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- 31. Par une communication du 17 août 1960, adressée directement à l'O.I.T, l'Union des ouvriers et techniciens des savonneries de Réthymnon a déposé une plainte en violation de la liberté syndicale contre le gouvernement hellénique. Informés par une lettre du 30 septembre 1960 de leur droit de présenter, dans le délai d'un mois, des informations complémentaires à l'appui de leur plainte, les plaignants n'ont pas fait usage de ce droit. La plainte de l'Union des ouvriers et techniciens des savonneries de Réthymnon a été transmise au gouvernement par une lettre du 30 septembre 1960; le gouvernement a présenté ses observations à son sujet par une communication du 19 octobre 1960.
- 32. La Grèce n'a ratifié ni la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ni la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. A. Allégations des organisations plaignantes
A. A. Allégations des organisations plaignantes
- 33. Les plaignants allèguent qu'à l'occasion des élections de la nouvelle administration du Centre ouvrier de Réthymnon, toutes sortes de pressions auraient été exercées par les autorités en vue d'influencer candidats et électeurs, et que les interventions des organes gouvernementaux auraient eu pour effet de fausser le résultat desdites élections.
- 34. Plus précisément, les plaignants allèguent que, M. Diafermo étant le candidat favorisé par les autorités, le commissaire de police aurait quotidiennement convoqué les représentants syndicaux à son bureau pour les presser de voter ouvertement pour M. Diafermo. Ce commissaire aurait en outre poussé les colistiers de M. Saridaki - concurrent de M. Diafermo - à ne pas se présenter. Il aurait, d'autre part, fait pression sur M. Castrino, membre de la commission des scrutateurs, pour que celui-ci vote en faveur de M. Diafermo; devant son refus, le commissaire de police l'aurait menacé de l'empêcher de prendre part aux élections. Par ailleurs, des agents de police se seraient rendus tous les jours sur les lieux de travail des représentants syndicaux et les auraient poussés à voter pour M. Diafermo. Les plaignants donnent les noms et qualités de douze syndicalistes qui auraient ainsi été l'objet de pressions directes.
- 35. Les plaignants allèguent, d'autre part, qu'à la veille des élections, le 12 mai 1960, le préfet aurait destitué M. Athanase Macroglou de ses fonctions de «président des employés coiffeurs ». Le capitaine du port, M. Vlachos, aurait menacé M. Peni de le rayer de son syndicat s'il ne votait pas pour M. Diafermo; pour la même raison, il aurait menacé M. B. Tsoumeni de rayer du syndicat son frère, I. Tsoumeni. Le maire de Réthymnon, M. Psychoundaki, aurait de même exercé des pressions auprès de MM. Delibassi, Vassalo et Castrino, travailleurs au service de la commune, pour que ceux-ci votent en faveur de M. Diafermo. M. Castrino ne s'étant pas exécuté, il aurait été, pour cette raison, congédié de son emploi.
- 36. Le jour des élections, des membres de la police, en civil, auraient occupé la place située devant le Centre ouvrier et distribué des bulletins de vote aux représentants. Le capitaine du port et le commissaire de police se seraient également trouvés là. En même temps que le représentant de l'autorité judiciaire, M. Fameli, juge de première instance, M. Farsaris, de la préfecture, serait entré dans la salle de vote et n'aurait cessé, malgré les protestations du représentant de l'autorité judiciaire, de faire de la propagande en faveur de M. Diafermo. Plusieurs membres de la police se seraient également trouvés dans la salle tout le temps du scrutin, exerçant une pression sur les électeurs et encourageant les candidats favorisés par les autorités. Malgré les protestations de la commission électorale, ils auraient refusé de sortir de la salle.
- 37. Dans sa réponse, le gouvernement déclare que, par une lettre du 2 mai 1960, adressée à la préfecture, M. Elie Claïnzidakis, président du Centre ouvrier de Réthymnon, a notifié aux autorités la date des élections en vue du renouvellement de l'administration du centre et invité un représentant de la préfecture à assister à ces élections. A la suite de cette invitation, et conformément aux dispositions de l'article 48, alinéa 2, du décret du 20 mai 1920 sur les associations professionnelles, la préfecture a délégué un de ses fonctionnaires, M. Farsaris, pour assister aux élections, auxquelles, selon la loi, devait également assister un représentant de l'autorité judiciaire.
- 38. Le gouvernement affirme que les allégations formulées à l'égard de M. Farsaris ainsi que des autres autorités administratives et policières par M. Coucouvaya, président du comité de surveillance des élections et signataire du mémoire se trouvant à l'origine de la plainte, sont entièrement fausses et revêtent un caractère calomnieux. Les élections dont il s'agit - déclare le gouvernement - se sont déroulées dans l'ordre le plus absolu, en présence du comité de surveillance dont M. Coucouvaya était président et sans que ce dernier ou ses collègues aient élevé la moindre objection quant à la manière dont ont eu lieu les élections en question.
- 39. Dans un nombre important de cas, le Comité a déclaré que le droit des syndicats de se réunir librement dans leurs propres locaux, en dehors de toute autorisation préalable et de tout contrôle des autorités publiques, constitue un élément fondamental de la liberté syndicale. Dans le cas présent, où le gouvernement indique que, de par la loi, un fonctionnaire de la préfecture et un représentant de l'autorité judiciaire ont assisté à la réunion au cours de laquelle ont eu lieu les élections, le Comité estime, comme l'avait fait la Commission d'experts pour l'application des conventions et des recommandations lors de son examen de la façon dont la convention no 87 était appliquée à Cuba, que la présence d'un fonctionnaire de la préfecture lors d'élections syndicales est susceptible de constituer une « intervention » dont, aux termes de l'article 3, paragraphe 2, de la convention no 87, «les autorités publiques doivent s'abstenir ».
- 40. En conséquence, le Comité recommande au Conseil d'administration d'attirer l'attention du gouvernement hellénique sur le fait que la présence d'un fonctionnaire de la préfecture lors d'élections syndicales risque de porter atteinte à la liberté syndicale et, en particulier, d'être incompatible avec le principe selon lequel les organisations de travailleurs ont le droit d'élire leurs représentants en toute liberté et les autorités publiques doivent s'abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l'exercice légal.
- 41. Dans sa réponse, le gouvernement poursuit en indiquant qu'en vertu de l'article 101 du Code civil, toute décision prise par une assemblée dans des conditions contraires aux lois doit être considérée comme nulle. La nullité doit être prononcée par le tribunal sur l'assignation «d'un membre n'y ayant pas donné son assentiment ou de toute personne ayant un intérêt légitime ». En vertu de cet article du Code civil - déclare le gouvernement - M. Coucouvaya était parfaitement fondé à recourir, s'il estimait que les élections ne s'étaient pas déroulées correctement. Or - d'après le gouvernement - M. Coucouvaya s'est abstenu de recourir, ce qui, selon lui, démontre la mauvaise foi du plaignant.
- 42. Il ressort de la réponse du gouvernement qu'une voie de recours était ouverte aux intéressés, par laquelle ils auraient pu tenter de faire annuler les élections par le tribunal s'ils avaient estimé, comme cela paraît être le cas, que celles-ci s'étaient déroulées de façon incorrecte; de cette même réponse, il ressort que les intéressés se sont abstenus d'utiliser les possibilités ainsi offertes par la procédure nationale.
- 43. Dans les cas où il a eu à connaître d'une situation analogue, le Comité a estimé qu'étant donné la nature même de ses responsabilités, il ne saurait se considérer comme lié par les règles qui s'appliquent, par exemple, aux tribunaux internationaux d'arbitrage et selon lesquelles les procédures nationales de recours doivent être épuisées. Toutefois, il a considéré que lorsqu'il examinait un cas selon ses mérites, il se devait de tenir compte du fait qu'une possibilité de recours prévue par la législation nationale n'avait pas été utilisée en ce qui concerne les questions faisant l'objet de la plainte.
- 44. En l'espèce, s'il est vrai que les plaignants se sont abstenus d'utiliser la procédure de recours prévue par les dispositions du Code civil hellénique, il y a lieu de noter que les allégations des plaignants ne portent pas uniquement sur le déroulement du scrutin en tant que tel. Elles comportent en effet une multitude d'accusations quant à l'attitude adoptée par les représentants de l'autorité durant toute la période qui a précédé les élections. A cet égard, la plainte fournit force détails: des noms sont donnés, des précisions nombreuses sont apportées quant à la nature des pressions qui auraient été exercées pour influencer les élections. Si l'on admettait que celles-ci, telles qu'elles ont été décrites plus haut aux paragraphes 33 à 36, aient effectivement eu lieu, elles auraient sans nul doute constitué, par leur caractère, une ingérence impliquant une atteinte au principe des libres élections syndicales ; plus précisément, elles auraient été incompatibles avec le principe énoncé par l'article 3 de la convention no 87 rappelé au paragraphe 40 ci-dessus.
- 45. Or dans sa réponse, le gouvernement se borne à déclarer que les allégations formulées par les plaignants à l'égard des autorités administratives et policières sont fausses et revêtent un caractère calomnieux. Dans ces conditions, étant donné le caractère très précis des allégations formulées par l'organisation plaignante, le Comité estime nécessaire, pour pouvoir se former une opinion en connaissance de cause, d'obtenir du gouvernement des observations plus détaillées sur lesdites allégations. A cette fin, il sollicite du gouvernement des informations plus complètes sur la question et, en attendant d'être en possession desdites informations, a ajourné l'examen de cet aspect du cas.
- 46. En ce qui concerne l'allégation selon laquelle M. Castrino aurait été congédié par le maire de Réthymnon pour avoir refusé de voter en faveur de M. Diafermo, le gouvernement confirme le licenciement de l'intéressé, mais se borne à déclarer, pour l'expliquer, que l'intéressé était « un travailleur employé par la municipalité selon les besoins existants».
- 47. Le gouvernement entend sans doute faire valoir par là que M. Castrino, travailleur employé par la municipalité à titre temporaire, a été licencié parce que ses services avaient cessé d'être nécessaires et pour cette seule raison. Toutefois, étant donné la qualité de syndicaliste de l'intéressé (représentant des ouvriers du bâtiment, membre de la commission des élections) et l'allégation précise des plaignants selon laquelle le licenciement incriminé serait la conséquence directe du vote émis par la personne ainsi licenciée, le Comité estime utile d'obtenir du gouvernement des précisions à cet égard. A cette fin, il demande au gouvernement de bien vouloir fournir des informations complémentaires quant au statut exact de M. Castrino et quant aux raisons précises qui ont motivé son licenciement. En attendant d'être en possession desdites informations, le Comité recommande au Conseil d'administration d'ajourner l'examen de cet aspect du cas.
- 48. En ce qui concerne enfin l'allégation selon laquelle le préfet de Réthymnon aurait destitué de ses fonctions syndicales M. Macroglou, président de l'Association des coiffeurs, le gouvernement déclare que cette destitution a effectivement été prononcée par le préfet. Il la déclare cependant justifiée du fait que M. Macroglou s'était livré à une propagande antinationale parmi les membres de son association, avait transformé les bureaux de l'association en un centre de propagande communiste et d'activité antinationale et, de ce fait, avait détourné cette association de ses buts et objectifs véritables.
- 49. Il paraît ressortir des explications fournies par le gouvernement que la destitution de l'intéressé de ses fonctions syndicales ait son origine dans le fait qu'il se serait servi de sa position pour poursuivre des buts politiques illégaux et non pas en raison de ses activités syndicales.
- 50. Toutefois, dans un cas analogue, le Comité avait exprimé l'opinion que la procédure suivie était susceptible de permettre des abus, la destitution ayant été effectuée en effet par décision d'un préfet, et de telles mesures pouvant porter atteinte au droit généralement reconnu des organisations de travailleurs délire librement leurs représentants et d'organiser leur gestion et leur activité. Dans le cas présent, le Comité recommande au Conseil d'administration, comme il l'avait fait dans le cas mentionné plus haut, d'attirer l'attention du gouvernement sur l'intérêt qu'il y aurait à modifier cette procédure et à l'entourer des sauvegardes voulues pour garantir qu'elle ne puisse être utilisée en vue de porter atteinte au libre exercice des droits syndicaux, et sur l'importance qu'il attache à ce que les syndicats puissent élire librement leurs représentants et organiser leur gestion et leur activité.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 51. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration:
- a) d'attirer l'attention du gouvernement sur le fait que la présence d'un fonctionnaire de la préfecture lors d'élections syndicales risque de porter atteinte à la liberté syndicale et, en particulier, d'être incompatible avec le principe selon lequel les organisations de travailleurs ont le droit d'élire leurs représentants en toute liberté et les autorités publiques doivent s'abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l'exercice légal;
- b) d'affirmer l'importance qu'il attache à ce que les syndicats puissent élire librement leurs représentants et organiser leur gestion et leur programme d'action, d'exprimer à cet égard l'opinion que la possibilité donnée aux préfets de destituer les dirigeants syndicaux de leurs fonctions syndicales, dans le cas d'activités politiques de ces dirigeants, comporte un danger d'abus, et d'attirer en conséquence l'attention du gouvernement sur l'intérêt qu'il y aurait à modifier cette procédure en l'entourant de toutes les sauvegardes voulues pour garantir qu'elle ne puisse être utilisée en vue de porter atteinte au libre exercice des droits syndicaux;
- c) de prendre note du présent rapport intérimaire, en ce qui concerne les allégations restées en suspens, étant entendu que le Comité fera de nouveau rapport lorsqu'il sera en possession des informations complémentaires sollicitées du gouvernement aux paragraphes 45 et 47 ci-dessus.
- Genève, le 10 novembre 1960. (Signé) Paul RAMADIER, Président.