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1. La commission a pris note de la réponse du gouvernement à son observation de 1994 et du rapport du gouvernement sur l'application de cette convention, reçu le 18 octobre 1996. Elle a également pris note du rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l'homme au Soudan, présenté à la 52e session de la Commission des droits de l'homme du Conseil économique et social des Nations Unies (document E/CN.4/1996/62 du 20 février 1996) et de la réponse du gouvernement, faisant l'objet d'une lettre de la Mission permanente du Soudan auprès de l'Office des Nations Unies à Genève datée du 29 mars 1996 (document E/CN.4/1996/145). La commission a en outre pris note d'une communication de la Confédération mondiale du travail (CMT) datée du 1er août 1996, dans laquelle cette organisation a présenté des observations sur l'application de la convention et joint un certain nombre de documents publiés par Human Rights Watch et Solidarité chrétienne internationale ainsi que des articles publiés dans The Wall Street Journal Europe et The Times. Une copie de cette communication a été envoyée au gouvernement le 27 août 1996. La commission constate qu'aucun commentaire n'a été reçu du gouvernement sur les questions soulevées par la CMT.
Observation antérieure et réponse du gouvernement
2. Dans son observation de 1994, la commission a pris note du rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l'homme au Soudan, qui s'est rendu dans le pays en septembre et décembre 1993 (Commission des droits de l'homme, 50e session, 1994 (document E/CN.4/1994/48 du 1er février 1994). Le Rapporteur spécial, abordant la question de l'esclavage, de la servitude, de la traite des esclaves, du travail forcé et des institutions et pratiques analogues, déclarait que les rapports et témoignages oculaires concordaient largement quant aux circonstances des enlèvements, lieux de destination et noms des lieux de détention où des femmes et des enfants étaient détenus dans des camps spéciaux et où des personnes venues du nord du Soudan ou même de l'étranger venaient les acheter. La vente et le trafic d'enfants semblaient être pratiqués à grande échelle et de manière concertée, avec des motivations politiques, par des forces armées non régulières, telles que les Forces populaires de défense et les contingents de moudjahidin dans les zones de conflit du sud du Kordofan et du Bahr El-Ghazal. Le Rapporteur spécial avait reçu des rapports et des témoignages réitérés d'enlèvements d'enfants, comme celui commis en été 1993, où 217 enfants, essentiellement de l'ethnie Dinka, avaient été enlevés. Evoquant les craintes exprimées par la population que ces enfants ne soient vendus comme esclaves au Darfour et au nord du Kordofan, le rapporteur indiquait que le gouvernement n'avait pris aucune mesure, que ce soit au niveau fédéral ou au niveau local, pour qu'une enquête soit menée.
3. La commission a noté également que ce rapport indiquait qu'en septembre 1992 les autorités de l'Etat de Khartoum avaient entrepris une campagne de "nettoyage" de la ville de ses enfants vagabonds, qui faisaient l'objet de rafles systématiques vers des camps. Alors que les autorités affirmaient que ces enfants recevaient une formation professionnelle, le Rapporteur spécial avait pu conclure que la pratique de la rafle des enfants des rues correspondait dans la plupart des cas à une arrestation et une mise en détention arbitraires, au mépris des garanties prévues par la loi. Le régime des camps était très dur. Des sources non gouvernementales avaient fait savoir au Rapporteur spécial qu'un grand nombre d'enfants, en majorité du sud, issus principalement des ethnies Dinka, Shilluk et Nuer ou de familles déplacées des monts Nouba subissaient un entraînement militaire, avant d'être envoyés au combat.
4. Ayant relevé qu'aux termes de l'article 163 de la loi pénale de 1991 "celui qui contraint illégalement autrui à fournir un travail contre sa volonté sera puni d'une peine d'emprisonnement d'une durée n'excédant pas un an, d'une amende, ou des deux peines à la fois", la commission avait rappelé que l'article 25 de la convention place tout Membre ayant ratifié cet instrument dans l'obligation de s'assurer que les sanctions imposées par la loi pour réprimer l'imposition illégale d'un travail forcé sont réellement efficaces et strictement appliquées. Elle avait en conséquence prié le gouvernement de fournir des informations détaillées sur les mesures prises pour assurer l'application de l'article 25 de la convention dans la pratique et pour assurer la protection des ethnies Dinka et Nouba contre des pratiques contraires à la convention.
5. Dans sa réponse à la précédente observation de la commission, le gouvernement déclarait que le Rapporteur spécial avait établi son rapport sur des informations sans fondement, rendant ce document déraisonnable, sans crédibilité et de mauvaise foi, ce qui était attesté par un exemple dans lequel ce document s'appuyait sur des allégations antérieures de la Sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités de l'ONU et par le fait que le Rapporteur spécial reprenait explicitement à son compte des déclarations de personnes animées par des motivations politiques - probablement des personnes n'existant même pas. Le gouvernement disait que ce rapport ne cite pas de personnes ou autorités précises comme sources de son information et attribue souvent la paternité de tous les agissements à des personnes inconnues, suivant en cela la même démarche et méthode que la sous-commission susmentionnée, qui proférait des accusations et des allégations mensongères contre le Soudan en s'appuyant sur des déclarations orales ne reposant sur aucun élément de preuve.
6. Le gouvernement avait précédemment répondu de manière détaillée aux allégations de travail forcé et de commerce d'esclaves dont font état les documents E/CN.4/Sub/A(21)1987/71/Add.1 et E/CN.4/Sub.2/1988/32. L'un et l'autre documents se référaient à l'existence de l'esclavage, de la traite d'esclaves et de l'enlèvement de femmes dans la partie méridionale du Soudan, chez les ethnies Dinka, Shilluk et Nuer et les tribus des monts Nouba. Le gouvernement avait invité la commission à se reporter au rapport qui contient sa réponse aux allégations du Rapporteur spécial, et il avait déploré que le rapporteur ait basé son rapport, comme il l'indiquait lui-même, sur des relations et des témoignages oculaires, c'est-à-dire sur des déclarations verbales non acceptables du point de vue du gouvernement; le rapporteur n'avait fait été d'aucun événement dont il aurait pu dire qu'il en avait été témoin ou sur lequel il aurait enquêté lui-même.
7. En ce qui concerne la visite du rapporteur dans les camps pour enfants vagabonds, et son affirmation selon laquelle ces camps ne seraient rien d'autre qu'un moyen d'arrestation et de détention arbitraires, la réponse du gouvernement est que le problème des enfants des rues est un problème qui se pose également à bien d'autres pays et que le gouvernement applique une stratégie commençant par la recherche des parents et se terminant par le retour des enfants à leurs parents. Le gouvernement indique qu'il existe néanmoins des enfants qui choisissent de vivre dans la rue, sombrent dans la délinquance et refusent de réintégrer leur foyer, et qu'il doit s'occuper de cette catégorie. Il ajoute que le droit à un abri est un droit humain, auquel les enfants vagabonds peuvent eux aussi légitimement prétendre et que les camps ne sont pas un lieu conçu pour détenir arbitrairement ces enfants mais pour les protéger et s'occuper de leur éducation et de leur formation afin d'en faire de bons éléments de la société.
8. En réponse à la demande de la commission tendant à ce que des mesures soient prises pour la protection des ethnies Dinka et Nouba contre des pratiques contraires à la convention, le gouvernement a souligné que tous les citoyens du Soudan sont égaux en droit et jouissent d'une protection égale, sans aucune discrimination.
Rapport de 1996 du Rapporteur spécial et réponse du gouvernement
9. La commission a pris dûment note de ces indications. Elle note également que, dans son rapport sur la situation des droits de l'homme au Soudan présenté le 20 février 1996, le Rapporteur spécial regrette que les autorités compétentes du Soudan n'aient pas manifesté le moindre souci d'enquêter sur les cas portés à leur attention ces dernières années. Le rapporteur exprime également sa préoccupation devant le fait que, depuis février 1994, les rapports et informations émanant de sources très diverses sur les cas d'esclavage, de servitude, de traite des esclaves et de travail forcé se sont multipliés de façon alarmante. Bien que le Bahr El-Ghazal et les monts Nouba soient les régions les plus touchées par ces pratiques, on a signalé également dans toute la partie méridionale du Soudan des cas d'enlèvement d'hommes, de femmes et d'enfants par l'armée gouvernementale, les Forces populaires de défense (FPD), les milices locales armées par le gouvernement et les groupes de moudjahidin combattant aux côtés du gouvernement dans cette région. L'enlèvement de civils - hommes, femmes ou enfants - originaires du sud, qu'ils soient musulmans, chrétiens ou de croyance africaine traditionnelle, et quels que soient leur statut social ou leur appartenance ethnique, est devenu une façon de faire la guerre. Au cours de sa mission d'enquête sur le terrain, le Rapporteur spécial a recueilli des témoignages détaillés d'enlèvements couramment pratiqués à Gogrial et ses environs au cours de raids réalisés conjointement par l'armée, les FPD et les milices armées et dans le cadre desquels, à des dates diverses comprises entre avril 1994 et juillet 1995, des civils dont le nombre allait de quelques individus à plusieurs centaines de femmes et d'enfants avaient été capturés, placés en détention et déportés dans le nord du Soudan. De même, on a signalé l'enlèvement d'au moins 250 civils par des militaires à la suite d'une opération effectuée le 21 février 1995 par l'armée gouvernementale contre le village de Toror (comté d'Umgurban), dans les monts Nouba. Leurs proches pensent qu'ils ont été emmenés dans l'un des "villages pacifiés" du Kordofan: Um Dorein, Agab ou Um Sirdiba.
10. Selon le Rapporteur spécial, toutes les informations obtenues confirment un engagement direct et généralisé de l'armée gouvernementale, des FPD, des milices armées gouvernementales et des formations de moudjahidin, ces dernières étant soutenues par le gouvernement et opérant aux côtés de l'armée et d'unités paramilitaires, dans le cadre d'enlèvements et de déportations de civils des zones de conflit vers le nord du Soudan. Les lieux où les captifs sont provisoirement rassemblés avant d'être envoyés vers leur destination finale sont également sous le contrôle de l'armée, des FPD et/ou des formations de moudjahidin. A la lumière de ces informations, le Rapporteur spécial conclut que la passivité totale affichée par le gouvernement, qui reçoit depuis des années des informations concernant cette situation, ne peut être interprétée que comme une approbation et un soutien politiques tacites de la pratique de l'esclavage et de la traite des esclaves. De multiples rapports indiquent que des civils locaux fortunés, dont les liens étroits avec le gouvernement sont souvent de notoriété publique, seraient impliqués dans ces pratiques, qui ont toutes une connotation raciale marquée, étant donné que les victimes sont exclusivement des Soudanais du sud et des membres des tribus indigènes des monts Nouba, les Musulmans eux aussi étant réduits en esclavage dans cette deuxième catégorie.
11. S'agissant plus particulièrement de l'enlèvement d'enfants, le Rapporteur spécial indique que certains jeunes garçons enlevés dans le sud du Soudan ainsi que ceux qui sont raflés dans les rues des villes du nord sont utilisés comme domestiques, tandis que les jeunes filles sont forcées à vivre en concubinage ou à se marier, principalement avec des soldats et des membres des FPD dans le nord du Soudan. Il existe une autre catégorie d'enfants, en particulier des garçons de l'ethnie Dinka âgés de 11 ou 12 ans, qui recevraient une formation militaire pour être envoyés au combat dans le sud par le gouvernement du Soudan. Il convient d'établir cette distinction essentiellement parce que les enfants de la première catégorie ont, dans quelques cas, été retrouvés par leurs parents et, après de longues négociations suivies du versement d'une rançon à leurs ravisseurs, rendus à leur famille.
12. Dans sa réponse du 29 mars 1996 au rapport du Rapporteur spécial, le gouvernement, rappelant ses réserves antérieures à l'égard du Rapporteur spécial, déclare qu'il n'est pas approprié, pour le Rapporteur spécial, de soulever des considérations telles que celles contenues dans son dernier rapport, notamment de conclure à une approbation politique tacite de la pratique de l'esclavage, conclusion qu'il n'a pas été en mesure d'étayer bien que s'étant rendu au Soudan trois fois. Le gouvernement déclare en outre que le Rapporteur spécial ne parvient pas à établir, à travers les allégations et témoignages de deuxième main qu'il réunit dans son rapport, que le droit de propriété sur l'esclave envisagé par les différents instruments internationaux en la matière ait jamais été exercé sur aucun individu, dans quelque partie du pays que ce soit, au su des autorités du Soudan. Il signale, en outre, que l'article 7 de la Convention supplémentaire relative à l'abolition de l'esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analogues à l'esclavage définit la traite des esclaves comme "tout acte de capture, d'acquisition ou de cession d'une personne en vue de la réduire en esclavage...", ce qui fait que l'élément d'intention est décisif dans ce contexte. Dans le cadre des rivalités entre tribus soudanaises, qui s'accompagnent normalement de captures de prisonniers de guerre de part et d'autre, il n'existe aucune intention de cette nature puisque ces hostilités n'ont pour cause que la volonté de s'approprier de nouveaux pâturages et de nouvelles ressources en eau pour le bétail et non de prendre des esclaves.
13. A cet égard, la commission note que, dans son rapport du 20 février 1996, le Rapporteur spécial a déjà formulé ses commentaires quant à l'erreur d'appréciation dont il aurait fait preuve à propos de conflits tribaux s'accompagnant de la capture de membres de la tribu adverse en vue du règlement du conflit. Selon le rapporteur, dans la plupart des cas portés à l'attention du gouvernement du Soudan, les auteurs signalés appartiennent à l'armée du Soudan et aux Forces populaires de défense (FPD), qui relèvent du gouvernement. Même dans les cas mettant aux prises des membres de milices tribales différentes, la pratique de l'esclavage s'inscrit dans le contexte de la guerre et montre qu'il existe une politique délibérée de la part du gouvernement tendant à passer sous silence, voire à cautionner, la pratique de l'esclavage en tant que moyen de combat dans le cadre de la guerre civile. En outre, l'argument selon lequel ces pratiques s'inscrivent dans un cadre tribal n'exonère pas le gouvernement de sa responsabilité d'assurer le respect du droit de ses administrés à la vie, à la sécurité et à la liberté.
14. En ce qui concerne l'implication des forces paramilitaires, y compris des Forces populaires de défense (FPD) dans les pratiques d'esclavage décrites par le Rapporteur spécial, le gouvernement déclare dans sa réponse du 29 mars 1996, que le Rapporteur spécial a été mal conseillé et que les éléments qui lui ont été fournis à propos de ces forces tendaient à l'induire en erreur. En réalité, ces forces s'acquittent de la noble mission de protéger les axes d'acheminement de l'assistance et de combattre le banditisme et les éléments qui perturbent régulièrement les opérations d'assistance.
15. De même, en ce qui concerne l'enlèvement d'enfants, le gouvernement déclare que les considérations développées ne sont pas véridiques mais sont plutôt la création soit du Rapporteur spécial lui-même, soit des sources lui ayant fourni ses informations. Si le Rapporteur spécial avait cité les noms de personnes se livrant à de telles pratiques illégales, le gouvernement n'aurait pas hésité à prendre des mesures judiciaires immédiates contre les personnes concernées, d'autant plus que le Code pénal du Soudan punit le crime d'enlèvement.
Commentaires de la CMT et rapport du gouvernement
16. La commission prend bonne note de ces indications. Elle a également pris note des commentaires présentés par la Confédération mondiale du travail (CMT) dans sa communication datée du 1er août 1996 et des documents joints à cette communication. La CMT déclare que, sur la base des informations dont elle dispose, l'esclavage et le travail forcé persistent au Soudan, au mépris de la convention no 29, ratifiée en 1957; que les milices, souvent avec l'accord des autorités, continuent d'agresser des villages, de voler du bétail, de mettre le feu à des habitations et d'enlever des civils - hommes, femmes et enfants - pour les contraindre ensuite à travailler comme esclaves dans la domesticité, ou dans l'agriculture ou l'élevage, dans des conditions de vie et de travail terribles, les mauvais traitements étant monnaie courante et les femmes étant souvent violées. La CMT signale, en particulier, le témoignage reproduit dans le rapport 1995 de Human Rights Watch sur le sort des enfants du Soudan, qui sont réduits en esclavage, vivent dans la rue ou sont enrôlés dans les forces armées du Soudan, témoignage qui contredit les déclarations du gouvernement mentionnées dans l'observation de 1994 de la commission.
17. La commission note, à la lecture du rapport de Human Rights Watch, que ce rapport s'appuie sur des recherches effectuées à Khartoum en mai et juin 1995 à l'invitation du gouvernement du Soudan, et en mars 1995 au Kenya et dans le sud du Soudan; que les entretiens à Khartoum ont eu lieu en privé, avec des personnes et des institutions n'appartenant pas au gouvernement et ayant demandé l'anonymat par crainte de représailles de la part de celui-ci, tandis que les entretiens à Juba, la plus grande ville du sud, se sont déroulés sous le contrôle de la sécurité soudanaise, laquelle a mis un terme à la visite avant que des témoignages concernant la plupart des agissements puissent être recueillis dans cette ville.
18. Dans son rapport, Human Rights Watch indique que les milices arabes, qui ont été, sous le gouvernement actuel, plus ou moins incorporées dans les Forces populaires de défense (FPD), ont été constituées dans le but de mettre en déroute l'ALPS (Armée de libération populaire du Soudan) en combattant sa prétendue base sociale dans le sud du Kordofan et dans le nord du Bahr El-Ghazal, à distance tactique pour les opérations de razzia arabes. Les cibles sont principalement les ethnies Nouba et Dinka, dans une certaine mesure rivales traditionnelles des tribus arabes. Outre qu'elles sont effectivement habilitées par les gouvernements central et fédérés à s'en prendre à ces civils en toute impunité, les milices arabes ont toute latitude pour voler du bétail, brûler des biens et prendre des civils en captivité. Des soldats et officiers, de l'armée comme des milices, ont capturé et réduit des civils en esclavage pour leur servir de domestiques. Ces civils, essentiellement des femmes et des enfants, n'ont pas été arrêtés par les autorités aux fins d'une procédure pénale; ils n'ont pas été pris non plus comme otages pour des négociations entre tribus. Ils ont été pris comme butin de guerre. Ils ont été emmenés loin de leur village d'origine, pour accomplir sans aucune rémunération des tâches ménagères ou garder des troupeaux. Certains ont subi des sévices sexuels de la part de leurs maîtres. Les enquêteurs n'ont connaissance que du sort de ceux qui ont réussi à s'échapper ou qui ont été libérés, c'est-à-dire d'une infime minorité. Un grand nombre de femmes et enfants enlevés n'ont pas été vendus mais simplement gardés par les soldats ou les membres des milices qui les ont capturés. Bien que les pratiques ayant cours au Soudan ne présentent pas toutes les caractéristiques de l'esclavage, elles en présentent plusieurs: les esclaves appartiennent à d'autres ethnies et communautés (populations africaines méridionales et Nouba); la coercition peut s'exercer à volonté à leur endroit et leur force de travail est à l'entière disposition d'un maître. Le cas d'un groupe de plus de 500 femmes et enfants captifs a connu un dénouement heureux: un officier de police du sud a pu les libérer de leurs ravisseurs militaires lors de leur passage sur le territoire de sa juridiction. D'autres affaires démontrent, malheureusement, que les cas de libération par une intervention officielle restent rares. Le rapport relate le cas de plusieurs groupes et donne un résumé des témoignages de certaines victimes d'autres raids et des personnes leur ayant prêté assistance. Les enquêteurs ont découvert des affaires d'enfants retrouvés par leur famille ou ayant réussi à s'échapper des années plus tard. Ces familles ont dû procéder elles-mêmes aux recherches, n'obtenant l'aide des autorités que lorsque, par hasard, elles ont eu affaire à des policiers originaires du sud au cours de leurs recherches. Il apparaît clairement que les voies de recours qu'offre la loi sont insuffisantes pour obtenir une prompte libération de tous les enfants volés. Si, dans certains cas évoqués, les procédures légales (administratives ou judiciaires) ont abouti à la réunification des enfants à leur famille, cette voie se révèle coûteuse et souvent sans résultat.
19. Dans son rapport, Human Rights Watch indique également que de très jeunes garçons ont été enrôlés comme soldats dans l'armée ou dans des milices patronnées par le gouvernement et envoyés au combat, en violation de la législation du Soudan, qui fixe à 18 ans l'âge minimum pour le recrutement. On cite l'exemple d'un garçon Dinka de 10 ans embrigadé dans une milice tribale Mundari par les forces gouvernementales en 1991 et tenu en service jusqu'au moment où il a réussi à s'échapper en 1995. L'Armée de libération populaire du Soudan (ALPS) et l'armée d'indépendance du Sud-Soudan (AISS) continuaient également d'enrôler des soldats n'ayant pas l'âge légal alors même que l'AISS coopérait avec l'UNICEF à un programme de réunification des familles.
20. La commission a en outre pris note de divers rapports et documents de Solidarité chrétienne internationale, également évoqués par la CMT. Le document intitulé Evidence on Slavery, with Special Reference to Young Mothers and Children in Sudan (témoignages sur l'esclavage, notamment en ce qui concerne les jeunes mères et les enfants au Soudan), soumis en avril 1996 par la baronne Cox et M. John Eibner à la Commission des droits de l'homme des Nations Unies, est cité comme s'appuyant sur des témoignages de première main recueillis au cours de huit visites effectuées au Soudan entre 1993 et 1996. Depuis la session de 1995 de la Commission des droits de l'homme, les délégués de Solidarité chrétienne internationale ont accompli trois missions d'enquête dans le nord du Bahr El-Ghazal pour faire suite à des rapports du Rapporteur spécial signalant la persistance au Soudan de pratiques d'esclavage d'enfants et pratiques analogues, comme l'enrôlement de force de jeunes garçons dans le service militaire, 9 034 étant embrigadés dans 20 centres de détention du seul sud du Kordofan à la fin de 1995.
21. Les délégués de Solidarité chrétienne internationale ont séjourné sur plusieurs sites du Bahr El-Ghazal, notamment Tirole, Marial, Mayen Abun et Nyamiell, et se sont rendus sur d'autres, notamment Manyiel. Ils ont:
- recueilli les témoignages d'hommes, de femmes et d'enfants capturés et emmenés en esclavage;
- parlé à des familles dont les enfants étaient alors en esclavage dans le nord du Soudan et entendu les relations explicites d'atrocités commises au cours des raids par les Arabes des FPD contre les villes et villages africains noirs;
- rencontré des négociants arabes qui leur ont décrit de quelle manière les esclaves africains sont ramenés du nord et vendus à leur famille ou, en l'absence de membres de leur famille survivants, aux administrateurs des communautés locales;
- recueilli des témoignages de chefs de communautés locales et mis à leur disposition les ressources disponibles pour le rachat d'un certain nombre d'enfants asservis.
22. S'appuyant sur des témoignages oculaires et des relations de première main, les délégués de Solidarité chrétienne internationale attestent de violations flagrantes des droits de l'homme, encouragées ou commises directement par le gouvernement du Soudan, violations qui recouvrent la réduction en esclavage de femmes, d'enfants et d'hommes du sud du Soudan et l'enlèvement de garçons et de jeunes femmes originaires des monts Nouba ou issus de la population Beja et leur enrôlement forcé dans l'armée gouvernementale pour combattre la population du sud. Dans leurs conclusions, qui confirment intégralement celles du Rapporteur spécial, les délégués de Solidarité chrétienne internationale indiquent que l'institution de l'esclavage connaît une recrudescence à vaste échelle dans les régions du Soudan contrôlées par le gouvernement. Le nombre d'esclaves détenus dans le nord du Soudan est chiffré à plusieurs dizaines de milliers. Les milices soutenues par le gouvernement procèdent régulièrement à des raids contre les communautés africaines pour se procurer des esclaves et d'autres formes de butin. Les esclaves, dans la plupart des cas des enfants ou de jeunes femmes, sont emmenés au nord pour servir de domestiques ou de main-d'oeuvre agricole ou pour assouvir contre leur gré des besoins sexuels, sans autre rétribution que le minimum d'aliments indispensable à leur survie. Certains garçons sont embrigadés dans des camps militaires, où ils subissent un entraînement et un endoctrinement pour se battre contre la population dont ils sont issus. Les raids effectués par les milices soutenues par le gouvernement s'accompagnent d'atrocités. Les captifs jugés impropres à servir d'esclaves sont en général torturés et/ou tués. Les hommes sont systématiquement massacrés. Les Arabes de certains clans Rizeigat opposés au gouvernement ont toutefois cessé leurs raids et signé des accords locaux qu'ils honorent avec certains chefs Dinka. Aux termes de ces accords, des esclaves sont rendus à leur famille dans le sud. Les razzias esclavagistes et les hostilités plus classiques ainsi que le déni de l'aide humanitaire sont autant de moyens utilisés par le gouvernement pour transformer un pays ethniquement divers en un Etat islamique arabe, contre la volonté de l'immense majorité de sa population noire africaine. Les effets dévastateurs de cette politique équivalent à un génocide. Une liste nombreuse de cas est citée de manière détaillée à l'appui de ces conclusions.
23. A nouveau, dans leur projet de rapport préliminaire d'une visite effectuée en juin 1996 en plusieurs lieux du nord du Bahr El-Ghazal, leur treizième au Soudan et dans des pays voisins au cours des trois dernières années, les délégués de Solidarité chrétienne internationale confirment les conclusions établies sur la base de leurs précédentes visites. S'appuyant sur des témoignages détaillés d'esclaves affranchis, ils ajoutent que plusieurs centaines d'esclaves ont été ramenés, après avoir été échangés pour un prix convenu avec les autorités locales Dinka. Les communautés africaines ont dû accepter ces transactions puisqu'elles devaient s'en remettre aux négociants arabes pour obtenir le retour de leurs congénères capturés et asservis. Les Arabes arguaient du fait que cet argent leur était dû au titre des risques encourus par eux-mêmes et pour couvrir les frais de rapatriement des esclaves. C'est ainsi que le gouvernement a généré un commerce d'esclaves en incitant les Arabes du nord du pays à prendre part dans un conflit pour lequel ils ne sont pas directement payés, mais dans le cadre duquel ils sont encouragés à se saisir de tout butin à leur portée - y compris des êtres humains. En juin 1996, Solidarité chrétienne internationale a adressé un appel au Haut Commissaire pour les droits de l'homme, au nom d'une fillette de 8 ans, Abuk Kwany, esclave d'Ahmed Ahmed à Naykata, au Soudan. Abuk a été capturée en mars 1994, lors d'un raid contre son village Dinka effectué par les troupes gouvernementales du Soudan. En avril 1996, le père d'Abuk s'est rendu à Naykata avec un officier de police soudanais pour libérer sa fille, qui porte désormais le nom musulman de "Howeh", mais le propriétaire de l'esclave a exigé 50 000 livres soudanaises pour sa liberté. Le policier n'est pas parvenu à contraindre Ahmed à rendre la fillette et son père a dû la laisser en esclavage.
24. Dans ses commentaires, la CMT conclut des divers documents soumis par Solidarité chrétienne internationale que le travail forcé et l'esclavage persistent au Soudan, que, selon les autorités civiles, 12 000 enfants sont en servitude dans le nord du pays, leur nombre allant croissant avec la poursuite des raids. La CMT souligne que les officiers et soldats responsables savent qu'ils peuvent poursuivre leurs odieux agissements, contraires à la législation nationale, en totale impunité et que le gouvernement omet de remplir l'obligation qui lui incombe de protéger ses administrés et prévenir et réprimer de tels actes.
25. La commission note qu'aucun commentaire n'a été reçu du gouvernement sur les questions soulevées par la Confédération mondiale du travail. Elle note également que, dans son rapport sur l'application de la convention reçu le 18 octobre 1996, le gouvernement déclare que le Soudan condamne fermement toutes les pratiques de cette nature, où qu'elles se produisent, parce qu'elles sont dégradantes pour l'être humain et sa dignité, et qu'il s'engage à ne ménager aucun effort pour mettre un terme à de telles pratiques s'il est établi qu'elles existent. Le gouvernement ajoute que le Soudan s'est acquitté pleinement des obligations résultant pour lui de la décision de l'Assemblée générale des Nations Unies de 1995 l'appelant à enquêter sur les accusations d'esclavage et de pratiques analogues à l'esclavage en établissant une commission d'enquête. Cette commission fonctionne désormais dans les monts Nouba et dans les régions voisines et enquête sur de telles accusations. Le gouvernement conclut en déclarant son attachement à l'application de la convention, sa ratification faisant de cet instrument une loi qui doit être appliquée.
Conclusions de la commission
26. La commission prend bonne note de ces indications. Elle note que des accusations d'imposition illégale et généralisée de travail forcé, avec la caution ou les encouragements du gouvernement, sont portées depuis des années par le Rapporteur spécial et rejetées en bloc par le gouvernement. Les mêmes allégations sont désormais formulées dans les commentaires de la CMT, sur la base de rapports détaillés qui déclarent s'appuyer sur des témoignages de première main. Dans ces conditions, la commission, tout en prenant note de l'indication du gouvernement selon laquelle une commission d'enquête a été constituée et fonctionne dans les monts Nouba, est profondément préoccupée par le fait que le gouvernement n'a pas fait suivre d'effets son engagement réitéré de ne ménager aucun effort pour mettre un terme aux pratiques de travail forcé chaque fois que de telles pratiques sont avérées. Rappelant qu'en vertu de l'article 1 de la convention le gouvernement s'est engagé à supprimer l'emploi du travail forcé ou obligatoire sous toutes ses formes dans le plus bref délai possible et qu'en vertu de l'article 25 il a l'obligation de s'assurer que les sanctions imposées par la loi sont réellement efficaces et strictement appliquées, la commission demande instamment le gouvernement de prendre des mesures effectives pour assurer le respect de la convention et de faire rapport sur les mesures concrètes ainsi prises, en donnant des informations sur toutes les affaires portées en justice, le nombre des condamnations prononcées et les sanctions prises contre les coupables.
[Le gouvernement est prié de fournir des données complètes à la Conférence à sa 85e session et de communiquer un rapport détaillé en 1997.]