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Individual Case (CAS) - Discussion: 1990, Publication: 77th ILC session (1990)

Freedom of Association and Protection of the Right to Organise Convention, 1948 (No. 87) - Colombia (Ratification: 1976)

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Un représentant gouvernemental a indiqué que son gouvernement, pour s'acquitter de ses obligations envers l'OIT, a entrepris une réforme en profondeur de la législation du travail, étant donné que le Code du travail en vigueur dans son pays date de 1948; à cet effet, son gouvernement devra prendre un grand nombre de décisions importantes. Il a rappelé qu'un travail qui avait été confié à des spécialistes en vue de proposer une série de réformes aux institutions du travail aussi bien dans le domaine du droit individuel que du droit collectif du Code du travail, a été achevé. En ce qui concerne les commentaires de la commission d'experts, il a indiqué que l'année passée le gouvernement a opéré une réforme de la structure du ministère du Travail avec l'appui du personnel du ministère concerné, des experts colombiens ainsi que de l'OIT par l'intermédiaire du PREALC. En particulier il a été prévu une réorganisation du Bureau d'enregistrement des syndicats, étant donné qu'un grand nombre de plaintes avaient été enregistrées; cela est repris dans le rapport de la commission d'experts concernant l'enregistrement et l'autorisation des syndicats. Les chiffres mentionnés dans le rapport de la commission d'experts ne sont déjà plus à jour, puisque récemment plus de 200 organisations syndicales supplémentaires ont été autorisées. Le problème de fond a trait à la question de la personnalité juridique des syndicats. Il a relevé que plus de 6000 organisations syndicales ont vu leur personnalité juridique reconnue. Cependant, selon le dernier recensement, plus de 4000 de ces organisations demeurent inactives. Par ailleurs, pour ce qui a trait à la personnalité juridique, il indique que celle-ci ne peut faire l'objet de suspension qu'en fonction d'une procédure clairement établie. En ce qui concerne le droit à négocier collectivement il s'est référé au grand nombre de conventions collectives conclues au cours des dernières années et à la réduction du nombre de grèves, ce qui démontre que la liberté de négocier collectivement entre les parties avec la coordination et la participation du ministère du Travail en cas de nécessité existe. Il a indiqué à nouveau qu'une fois mise en place la nouvelle structure du ministère du Travail, l'ancien Service d'homologation des syndicats sera remplacé, ce qui permettra de donner effet aux lois nos 26 et 27 conformément aux dispositions de cette convention et d'autres conventions ratifiées.

Le membre travailleur du Royaume-Uni a rappelé qu'à l'issue de la longue discussion concernant l'application par la Colombie de cette convention l'an dernier, la présente commission a mentionné ce cas dans un paragraphe spécial. Il a rappelé que la présente commission avait examiné les questions techniques soulevées par la commission d'experts et discuté de manière approfondie avec le représentant gouvernemental des cas examinés par le Comité de la liberté syndicale concernant la Colombie. Dans ses conclusions, la présente commission avait demandé au gouvernement de "prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre la législation et la pratique en pleine conformité avec les exigences de la convention, notamment en s'efforçant de rétablir un climat propice au rétablissement des libertés civiles et donc, par là même, des libertés syndicales, et de garantir l'intégrité physique des syndicalistes". La commission avait conclu en exprimant l'espoir que le gouvernement pourra faire état dans son prochain rapport de progrès substantiels en la matière. L'orateur a exprimé sa déception devant le fait que le gouvernement ne semble pas s'être occupé de ce point particulier. Rien de ce qui a été dit n'amène à penser qu'il y ait eu un quelconque changement quant à la protection des syndicalistes en Colombie. L'année dernière, il s'est référé à des informations d'Amnesty International concernant les syndicalistes. A cet égard l'orateur a fourni des informations à jour relatives aux menaces de mort et aux assassinats de syndicalistes. Le représentant gouvernemental a donné à la commission des statistiques au sujet de la réduction du nombre de grèves pour les dernières années. Même si des statistiques sur les grèves sont intéressantes, l'orateur aurait été plus intéressé de connaître le nombre de syndicalistes tués ou disparus au cours des cinq dernières années, afin de voir s'il y a eu une réduction substantielle à cet égard. Apparemment, tel n'a pas été le cas. Des dirigeants syndicaux, des juristes du droit du travail, des conseillers juridiques des syndicats ont reçu des menaces de mort par des escadrons paramilitaires. Beaucoup de ceux qui ont à bon droit persisté dans leurs activités syndicales légitimes ont été tués ou ont disparu apparemment après détention par les forces de sécurité ou par des civils travaillant en collaboration avec ces forces sous le couvert des escadrons de la mort. A de nombreuses occasions, des officiers supérieurs des forces armées et certaines autorités civiles ont affirmé publiquement que le mouvement syndical a été infiltré par des mouvements subversifs de gauche; telle est l'excuse qu'ils utilisent. Ils ont accusé des dirigeants syndicaux et des activistes de liens directs avec les mouvements de guérilla. Ces accusations non prouvées ont eu pour résultat, dans plusieurs cas connus de l'orateur, des assassinats par des escadrons paramilitaires de la mort composés de personnes identifiées avec les forces de sécurité. La région de production des bananes a été particulièrement touchée par une campagne systématique d'intimidation des syndicalistes comportant des arrestations arbitraires, des disparitions et des assassinats politiques. Ici encore des forces paramilitaires agissant sur ordre ou avec la complicité des forces armées régulières ou même des tueurs engagés par les propriétaires locaux ont opéré des massacres dans la région de manière répétée. Selon les preuves disponibles, l'armée et la police apparaissent comme directement responsables pour certaines des exécutions extrajudiciaires. Le gouvernement a affirmé son attachement à la sauvegarde des droits de l'homme. Si de telles déclarations sont les bienvenues, ce sont des actes qui sont nécessaires. Toutes mesures visant à protéger les droits fondamentaux de l'homme sont les bienvenues mais du point de vue des travailleurs, qui est sans doute celui de la commission, des mesures immédiates et effectives sont requises pour arrêter les violations des droits de l'homme. Il a prié instamment les autorités colombiennes de faire des enquêtes approfondies et impartiales et d'assurer que les responsables des violations des droits de l'homme soient cités en justice. Dans la plupart des cas, les autorités civiles et judiciaires ont engagé les procédures requises par la loi à la suite de rapports concernant les exécutions extrajudiciaires et des disparitions. Mais ces enquêtes n'ont abouti qu'exceptionnellement à des poursuites et des condamnations. En dépit des efforts du procureur général et des autorités judiciaires civiles pour identifier les responsables des violations des droits de l'homme et des exécutions extrajudiciaires des syndicalistes, les tortures et disparitions continuent avec une quasi-impunité. Dans la majorité des cas dans lesquels les enquêtes ont permis d'identifier des membres des forces armées impliqués dans des abus motivés par des considérations politiques, les cas ont été transmis aux tribunaux militaires. Ces tribunaux n'ont pas fait de procès impartiaux et n'ont pas tenu la police pour responsable des crimes violents contre des syndicalistes. Le défaut continu des autorités judiciaires de poursuivre et de condamner les membres des forces armées responsables de ces exécutions extrajudiciaires, de ces tortures et disparitions de syndicalistes a considérablement miné la confiance quant à la capacité du gouvernement de s'attaquer à la crise sérieuse qui existe maintenant en Colombie en ce qui concerne les droits de l'homme et la liberté syndicale. L'orateur a exprimé l'espoir que les commentaires formulés au cours de ces débats seront portés à l'attention de la commission d'experts; il a espéré de même que les représentants gouvernementaux de la Colombie attireront l'attention du nouveau Président et du nouveau parlement, qui entrera en fonctions en juillet 1990, sur tout ce qui a été dit au cours de ces débats afin de leur donner la possibilité de trouver une solution à ces problèmes que les gouvernements précédents n'ont pas su résoudre.

Un membre travailleur de la Colombie a indiqué que les explications et informations fournies par le représentant gouvernemental ne sont pas acceptables. Il a souligné que les violations de cette convention sont toujours de plus en plus flagrantes dans son pays. Il a indiqué qu'il n'est pas certain que le droit d'organisation soit respecté, étant donné qu'un grand nombre d'organisations syndicales disparaissent avant même d'avoir été constituées. Il a été observé que, sauf cas exceptionnel, les organisations de travailleurs doivent se créer dans la clandestinité de façon à éviter que les travailleurs désirant les constituer ne soient licenciés rapidement. Ensuite, il faut faire face aux chemins tortueux de la reconnaissance juridique de l'organisation syndicale bien que souvent, lorsque cette reconnaissance juridique est acquise, le syndicat n'existe plus déjà du fait que nombre de ses membres auront déjà été licenciés. Se référant aux chiffres mentionnés par le représentant gouvernemental, il a estimé nécessaire de les compléter en expliquant les raisons pour lesquelles des syndicats ont cessé de fonctionner et pourquoi nombre de personnes morales ne comptent plus de membres. En octobre 1988, suite au déclenchement d'une grève nationale exercée conformément aux dispositions des conventions collectives, le gouvernement a adopté immédiatement une série de décrets préjudiciables au mouvement syndical, du fait de son contenu intimidatoire avec menace d'emprisonnement et de licenciement pour les grévistes. Ce genre de mesures coercitives se comprend très mal en présence d'un Etat se déclarant Etat de droit et démocratique. L'orateur a indiqué qu'il est important de souligner le problème de la violence physique exercée par les terroristes des narco-trafiquants, les groupes militaires ou paramilitaires qui tuent aveuglément ou provenant des groupes de guérillas; ce n'est peut-être pas encore là la violence la plus grande dont souffrent les travailleurs. Il y en a une autre beaucoup plus grave, en l'occurrence la violence exercée contre les enfants et les personnes âgées abandonnées à leur sort dans les rues, la violence de la faim sévissant dans les familles colombiennes, la violence du chômage, la violence exprimée par des milliers d'enfants mourant de faim ou de maladie, la violence générée dans la marginalisation sociale et le niveau terrible de pauvreté. Ensuite, si la violence physique est très souvent invoquée, c'est pour masquer le problème de fond: celui de la décomposition sociale caractérisant la réalité du pays. Le gouvernement doit s'engager à garantir le respect de la convention.

Un membre travailleur de l'Espagne a relevé que le problème de fond ne consiste pas, comme l'a déclaré le représentant gouvernemental de la Colombie, à accélérer les procédures administratives pour l'enregistrement des syndicats mais il s'agit du droit des organisations syndicales à se constituer librement, d'adopter leurs statuts, d'élire les dirigeants de leur choix, sans autorisation ou contrôle administratif, et sans la présence des représentants gouvernementaux, et en tout état de cause qu'une autorité judiciaire et non administrative soit compétente lorsqu'il est question de la reconnaissance de la personnalité juridique. Il a espéré que le représentant gouvernemental pourra faire la distinction entre autorités administrative et judiciaire. Néanmoins, il a supposé que la présente commission sera d'accord sur le fait que les assassinats de dirigeants syndicaux constituent la pire atteinte à la liberté syndicale. Ainsi, il s'est référé au rapport d'Amnesty International d'avril 1990 dans lequel il est mentionné que, depuis 1986, date de la création de la Centrale unitaire des travailleurs (CUT), plus de 300 de ses membres ont été assassinés pour des raisons politiques. Ce même rapport confirme qu'un grand dirigeant syndical, M. Sebastian Mosquera, a été assassiné le 9 septembre 1989 alors qu'il voyageait dans la région d'Uraba. Toujours dans ce même rapport, on note l'assassinat, le 26 février 1990, de quatre autres personnes Sylvia Margarita Duzán, Josué Vargas, Miguel Barajas et Saúl Castaneda à proximité de Cimitarra, dans le département de Santader. Il a mentionné également le cas de l'assassinat, cette année, de deux des candidats à la présidence de la République. Il a rappelé que, peu de temps auparavant, il a eu l'occasion de recevoir le secrétaire général de la CUT, M. Garzón, qui a dû quitter son pays pour éviter d'être assassiné à la suite d'un complot découvert à temps par Amnesty International. Il a rappelé que cette dernière a tiré la conclusion que la violation des droits de l'homme qui se pratique à grande échelle en Colombie était non seulement tolérée par les forces armées, mais également le résultat d'une politique délibérée d'assassinats politiques. Pour toutes les raisons précitées, il a estimé que le cas de la Colombie devrais être mentionné dans un paragraphe spécial, si ce n'est comme cas de manquement grave et continu.

Un membre travailleur de Colombie a déclaré que ce cas est dramatique. Elle a rappelé que la Centrale unitaire des travailleurs (CUT), dont elle est la secrétaire générale, a perdu 381 camarades, qui ont été assassinés durant les trois ans d'existence de cette centrale. Elle a rappelé qu'en 1990, de janvier à mai, plus de 40 assassinats ont été commis et que durant la semaine où la Conférence a débuté elle n'a pu partir de son pays, puisque sept travailleurs avaient été assassinés: deux de la région bananière, un travailleur du secteur pétrolier, deux professeurs d'université et deux de l'enseignement secondaire, tous membres de syndicats affiliés à sa centrale. Autrement dit, son camarade, le président de la centrale, et elle-même font partie des survivants. La CUT a payé un lourd tribu en vies humaines; dernièrement, le secrétaire général de la Confédération des travailleurs de Colombie (CTC), Victor Almanza, a été assassiné dans la ville de Pereyra. L'oratrice a estimé nécessaire d'expliquer à la communauté internationale que, depuis 40 ans, à l'exception de brèves intermèdes, son pays vit en état de siège. Par conséquent, lorsque les travailleurs font une grève nationale, le gouvernement y voit un problème d'ordre public et non un différend du travail, ce qui signifie que l'armée peut entrer dans les usines, dans les entreprises et dans tout autre lieu. Elle a souligné l'importance des commentaires contenus dans le rapport de la commission d'experts et a indiqué que la Colombie est en voie d'abolir en fait le droit de grève. Elle a signalé, par exemple, le cas de la plus grande mine de charbon de la Colombie, "Cerrejon", où les travailleurs ont déclenché une grève il y a un mois, à la suite de quoi le gouvernement a promulgué un décret administratif interdisant la grève des travailleurs, en invoquant le fait que cela touchait gravement l'économie nationale. On pourrait citer d'autres cas: parfois, il ne s'agit même pas de grèves mais plutôt de manifestations de travailleurs que le gouvernement a déclarées illégales. De ce qui précède, on peut conclure que le gouvernement finira par abolir le droit de grève. En ce qui concerne la déclaration du gouvernement selon laquelle il y a eu des améliorations dans la législation du travail, l'oratrice s'est demandé si cela comprenait le droit d'élire librement des dirigeants syndicaux, sans qu'il soit nécessaire d'obtenir l'accord du ministère; la possibilité pour les syndicats d'élaborer eux-mêmes librement leurs statuts, et l'existence des syndicats sans qu'ils soient tenus d'obtenir leur reconnaissance des autorités administratives. L'oratrice a mentionné à cet égard le syndicat du secteur bancaire, qui s'est pratiquement vu retirer la personnalité juridique par décision du Conseil du gouvernement. Elle a également fait référence à l'interdiction faite aux syndicalistes, notamment ceux du secteur public, de se livrer à des activités politiques; elle a indiqué qu'il existe des dizaines de procédures disciplinaires, rappelant en particulier le cas des enseignants qui peuvent être licenciés s'ils font acte de candidature aux conseils et corporations publics du pays. Ceci est un déni de l'exercice des droits politiques aux syndicalistes. L'oratrice a demandé à l'OIT d'envoyer une mission dans son pays, comme elle l'a fait en 1988, afin de contribuer à mettre un frein au bain de sang dont est victime le pays, et de permettre à quelques syndicalistes de se présenter devant le forum de l'OIT, car le risque existe que les dirigeants syndicaux colombiens ne puissent pas rester en vie. Elle a souligné qu'elle lançait un cri d'alarme, non seulement aux autres syndicats, mais également aux gouvernements et aux employeurs, afin que tous ensemble contribuent à faire cesser la violence dans son pays, et pour que les activités criminelles ne restent pas impunies dans le pays, où les actes criminels ne font pas l'objet de poursuites et où les groupes paramilitaires ont été créés aux termes d'une résolution du gouvernement national. Elle a rappelé, en ce qui concerne ce dernier point, que ladite résolution a été abrogée l'année dernière, même si en réalité ces groupes paramilitaires continuent à sévir dans tout le pays. Elle a répété que, pour toutes ces raisons, l'OIT devait absolument intervenir et elle a lancé un appel à la communauté internationale pour qu'elle arrête la campagne féroce, de caractère politique, dirigée contre les syndicats, et que soient respectées la vie et l'intégrité des dirigeants syndicaux.

Un autre membre travailleur de Colombie a exprimé sa reconnaissance pour l'attention portée au cas de son pays, ce qui montre l'intérêt de la communauté internationale pour le sort d'un pays qui lutte pour se maintenir dans le cercle des pays civilisés. Il a rappelé que nombreux sont ceux, présents dans cette commission, qui ont approuvé l'année passée un paragraphe spécial sur le cas de la Colombie et il a demandé que cette année encore le cas de la Colombie soit repris dans un paragraphe spécial car il n'y a pas de raison de faire autrement. S'il est important de se référer au droit d'association et au droit de grève, il est également important de faire référence au droit à la vie sans lequel les autres droits n'ont pas de raison d'être. Il a rappelé à cet égard que depuis la dernière session de la Conférence, 91 syndicalistes ont été assassinés, ce qui montre que la situation dans son pays a empiré, que les enquêtes n'ont pas débouché sur la détention des responsables ni sur l'application des sanctions prévues par la délégation nationale. L'orateur indique qu'il ne fait pas de doutes que rien n'a été fait pour mettre la législation en conformité avec les dispositions de la convention. A cet égard, il a rappelé le cas de mines de "Cerrejon", précisant que ces mines à ciel ouvert sont les plus grandes du monde. Ces mines appartiennent à l'entreprise multinationale Eon, qui exploite le pétrole et le charbon, qui compte 102000 travailleurs. Elle travaille dans plus de 80 pays et ses bénéfices se sont montés en 1988 à plus de cinq millions de dollars. Les travailleurs de cette entreprise en Colombie ont fait la grève pour améliorer leurs conditions de vie et de travail. Le gouvernement a argumenté que cette grève affecte l'économie du pays pour ordonner qu'il y soit mis fin. L'orateur rappelle que dans un pays en voie de développement, une grève affecte effectivement l'économie du pays, car si tel n'était pas le cas, le droit de grève n'existerait pas. La commission d'expert s'est référée aux limitations existantes à l'exercice du droit de grève car le ministre peut ordonner l'arrêt de la grève après 40 jours et imposer l'arbitrage d'un tribunal, ce qui est manifestement contraire à la convention. L'orateur a déclaré qu'étant donné la lutte que livre le peuple de Colombie contre les narco-trafiquants, il mérite l'appui de l'OIT et s'il est certain que le cas doit être mentionné dans un paragraphe spécial, il faut également apporter l'aide nécessaire.

Un membre travailleur d'Espagne a déclaré, qu'outre les mesures que le gouvernement doit adopter pour modifier la législation et la rendre conforme aux dispositions de la convention, il importe de demander au représentant gouvernemental si son gouvernement est disposé à détenir ou emprisonner les membres des escadrons de la mort liés aux forces armées et qui émargent sur les feuilles de salaires de ces forces. L'orateur aimerait également savoir si les fonctionnaires du ministère de l'Intérieur continuent à accuser les syndicalistes de faire partie des forces subversives ou de la guérilla sans qu'il y ait de preuve, ce qui vient à instituer une véritable "chronique d'une mort annoncée".

Un membre travailleur du Pakistan a fait observer que les violations des droits des travailleurs en Colombie, leur insécurité et les assassinats préoccupent l'ensemble de la classe ouvrière dans le monde, de même que toutes les personnes qui se préoccupent du bien-être des travailleurs. Il a apporté son appui aux travailleurs de Colombie dans l'espoir que ces conditions prendront fin et que le gouvernement adopte des mesures pour protéger la vie et l'intégrité des travailleurs. La commission d'experts a indiqué depuis un certain temps que la législation en vigueur dans le pays nie les principes fondamentaux et constitue une ingérence dans le fonctionnement des syndicats. La législation devrait être mise en conformité avec la convention. Les syndicats contribuent à l'amélioration des conditions de vie et devraient pouvoir fonctionner librement.

Un membre travailleur de la République fédérale d'Allemagne a déclaré que la situation en Colombie constitue un grave sujet de préoccupation pour un grand nombre de personnes, y compris les syndicalistes de son pays. Les syndicalistes colombiens sont victimes de menaces et de persécutions, ce qui ne peut que susciter la compassion. Les rapports d'Amnesty International, de la Confédération internationale des syndicats libres et du Comité de la liberté syndicale font état de graves violations des droits syndicaux et des droits de l'homme. La situation dramatique en Colombie a ceci de particulier qu'il ne s'agit pas seulement de violations des normes internationales du travail, mais aussi de menaces pour la vie humaine, qui viennent s'ajouter aux problèmes relatifs au droit de grève et au droit d'élire librement les représentants syndicaux. Les organisations syndicales doivent s'enregistrer et informer les autorités de leur situation financière; de plus elles n'ont aucune protection contre la terreur que les bandes armées font régner impunément. La situation en Colombie ne peut être dissociée de la question plus générale de la violence: on ne saurait donc se contenter d'examiner les problèmes syndicaux isolément. La présente commission doit en appeler au gouvernement pour qu'il combatte la terreur imposée par les bandes armées et les réseaux internationaux de narco-trafiquants. Cette tâche concerne tous les pays et constitue un problème urgent face auquel le gouvernement colombien devrait se montrer plus ouvert à une coopération sur le plan international. La présente convention ne peut être appliquée dans un contexte où la loi martiale a préséance sur les droits humains fondamentaux, et notamment sur la liberté syndicale. De nombreux problèmes persistent dans la région d'Uraba, centre de l'industrie bananière, où les travailleurs d'environ 160 plantations sur 260 sont syndiqués, et où de nombreux syndicats ont été victimes de la terreur paramilitaire. En 1988, cette région a été décrétée zone militaire aux termes de la loi no 678 mais, en dépit des contrôles très stricts exercés par les milliers de soldats qui y sont stationnés, les bandes paramilitaires y opèrent toujours impunément. Dans plusieurs cas, des accusations portées par les forces de sécurité de l'Etat ont été suivies peu après du meurtre de syndicalistes par les escadrons de la mort. La présente commission aurait voulu exprimer l'espoir que l'attitude du gouvernement serait différente, étant donné qu'un nouveau Président vient de prendre ses fonctions, mais les déclarations qu'ont faites jusqu'à présent les représentants gouvernementaux ne donnent pas lieu de penser que le gouvernement colombien pourra assurer à l'avenir la protection des syndicats. C'est seulement quand auront cessé les attentats à la bombe contre les locaux syndicaux, la répression des réunions et manifestations syndicales et les meurtres qu'il sera possible de conclure que le gouvernement est réellement déterminé à agir, comme il en a donné l'assurance. Les mesures attendues du gouvernement ont déjà été mentionnées dans le rapport de la commission d'experts: reconnaissance et protection de syndicats capables de protéger efficacement les intérêts des travailleurs, libres de gérer leurs finances et de désigner leurs responsables, et de déclencher des grèves sans être soumis à l'arbitrage obligatoire. La discussion a montré que ceci est un cas très grave qui appelle un paragraphe spécial, tel que prévu dans les procédures de la présente commission. Les membres travailleurs du Brésil, du Venezuela, de l'Uruguay et du Suriname ont exprimé leur solidarité à l'égard des travailleurs de la Colombie et ils ont appuyé la mention de ce cas dans un paragraphe spécial.

Le membre travailleur du Chili a rappelé que son pays avait enduré pendant 16 ans une situation similaire à celle relatée dans le cas de la Colombie; mais son pays vivait alors sous une dictature. Il a rappelé que plus de 100 syndicalistes, membres de la Centrale unitaire des travailleurs (CUT) ont été assassinés. Il s'est demandé si la diminution des grèves en Colombie, mentionnée par le représentant gouvernemental, n'est pas essentiellement due à la terreur qui sévit dans le pays. Il a estimé que la liberté syndicale doit également permettre le recours à la grève et à la négociation collective. Il a appuyé la mention du cas dans un paragraphe spécial.

Les membres employeurs ont rappelé que la commissions d'experts avait déclaré l'année dernière qu'il s'agissait d'un cas de violence alarmant. Cela reste vrai aujourd'hui. De toute évidence, la situation a très peu évolué et ce sont les questions de faits qui constituent le principal sujet de préoccupation. De nombreux changements auraient dû être apportés mais il est manifestement très difficile de reprendre le contrôle de la situation. Les membres employeurs ont rappelé quelques étapes dans les longues discussions entourant ce cas: la mission de contacts directs en 1988, les débats devant la présente commission et l'adoption d'un paragraphe spécial en 1989. Le membre travailleur du Royaume-Uni a bien résumé la situation en déclarant qu'il n'existait pas suffisamment de dispositions pour protéger les syndicats. On pourrait presque l'exprimer par une formule inverse: il existe à certains égards de trop nombreuses dispositions, qui constituent cependant des mesures d'ingérence; la législation comporte des prescriptions très détaillées sur l'établissement et le fonctionnement des syndicats, le nombre de leurs membres qui doivent être colombiens, leurs statuts, leurs finances, leurs réunions et l'élection de leurs dirigeants. Il s'agit là d'un vaste domaine où le gouvernement pourrait adopter les modifications nécessaires sans la moindre entrave due au trafic de la drogue ou à l'état d'urgence. Malheureusement, le représentant gouvernemental n'a fait aucune déclaration concrète à ce sujet. Le rapport de la commission d'experts contient de nombreux commentaires sur les restrictions au droit de grève; en ce qui concerne la définition des limitations admissibles du droit de grève dans le cadre de la présente convention, les membres employeurs diffèrent d'avis sur certains points qu'ils considèrent comme non fondés, invoquant pour leur part les règles d'interprétation de la Convention de Vienne sur les traités. Hormis cette réserve, ils appuient totalement les interventions des orateurs précédents. S'agissant de la reconnaissance des nouvelles organisations syndicales, les syndicats et le gouvernement ont fait des déclarations contradictoires, et ce dernier devrait envoyer un rapport détaillé sur ce sujet à la commission d'experts. Le gouvernement a élaboré un projet de loi concernant l'interdiction d'ingérence dans les questions politiques; ce projet devrait aussi être envoyé pour examen à la commission d'experts, avec une indication de la date à laquelle cette loi sera adoptée. Il existe également une longue liste de restrictions pour lesquelles des modifications ont été demandées depuis un certain temps déjà. Les membres employeurs ont donc conclu, au terme de cette discussion où le gouvernement n'a pas présenté de faits nouveaux, que leurs préoccupations restaient inchangées, voire qu'elles s'étaient aggravées; la commission devrait réaffirmer sa préoccupation dans son rapport en reprenant ses conclusions de l'année dernière.

Un représentant gouvernemental de la Colombie a déclaré avoir écouté très attentivement les interventions du président de la Centrale unitaire des travailleurs (CUT), ainsi que celles des autres membres travailleurs et employeurs. En ce qui concerne la situation politique, il a convenu que les chiffres mentionnés sont alarmants et dramatiques, mais en même temps incomplets. La situation de violence qui sévit en Colombie est encore plus dramatique que celle qui a été dépeinte. Une guerre a été déclenchée du fait de la lutte menée par l'Etat contre les narco-trafiquants. Dans cette guerre, il est question de maintenir un état de droit contre les prétentions inacceptables de ceux qui veulent diriger les affaires de la nation et qui représentent un fléau pour l'humanité. Il a déclaré que selon les statistiques du Plan national de réhabilitation, 9312 morts violentes ont été enregistrées l'année dernière alors que depuis janvier 1990, 186 policiers ont été assassinés suite aux primes offertes par les narco-trafiquants. En outre, depuis la réunion de la veille, cinq policiers ont été à nouveau victimes d'attentat; à Medellin, suite à une dernière attaque dirigée par les narco-trafiquants, trois bâtiments ont été détruits avec 4 morts et plus de 60 blessés. Les personnes qui sont tombées ne sont pas uniquement des dirigeants syndicaux mais également des familles entières, des mères de famille, des enfants et d'autres individus. Des chefs d'entreprise travaillant pour le progrès et la productivité du pays ont aussi fait l'objet d'assassinat, ainsi que quatre représentants du Congrès. Pendant la dernière campagne électorale, trois candidats à la présidence ont été assassinés. Son gouvernement refuse catégoriquement la déstabilisation. Il ne fait aucun doute que des dirigeants syndicaux ont été assassinés de même que des ministres de la Justice, des maires ou des juges. Récemment, 800 kilos d'explosif ont été découverts dans une zone où vivent six ministres. La lutte est menée à armes inégales. Un des barons de la drogue, le narco-trafiquant Rodriguez Cacha, probablement décédé en décembre 1989, possédait dans une de ses propriétés 53 millions de dollars et 58 kilos d'or. L'orateur a déclaré qu'il était aberrant de soutenir que la situation actuelle en Colombie est la même qu'en juin 1989 car le gouvernement, depuis lors, a adopté un certain nombre de mesures. Ainsi, des négociations ont été entamées dans le camp de la subversion avec les six groupes de guérillas: le Mouvement du 19 avril (M.19), l'Armée populaire de libération (APL), les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), le "Qintin Lama" et le Parti révolutionnaire des travailleurs (PRT). Dans un effort sans précédent, le gouvernement a mené des négociations avec le M.19 qui ont abouti le 9 mars 1990 après 14 mois de discussions. Cela a permis la réintégration de ces personnes à la vie civile; elles ont formé un parti politique et présenté un candidat à la présidence, candidat qui fut victime d'un attentat et remplacé par le deuxième dirigeant de ce parti. A l'issue des élections, ce parti a constitué la troisième force électorale du pays représentant 14 pour cent des voix exprimées. L'orateur a indiqué qu'il a représenté le gouvernement lors des négociations, lesquelles vont continuer avec l'Armée populaire de libération (APL) en vue de déterminer le lieu où les forces subversives déposeront leurs armes. Outre cette lutte contre la violence, la Colombie mène une autre lutte contre les délits d'ordre économique. 467 chefs d'entreprise ont fait l'objet de séquestration organisée et une rançon de 110 millions de pesos est exigée pour ne pas attenter à leur vie. Les cambriolages et les vols de bétail sont monnaie courante; certaines entreprises multinationales, suite à des menaces, se sont trouvées dans l'impossibilité d'exécuter des travaux de prospection; ainsi elles ont dû renoncer à leur contrat. Malgré ces menaces contre l'économie, les attentats et la violence, le gouvernement a pris un certain nombre de mesures tout en réintégrant des mouvements subversifs à la vie du pays et en continuant des négociations avec d'autres groupes subversifs. Une résolution a été adoptée en vue de démanteler les groupes d'autodéfense, comme l'a indiqué un des travailleurs. Le gouvernement a estimé en outre nécessaire de procéder à une réforme constitutionnelle pour moderniser les institutions du pays. En 1990, une assemblée nationale constituante a été convoquée pour incorporer les réformes nécessaires de manière à faire face à la violence qui règne en Colombie.

Un autre représentant du gouvernement se référant de l'application des conventions a souligné, que malgré la situation préoccupante dans laquelle se trouve le pays, son gouvernement continue à s'acquitter de ses obligations. Dans cette perspective, la convention sur les statistiques du travail a été ratifiée récemment, et avec la coopération des centrales syndicales on a pu opérer un recensement syndical permettant d'évaluer de manière exacte la situation des syndicats dans le pays. En ce qui concerne la grève de Cerrejoon, il a déclaré qu'après avoir épuisé en 73 jours toutes les procédures de négociations, le gouvernement a pris une décision qui a été acceptée par les travailleurs qui ont repris leurs activités avec toutes les garanties sur la liberté syndicale. Il exprime son approbation quant à la demande formulée par les travailleurs et quelques autres membres de la commission tendant à la désignation par l'OIT d'une commission chargée de s'assurer de l'application des conventions ratifiées. Il a demandé formellement, au nom de son gouvernement, que l'OIT désigne une telle commission afin de coopérer avec son gouvernement, aussi bien dans la mise en oeuvre des conventions que dans la préparation des projets de lois. Il a rappelé qu'un projet de loi sur la réforme des institutions du travail est prêt à être soumis au Conseil national du travail, de même que d'autres projets en matière de sécurité sociale et de ratification de certaines conventions de l'OIT. Pour cela, il fait appel à la solidarité internationale et à la coopération technique dans le même ordre que celles effectuées par l'OIT dans le cadre du PREALC.

Les membres travailleurs, comparant la situation actuelle à celle de 1989, ont admis, sur la base du rapport de la commission d'experts et des informations fournies par les représentants gouvernementaux, un certain progrès dans l'application de la convention. Cependant, il s'agit avant tout de bonnes intentions, de projets de lois, mais jusqu'à maintenant il n'y a pas eu de mesures concrètes, ce qui veut dire que les problèmes et questions subsistent sur presque tous les points mentionnés dans le rapport de la commission d'experts, en particulier sur les deux points suivants: le non-respect des droits syndicaux dans la pratique et l'interdiction de la liberté d'expression des organisations syndicales, ce qui limite leurs possibilités d'agir pour la défense des intérêts des travailleurs. Ces éléments sont à l'origine de la situation dramatique décrite pendant la discussion par les membres travailleurs. Il n'y a aucun progrès substantiel en ce qui concerne ces deux éléments essentiels, c'est à ce que conclut la présente commission en 1988, et on ne peut que répéter la même formule cette année: demander au gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre sa législation et ses institutions en conformité avec la convention, instaurer un climat dans lequel les libertés publiques - y compris la liberté syndicale - pourront être restaurées et garantir la sécurité physique des syndicalistes. Face à la gravité du cas, au manque de progrès substantiels, au fait que les mêmes problèmes se posent à longueur d'année et que l'année dernière la commission a déjà inclus ce cas dans un paragraphe spécial de son rapport, les membres travailleurs proposent à nouveau que ce cas soit inclus dans un paragraphe spécial cette année également, dans l'espoir que le nouveau gouvernement prendra la situation au sérieux.

Un représentant du gouvernement a rappelé que des progrès ont été réalisés et il s'est référé à nouveau aux réformes constitutionnelles en cours, de même qu'au projet de réforme des institutions du travail.

Un membre travailleur de la Colombie a exprimé l'espoir que le gouvernement allait accepter de discuter avec les organisations syndicales à propos de l'application de la présente convention, de la même manière que les discussions le sont actuellement avec les groupes armés.

Le représentant gouvernemental ayant invité les représentants syndicaux à participer aux travaux du Conseil national du travail, le membre travailleur de Colombie réplique qu'elle siégerait volontiers au Conseil national du travail si cet organisme avait un pouvoir de décision. Mais les pouvoirs de ce conseil ont été réformés et les représentants syndicaux n'ont qu'un avis consultatif, contrairement à la situation antérieure, où ils jouissaient d'un droit de vote.

La commission a pris note du rapport de la commission d'experts et des informations fournies par les représentants du gouvernement ainsi que des discussions détaillées qui ont eu lieu au sein de la présente commission. Elle a également noté que le gouvernement a institué une commission spéciale pour examiner l'ensemble de sa législation du travail, ainsi qu'un Conseil national tripartite du travail pour aider dans le processus de réformes. Toutefois, comme en 1989, la commission a exprimé sa profonde préoccupation devant la persistance d'une situation très grave et sérieuse et la persistance d'un grand nombre de divergences importantes et fondamentales entre la législation et la pratique d'une part, et les exigences de la convention d'autre part. en conséquence, la commission a de nouveau demandé au gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre la législation et la pratique en pleine conformité avec la convention. La commission a pris note de la demande du gouvernement d'une assistance technique du BIT dans les domaines des relations du travail. Elle a exprimé l'espoir que le gouvernement fera état de progrès substantiels dans son prochain rapport et elle a décidé de mentionner ce cas dans un paragraphe spécial.

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