respectivement, à ses 191e session (novembre 1973), 192e session (février-mars 1974) et 194e session (novembre 1974).
  2. 148. L'Uruguay a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. A. Allégations des organisations plaignantes

A. A. Allégations des organisations plaignantes
  • Premières allégations relatives à la dissolution de la Convention nationale des travailleurs, à l'intervention générale dans les questions syndicales et à l'arrestation de syndicalistes
    1. 149 Les plaignants avaient protesté contre la dissolution, prononcée par un décret paru le 30 juin 1973, de la Convention nationale des travailleurs (CNT).
    2. 150 Ils ajoutaient que ce même jour les autorités uruguayennes auraient, avec l'aide de l'armée, réprimé brutalement la grève déclenchée par les travailleurs du pétrole et placé la raffinerie ANCAP sous contrôle militaire; elles auraient fermé le siège du syndicat intéressé et interdit les réunions. Les plaignants indiquaient encore que la Fédération des ouvriers du verre serait, elle aussi, dans l'impossibilité d'exercer ses activités et que les locaux de plusieurs organisations d'enseignants auraient été violés, les machines à écrire et les ronéos détruites, les documents et archives confisqués. Enfin, le Syndicat unique de la construction et des branches annexes avait vu, selon les plaignants, son siège investi par la troupe, ses fonds confisqués et ses réunions interdites.
    3. 151 Les plaignants signalaient, d'autre part, l'arrestation de très nombreux syndicalistes, citaient les noms de certains d'entre eux et indiquaient que d'autres dirigeants syndicaux étaient recherchés par la police.
    4. 152 Le gouvernement déclarait que la CNT, dirigée par des extrémistes d l'idéologie totalitaire et appartenant à des groupes minoritaires, se serait opposée à la politique sociale du gouvernement, en ignorant la liberté du travail, en faisant l'apologie de la violence, en encourageant l'occupation abusive des lieux de travail publics et privés et en incitant aux actes de sabotage et aux désordres graves et continuels dans les rues, paralysant ainsi les services publics, l'approvisionnement de la population et l'ensemble des activités du pays. Ce qui était en jeu, estimait le gouvernement, n'était pas une question de grève: des groupes minoritaires incitaient la CNT à provoquer le chaos social, et l'affrontement violent de ce syndicat avec les pouvoirs publics ne répondait à aucun motif professionnel mais à des fins politiques notoires, en premier lieu le renversement des institutions légales.
    5. 153 Le gouvernement précisait que l'article 39 de sa Constitution accorde à toute personne le droit de s'associer, pourvu que l'association ne soit pas illégale, et que la loi no 9936 du 18 juillet 1940 qualifie d'illégale l'association qui appelle à la violence contre les institutions de la République ou contre les pouvoirs publics et prévoit la dissolution de telles associations ainsi que l'inculpation de ses dirigeants ou adhérents. De plus, l'article 5 de la loi no 14068 du 10 juillet 1972 permet au gouvernement de suspendre, dans tous les locaux publics ou privés, les réunions ou activités qui provoquent ou rendent possible une atteinte à l'ordre public. C'est en raison de ce devoir premier de maintenir l'ordre, poursuivait le gouvernement, qu'il avait dû dissoudre la CNT et ordonner l'arrestation de ses dirigeants, en les mettant à la disposition de la justice pénale compétente. Le gouvernement estimait que ces commentaires s'appliquaient également à d'autres organisations de travailleurs.
    6. 154 Le gouvernement mentionnait enfin le cas de deux syndicalistes: A. Tamayo, dirigeant de la CNT, qui avait été emprisonné, et E. Pastorino, président de la FSM, qui était recherché. Selon le gouvernement, ces mesures n'avaient aucun lien avec leur qualité de dirigeants syndicaux et le premier avait été libéré par la suite.
    7. 155 A sa session de février-mars 1974, le Conseil d'administration, sur recommandation du comité, avait noté, au sujet de l'arrestation de dirigeants syndicaux, la déclaration du gouvernement selon laquelle Antonio Tamayo avait été libéré, et avait attiré l'attention du gouvernement, en particulier, sur le principe selon lequel, chaque fois que des syndicalistes sont détenus, y compris lorsqu'ils sont accusés de délits politiques ou de délits de droit commun que le gouvernement estime sans rapport avec leurs fonctions ou leurs activités syndicales, les intéressés doivent être jugés équitablement et dans les plus brefs délais par une autorité judiciaire impartiale et indépendante. Le Conseil d'administration avait également prié le gouvernement de bien vouloir indiquer si des procédures avaient été engagées contre tous les syndicalistes en question, et, dans l'affirmative, de préciser la nature de l'instance judiciaire qui avait eu à connaître de leur cas, d'indiquer l'état d'avancement de la procédure et de fournir les textes des jugements, une fois qu'ils seraient rendus, avec leurs attendus.
    8. 156 Pour ce qui est de la dissolution de la Convention nationale des travailleurs, le Conseil d'administration avait attiré l'attention du gouvernement sur l'importance qu'il attache au principe selon lequel les organisations de travailleurs ne sont pas sujettes à dissolution par voie administrative et que, de la même façon, la dissolution prononcée par le pouvoir exécutif ne permet pas d'assurer les droits de la défense, droits qui ne peuvent être garantis que par la voie judiciaire normale. Le Conseil d'administration avait également prié le gouvernement de bien vouloir envoyer ses commentaires sur les allégations relatives à l'interdiction des activités de la Fédération des ouvriers du verre et du Syndicat unique de la construction et branches annexes, et aux mesures prises contre plusieurs organisations d'enseignants. Le Conseil d'administration avait en outre prié le gouvernement de bien vouloir envoyer des précisions sur la nature des actes qui étaient imputés à Enrique Pastorino.
  • Allégations subséquentes des plaignants
    1. 157 D'autres plaintes émanant d'organisations syndicales ont été reçues par la suite. Selon les plaignants, les syndicats devaient demander à la direction de la police et au ministère de l'Intérieur l'autorisation de tenir des réunions syndicales, en précisant le jour, le lieu et le thème de ces réunions; la police avait occupé le siège de plusieurs syndicats et arrêté de nombreux travailleurs.
    2. 158 Les plaignants citaient aussi un certain nombre d'actes arbitraires de la part du gouvernement, notamment la perquisition de nombreux locaux syndicaux, l'ordre d'arrestation de tous les dirigeants de la CNT, l'interdiction de percevoir des cotisations syndicales, le licenciement de travailleurs pour leurs activités syndicales et l'emprisonnement de ceux qui percevaient des cotisations syndicales. Ils faisaient état des perquisitions effectuées dans les locaux de l'Union nationale des travailleurs sur métaux et des industries similaires, de la Fédération des ouvriers de la laine et du Syndicat unique des transports maritimes, trois organisations qui avaient uniquement des activités syndicales, ainsi que des arrestations qui avaient suivi. Selon les plaignants, l'intervention de la police et de l'armée dans la vie syndicale était de plus en plus fréquente depuis le coup d'Etat de juin 1973; souvent, les biens syndicaux avaient été endommagés, dérobés ou confisqués, les locaux du Congrès des ouvriers du textile avaient également été perquisitionnés et toutes les émissions syndicales des stations nationales de radio avaient été interdites.
    3. 159 Antonio Tamayo, poursuivaient les plaignants, avait, après sa libération, repris ses activités dans les organisations syndicales des transports ainsi que comme délégué général des travailleurs auprès de la Commission de la productivité, des prix et des revenus (organisme tripartite), mais avait été congédié peu de temps après par la Compagnie uruguayenne des transports en commun avec 48 militants syndicaux et sociaux. Le chef de la police avait fait savoir à l'Association des employés de banque de l'Uruguay que le siège de l'association serait fermé si elle poursuivait ses activités et persistait dans ses revendications. Selon les plaignants, toute activité syndicale avait cessé dans le pays.
    4. 160 Ces derniers signalaient encore l'arrestation de nombreux dirigeants syndicaux dont certains avaient été torturés ainsi que la disparition d'autres syndicalistes. Les autorités avaient publié, selon les plaignants, un document où figuraient les noms et photos des dirigeants syndicaux recherchés, et, parmi eux, de tous les dirigeants de la CNT.
    5. 161 En réponse à certaines des allégations, le gouvernement avait transmis une copie des communications échangées entre le commissariat de police, le directeur de la Direction nationale de l'information et des renseignements et le directeur général chargé de la coordination exécutive, où il était indiqué que les neuf personnes dont les noms suivaient avaient été détenues au stade "Cilindro Municipal" et avaient été libérées par la suite: Victor Brindisi, Hector Goñi, Miguel Bouzas, Victor Cayota, Carlos Espinosa, Alberto Fernandez, Sonia Guarnieri, José Luis Cola Horne et Romulo Oraison. L'une de ces personnes, Sonia Guarnieri, aurait été mise en détention le 20 octobre 1973, remise en liberté le 20 novembre 1973, arrêtée de nouveau le 14 février 1974 et aurait été encore en prison. En outre, trois autres personnes (Ricardo Vilaro, A. Rubio et Héctor Rodriguez) auraient été conduites à la prison centrale le 3 avril 1974 sur instruction du juge militaire. Les personnes susmentionnées auraient été détenues, en application des mesures de sécurité d'urgence, en leur qualité de membres de la Convention nationale des travailleurs, organisation qui avait été dissoute pour avoir eu des activités contraires à l'intérêt national. Il était fait mention de sept autres dirigeants syndicaux (Antonio Tamayo, Félix Diaz, Roberto Olmos, Héctor Betancourt, Honorio Lindner, Aparicio Guzmán et Rubén Villaverde) qui avaient fait l'objet d'une détention provisoire pour les mêmes motifs mais avaient tous retrouvé leur liberté. Le dirigeant syndical Héctor P. Rodriguez aurait été inculpé par les autorités judiciaires militaires, ainsi que deux professeurs, pour activités séditieuses, à la suite de l'enquête menée après l'explosion d'une bombe à la Faculté d'ingénierie.
    6. 162 Quand il a examiné le cas à sa session de novembre 1974, le comité s'est déclaré préoccupé par les nombreuses et graves accusations portant sur la violation des libertés syndicales formulées à l'encontre du gouvernement, et il a regretté que celui-ci n'ait pas répondu à un grand nombre d'allégations formulées. Il a rappelé qu'il avait souligné dans le passé que le but de l'ensemble de la procédure instituée est d'assurer le respect des libertés syndicales en droit comme en fait, et que, si elle protège les gouvernements contre des accusations déraisonnables, ceux-ci voudront bien reconnaître à leur tour l'importance qu'il y a, pour leur propre réputation, à ce qu'ils présentent, en vue d'un examen objectif, des réponses bien détaillées, et portant sur des faits précis, aux accusations bien détaillées, et portant sur des faits précis, qui pourraient être dirigées contre eux.
    7. 163 Au sujet de l'arrestation et de la détention de syndicalistes, le comité a voulu appeler de nouveau l'attention du gouvernement sur les principes qu'il avait évoqués lorsqu'il avait examiné l'affaire en février 1974 selon lesquels, chaque fois que des syndicalistes sont détenus, y compris lorsqu'ils sont accusés de délits politiques ou de délits de droit commun que le gouvernement estime sans rapport avec leurs fonctions ou leurs activités syndicales, les intéressés doivent être jugés équitablement et dans les plus brefs délais par une autorité judiciaire impartiale et indépendante. Quand il est apparu au comité que, d'après les informations qui lui avaient été fournies, les intéressés avaient été jugés par les autorités judiciaires compétentes, qu'ils avaient bénéficié des garanties d'une procédure judiciaire régulière et qu'ils avaient été condamnés pour des actes qui n'avaient aucun rapport avec les activités syndicales normales, le comité a estimé que le cas n'appelait pas un examen plus approfondi. Il a cependant insisté sur le fait que la question de savoir si le motif des condamnations prononcées relève d'un délit criminel ou de l'exercice des droits syndicaux n'est pas de celles qui peuvent être tranchées unilatéralement par le gouvernement intéressé, mais que c'est au comité qu'il appartient de se prononcer sur ce point, après examen de toutes les informations disponibles et, surtout, du texte du jugement.
    8. 164 Le comité a également souligné, comme il l'avait fait à diverses reprises dans le passé, que l'arrestation, par les autorités, de syndicalistes contre lesquels aucun motif de condamnation n'est ultérieurement retenu peut entraîner des restrictions à l'exercice des droits syndicaux. Les gouvernements doivent faire en sorte que les autorités compétentes reçoivent des instructions appropriées en vue de faire disparaître le danger que les arrestations représentent pour les activités syndicales.
    9. 165 Le comité, ayant mis l'accent sur les principes précités, qui s'appliquaient aux nouvelles allégations formulées à l'encontre du gouvernement depuis son dernier examen de l'affaire aussi bien qu'à celles primitivement présentées par les plaignants, a signalé que les informations dont il disposait soulevaient la question de savoir si le gouvernement respectait les principes essentiels énoncés dans les conventions sur la liberté syndicale, ratifiées par l'Uruguay. En particulier, les nouveaux renseignements des plaignants non seulement mentionnaient de nombreux cas précis d'arrestation et détention de syndicalistes, mais contenaient aussi des allégations concernant la violation du droit de réunion syndicale, l'occupation de locaux syndicaux (Fédération des travailleurs de la laine, Union nationale des travailleurs sur métaux et des industries similaires, Syndicat des travailleurs du textile et Syndicat unique des transports maritimes) et le licenciement de syndicalistes en raison de leurs activités syndicales.
    10. 166 Vu la portée et la gravité des allégations présentées, le Conseil d'administration, sur recommandation du comité, a prié le gouvernement de bien vouloir lui communiquer rapidement des informations complètes sur tous les points dont il était question dans les allégations des plaignants, spécialement au sujet de l'arrestation et de la détention des dirigeants syndicaux cités (en indiquant les raisons précises de leur arrestation et s'ils avaient été ou non jugés) ainsi que sur les allégations relatives à une ingérence dans les affaires syndicales (droit de réunion syndicale, occupation par la force de locaux syndicaux, interdiction alléguée des activités de la Fédération des ouvriers du verre et du Syndicat unique de la construction et branches annexes) et sur les mesures prises à l'encontre de plusieurs organisations d'enseignants.
  • Nouvelles allégations présentées au comité
    1. 167 Dans une communication du 10 septembre 1974, la CNT (en exil) signale que, le 6 septembre, le siège de l'Association des employés de banque a été investi et que l'on a arrêté son président, Inmer Prada Pousse, et son secrétaire, Antonio Marotta Rienzi. De même, le siège du Syndicat des travailleurs de la santé publique fut investi et cinq travailleurs, dont son secrétaire D. Espinosa, furent arrêtés. Les autorités recherchèrent aussi, ajoute la CNT, un dirigeant de la Fédération de l'enseignement, à l'aide de nombreuses photos et d'une propagande systématique le présentant comme un criminel; quand son épouse se rendit auprès des autorités militaires pour connaître les raisons du mandat d'arrêt, elles la gardèrent en otage. Dans une communication du 14 octobre 1974, la CNT cite le cas des travailleurs de la construction dont les dirigeants syndicaux sont détenus et torturés et le syndicat fermé parce qu'ils revendiquaient des congés payés et l'application d'une loi déclarée illégale par le Président de la République alors qu'elle avait été élaborée par le Parlement et approuvée par le Pouvoir exécutif.
    2. 168 La Fédération internationale syndicale de l'enseignement communique, dans une lettre du 18 novembre 1974, des informations qu'elle a reçues d'une organisation affiliée, la Fédération des enseignants universitaires de l'Uruguay. Selon ces informations, les autorités ont obligé les enseignants de l'université à signer une déclaration sous serment où ils assurent ne pas appartenir ni avoir appartenu aux organisations dissoutes et où il est précisé qu'une fausse déclaration entraînerait l'application des sanctions prévues par la loi. Les enseignants de la faculté de médecine ont refusé de signer cette déclaration, ce qui a entraîné la fermeture de leur faculté, et les enseignants des autres facultés adoptent la même attitude.
    3. 169 L'Union internationale des syndicats des travailleurs du bâtiment, du bois et des matériaux de construction indique, dans une lettre du 20 novembre 1974, que le gouvernement a déclaré illégal, le 9 octobre 1974, le Syndicat national unique de la construction et des branches annexes (SUNCA) et interdit par conséquent les activités de ce syndicat dans le pays.
    4. 170 Dans une nouvelle communication, la CNT déclare que plus d'une centaine de détenus du stade "Cilindro", parmi lesquels des ouvriers de la construction, de la métallurgie, des fonctionnaires de l'Etat et des employés de banque, ont entrepris une grève de la faim parce qu'on leur avait fait subir des tortures pour les obliger à sortir la nuit et à effacer les inscriptions murales faites par les travailleurs à propos de leurs revendications et de leurs libertés. De nombreux prisonniers torturés souffraient de blessures et lésions diverses dues aux châtiments corporels qu'on leur avait infligés. La Confédération mondiale du travail proteste également, dans une lettre du 4 décembre 1974, contre le traitement inhumain des détenus et confirme la grève de la faim de 106 syndicalistes détenus au stade "Cilindro".
  • Observations du gouvernement
    1. 171 Le gouvernement a envoyé des observations dans deux communications du 27 décembre 1974 et du 4 février 1975 (cette dernière, transmise par la Délégation permanente à Genève le 16 février 1975). Dans la première de ces communications, le gouvernement déclare qu'il a dû faire face à une véritable situation de guerre civile, déclenchée par des groupes minoritaires marxistes qui dirigeaient, entre autres, la prétendue Convention nationale des travailleurs. Ces groupes minoritaires ne cherchaient pas à obtenir des améliorations des conditions de travail, ce qui aurait relevé à juste titre de leurs activités professionnelles, mais avaient des objectifs purement et simplement politiques, et en particulier le renversement des institutions et l'instauration du chaos social qui aurait conduit inexorablement à l'adoption d'une organisation sociale, politique et économique conforme à l'idéologie marxiste. Pour exécuter son devoir fondamental de défenseur de la sécurité des citoyens et de l'ordre public, le gouvernement devait, ajoute-t-il, adopter les mesures exigées par les circonstances, et notamment déclarer illicites, conformément aux dispositions claires de la Constitution et de la loi (article 39 de la Constitution et loi no 9936 du 18 juillet 1940), les associations qui usaient de la violence contre les fondements de la communauté nationale et contre les pouvoirs publics.
    2. 172 C'est pour cette raison, poursuit le gouvernement, que l'ex-CNT ainsi que le Syndicat national unique de la construction et des branches annexes (décret 809 de 1974) et d'autres associations mentionnées dans le décret 1026 de 1973 (concernant des partis et associations politiques) furent déclarés illicites et dissous expressément et que furent détenus les dirigeants et les autres membres des organisations qui participaient aux actes de violence. Le gouvernement joint à sa communication une copie des deux décrets indiqués. Selon lui, leurs activités étaient manifestement illicites; elles ne pouvaient en aucune façon prétendre assumer la défense d'intérêts légitimes en s'opposant au droit interne et à l'autorité de l'Etat.
    3. 173 Le décret de la dissolution du Syndicat national de la construction et des branches annexes déclare, dans l'exposé de ses motifs, que cette organisation avait décrété la paralysie des activités professionnelles au mépris de la législation nationale, que son comportement constituait un grave préjudice à l'économie nationale et visait à porter atteinte aux conditions de paix sociale et professionnelle qui règnent actuellement dans le pays. On y lit également que ce syndicat n'était pas représentatif de la véritable majorité des travailleurs, que son action s'inscrivait dans le cadre des activités des associations marxistes dissoutes et était une manifestation de l'utilisation de syndicats professionnels à des fins étrangères aux objectifs déterminés par la Constitution à leur sujet. Le décret prononce la dissolution du syndicat, lui retire la personnalité juridique, ordonne la fermeture de ses locaux ainsi que la saisie et le dépôt de tous ses biens.
    4. 174 Dans sa communication du 4 février 1975, le gouvernement se réfère en premier lieu à la situation régnant dans le pays qui, selon ses dires, a motivé la déclaration d'état de guerre interne, prononcée le 15 avril 1972, "dans l'unique dessein de pouvoir prendre les mesures nécessaires pour réprimer l'action d'individus ou de groupes qui conspirent, par un moyen ou par un autre, contre la patrie, selon les termes de l'article 253 de la Constitution de la République". Le gouvernement explique que, depuis 1968 en particulier, le pays s'est trouvé en face d'une action séditieuse qui se servait des revendications sociales comme prétexte pour répandre le chaos par la terreur et par le crime et visait à renverser les institutions en vigueur ainsi qu'à permettre l'arrivée su pouvoir de minorités non représentatives. Faute d'une législation adéquate, le pouvoir exécutif a dû recourir aux mécanismes constitutionnels prévus pour des situations d'une extrême gravité. Après avoir déclaré l'état de guerre interne avec l'autorisation du pouvoir législatif et conformément à la Constitution, le pouvoir exécutif a soumis au Parlement le projet de loi sur la sécurité de l'état et l'ordre public. Ce texte a été approuvé par le Parlement et a eu pour but de protéger les intérêts supérieurs de la nation en face de l'action violente d'associations hors la loi organisées.
    5. 175 L'action de certaines minorités, poursuit le gouvernement, consistait également à s'infiltrer dans les organisations populaires de toute nature. Dans ce contexte, déclare le gouvernement, les activités de la Convention nationale des travailleurs étaient sans cesse plus éloignées du domaine syndical, elles contribuaient ouvertement au climat de violence et s'opposaient de façon non dissimulée aux pouvoirs publics. Le gouvernement cite, à titre d'exemple, certains postulats rendus publics par la CNT, parmi lesquels figurent la demande que le Président de la République démissionne, le rejet de la loi sur la consolidation de la paix ou sur l'état de péril, l'indépendance économique réelle et la pleine souveraineté nationale, l'abolition du Conseil national de l'éducation, une politique extérieure indépendante, anti-impérialiste, d'autodétermination, de paix et d'amitié avec tous les peuples du monde. A partir du 27 juin 1973, la CNT chercha à déclarer une grève générale, faisant l'apologie de la violence et incitant des groupes de travailleurs à occuper les lieux de travail publics et privés. Le gouvernement s'employa à rétablir une situation normale en faisant appel à la raison, au dialogue en de multiples occasions, et proposa des augmentations de salaires ainsi que des formules d'entente en cas de conflits. Selon le gouvernement, la CNT ignora ces démarches et encouragea la violence, incitant à des actes de sabotage tel l'acte perpétré à la raffinerie de pétrole de ANCAP. Tout ceci a expliqué que le pouvoir exécutif, estimant qu'une association devient illicite quand elle recourt à la violence et qu'elle peut de même commettre des délits tels que la rébellion, la sédition, l'outrage, etc., procéda à la dissolution de la CNT, lançant un mandat d'amener contre ses dirigeants pour qu'ils se mettent à la disposition du tribunal pénal compétent.
    6. 176 Le gouvernement communique la liste suivante de dirigeants et indique leur situation vis-à-vis de la justice. Dirigeants qui font l'objet d'un mandat d'arrêt en relation avec la dissolution de la CNT et qui n'ont pas encore pu être arrêtés aux fins de tirer au clair leur situation devant la justice pénale: José d'Elia, Vladimir Turianski, Enrique Pastorino, Daniel Baldassari et Victor Brindisi. Dirigeants détenus puis libérés pour avoir démontré leur absence de participation active dans les faits qui ont motivé les poursuites: Victor Cayota, Robertó Olmos Barone, Jonás Steneri (il ne fut pas détenu parce qu'il avait expliqué sa situation), Honorio Lindner, Aparicio Guzmán, Rubén Villaverde, Sonia Guarnieri, Ramón Freire Pizzano, Héctor Goñi, Carlos Espinosa et Héctor Betancourt. Dirigeants inculpés pour avoir participé à la sédition: Victor Semprini Robaina, Alberto Rubio Pellegrini, León Gualberto Duarte et Ricardo Vilaro. Dirigeant recherché comme étant impliqué dans la sédition et dont l'arrestation n'a pas encore pu avoir lieu: Humberto de los Santos.
    7. 177 Dans sa communication, le gouvernement se réfère à nouveau aux motifs qui ont conduit à la dissolution du Syndicat unique de la construction. En ce qui concerne les allégations relatives aux perquisitions des locaux syndicaux, le gouvernement explique que ces mesures furent prises parce qu'il existait des soupçons fondés que se déroulaient dans ces locaux des activités de caractère extra-syndical ou que, dans certains cas, on trouvait devant ceux-ci des affiches contenant de la propagande de caractère politique. Les personnes détenues dans ces circonstances furent relâchées immédiatement après que fut éclaircie leur situation ou ont été mises à la disposition du tribunal pénal compétent. Le matériel et les documents saisis furent restitués quand il n'en ressortait pas de preuves des soupçons déjà cités. Le gouvernement se réfère enfin à certaines allégations relatives à la loi no 14.284 du 31 juillet 1974 qui a remis à jour le mécanisme prévu dans le statut des fonctionnaires qui impose comme condition pour entrer dans l'administration publique la signature d'une déclaration, sous serment, d'adhésion au système républicain et représentatif du gouvernement. Le gouvernement signale que cette disposition n'a pas un caractère discriminatoire et que son objet est seulement d'exiger une manifestation expresse de la volonté de respecter la norme juridique fondamentale de la nation, qui a adopté la forme républicaine et représentative de gouvernement (article 82 de la Constitution).

B. B. Conclusions du comité

B. B. Conclusions du comité
  • Conclusions du comité
    1. 178 Le Comité rappelle que le Vice-président travailleur du Conseil d'administration a attiré l'attention de celui-ci, lors de sa session de novembre 1974, sur la gravité de la situation syndicale dans le pays. Il a demandé au Directeur général d'insister auprès du gouvernement pour qu'il envoie toutes les informations demandées avant la session suivante du Conseil et a signalé qu'en l'absence de celles-ci le groupe travailleur se verrait obligé de faire des propositions en vue de l'établissement d'une Commission d'enquête, conformément à l'article 26 de la Constitution de l'OIT, au sujet de l'application par les Etats Membres des conventions ratifiées.
    2. 179 Dans une lettre du 17 décembre 1974, la Fédération syndicale mondiale a protesté contre les arrestations de syndicalistes, contre les efforts faits par le gouvernement pour supprimer totalement les droits fondamentaux des travailleurs et de leurs organisations et contre le refus constant du gouvernement de fournir au comité des informations complètes. Elle a proposé la création d'une Commission d'investigation en matière de liberté syndicale et d'une Commission d'enquête, conformément à l'article 26 de la Constitution de l'OIT, afin d'examiner l'application par l'Uruguay des conventions nos 87 et 98.
    3. 180 Le comité observe qu'il est saisi de plaintes qui émanent de très nombreuses organisations syndicales et contiennent des allégations sur l'arrestation et les conditions de détention de syndicalistes, la dissolution de syndicats, l'ingérence des autorités dans les activités syndicales ou l'interdiction de celles-ci, l'occupation de locaux syndicaux et les mesures prises contre les biens syndicaux, l'exercice du droit de réunion syndicale et le licenciement de syndicalistes pour leurs activités syndicales. Pour sa part, le gouvernement a envoyé des commentaires et des informations sur plusieurs de ces allégations, en indiquant les raisons des mesures prises.
    4. 181 Le comité se trouve devant une situation qui soulève des problèmes importants en rapport avec différents principes fondamentaux en matière de liberté syndicale et qui parait affecter une partie considérable du mouvement syndical uruguayen. A cet égard, le comité rappelle qu'il a dû également examiner la nouvelle législation de l'Uruguay dans un cas relatif à ce pays et a pu constater plusieurs infractions aux normes de la convention no 87. Le comité observe en outre que de nouvelles plaintes continuent d'être déposées à propos de la situation syndicale dans ce pays et que les informations fournies par les plaignants et par le gouvernement sont en bonne partie contradictoires.
    5. 182 Dans ces conditions, le comité a considéré l'opportunité de procéder à un examen plus approfondi de la situation, en recourant à la Commission d'investigation et de conciliation en matière de liberté syndicale ou à une commission d'enquête instituée conformément à l'article 26 de la constitution. Finalement, afin de traiter ce cas avec plus de célérité et en vue de disposer le plus tôt possible d'éléments d'information plus nombreux qui lui permettraient de formuler ses conclusions, notamment sur d'autres mesures à prendre dans cette affaire, le comité a estimé qu'il serait d'une grande utilité de recourir, à ce stade, à la formule des contacts directs, déjà utilisée précédemment et prévue aux paragraphes 20 et 21 de son 127e rapport.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 183. Le comité recommande donc au Conseil d'administration de demander au gouvernement de donner son consentement, dans de brefs délais, à ce qu'un représentant désigné par le Directeur général procède à un examen, en Uruguay, des faits se rapportant aux plaintes et informe le comité du résultat de sa mission.
    • Genève, 27 février 1975. (Signé) Roberto AGO, Président.
© Copyright and permissions 1996-2024 International Labour Organization (ILO) | Privacy policy | Disclaimer