Allégations: Les organisations plaignantes dénoncent des actes d’intimidation,
des arrestations et des détentions de dirigeants syndicaux par les autorités
- 143. La plainte figure dans une communication en date du 1er juin 2015 du
Syndicat national des employés du secteur des transports terrestres (SYNESTER) et du
Syndicat national des conducteurs professionnels et ouvriers des transports en commun
(SYNACPROTCAM).
- 144. Le gouvernement a envoyé des observations partielles dans des
communications en date des 14 août et 8 septembre 2015.
- 145. Le Cameroun a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale
et la protection du droit syndical, 1948, la convention (no 98) sur le droit
d’organisation et de négociation collective, 1949, ainsi que la convention (no 135)
concernant les représentants des travailleurs, 1971.
A. Allégations des organisations plaignantes
A. Allégations des organisations plaignantes- 146. Dans des communications en date des 1er juin 2015 et 16 mars 2010,
le Syndicat national des employés du secteur des transports terrestres (SYNESTER) et le
Syndicat national des conducteurs professionnels et ouvriers des transports en commun
(SYNACPROTCAM) dénoncent le fait que, après avoir lancé conjointement un mot d’ordre de
grève nationale pour le 5 janvier 2015, le président national du SYNESTER (M. Jean
Collins Ndefossokeng) et le président national du SYNACPROTCAM (M. Joseph Deudie) ont
été arrêtés et mis en garde à vue, et le chargé de mission du SYNESTER (M. Patrice
Fioko) a été condamné à être placé en détention préventive pendant six mois.
- 147. Ce mot d’ordre de grève faisait suite à la décision d’une commission
tripartite composée du ministère des Finances, de l’Association des assureurs
camerounais (ASAC) et de syndicats des transporteurs publics de voyageurs, réunis le
11 novembre 2014 (sans la participation du SYNESTER et du SYNACPROTCAM), d’augmenter de
deux à trois mois la période couverte par la prime d’assurance à partir du 1er janvier
2015. L’opposition du SYNESTER et du SYNACPROTCAM dans les médias et la mobilisation ont
amené le gouvernement à entamer un dialogue avec les deux centrales syndicales. Selon
les deux organisations plaignantes, les assurances reçues alors de la part des autorités
gouvernementales pour essayer de faire entendre raison aux compagnies d’assurances ont
amené les deux centrales syndicales à suspendre leur mot d’ordre de grève initial.
- 148. Cependant, dès le 1er janvier 2015, les assureurs décidèrent
d’appliquer les résolutions de la commission tripartite. Suite à cette décision des
assureurs, le SYNACPROTCAM et le SYNESTER ont ainsi lancé à leurs affiliés un appel à la
grève à partir du lundi 19 janvier 2015 sur tout le territoire. Selon les organisations
plaignantes, face à cette mobilisation, le gouvernement a décidé d’emprisonner les
dirigeants des deux centrales. Ainsi, le 15 janvier 2015, le chargé de mission no 1 du
SYNESTER, M. Patrice Fioko, est arrêté en pleine distribution de tracts dans la ville de
Bafoussam. Le 16 janvier 2015, suite à leur participation à une émission de radio où ils
ont renouvelé l’appel à la grève, les présidents du SYNESTER (M. Jean Collins
Ndefossokeng) et du SYNACPROTCAM (M. Joseph Deudie) sont arrêtés et écroués au
Groupement mobile d’intervention de la police (G.M.I.) pour une garde à vue
administrative de quinze jours aux motifs d’apologie du crime, sédition et activités
terroristes.
- 149. A sa libération, le président du SYNESTER s’est immédiatement rendu
à la ville de Bafoussam où le chargé de mission du SYNESTER était en détention
préventive pour une durée de six mois au motif de tentative de rébellion. Sur place, le
président du SYNESTER est intervenu auprès des différentes autorités pour expliquer que
M. Patrice Fioko agissait dans un cadre strictement syndical. Le juge d’instruction a
ainsi été réceptif aux explications et a ordonné une mainlevée du mandat de détention
provisoire le 20 février 2015. M. Patrice Fioko a été libéré le 27 février 2015.
- 150. Enfin, les organisations plaignantes dénoncent le fait que, lors de
leur détention, les dirigeants du SYNESTER et du SYNACPROTCAM ont fait l’objet
d’interrogatoires concernant des actes de terrorisme en relation avec la nouvelle loi
portant répression des actes de terrorisme. Les organisations plaignantes rappellent que
l’article 2, alinéa 2, de la loi prévoit de punir «de la peine de mort, celui qui, à
titre personnel, en complicité ou en coaction, commet tout acte ou menace susceptible de
causer la mort, de mettre en danger l’intégrité physique, d’occasionner des dommages
corporels ou matériels, des dommages de ressources naturelles, à l’environnement ou au
patrimoine culturel dans l’intention: a) d’intimider la population, de provoquer une
situation de terreur ou de contraindre la victime, le gouvernement et/ou une
organisation nationale ou internationale, à accomplir ou de s’abstenir d’accomplir un
acte quelconque, à adopter ou à renoncer à une position particulière ou à agir selon
certains principes; b) de perturber le fonctionnement normal des services publics, la
prestation de services essentiels aux populations ou de créer une situation de crise au
sein des populations; c) de créer une insurrection générale dans le pays». Les
organisations plaignantes considèrent que la mise en œuvre de la loi de répression du
terrorisme rend désormais impossible toute activité syndicale dans le respect des
principes de la convention no 87.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 151. Dans une communication en date du 8 septembre 2015, le gouvernement
fournit les explications partielles suivantes relatives aux faits allégués.
- 152. En ce qui concerne l’augmentation de la période couverte par la
prime d’assurance, il s’agit d’une décision des compagnies d’assurances. En prélude à
cette augmentation, une commission tripartite a été constituée au ministère des
Finances, avec la participation de travailleurs, des compagnies d’assurances et du
gouvernement représenté par le ministère des Finances. Le SYNESTER et le SYNACPROTCAM
ont demandé à intégrer la commission en question lors de ses travaux, ce qui n’a pas été
possible. A l’issue des travaux, la commission a rendu publiques les conclusions de ses
assises dont la plus importante était la hausse de la période couverte par la prime
d’assurance, contestée aussitôt par les organisations plaignantes. Saisi de la
situation, le gouvernement via le ministère du Travail et de la Sécurité sociale a reçu
les responsables et les membres syndicaux des centrales syndicales. Le Directeur des
relations professionnelles, au nom du ministre du Travail, a invité les différents
syndicats à s’entendre via un consensus formel, ce qui n’a pas été possible jusqu’à ce
jour du fait des intérêts divergents. Le gouvernement précise que le paiement de la
prime d’assurance est à la charge des employeurs et n’entre pas dans le cadre des
activités syndicales des travailleurs.
- 153. S’agissant de l’arrestation des présidents des deux centrales
syndicales et du chargé de mission du SYNESTER, le gouvernement indique que les
centrales syndicales se sont engagées à manifester, sans avoir épuisé toute la procédure
en matière de grève. Le gouvernement indique par ailleurs que, à l’issue d’une émission
radiophonique au cours de laquelle les deux présidents syndicaux en question auraient
tenu des propos frôlant le terrorisme, le gouverneur de la région du centre a ordonné
leur interpellation et leur garde à vue pour une période de quinze jours renouvelable
une fois, conformément à la législation en vigueur. A l’issue des quinze premiers jours
de détention, le gouvernement a sollicité et obtenu de l’autorité administrative
compétente leur mise en liberté.
- 154. Le gouvernement conclut en indiquant que la liberté syndicale est
effective au Cameroun. Elle s’apprécie à travers la quantité d’organisations
d’employeurs et de travailleurs qui exercent leurs activités sur le territoire national
en toute liberté et sans ingérence des autorités. En outre, la négociation collective
est une pratique constante et permanente au Cameroun.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 155. Le comité note que le présent cas porte sur des allégations
d’arrestation et de détention de dirigeants du Syndicat national des employés du secteur
des transports terrestres (SYNESTER) et du Syndicat national des conducteurs
professionnels et ouvriers des transports en commun (SYNACPROTCAM) en représailles à un
mot d’ordre de grève nationale lancé en janvier 2015.
- 156. Le comité observe, selon les informations fournies, qu’en novembre
2014 le gouvernement a organisé une commission tripartite concernant le secteur des
transports publics de voyageurs, à laquelle les deux organisations plaignantes n’ont pas
pu participer, et à l’issue de laquelle il a été décidé entre autres d’augmenter la
période couverte par la prime d’assurance de deux à trois mois à partir de janvier 2015.
Suite à l’opposition du SYNESTER et du SYNACPROTCAM, le gouvernement a initié des
réunions avec les syndicats concernés qui n’ont abouti à aucun progrès en raison, selon
le gouvernement, de divergences d’intérêts. En janvier 2015, la mise en œuvre par les
compagnies d’assurances de la hausse prévue a incité le SYNESTER et le SYNACPROTCAM à
lancer un mot d’ordre de grève nationale pour le 19 janvier 2015.
- 157. Le comité note selon les allégations des organisations plaignantes
que, le 15 janvier 2015, le chargé de mission du SYNESTER a été arrêté dans la ville de
Bafoussam alors qu’il distribuait des tracts concernant la grève à venir et a été
immédiatement mis en détention provisoire initialement pour une durée de six mois au
motif de tentative de rébellion. Dans le même temps, le 16 janvier 2015, les présidents
du SYNESTER et du SYNACPROTCAM ont été arrêtés suite à une émission de radio où ils ont
confirmé leur mot d’ordre de grève générale. Ils sont détenus au Groupement mobile
d’intervention de la police (G.M.I.) pour une durée de quinze jours aux motifs
d’apologie du crime, sédition et activités terroristes. Le gouvernement indique, au
sujet de l’arrestation des deux présidents, qu’ils avaient tenu des propos tels lors de
l’émission de radio que le gouverneur de la région du centre a demandé leur
interpellation et leur détention pour apologie du crime, sédition et activités
terroristes conformément à la loi. Rappelant en outre – sans autre précision – que les
deux centrales syndicales n’avaient pas épuisé l’ensemble des procédures juridiques en
vigueur pour organiser la grève, le gouvernement indique avoir demandé et obtenu la
libération des deux présidents à l’issue de la période de détention de sûreté de quinze
jours.
- 158. Par ailleurs, le comité note que le chargé de mission du SYNESTER a
été libéré le 27 février 2015 par une mainlevée de la décision de détention préventive
suite à l’intervention du SYNESTER qui a confirmé que M. Patrice Fioko agissait, lors de
son arrestation par la police, dans le cadre de ses activités syndicales.
- 159. Le comité regrette que le gouvernement n’ait pas fourni des
informations plus précises concernant la teneur des propos tenus par les présidents du
SYNESTER et du SYNACPROTCAM pendant l’émission de radio du 16 janvier 2015, et exprime
sa profonde préoccupation du fait que ces propos ont conduit à l’arrestation de ces
derniers et leur détention pendant quinze jours aux motifs d’apologie du crime, de
sédition et d’activités terroristes sur instruction du gouverneur de la région du centre
et non d’une instance judiciaire. A cet égard, le comité souhaite rappeler que le plein
exercice des droits syndicaux exige la libre circulation des informations, des opinions
et des idées, de sorte que les travailleurs et les employeurs, tout comme leurs
organisations, devraient jouir de la liberté d’opinion et d’expression dans leurs
réunions, publications et autres activités syndicales. Néanmoins, dans l’expression de
leurs opinions, les organisations syndicales ne devraient pas dépasser les limites
convenables de la polémique et devraient s’abstenir d’excès de langage. [Voir Recueil de
décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006,
paragr. 154.]
- 160. Le comité constate néanmoins que les arrestations mentionnées ont eu
pour conséquence directe d’empêcher la tenue de la grève appelée par les deux centrales
syndicales le 19 janvier 2015. Le comité souhaite rappeler, concernant le droit de
grève, qu’il s’agit de l’un des moyens essentiels dont disposent les travailleurs et
leurs organisations pour promouvoir et pour défendre leurs intérêts économiques et
sociaux. En outre, les conditions posées par la législation pour qu’une grève soit
considérée comme un acte licite doivent être raisonnables et, en tout cas, ne pas être
telles qu’elles constituent une limitation importante aux possibilités d’action des
organisations syndicales. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 522 et 547.] Par ailleurs,
concernant l’arrestation et la détention de syndicalistes, le comité rappelle fermement
les principes suivants: i) l’arrestation de dirigeants syndicaux et de syndicalistes
ainsi que de dirigeants d’organisations d’employeurs dans l’exercice d’activités
syndicales légitimes en rapport avec leurs droits d’association, même si c’est pour une
courte période, constitue une violation des principes de la liberté syndicale; ii) les
mesures d’arrestation de syndicalistes et de dirigeants d’organisations d’employeurs
peuvent créer un climat d’intimidation et de crainte empêchant le déroulement normal des
activités syndicales; et iii) si des personnes menant des activités syndicales ou
exerçant des fonctions syndicales ne peuvent prétendre à l’immunité vis-à-vis de la
législation pénale ordinaire, les activités syndicales ne devraient pas en elles-mêmes
servir de prétexte aux pouvoirs publics pour arrêter ou détenir arbitrairement des
syndicalistes. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 62, 67 et 72.] Le comité attend du
gouvernement qu’il veille au plein respect des principes rappelés ci-dessus.
- 161. Le comité note avec préoccupation que, selon les organisations
plaignantes, les arrestations dans le présent cas liées à la mise en œuvre des
dispositions de la loi portant répression des actes de terrorisme (no 2014/028 du
23 décembre 2014) illustrent la situation vécue désormais par les syndicats au Cameroun
où l’exercice des activités syndicales conformément à la convention no 87 est rendu
impossible. Le comité prie instamment le gouvernement de s’assurer non seulement que la
mise en œuvre de la loi portant répression des actes de terrorisme n’a pas pour
conséquence de porter préjudice à des dirigeants et membres syndicaux s’exprimant dans
le cadre de leurs mandats et exerçant des activités syndicales légitimes dans le respect
des principes de la liberté syndicale, mais aussi qu’elle n’est pas perçue comme une
menace ou une intimidation destinée à des syndicalistes ou au mouvement syndical dans
son ensemble. En outre, le comité renvoie à la Commission d’experts pour l’application
des conventions et recommandations les aspects législatifs du cas en ce qui concerne la
conformité de la loi portant répression des actes de terrorisme avec les principes de la
liberté syndicale.
Recommandations du comité
Recommandations du comité- 162. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité demande au Conseil
d’administration d’approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité attend
du gouvernement qu’il veille au plein respect des principes de la liberté syndicale
que le comité rappelle concernant le droit de grève, la liberté d’expression,
l’arrestation et la détention de syndicalistes.
- b) Le comité prie instamment
le gouvernement de s’assurer non seulement que la mise en œuvre de la loi portant
répression des actes de terrorisme (no 2014/028 du 23 décembre 2014) n’a pas pour
conséquence de porter préjudice à des dirigeants et membres syndicaux s’exprimant
dans le cadre de leurs mandats et exerçant des activités syndicales légitimes dans
le respect des principes de la liberté syndicale, mais aussi qu’elle n’est pas
perçue comme une menace ou une intimidation destinée à des syndicalistes ou au
mouvement syndical dans son ensemble.
- c) Le comité renvoie à la Commission
d’experts pour l’application des conventions et recommandations les aspects
législatifs de ce cas en ce qui concerne la conformité de la loi portant répression
des actes de terrorisme avec les principes de la liberté syndicale.