320e session du Conseil d'administration

Luc Cortebeeck : «Un pas important a été franchi lors de cette session du Conseil d’administration»

La 320e session du Conseil d’administration de l’OIT a pris fin le 27 mars 2014 à Genève. Le président du Groupe Travailleur, Luc Cortebeeck, se prononce dans cet entretien sur plusieurs thèmes discutés lors de cette session. Il s’agit notamment de l’application des normes internationales du travail; de l’engagement de l’OIT vers le secteur privé, des droits des gens de la mer et enfin de la question des travailleurs migrants à l’occasion de la présidence de l’OIT du Groupe Mondial sur la migration (GMG) du système des Nations Unies…

Actualité | Genève | 4 avril 2014
Luc Cortebeeck, Président du Groupe Travailleur
ACTRAV INFO :  La
320ème session du Conseil d’administration de l’OIT s’est achevée le 27 mars 2014. Au niveau du Groupe Travailleur, quelle est votre évaluation de cette session ?

Cette session a été difficile, mais un pas important a été franchi en ce qui concerne les normes. Ce qui est un peu dommage par contre, concerne le statu quo sur la discussion sur les entreprises notamment le rôle des organisations patronales et les multinationales, où aucune solution n’a été trouvée pour l’instant ; ce qui reste donc un défi pour l’OIT. Au niveau du Groupe Travailleur, nous sommes convaincus que l’OIT doit aller dans cette direction vers les multinationales tout en respectant le cadre tripartite. Aujourd’hui, les multinationales jouent un grand rôle dans le monde avec un impact sur les droits des travailleurs dans de nombreux pays. Ces multinationales doivent néanmoins respecter les normes internationales du travail pour intégrer l’OIT ; et ce sera un grand pas en avant pour l’OIT. Nous espérons qu’une solution sera trouvée sur cette question dans un futur proche.

Concernant le cas de Bahreïn où des milliers de travailleurs avaient été licenciés suite à des manifestations de grève, nous sommes heureux de constater une solution sur ce cas. Aujourd’hui, ces travailleurs ont repris leurs fonctions grâce à un accord entre les syndicats, le gouvernement et le patronat. Il s’agit là d’un succès historique pour l’OIT qui s’est beaucoup impliquée dans la résolution de ce cas au Bahreïn.

Mais des problèmes persistent notamment au Guatemala où l’accord conclu entre la Confédération Syndicale Internationale (CSI) et le gouvernement n’évolue pas suffisamment. Pour le Venezuela, nous avons effectué une mission tripartite dans ce pays suite à une plainte patronale même si ces derniers temps les travailleurs souffrent aussi dans ce pays. Enfin, il y a le cas de Fidji où la situation reste encore très difficile et le prochain Conseil d’Administration décidera de créer une mission d’enquête, si la Mission de l’OIT n’a pas eu lieu.
Les membres du Groupe Travailleur du Conseil d'administration (2011-2014)


Dernier point, cette session était la dernière pour le mandat des membres du Conseil d’administration. C’est l’occasion pour moi de remercier tous les collègues du Groupe Travailleur qui n’ont pas ménagé leurs efforts pour défendre les droits des travailleurs. Les membres du Groupe Travailleur ont beaucoup apporté grâce à leurs expériences acquises dans leurs pays respectifs et leur lucidité pour discuter des problèmes au niveau international au-delà des frontières.

ACTRAV INFO : Le Conseil d’administration a évoqué le suivi des événements relatifs à la Commission de l’application des normes de la Conférence internationale du Travail lors de la session de la CIT en 2012. Quelle est la position du Groupe Travailleur sur cette question ?


Un point important à noter, c’est que les employeurs et les gouvernements ont donné leur accord sur le mandat des experts. C’est un acquis important lors de cette session du Conseil, car en 2012, il n’y avait pas d’accord sur le mandat des experts. Aujourd’hui il a été reconnu que les experts peuvent donner des avis importants mais que ces avis et recommandations ont un caractère non contraignant. Néanmoins, le rôle technique de la commission et son autorité morale sont largement reconnus. Je pense que d’une manière générale, des pas importants ont été franchis au cours de cette session pour l’avenir même de l’OIT, parce que si les mécanismes de supervision ne marchent pas et qu’il n’y a pas d’accord sur cette question, ce serait très mauvais pour notre Organisation.

Concernant les disputes ou problèmes d’interprétation des conventions entre les mandants, il y aura deux possibilités. Soit une question préjudicielle auprès de la Cour internationale de justice de la Haye est posée ; soit un tribunal est institué au sein de l’OIT pour décider de l’interprétation. Actuellement, il y a de plus en plus d’ouverture vers les deux options, aussi vers la solution d’un tribunal au sein de l’OIT, mais aucune décision n’a été prise y compris au sein du Groupe Travailleur. En novembre 2014, le Directeur général va donner plus d’informations sur les modalités, conditions et procédures pour la mise en place de ce tribunal et une décision sera prise à ce moment.

Par ailleurs, le Conseil d’administration a évoqué la possibilité de discuter lors de la prochaine conférence de l’OIT en juin 2014 de 25 cas et nous espérons que nous allons avancer sur cette question très prochainement.

ACTRAV INFO : La question relative à l’engagement de l’OIT auprès du secteur privé a été abordée lors de cette session. Quel regard portez-vous sur ce thème ?

Je pense que l’OIT n’a pas le choix, elle doit s’engager vers les multinationales. Naturellement, cet engagement ne sera pas inconditionnel, car les multinationales doivent également respecter les normes internationales du travail. Ce sera un élargissement du travail de l’OIT pour tenir compte de l’économie mondialisée. Il faudra trouver les structures et procédures pour faciliter cet engagement de l’OIT vers les multinationales.

ACTRAV INFO : Dans le cadre du respect des droits des gens de la mer, le Conseil d’administration a discuté de la Coopération internationale relative à la convention (no185) sur les pièces d’identité des gens de mer. Quel est votre point de vue sur cette question ?

Les conventions relatives aux droits des gens de la mer (C 185 et MLC 2006) sont très importantes, car les gens de la mer ne résident pas dans un pays fixe. C’est une catégorie de travailleurs qui voyage beaucoup, ils sont souvent confrontés à des problèmes de visas, de sécurité lorsqu’ils arrivent dans les ports. La question des pièces d’identité pour les gens de la mer est donc importante même si les gouvernements ont des questions légitimes sur le sujet. Une réunion sera organisée prochainement avec des experts pour mieux étudier la question avant qu’une décision ne soit prise.

ACTRAV INFO : Enfin, l’OIT préside cette année le Groupe Mondial sur la Migration (GMG) du Système des Nations Unies. Au niveau du Groupe Travailleur, quel regard portez-vous sur cette question ?

Nous sommes très heureux que l’OIT préside ce Groupe cette année. Ceci renforcera le rôle important de l’OIT et son mandat dans les débats internationaux sur la migration. Nous espérons fortement que l’OIT utilisera cette opportunité pour promouvoir son agenda pour le travail décent, en particulier la protection des droits des travailleurs migrants ainsi que les Conventions de l’’OIT sur la Migration.

Il est également très important que l’OIT promeuve la coopération et le dialogue social avec les partenaires sociaux dans les débats internationaux sur la migration ainsi que dans le développement des politiques de migration aux niveaux national et régional. Cette coopération avec les partenaires sociaux est très importante car très souvent, les partenaires sociaux ne sont pas impliqués dans les débats menés dans les autres Organisations internationales.

Il y a aussi un rôle important à jouer pour l’OIT concernant le thème des agences de recrutement et les abus très sérieux subis par les travailleurs migrants de la part de ces agences. L’initiative pour un recrutement équitable (fair recuitment intiative) qui sera mené par l’OIT pour établir des directives, sera un travail hautement important et pressant.

Nous attentons donc un rôle très actif de la part de l’OIT et du Directeur général pour profiter au maximum de cette année de présidence.